Les défis du second (ou dernier?) mandat du président Condé

JPG_AlphaCondé090316« Le Président de la République est élu au suffrage universel direct. La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non ». Cet article 27 de la Constitution guinéenne en vigueur étant on ne peut plus clair, Alpha Condé, dont le second mandat a officiellement démarré le 21 décembre 2015, ne serait plus éligible au poste de président de son pays. Constitutionnellement donc, tout comme le chef d’État américain Barack Obama, Alpha Condé est à son dernier mandat. Mais entre ces deux chefs d’État, la similitude s’arrête là.

Car, si pour les Américains, il est hors de question qu’Obama prolonge son bail à la maison blanche au-delà de 2016, en revanche, pour le peuple de Guinée, toute la question reste encore à savoir sans l’ombre d’un doute si Condé serait secrètement tenté par une modification constitutionnelle qui lui permettrait, à l’image de son prédécesseur Lansana Conté en 2002, de briguer un troisième mandat.

À en croire certains opposants du régime Condé, tel que Lansana Kouyaté, leader du parti politique de l’espoir pour le développement national (PEDN), aucun doute ne devrait planer sur la volonté du chef de l’État guinéen à demeurer au pouvoir bien au-delà de 2020. « Je n’ai aucun doute, il aura cette tentation. C’est au peuple de réagir. Mais chez nous, vous connaissez l’effet de démonstration et du suivisme. Déjà, on a entendu deux voix qui clament qu’il faut lui accorder cela. C’est comme ça que ça commence. Après, les clairons vont sonner. Ensuite, on va distribuer l’argent. Tout le monde va rentrer en tranche pour réclamer un troisième mandat. Je crois que si cela est vrai, il faudra fermer la porte, jeter la clé et aller ailleurs », soutenait-il dans un entretien accordé à la radio privée Espace FM le 1er mars 2016.

Ceux qui connaissent l’histoire politique africaine le savent : à l’échelle continentale, les révisions constitutionnelles dans l’unique but de se maintenir au pouvoir ne sont certes pas une pratique nouvelle, mais elle devient de plus en plus récurrente chez les dirigeants africains. Les exemples les plus récents nous viennent du Burundais Pierre Nkurunziza, du Congolais Denis Sassou Nguesso ainsi que du Rwandais Paul Kagamé. Toutefois, dans le cas guinéen, force est d’admettre que, malgré ce que peuvent légitimement penser les uns et les autres, aucun indicateur fiable ne permet, pour le moment, de défendre une telle hypothèse. D’ailleurs, environ quatre mois sur une période de cinq ans, c’est largement insuffisant pour sonder les profondes ambitions politiques de Condé. Néanmoins, ses actions ou inactions, discours ou silences, durant les prochaines années, seront sans doute plus révélateurs.

En plus de cette problématique fondamentale, qui commence à cristalliser l’attention des Guinéens, le président guinéen sera confronté à six immenses défis durant son second mandat.

  1. Non seulement rendre l’eau potable accessible, mais aussi poursuivre le développement de la filière hydroélectrique afin que la fourniture de l’électricité au peuple s’améliore davantage. Il convient de noter qu’en Septembre 2015, le gouvernement guinéen a inauguré le barrage Kaléta qui est d’une capacité de 240 MW.
  2. Assurer la sécurité des biens et des personnes (les attaques à mains armées et coupures de route se multiplient dans le pays) et veiller à ce que justice soit rendue pour les victimes des odieux massacres et viols  du 28 Septembre au stade éponyme en 2009. Rappelons ici que, dans son rapport de 2015, l’ONG Human Rights Watch critiquait « l’insuffisance des progrès en matière de renforcement du système judiciaire et une corruption endémique » en Guinée.
  3. Tirer toutes les leçons de l’épidémie du virus Ébola, et s’atteler à la construction de centres hospitaliers de haute gamme (ou rénover les plus défectueux) ainsi que des logements sociaux accessibles à la majorité du peuple, et non pas que des résidences de luxe, telle que le Plaza Diamant, réservées à une minorité richissime.
  4. Accorder une attention particulière à la cohésion sociale entre les différentes communautés ethniques (peule, soussou, malinké, etc). L’identité et la solidarité nationales ne devraient pas reculer au profit des identités et solidarités ethniques. Au niveau du recrutement dans l’administration publique par exemple, l’origine ethnique des candidats ne devrait pas être plus décisive que leur niveau de compétences. Il y va non seulement de la qualité du service public mais aussi, in fine, de la crédibilité même de l’État.
  5. « Les caisses de l’État sont vides », avouait récemment le nouveau ministre guinéen chargé du budget Mohamed Diaré lors d’un séminaire gouvernemental. Cependant, en essayant de les renflouer (surtout pas en recourant une énième fois à la planche à billets), il ne faudrait aussi se fixer comme objectif la maitrise de l’inflation (1$ américain pour environ 8000 francs guinéens). Pour commencer, il faudrait d’abord renforcer les politiques de soutien à la croissance économique, et ensuite sonner le glas à la dépendance chronique au prix de la bauxite sur le marché mondial. Enfin, le gouvernement devrait, lui aussi, se serrer la ceinture, en réduisant notamment son budget de fonctionnement, voire en mettant en place un gouvernement plus resserré (31 ministres pour 12 millions d’habitants alors que, la première puissance européenne qu’est Allemagne fédérale, par exemple, n’en possède pas plus de 20 pour plus de 80 millions d’habitants).
  6. Last but not least : refondre la commission électorale nationale indépendante (CENI) qui, depuis sa création, n’a pas encore vraiment réussi à briller par ses compétences professionnelles, encore moins par son indépendance supposée. N’est-ce pas d’ailleurs ce qui fera dire à Frank Engel, chef de la mission d’observation électorale de l’union européenne, que l’organisation de l’élection présidentielle du 11 octobre 2015 était « lamentable » ?

