Quand le passé est confus, et que le brouillard s'abat sur l'avenir, reste le présent qui est encore sous contrôle. Le présent et puis… soi. Il est toujours possible de se regarder soi-même et d'en tirer quelque chose.
Alors, je m'observe, je vois comment je me comporte avec mes enfants. Puis je remonte dans le temps. Ma relation avec mes parents. La relation de mes parents avec mes grands-parents. La relation des grands-parents avec les arrières-grands-parents… Notre monde a tellement changé. Ma grand-mère écoutait toujours mon arrière-grand-mère avec humilité. Ma mère n'osait pas couper la parole à ma grand-mère. Il m'est arrivé plusieurs fois d'exiger des explications à ma mère… quelle audace ! Et me voici aujourd'hui entrain de fournir des explications à ma fille, par ma propre initiative, pour lui faire comprendre qu'après ces devoirs, elle a aussi des droits, même envers sa propre mère.
Les variables sont nombreuses. Les peuples africains sont présentés comme figés alors qu'ils ne sont que révolutions depuis la nuit des temps, mais révolutions lentes et silencieuses qui aujourd'hui s'accélèrent et explosent.
Le problème serait l'éducation: je ne sais pas. L'éducation commence à la maison et quand je m'observe, je ne vois rien de figé à la maison depuis mon arrière-grand-mère. Il faudrait enseigner Cheikh Anta Diop à l'école. Là encore, je ne sais pas. J'ai lu quelques oeuvres de Diop mais, je l'avoue, pas avec la même passion que j'ai eu à lire Émile Zola. Peut-être parce que mon africanité est difficile à mettre en mot. Un ami rappelait, face aux marches et contre-marches de ces derniers jours, que de tout temps les peuples africains ont marché et peuplé le monde. Une errance qui a donné naissance à l'humanité et qui se poursuit.
Mon africanité c'est une goutte de lait qui coule d'un sein. C'est une larme, un silence, un oeil qui brille, un rire, un sourire… Mon africanité, c'est lorsqu'après onze années de pratique d'un art martial japonais, mon sensei me dit un jour de grand froid, alors que je déposais mes bottes à l'entrée du dojo: "Comment fais-tu pour arriver ici toujours avec un sourire ?". Mon africanité c'est un coucher de soleil à Saint-Anicet, en pleine campagne québécoise, que je reconnais et avec qui je dialogue en vieille amie comme lorsque je l'observais étendue sur les dunes de sable de mon enfance. Mon africanité ce sont mes rires qui, issus de ces dunes de sable à Dakar, éclatent avec les mêmes sonorités dans ma gorge lors d'une glissade en luge sur la neige de Montréal. Mon africanité c'est la bataille pour manger la chair mince du cou du poulet autant à la Tabaski qu'à Noël.
Mon africanité c'est ma foi. Et je ne parle pas de religion. Et je ne parle pas non plus de tradition (qui englobe la religion). Je parle de vie.
Ce bonheur, cette joie, chez l'humain, d'être en vie. Un bonheur qui a vu le jour quelque part en Afrique, qui a depuis été propagé de par le monde, et nous voici tous aujourd'hui.
La clé de nos problèmes est en nous-mêmes.
Ndack Kane
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Chercher la solution en soi, oui seulement si on déroule le tapis jusqu'au bout. Sous de très beaux textes se cachent souvent l'inachevé. Le bonheur des uns se trouvent dans le bonheur des leurs. Mon bonheur à moi réside dans les mains qui feront les prochaines révolutions africaines, dans les esprits courageusement réalistes devant les maux de l'Afrique. Mon Africanité ne peut s'exprimer aussi individuellement dans mon plaisir de vivre.
S'exiler et voir son bonheur dans le syncrétisme de son enfance africaine et de la nouvelle culture adoptée, Pourquoi pas, tant qu'on n'essaie pas d'associer ce choix à une franche africanité. "Le cham de construction de l'Afrique c'est la terre Africaine"
Je suis de ceux qui seront toujours moins heureux sachant que les plaies gangrainent d'où l'on vient. Je ne vois dans ce texte malgré le fait qu'il soit très beau, sublime, qu'une tentative vaine de justifier l'incoherent. Le tapis doit être étendu jusqu'au bout dans nos autocritiques.
