Existe-t-il à ce jour quelqu’un qui accepte encore l’explication selon laquelle, quelque part vers septembre 2002, les Ivoiriens se seraient décidés à s’entretuer ? Évidemment non. Mais on trouve des bataillons de commentateurs et de journalistes (le plus souvent étrangers d’ailleurs, ce qui n’est pas surprenant), absolument convaincus qu’il suffit de parler de « réconciliation » pour que tout aille bien. Comme s’il avait s’agit d’une folie passagère, un moment de fièvre, un fugace quoique particulièrement éprouvant cauchemar. Tout va bien, mon fils. Embrassons-nous, c’est fini. Regarde le jour se lève.
On oublie facilement que si les crises « éclatent », les tensions qu’on blâme souvent, ont elle perduré, perdurent encore, pendant des décennies. Pourquoi dégénèrent-elles en violence à des moments particuliers ? Quelle garantie existe-t-il que le sang versé eut la moindre vertu cathartique ? Et encore, on admet ici une hypothèse de travail assez dangereuse : l’ensemble de la population serait lassée par la violence. Tout l’abyme de complexités que cela ouvre : la possibilité que de solides minorités n’aient pas eu leur saoul ; la certitude que justice n’a pas été rendue ; la sensation que cette fois, ce ne sont pas les meilleurs qui ont eu la meilleure main. Tout ça est complètement sacrifié sur l’autel d’un pardon extorqué par la baïonnette, le plus souvent à sens unique. Même si on laisse ces questions de côté, demeure le fait qu’à moins d’être résolues les « tensions » qui menèrent à la guerre restent présentes, en veille, à peine assoupie, en hibernation, emmitouflée sous les communiqués, les monuments et les embrassades.
La Shoah a tué des Juifs mais pas l’antisémitisme. Simon Bolivar n’a pas racheté la barbarie des conquistadors. Une saison de machettes et la stratégie des antilopes de Jean Hatzfeld reportent des témoignages et propos tenus par les ex-génocidaires, qui glacent le sang. Malgré cela, les prêtres du pardon restent vigilants. Toute hérésie est condamnée. Même le deuil, le saint deuil des éplorés est sinon interdit du moins hautement suspect et tenu au silence. L’humeur du moment est à la « réconciliation ». Ils y mettraient 666 R majuscules si on leur en laissait la liberté. Et je crois que je les comprends. Pour pardonner, il faut reconnaissance de faute et contrition, plaidoyer et justice. Pour cohabiter, il faut s’habituer, se réhabituer les uns aux autres. Pour s’aimer, il faut être ouvert à l’amour. Alors que pour se « réconcilier », il faut juste un groupe de gens bien décidés, qui répètent bien fort que tout est calme sur le front ouest. La réconciliation est au pardon ce que le hug est au baiser, un avatar. C’est le pardon des lâches.
Joël Té-Léssia
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Réconciliation à l'ivoirienne ou piège à cons destiné aux bailleurs de fonds! Visiblement elle se fera de gré ou surtout de force… Très beau texte..!
Je suis resté bouche-bé à lire tes articles et à les lire tous.
Et cela fait réfléchir. Une chose est sûre je reviendrai pour écouter.
je préfère recevoir que de donner. Je reviendrai je ne vais pas abandonner monsieur JOEL qui demande chez ivoiriens de pardonner au-delà du mot pour une réconciliation non programmée mais voulu de chacun et par tous
Trop d'honneur. Le plus urgent, vous l'avez dit, c'est d'oeuvrer autant que possible à la réconciliation de la Côte d'Ivoire. On ne peut jamais être trop nombreux à le faire!