Par Mamadou Lamine FALL, Docteur en Sciences politiques à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Résumé
Les conditions difficiles que traverse depuis des années le continent africain constituent un choc moral et une immense injustice. Certes, les Africains ont une grande part de responsabilité de leur situation actuelle. Mais force est de constater qu’ils sont victimes des politiques internationales complètement en leur défaveur.
Introduction
L’Afrique reste le continent le plus pauvre au monde et elle est au centre des préoccupations sur la scène internationale. En effet, divers organes et acteurs militent pour le développement du continent, et cela depuis des années, mais jusqu’ici, les efforts déployés sont en deçà pour faire reculer l’extrême pauvreté en Afrique. Le continent africain est presque inexistant dans le commerce mondial. Il ne représente qu’environ moins de 3% du commerce international comme, on le remarque : » Sa part est passée de 4 à 2,7 % entre 1970 et 2019,…Au cours du premier semestre 2020, le commerce de marchandises de l’Afrique a baissé de 12 % par rapport à la même période l’an dernier ».[1]
En outre, la grande majorité des pays africains ont une balance commerciale déficitaire, ce qui ne favorise pas la performance économique du continent. L’Afrique dépend aussi en grande partie de l’aide publique au développement déléguant ainsi son développement à des acteurs externes.
En clair, la pauvreté de l’Afrique est due à des facteurs endogènes et exogènes. C’est ainsi que nous avons décidé de réfléchir sur les vraies causes du sous-développement de l’Afrique.
En conséquence, pour mieux appréhender ce thème, une question essentielle mérite d’être posée à savoir : Quels sont les facteurs qui justifient le sous-développement de l’Afrique ? C’est tout l’intérêt de notre réflexion sur ce sujet.
I. Les causes externes de la dépendance politique et économique de l’Afrique
Il s’agit là de passer au peigne fin les facteurs externes qui expliquent le sous-développement du continent africain et qui perdurent encore et encore sans solution sérieuse.
En effet, le système international ne favorise pas le développement du continent africain dans la mesure où, le capitalisme économique est un frein pour jeter les bases de la croissance économique de l’Afrique. Les pays développés tirent beaucoup plus de profit dans le jeu du libéralisme économique, car, ils ont une économie qui s’adapte parfaitement à ce mécanisme ce qui n’est pas le cas pour les pays africains qui ne font que subir le diktat des grandes puissances comme, on le souligne l’économiste Amin Samir : «Le développement du capitalisme en Afrique noire s’opère dans le cadre des relations de domination qui caractérisent notre époque; il n’est pas un phénomène local totalement autonome« .[2]
En outre, les organismes multilatéraux comme la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International et l’Organisation Mondiale du Commerce sont des mécanismes de représentation de la machine néolibérale au grand désarroi des pays africains comme, comme le note Eric Toussaint : « Il est essentiel de constater la cohérence des politiques recommandées par le trio Banque mondiale / FMI / OMC. Le FMI et la Banque mondiale utilisent leur statut de créancier privilégié pour conditionner l’octroi de prêts aux gouvernements de la Périphérie à la mise en œuvre de réformes économiques qui augmentent l’ouverture des économies des pays endettés au marché mondial dominé par les pays les plus industrialisés et les transnationales qui y ont en majorité leur siège ».[3]
Ces institutions internationales mettent en œuvre des politiques macroéconomiques qui désarticulent complètement les économies africaines comme par exemple les politiques d’ajustement structurel. Ces dernières ont été développées dans les années 1980 après la crise de la dette. Il faut comprendre qu’après l’accession de la plupart des pays africains à l’indépendance, les institutions de Betton Woods ont octroyé des prêts à ces pays pour leur permettre de relancer leurs économies, mais au bout d’un certain temps, c’était devenu le chaos général, les fonds alloués ont été détournés et cette situation a été aggravée par la chute du cours des matières premières qui devaient normalement servir à rembourser la dette. Vu la situation, les institutions de Betton Woods ont simplement poussé les pays africains à adopter les politiques d’ajustement structurel, pour le remboursement des prêts, c’est-à-dire, privatisation, arrêt des subventions, libéralisation de l’économie etc.
En un mot, les politiques d’ajustement structurel ont appauvri le continent africain comme, nous le notons ici : « Les programmes d’ajustement structurel pour réduire la dette ont entraîné des coupes sévères dans les subventions à la santé, l’éducation et les projets de développement rural. Les démunis, dont les femmes, en sont profondément affectés. La dette de l’Afrique au Sud du Sahara s’élève à 280 milliards de dollars US, représentant plus de 90 % du produit intérieur brut (PIB) ».[4]
Enfin, la détérioration des termes de l’échange est un procédé qui permet aux pays industrialisés de se procurer des matières premières de l’Afrique à des prix dérisoires. Pour ensuite, les transformer en des produits finis destinés à ces mêmes pays à des prix exorbitants, ce qui nous paraît une double exploitation du continent noir. C’est ce qu’on peut noter dans les propos de M. Abdelaziz Bouteflika, ancien président algérien et ancien président de l’Organisation de l’Unité Africaine dans les années 2000: « La dégradation des termes de l’échange qui se traduit par une perte de l’ordre de 2,5% du PNB des pays africains »[5].
Ainsi, il s’avère nécessaire d’étudier un autre point pour mieux cerner la problématique du sous-développement en Afrique.
Il. Les facteurs internes de la dépendance
Dans cette partie, l’accent sera mis sur les causes internes qui empêchent les pays africains de sortir de la pauvreté et de la précarité.
