Les défis du second (ou dernier?) mandat du président Condé

JPG_AlphaCondé090316« Le Président de la République est élu au suffrage universel direct. La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non ». Cet article 27 de la Constitution guinéenne en vigueur étant on ne peut plus clair, Alpha Condé, dont le second mandat a officiellement démarré le 21 décembre 2015, ne serait plus éligible au poste de président de son pays. Constitutionnellement donc, tout comme le chef d’État américain Barack Obama, Alpha Condé est à son dernier mandat. Mais entre ces deux chefs d’État, la similitude s’arrête là.

Car, si pour les Américains, il est hors de question qu’Obama prolonge son bail à la maison blanche au-delà de 2016, en revanche, pour le peuple de Guinée, toute la question reste encore à savoir sans l’ombre d’un doute si Condé serait secrètement tenté par une modification constitutionnelle qui lui permettrait, à l’image de son prédécesseur Lansana Conté en 2002, de briguer un troisième mandat.

À en croire certains opposants du régime Condé, tel que Lansana Kouyaté, leader du parti politique de l’espoir pour le développement national (PEDN), aucun doute ne devrait planer sur la volonté du chef de l’État guinéen à demeurer au pouvoir bien au-delà de 2020. « Je n’ai aucun doute, il aura cette tentation. C’est au peuple de réagir. Mais chez nous, vous connaissez l’effet de démonstration et du suivisme. Déjà, on a entendu deux voix qui clament qu’il faut lui accorder cela. C’est comme ça que ça commence. Après, les clairons vont sonner. Ensuite, on va distribuer l’argent. Tout le monde va rentrer en tranche pour réclamer un troisième mandat. Je crois que si cela est vrai, il faudra fermer la porte, jeter la clé et aller ailleurs », soutenait-il dans un entretien accordé à la radio privée Espace FM le 1er mars 2016.

Ceux qui connaissent l’histoire politique africaine le savent : à l’échelle continentale, les révisions constitutionnelles dans l’unique but de se maintenir au pouvoir ne sont certes pas une pratique nouvelle, mais elle devient de plus en plus récurrente chez les dirigeants africains. Les exemples les plus récents nous viennent du Burundais Pierre Nkurunziza, du Congolais Denis Sassou Nguesso ainsi que du Rwandais Paul Kagamé. Toutefois, dans le cas guinéen, force est d’admettre que, malgré ce que peuvent légitimement penser les uns et les autres, aucun indicateur fiable ne permet, pour le moment, de défendre une telle hypothèse. D’ailleurs, environ quatre mois sur une période de cinq ans, c’est largement insuffisant pour sonder les profondes ambitions politiques de Condé. Néanmoins, ses actions ou inactions, discours ou silences, durant les prochaines années, seront sans doute plus révélateurs.

En plus de cette problématique fondamentale, qui commence à cristalliser l’attention des Guinéens, le président guinéen sera confronté à six immenses défis durant son second mandat.

  1. Non seulement rendre l’eau potable accessible, mais aussi poursuivre le développement de la filière hydroélectrique afin que la fourniture de l’électricité au peuple s’améliore davantage. Il convient de noter qu’en Septembre 2015, le gouvernement guinéen a inauguré le barrage Kaléta qui est d’une capacité de 240 MW.
  2. Assurer la sécurité des biens et des personnes (les attaques à mains armées et coupures de route se multiplient dans le pays) et veiller à ce que justice soit rendue pour les victimes des odieux massacres et viols  du 28 Septembre au stade éponyme en 2009. Rappelons ici que, dans son rapport de 2015, l’ONG Human Rights Watch critiquait « l’insuffisance des progrès en matière de renforcement du système judiciaire et une corruption endémique » en Guinée.
  3. Tirer toutes les leçons de l’épidémie du virus Ébola, et s’atteler à la construction de centres hospitaliers de haute gamme (ou rénover les plus défectueux) ainsi que des logements sociaux accessibles à la majorité du peuple, et non pas que des résidences de luxe, telle que le Plaza Diamant, réservées à une minorité richissime.
  4. Accorder une attention particulière à la cohésion sociale entre les différentes communautés ethniques (peule, soussou, malinké, etc). L’identité et la solidarité nationales ne devraient pas reculer au profit des identités et solidarités ethniques. Au niveau du recrutement dans l’administration publique par exemple, l’origine ethnique des candidats ne devrait pas être plus décisive que leur niveau de compétences. Il y va non seulement de la qualité du service public mais aussi, in fine, de la crédibilité même de l’État.
  5. « Les caisses de l’État sont vides », avouait récemment le nouveau ministre guinéen chargé du budget Mohamed Diaré lors d’un séminaire gouvernemental. Cependant, en essayant de les renflouer (surtout pas en recourant une énième fois à la planche à billets), il ne faudrait aussi se fixer comme objectif la maitrise de l’inflation (1$ américain pour environ 8000 francs guinéens). Pour commencer, il faudrait d’abord renforcer les politiques de soutien à la croissance économique, et ensuite sonner le glas à la dépendance chronique au prix de la bauxite sur le marché mondial. Enfin, le gouvernement devrait, lui aussi, se serrer la ceinture, en réduisant notamment son budget de fonctionnement, voire en mettant en place un gouvernement plus resserré (31 ministres pour 12 millions d’habitants alors que, la première puissance européenne qu’est Allemagne fédérale, par exemple, n’en possède pas plus de 20 pour plus de 80 millions d’habitants).
  6. Last but not least : refondre la commission électorale nationale indépendante (CENI) qui, depuis sa création, n’a pas encore vraiment réussi à briller par ses compétences professionnelles, encore moins par son indépendance supposée. N’est-ce pas d’ailleurs ce qui fera dire à Frank Engel, chef de la mission d’observation électorale de l’union européenne, que l’organisation de l’élection présidentielle du 11 octobre 2015 était « lamentable » ?

