Le Sénégal juge l'ancien président tchadien Hissène Habré. J’ai rarement été d’accord avec l’ancien Président Wade mais si je trouvais ses tergiversations ignobles, j’ai toujours trouvé que son refus de juger Habré était la seule décision non seulement honorable mais également réaliste pour le Sénégal et l’Afrique. J’aurais juste préféré qu’il ait exprimé un refus clair et net de juger Habré au lieu de louvoyer avec la soi-disant communauté internationale.
Je n’ai strictement aucune sympathie pour Habré. C’est un affreux personnage, un tortionnaire, un assassin et un dictateur de la pire espèce. Je lui souhaite de mourir dans d’atroces souffrances et de griller en enfer. Je trouve malgré tout qu’il aurait dû bénéficier de la protection de l’État du Sénégal contre vents et marées. Non pas, comme le disent certains, parce qu’il s’est intégré à la communauté sénégalaise, a épousé une sénégalaise et a corrompu nos chefs religieux – ça, c’est les raisons pour lesquelles nous aurions dû le juger – mais tout simplement à cause de la continuité de l’État.
À un moment en 1990, l’État du Sénégal s’est engagé à accueillir un ancien dictateur de sorte que ne se perpétue pas dans son pays une sanglante guerre civile [1]. Quoi qu’on pense du personnage, dès l’instant où l’État du Sénégal a décidé de l’accueillir et de lui accorder l’immunité, je crois que la seule attitude républicaine était de s’y tenir de manière trans-temporelle. Par ailleurs, au delà de cet aspect républicain dont j’estime qu’il devrait suffire à clore le débat si nos dirigeants n’étaient pas des carpettes décidées à plaire à tout prix aux desiderata des occidentaux, j’estime que ce procès est dangereux pour l’Afrique. On peut le déplorer mais il y a encore des dictateurs en Afrique.
Ce sont des vestiges de l’histoire mais leur pouvoir de nuisance est grand et il faudra au moins une vingtaine d’années pour que nous en soyons débarrassés. Une question qui se pose est de savoir comment nous allons nous en débarrasser. Sera-ce sanglant ou pacifique ? Ce qui pourrait inciter certains dictateurs à ne pas mourir au pouvoir, c’est la certitude qu’en cas de départ négocié, ils peuvent vivre une retraite paisible aux Almadies et que les cris de leurs victimes ne les y dérangeront jamais. S’ils savent qu’en cas de démission, ce n’est qu’une question de temps avant qu’on ne les juge, ces psychopathes préféreront, à l’instar de Bachar El-Assad bombarder leur propre peuple et mourir au pouvoir que de s’exiler et être rattrapés par la justice 25 ans plus tard.
On parle ici de milliers voire de millions de morts potentielles. Je préfère un Mugabé ou un Sassou Nguessou qui se prélassent dans le luxe à Dakar à un Zimbabwe ou un Congo totalement ravagés par la guerre civile juste parce qu’ils ont peur de se faire juger quelques années après avoir volontairement cédé le pouvoir. Or, c’est exactement ce message que le procès Habré envoie à tous les dictateurs africains : accrochez-vous au pouvoir ou bien il n’y aura pas un endroit dans le vaste monde où vous pourrez tranquillement jouir de la fortune que vous avez volée.
Je crains de savoir ce que ces psychopathes choisiront confrontés à une telle alternative et je ne crois pas que ce soit bénéfique à leurs victimes actuelles et futures. Quid de la morale ? Habré, comme je l’ai dit plus haut est un horrible personnage et je suis de tout cœur avec ses victimes. Malgré tout, je crois que le plus immoral dans cette histoire, ce n’est pas que Habré ne soit pas jugé ; c’est que son jugement ne soit rien d’autre qu’une vengeance. Habré sera jugé. Gageons qu’à aucun moment ne seront évoqués ses liens avec la CIA et l’État français.
Habré n’est pas n’importe quel chef de guerre inculte ; c’est d’abord un intellectuel diplômé de Sciences Po Paris, qui ayant pris le pouvoir, a gouverné et torturé avec l’aide de puissances occidentales en guerre contre la Libye. Juger Habré en restant muet sur les bras qui l’armaient et l’aidaient à contrôler sa population, ce n’est pas de la justice, c’est du théâtre. Si Human Rights Watch veut aider les Africains, je lui suggère de s’intéresser aux forces économiques qui pillent méthodiquement le continent et empêchent que n’émergent de vraies démocraties.
