"Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ;"
Jean de la Fontaine, Le Laboureur et ses enfants
Vincent Rouget dans son admirable
article sur la (non)-succession de Mandela et l’avenir incertain de l’Afrique du Sud effleure un sujet plus vaste et beaucoup plus effrayant, celui de cette génération de l’après-guerre et de l’état lamentable dans lequel elle laisse l’Afrique.
Nous sommes la première génération à ne pas devoir « tuer ses pères ». Ils ont déjà fait tout le travail : nos pères se sont fait hara-kiri.
Ces élèves modèles qui peuplent Terangaweb sont fanas de listes : les cinq femmes les plus puissantes, les pasteurs les plus riches, les chefs d’Etat à qui il faut dire « dégage », ceux à qui on a déjà dit dégage, ceux à qui on a oublié de dire dégage la fois passée mais no-prob, on s’est souvenu d’eux cette année, etc. Mais ils sont bien incapables d’établir une liste d’Africains nés entre 1940 et 1960 dont on puisse vraiment être fier. Personne. Absolument personne. Essayez. Prenez votre temps. Qui ? Voilà, personne. En forçant un peu on pourrait sortir Toumani Touré et Tsvangirai du lot, mais vraiment, pour faire chavirer les cœurs et inspirer les foules… Tsvangirai, Toumani Touré et une poignée de bonnes femmes. Une vraie dream-team !
Et je n’exagère même pas. Cette génération n’a pas participé à la lutte pour l’indépendance – trop jeune -, elle ne peut pas participer à la révolution technologique – trop vielle. Entre les deux, elle aura tout raté. Les stratégies de non-développement, c’est eux. La guerre civile au Libéria et le Génocide au Rwanda, c’est eux. Les partis uniques, c’est eux. Les mouvements ultra-religieux qui pullulent sur le continent, c’est eux. Le Sida et le Paludisme, c’est eux. Le discours de Dakar, c’est aussi à cause d’eux.
Il faut juste voir le pauvre Mo Ibrahim suer chaque année pour trouver un « chef d’état ayant eu un leadership d’excellence ». En fouillant bien sous les décombres, il a ressorti un cap-verdien neuf et bien mis à qui il a remis l’enveloppe très vite, avant que le pauvre hère n’ait pu s’échapper. La jeunesse africaine s’ennuie et veut se barrer. Les trentenaires et quarantenaires attendent la retraite, sans jamais avoir eu de vrais boulots. Et les vieux, les « anciens » restent là, à se demander ce qu’ils ont fait de leur jeunesse, de notre Afrique.
Les vrais « combats » de l’ancienne génération, paraissent tellement désuets. On trouve encore des volontaires pour lutter « contre l’impérialisme ». Mais aucune personne sensée n’oserait exiger que l’armée française s’en aille du Mali. Qui veut mourir aujourd’hui pour le panafricanisme ?
Gorée, l’Île aux esclaves, le souvenir de la traite négrière ont perdu de leur force émotionnelle. L’idéalisme et les grandes croisades ont disparu. On en viendrait presque à regretter l’apartheid. Ça au moins, c’était une vraie cause. Le « black empowerment » à côté…
L'Afrique prosaïque succède à l'Afrique des président-poètes. Il ne reste plus que le lourd et ennuyeux travail de « reconstruction ». Leur prendre l’Afrique, aux vieux, et essayer d’en faire quelque chose « qui marche ». Juste ça. Plus de grands projets ni de grands travaux. Plus de basiliques dans la savane. Plus de longues tirades contre les colons. Plus d’Afrique millénaire. Plus de « fiers guerriers dans la savane ancestrale ». Juste le Sida à contenir. La veuve de guerre à réconforter. L’orphelin à nourrir. Le malade à soigner. Le chômeur à employer. Rien de très glorieux, ni de très excitant. Mais il faut bien que quelqu'un le fasse.
Tout le monde ne partage pas ce diagnostic, à Terangaweb, comme ailleurs. Piété filiale et progressisme ont fait leur travail. Quand on leur demande ce qu’on peut vraiment sauver de ce que nous ont laissé nos parents, ils hésitent. Sous la torture, ils laissent échapper un rauque gémissement de repentir et de honte, dans lequel on distingue difficilement « révolution sexuelle… ONG ». C’est bien ça. Voici notre héritage : les godemichés et Bernard Kouchner.
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