Il y a deux ans, je rencontrai Richard, jeune ambassadeur d’Ouganda en Egypte. Exubérant et très sympathique, Richard adorait parler politique. Au détour d’une conversation, je lui demande combien d’années Museveni avait passé au pouvoir. Réponse implacable et sans fard de Richard : « only 28 years ».
La réponse, surprenante pour moi, était en fait une banale conviction au sein de l’appareil d’Etat au service de Museveni. Le président ougandais, âgé aujourd’hui de 71 ans, vient de prolonger pour la cinquième fois son éternel bail avec le peuple. 60% de suffrages favorables. Un principal opposant arrêté avant même la proclamation des résultats. Une nouvelle idylle entre un peuple et un homme. Voilà le bilan d’un éternel recommencement depuis 30 ans en Ouganda.
Les sempiternelles « observations »… des observateurs internationaux sur la sincérité du scrutin resteront anecdotiques. De toutes les façons, d’une victoire de Museveni, on ne s’émeut plus en Afrique. Le suspens était : avec quel score.
La jeunesse ougandaise, dont une écrasante majorité n’a connu qu’un président, n’avait pas l’espoir du changement. Dans ce type de démocratie, le système est organisé pour assurer la victoire d’un homme. Abdoulaye Wade, vieux fauve politique sénégalais, disait qu’en Afrique, on n’organise pas des élections pour les perdre, surtout quand on a à disposition l’argent et l’armée.
Qu’est ce qui fait encore courir Museveni ?
Yoweri Museveni est un ancien guérillero, un homme du « bush » qui a fait ses classes au sein du Frelimo mozambicain. De la Tanzanie voisine, il a lancé l’assaut libérant son pays des sanguinaires dictatures d’Idy Amine Dada puis de Milton Oboté. L’homme a indéniablement fait passer son pays un cap économique remarquable et en a fait un acteur de poids sur la scène diplomatique africaine.
Mais qu’est ce qui fait encore courir le « père » de Kampala ? Un nom gravé dans l’histoire ? L’argent, la gloire, les honneurs ? Mourir au pouvoir pour échapper au jugement implacable du temps et la descente aux enfers de son vivant ? Que cherche t-il dans cet interminable flirt de 30 ans aux multiples feuilletons ? Comme tous les amours incontrôlés conçus dans l’ivresse romantique du maquis, celui de Museveni en devient tyrannique ; il se terminera par un drame. De quel nature ? Je ne sais pas.
Museveni et l’Ouganda : un amour sans fin.
Museveni et sa « bananeraie », l’Ouganda, c’est un mariage de cœur et de déraison, avec toute la tragédie que peuvent nourrir ces formes de liaisons dangereuses et redondantes.
De manière plus globale, le cas Museveni illustre le rapport particulier que les « Pères » ont avec la nation qu’ils ont vu naître au bout d’une lutte armée, souvent féroce. Comme Mugabe au Zimbabawe ou Dos Santos en Angola, Museveni a le sentiment que son pays lui appartient. La guerre de libération est un facteur qui légitime, chez eux, un rapport paternaliste avec leurs pays. Ils ne voient jamais les populations comme des concitoyens dont ils doivent se soumettre aux volontés, mais comme des « fils » sur lesquels une autorité quasi parentale, enrobée dans un vernis institutionnel, s’exerce continuellement.
Ces vieux « camarades » ne peuvent pas passer la main dans la gestion de pays qu’ils ont pendant des décennies façonnés, souvent à leur image. Ils en connaissent tous les coins et en devinent les moindres contorsions, les plus petites gesticulations. On ne peut nier l’amour d’antan des « Pères » pour des pays pour lesquels ils ont risqué leur vie face, soit à des armées coloniales aux méthodes cruelles, soit à de sanglantes dictatures, comme ce fut le cas en Ouganda. Mais cet amour débouche sur une sorte de culte de la personnalité et d’une confusion entre les intérêts personnels et ceux d’un peuple qui a grandi, qui a changé, et qui mérite de ce point de vue un changement de gouvernail.
Les « Pères » ont raté un virage important et ont manqué de lucidité sur leurs peuples. Ils continuent à les regarder avec des yeux d’hier. Aux premières heures de l’indépendance, ils étaient des héros, des libérateurs de peuples bâillonnés. Des décennies plus tard, ils sont devenus des autocrates et s’imposent le drame du déclassement personnel. Leur renonciation aux idéaux du passé en fait des vieux aigris, courant derrière un faste que, ni notre génération, ni notre époque ne peuvent leur offrir. Les « pères » s’appuient sur le plus confortable et le plus fiable socle : celui de la famille et de la cour. Le gaucho Museveni qui voulait émanciper son peuple des horreurs de la dictature sombre dorénavant dans un exercice solitaire du pouvoir avec, comme seul allié sa famille. Finalement « ex révolutionnaire » est sans doute l’un des pires qualificatifs adressés à un homme politique. Car si Museveni a obtenu le droit de gouverner l’Ouganda pour encore 5 ans, il annihile la justesse de son combat passé.
Mais après tout, comme dirait simplement mon ami Richard entre deux blagues douteuses : « only 5 more years » …
Hamidou Anne
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