Ce sont ces forces là qui nous empêchent de mettre en place des systèmes de santé et d’éducation viables et c’est cette oppression économique là qui permet la naissance de monstres comme Habré. Juger Habré 25 ans plus tard nuira peut-être au Zimbabwe et ne fera rien pour le Niger dont Areva continuera à voler l’uranium tout en polluant la région d’extraction.
[1] Je sais, ce n’est là que la raison officielle. La vraie raison est que le mec avait rendu des services à la CIA et aux français et qu’on lui renvoyait l’ascenseur. Sur les liens entre Habré et la CIA, cet article de Foreign Policy est instructif: http://foreignpolicy.com/2014/01/24/our-man-in-africa/
Hady Ba
Article initialement paru sur le blog de Hady Ba : https://hadyba.wordpress.com/2015/07/20/pour-habre-et-le-zimbabwe-accessoirement/
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C'est surement un des articles les plus pathétiques que j'ai lu sur l'Afrique des idées. Mais je pense que justement, parce que nous voulons promouvoir les idées, débattre autour des maux et réussites du continent, ce type d'article est nécessaire.
Si on suit bien Hady Ba, le Sénégal ne doit pas poursuivre Habré au nom d'un idéal républicain et d'une parole donnée à un dictateur en fuite. La parole donnée par le Sénégal devrait primer sur le désir de justice auxquels les victimes d'un despote doivent avoir droit.
L'argument utilisé par Hady Ba est impressionnant par le caractère pervers de sa formulation : La menace de jugement d'un despote en cas perte de pouvoir, justifierait leur volonté de se maintenir au pouvoir, donc de maintenir sous leur joug des populations éprouvées. En gros, il faudrait non seulement que ses populations subissent oppressions et gabegies, mais en plus, que soit garanti aux tortionnaires et aux pilleurs un exil douillet.
Le plus terrifiant dans cet article réside dans le fait que la CPI a déjà eu ce type de démarche. Gbagbo est en prison. Jean-Pierre Bemba qui aurait pu gagner les elections au Congo séjourne dans les geôles de La Haye depuis des années. A-t-on entendu ces cris d'orfraie ?
Ce qui se passe au Sénégal est exceptionnel. Wada n'a pas eu les corones pour le faire. Macky Sall met les mains dans le cambouis. C'est très courageux de sa part.
Le pire encouragement qui puisse être donné aux hommes politiques africains, c'est de leur garantir une impunité quelque soit les méfaits posés. Ce type de discours y participe.
Le second discours irresponsable consiste à rechercher des justifications exterieures. Hakim Ba dit :
Le procès ne fait que commencer. Mais déjà, on cherche une forme de dédouanement du leader africain. Il faut juger le collaborateur, pour dissuader toute autre forfaiture, dire y-en a marre – pour reprendre le slogan d'un collectif sénégalais, plutôt que justifier l'injustifiable. Arrêtons cette fuite en avant.
Même point de vue que Gangoueus, la position d'Hady Ba est certainement iconoclaste, mais plus que discutable. Alors que la Cour pénale internationale est décriée à longueur de temps par les dirigeants africains qui trouvent, et ce n'est pas faux, qu'elle ne s'intéresse qu'à eux. Ce procès sur le continent est incontestablement une bonne nouvelle. Et je ne crois pas, loin de là, qu'il pousse les dictateurs à s'accrocher au pouvoir. Ils n'ont pas besoin de cela pour y songer. La procédure en cours pourrait même les dissuader de réprimer trop sévèrement les aspirations démocratiques…
En aucune manière je ne partage le point de vue de l'auteur de cet article:à mon avis,juger Habré au Sénégal reléve d'un grand courage de la part du président SALL et nous assisterons à la fin de cette procédure à une prise de conscience de la part des dirigeants africains(20 ans,19 ans,25 ans etc…au pouvoir).
Du reste,il est possible de remarquer dans cet article que l'auteur tente de légitimer les exactions des "Néron" dirigeants africains véreux,cupides…on ne peut pas installer une guerre civile dans son pays et faire la pluie et le beau temps ailleurs:ils faut les juger et les punir sévérement.
Aussi nous ne devrions pas simplement nous limiter à ce procès,je pense qu'il faut juger les africains en Afrique!!!! les chambres africaines extraordinaires,pourquoi pas en faire une structure organisée pour toute l'Afrique et qui sera basée au Sénégal?