L'africanité n'est pas liée à la terre. C'est un rapport au monde aussi pour celui qui vient de ce continent. L'africanité, ce n'est pas être malheureux parce que des gens souffrent en Afrique. L'africanité n'est pas le fait de s'apitoyer pour justifier une quelconque connexion et proximité avec ceux du continent-mère. Parce que, sur le continent, malgré les difficultés, les gens prennent le temps de vivre. Avec le sourire. Ce sont des logiques difficiles à comprendre quand on est européens. Comme quand les handicapés du groupe Staff Benda Bilili font des concerts où on finit par oublier leur infirmité, car pour eux, elle n'existe pas. L'Afrique c'est cette dimension là. Prendre la vie telle qu'elle est et vivre. Comment comprendre que le peuple français soit l'un des plus déprimés du monde, alors que matériellement, il y a de la marge? Quand vous lisez un roman comme Mathématiques congolaises de Jean Bofane, vous captez cette africanité dont parle Ndack. Cher Agede, en vous lisant, j'ai fortement ressenti votre occidentalité même si vous êtes sûrement africains. Il y a des choses à défaire au niveau de l'africanité. Mais de grâce, ne nous imposez pas la sinistrose et la déprime.
Gangoueus dit dans son commentaire que les Africains "prennent le temps de vivre. Avec le sourire" et que "ce sont des logiques difficiles à comprendre quand on est européens". Cher Gangoueus, je pense que vous surestimez, comme beaucoup de gens, les différences entre les Africains et les Européens, et l'influence de la culture d'un continent sur les attitudes et les comportements des individus. Je suis européenne, mais je comprends parfaitement le simple bonheur d'être en vie dont parle Ndack Kane. J'éprouve ce bonheur intense même dans des moments très difficiles. Quoi qu'il m'arrive, je ne perds jamais la capacité de sourire et rire. Je crois que beaucoup dépend de notre personnalité et de notre philosophie personnelle, et qu'une Européenne peut rester sereine et souriante même quand elle rencontre toutes sortes de difficultés dans sa vie. En même temps, moi aussi je pense qu'il y a beaucoup d'Européens qui n'éprouvent pas ce magnifique bonheur d'être en vie, qui semblent toujours amers et déprimés … Mais la culture n'explique pas tout en ce qui concerne notre attitude envers la vie et la souffrance. Il n'y a pas de différence fondamentale et insurmontable entre les attitudes et les philosophies de "l'Européen" et de "l'Africain", et les Européens, tout comme les Africains, sont des individus très divers – un fait qu'on oublie trop souvent !
Cher Gangeous,
je pense que vous n'avez pas bien saisi mon Commentaire. Certes, je parle des souffrances en Afrique , c'était peut être maladroit mais ma pensée se situe bien loin de ca. J'ai juste du mal à comprendre qu'on puisse sincèrement proclamer une africanité qui se sustente d'un bonheur occidental.
je suis de ceux qui ont choisi la vie en Occident pour diverses raisons mais je n'ose pas ou plus justifier ce choix en l'associant à une quelconque positivité pour l'Afrique et les africains. J'ai pensé à moi et à ma personne,… quelque peu à mes proches. Peut être que je me limite a ma simple expérience et celles des africains autour de moi, mais elles m'ont amené a la conclusion qu'on ne tarira jamais le puit des idées pour justifier nos exils (on a tous de très bonnes raisons, sans doute), une chose est sure cest qu'au fond de nous, une part infime nous dit tous les jours que ce choix se noue fortement avec la duplicité, l'hypocrisie, que ce choix se contente d'espérance, que ce choix est dans l'action molle espère de loin, Ce choix contemple de loin, de trop loin. Assumons nos choix honnêtement !
Soyons d'abord honnêtes avec nous même puis lucides sur le monde dans lequel on vit, les intérêts des africains se situent bien loin des terres occidentales.
Bien à vous,
Cher Agede,
Merci pour votre témoignage. Je comprends votre questionnement mais j'aimerai juste partager avec vous les paroles d'un aîné qui m'a dit un jour, lorsque j'ai parlé d'exil:
« Il y aussi une fuite interne des cerveaux. Ceux qui ne quittent pas le pays mais décident de se retirer de l'espace public pour s'occuper de leur famille et de leur champ, car, " à vouloir défier le diable, on se compromet avec lui". C'est une autre façon d'exercer sa responsabilité. Ils sont beaucoup plus nombreux que l'on ne croit et cela dure depuis les années soixante. »
Juste pour vous dire que je n'ai fait dans ce texte que donner un ressenti, sans jugement de valeur aucun, car s'il faut juger de qui fait quoi, cela peut être bien plus complexe.
Trouver votre bonheur à vous, c'est tout ce que je vous souhaite car l'on ne donne que ce que l'on a à l'intérieur: si vous avez le coeur empli de joie, vous pourrez offrir de la joie à l'Afrique et au monde !