Premièrement, la mauvaise gouvernance est une réalité en Afrique. Chaque année, une manne financière importante fait l’objet de détournement ce qui n’est pas sans conséquence sur le développement du continent : « La mauvaise gouvernance est un frein au développement des activités économiques en Afrique et elle coûte cher».[6]
La transparence et la reddition des comptes font défaut pour la plupart des pays africains. Les marchés publics souffrent d’un manque de transparence, au point que certaines entreprises ont du mal à gagner des marchés au profit du clientélisme politique. Cette situation freine le développement du continent et accentue la pauvreté dans tous les domaines comme on le souligne ici : « Il est évident que la corruption porte directement atteinte au développement durable en Afrique de l’Ouest, comme il est évident qu’elle touche principalement les couches de la société les plus pauvres et les plus démunies »[7]
Deuxièmement, la mauvaise gestion est une tradition en Afrique. Elle se traduit par la dilapidation de deniers publics en investissant sur des projets improductifs qui n’ont pas de conséquence directe sur la croissance économique. Les programmes et projets de développement sont souvent mal appréhendés pour booster la croissance économique des pays africains comme l’affirment Arnaud Bourgain et Jean-Claude Vérèz: « L’attente est telle que la probabilité que les politiques publiques soient satisfaisantes est très faible, dans les pays en développement (PED) et en particulier, en Afrique subsaharienne (ASS). La complexité des réalités des terrain en ASS fait que les incompréhensions et les critiques dominent largement dans la population »[8] .
Troisièmement, l’instabilité politique et les conflits internes font échouer tout espoir de développement comme on le note dans le rapport du PNUD : « L’insécurité liée aux conflits armés demeure un des plus grands obstacles au développement humain. Il s’agit tant de la cause que de la conséquence de la pauvreté de masse ».[9]
Malheureusement, c’est la marque de fabrique de la grande majorité des pays africains qui traversent des conflits armés depuis des décennies.
Conclusion
Les fondements de la dépendance économique et politique de l’Afrique se justifient au niveau interne et externe. Les facteurs externes sont tellement ancrés dans un système quasiment contrôlé et dominé par les puissances occidentales qui ne font aucun cadeau aux pays africains. On a beau parlé de l’aide publique au développement, la calamité et la fatalité continuent de décrire le continent africain.
Fondamentalement, les pays africains doivent changer de paradigme pour prendre au sérieux la question de la pauvreté. Pour ce faire, il faut envisager des solutions durables et concrètes par rapport aux facteurs internes du sous-développement. Ces efforts doivent être aussi menés sur la scène internationale en appelant à une solidarité africaine beaucoup plus sincère loin des slogans et des politiques propagandistes que ne font que ralentir le processus de développement du continent africain.
Biographie
Mamadou Lamine FALL est Docteur en Sciences politiques, spécialité : Relations Internationales à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il est spécialiste en coopération internationale pour le développement, la coopération Nord-Sud et la paix et la sécurité internationale.
Bibliographie
- TOUSSAINT Eric, « Le trio FMI – Banque mondiale – OMC », 25 septembre 2005
- AMIN Samir, « Le développement du capitalisme en Afrique noire», L’Homme et la société Année 1967 6 pp. 107-119
- U Etim, Ekei., « Dette et programme d’ajustement structurel conséquences pour les femmes en Afrique », Spore 44. CTA, Wageningen, The Netherlands 1993
Communiqué de Presse, « La dégradation des termes de l’échange, la dette et l’insignifiance des investissements handicapent le développement de l’Afrique ».CNUCED/B/252 - Rapport de l’Afreximbank, Économie Commerce mondial, « l’Afrique continue à perdre du terrain », Samedi 19 Décembre 2020 – 16:04
- www.adiac-congo.com
- Reportage, « La corruption appauvrit les sociétés de l’Afrique de l’Ouest », Dakar, 3 janvier 2014
- https://www.thenewhumanitarian.org/fr/reportage/2014/01/03/la-corruption-appauvrit-les-societes-de-l-afrique-de-l-ouest
- BOURGAIN Arnaud et VÉREZ Jean-Claude, « Politiques publiques en Afrique subsaharienne. Introduction », dans Mondes en développement 2021/3 (n° 195), pages 7 à 10
- Rapport du PNUD sur le développement humain en 2006
- Conférence économique africaine (CEA) 2017
[1] Rapport de l’Afreximbank, Économie Commerce mondial : « l’Afrique continue à perdre du terrain », Samedi 19 Décembre 2020 – 16:04
www.adiac-congo.com
[2] AMIN Samir, « Le développement du capitalisme en Afrique noire», L’Homme et la société Année 1967 6 pp. 107-119
[3] TOUSSAINT Eric, « Le trio FMI – Banque mondiale – OMC », 25 septembre 2005
[4] U Etim, Ekei., « Dette et programme d’ajustement structurel conséquences pour les femmes en Afrique », Spore 44. CTA, Wageningen, The Netherlands 1993
[5] Communiqué de Presse, « La dégradation des termes de l’échange, la dette et l’insignifiance des investissements handicapent le développement de l’Afrique ».CNUCED/B/252
[6] Conférence économique africaine (CEA) 2017.
[7] Reportage, « La corruption appauvrit les sociétés de l’Afrique de l’Ouest », Dakar, 3 janvier 2014
[8] BOURGAIN Arnaud et VÉREZ Jean-Claude, « Politiques publiques en Afrique subsaharienne. Introduction », dans Mondes en développement 2021/3 (n° 195), pages 7 à 10
[9] Rapport du PNUD sur le développement humain en 2006
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