Bien évidemment, que les défis auxquels le président Condé fait face soient immenses et diversifiés est indéniable. Mais que deux mandats consécutifs, totalisant une décennie, soient insuffisants pour les relever est contestable. Comparaison n’est certes pas raison, mais, en 2020, il serait pertinent de  comparer, par exemple, le bilan des deux mandats du président guinéen à celui d’Alassane Ouattara, lequel aura, lui aussi, effectué dix années ininterrompues à la tête de la Cote d’Ivoire. Par ailleurs, après deux essais manqués, Cellou Dalein Diallo, chef de file de l’opposition guinéenne et président de l’union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), parviendra-t-il à remplacer le président Condé en 2020 ? Et si ce dernier avait un dauphin caché, par exemple, en la personne de son haut représentant Sidya Touré ?

Dans tous les cas de figure, s’il cède démocratiquement le pouvoir au terme de ses deux mandats constitutionnels, Alpha Condé se sera nettement démarqué de ses prédécesseurs (Sékou Touré et Lansana Conté) qui, quant à eux, appartiennent à un club africain peu recommandé et recommandable : celui des présidents à vie.

Ousmane Diallo

 

Crise institutionnelle en Guinée Conakry

crise en guinée conakryDepuis la proclamation de son indépendance le 02 octobre 1958, la Guinée Conakry peine à acquérir une stabilité politique et sociale. Le pays s’est malheureusement vite familiarisé avec les régimes militaires avec Sékou Touré puis Alpha Condé.

Malgré l’élection de l’opposant historique Alpha Condé pour ce qui fut la première élection véritablement libre du pays depuis son indépendance, la situation actuelle de la Guinée est le résultat d’un mélange de mauvaise gouvernance, de corruption, d’inégalité rampante et d’impunité,  résidu de plusieurs années d’un régime dictatorial.

Il est difficile de faire une analyse complète et pertinente de la situation actuelle en Guinée sans la prise en compte de l’ethnicisation de la société partagée entre les peuls, les malinkés, les soussous…et d’autres plus minoritaires. D’aucuns accusent le président actuel de tolérer ou d'encourager ces discriminations entre groupes sociaux, charriant de fait des inégalités qui peuvent provoquer l’explosion de violences connue récemment à Conakry.

Aujourd'hui, la Guinée n'a toujours pas d'assemblée nationale. La crise actuelle entre la majorité emmenée par le président Condé et son opposition remet sur la table la nécessité de trouver des solutions structurelles dans ce pays, au-delà de la seule alternance politique. La Guinée a besoin d’une refondation de sa nation pour enfin surmonter toutes ses querelles politiques avec un soubassement ethnique.

Au cœur de la violence, la question de l’organisation des élections législatives qui devaient initialement se tenir il y a deux ans. La mouvance présidentielle est-elle honnêtement animée par une volonté d’organiser des consultations électorales libres et transparentes ? Dans tous les cas de figure, l’on assiste en ce moment à une recrudescence de la rivalité dangereuse entre le président Alpha Condé et certaines figures de l’opposition dont Cellou Dalein Diallo. Comme quoi, le contentieux de la dernière présidentielle avec ces résultats surprenants du second tour ne semble toujours pas vidé entre Condé et Dalein. En effet, les scrutins de juin et novembre 2010, premières élections libres et transparentes dans le pays, bien qu'entachées de violences, avaient éveillé une lueur d’espoir. 

Néanmoins, la notion de continuité dans la stabilité fait défaut dans certains Etats africains. Ainsi, le pays semble une nouvelle fois pris par les démons de la division et du recul. Si des élections législatives qui devaient se tenir en juin 2011 ne sont jusqu’à présent pas organisées, il est tout à fait légitime que les partis de l’opposition adoptent une posture radicale, en tout cas dans le discours.

Pourtant, cette radicalisation ne s'arrête pas qu'à la parole. Elle s'étend aux aux : ainsi, les dernières manifestations du 27 février 2013 ont enregistré des morts et plusieurs blessés. De fait, il est à craindre qu'une dégradation de la situation pousse les militaires à sortir de leurs casernes et à prendre le pouvoir. Ce qui serait regrettable pour un pays qui espérait clore définitivement le cycle des coups de force après la fameuse et tragique parenthèse Dadis Camara.

Mais en tout état de cause, trouver un moyen de concilier les antagonismes semble difficile, aujourd'hui. Le général Lamine Cissé, ancien ministre sénégalais de l’Intérieur, vient de jeter l’éponge devant la complexité de la tache. Il convient de rappeler qu’il avait été récusé par l’opposition guinéenne dès sa désignation par le premier ministre Mohamed Saïd Fofana. La tâche ne sera pas plus aisée pour son successeur.

Comme cela a été souvent le cas au cours des dernières décennies, la Guinée se retrouve encore une fois sous le joug de la division et sujette à l’instabilité. Cette instabilité et ces divisions que tous espéraient vaincues avec l'élection d'Alpha Condé.

La Guinée n'est pas encore sortie des bois.

 

Blaise Guignane Sene