Bien évidemment, que les défis auxquels le président Condé fait face soient immenses et diversifiés est indéniable. Mais que deux mandats consécutifs, totalisant une décennie, soient insuffisants pour les relever est contestable. Comparaison n’est certes pas raison, mais, en 2020, il serait pertinent de  comparer, par exemple, le bilan des deux mandats du président guinéen à celui d’Alassane Ouattara, lequel aura, lui aussi, effectué dix années ininterrompues à la tête de la Cote d’Ivoire. Par ailleurs, après deux essais manqués, Cellou Dalein Diallo, chef de file de l’opposition guinéenne et président de l’union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), parviendra-t-il à remplacer le président Condé en 2020 ? Et si ce dernier avait un dauphin caché, par exemple, en la personne de son haut représentant Sidya Touré ?

Dans tous les cas de figure, s’il cède démocratiquement le pouvoir au terme de ses deux mandats constitutionnels, Alpha Condé se sera nettement démarqué de ses prédécesseurs (Sékou Touré et Lansana Conté) qui, quant à eux, appartiennent à un club africain peu recommandé et recommandable : celui des présidents à vie.

Ousmane Diallo

 

La Guinée : une puissance énergétique en 2020 ?

JPG_Kaletadam 200116Souvent qualifiée de «scandale géologique»[1] tant ses ressources minières sont abondantes mais mal exploitées, la Guinée se trouve peut-être à un tournant de son histoire. Depuis la prise du pouvoir par l’éternel opposant Alpha Condé, mais surtout, la réalisation de certains projets hydroélectriques, un vent d’optimisme souffle parmi l’élite politique à Conakry, la capitale guinéenne. En effet, à en croire les dirigeants tels que l’ancien premier ministre, Lansana Komara, ce pays d’Afrique de l’Ouest ambitionne de devenir «une puissance énergétique en 2020.»[2] Pourquoi cet engouement ?

Ce pays dispose d’un potentiel conséquent, caractérisé par un ensemble de sources diversifiées telles que l’énergie éolienne, solaire ou thermique. Toutefois, ce sont ses cours d’eau et ses caractéristiques géo-hydrologiques qui constituent sont plus grand atout. En effet, cette nation «compte 23 bassins versants. Parmi ces derniers, 14 sont partagés avec les pays voisins  – soit près de 60% – ce qui signifie, en d’autres termes, que la plupart des grands fleuves prennent leur source sur le sol guinéen.»[3] Ceux-ci lui permettent de se doter d’un potentiel hydroélectrique estimé à 6000 mégawatts (MW), soit approximativement le quart des 25000 MW évalués en Afrique de l’Ouest. De ce fait et vu ce potentiel, il n’est pas étonnant que le gouvernement de Conakry ait décidé de développer cette filière. De plus, ce choix comporte un avantage stratégique majeur.

La construction de barrages en amont d’un fleuve permet, à un pays donné, de contrôler le flux des eaux et de créer, si celui-ci est doté d’une capacité de production électrique accrue et d’un réseau régional développé, une dépendance en approvisionnement des pays voisins. En d’autres termes, il accroit la puissance politique de l’état producteur d’électricité. À titre d’exemple, au cours de la dernière décennie, l’Ethiopie, source  de plusieurs cours d’eau importants, notamment le Nil Bleu, a entrepris la réalisation de grands barrages hydrauliques, ce qui a engendré une montée en puissance régionale d’Addis Ababa au détriment du Caire. Toutefois, dans le cas guinéen, des obstacles subsistent suscitant des doutes sur son aptitude à changer l’équilibre des forces dans le temps qu’elle s’est fixée. Quelles en sont les raisons ?

Premièrement, il y a un manque dans la production d’énergie.  Malgré l’existence de plusieurs centrales thermiques et hydroélectriques ainsi que l’inauguration récente du barrage de Kaléta qui permet l’injection de 240 MW sur le réseau, la Guinée doit toujours faire face à une carence énergétique. «En comparant la puissance disponible au besoin de puissance pour couvrir la  demande, le déficit de puissance est actuellement estimé aux alentours de plus 175 MW.»[4] Et, ce faussé risque d’augmenter car sa population qui devrait passer de plus au moins 12 millions d’habitants aujourd’hui à 18,5 millions en 2030.

À cette insuffisance, il faut rajouter la dégradation avancée des infrastructures et un réseau de distribution peu fiable voire inexistant dans certains cas. Au niveau national, bien que la compagnie Electricité de Guinée (EDG) qui évaluait la puissance électrique installée à 338 MW en 2014, la puissance disponible n’était que de 158 MW. «En raison de la vétusté des installations et des déperditions enregistrées lors du transport d’énergie, elle perdait ainsi 53% de l’énergie disponible.»[5]

Au niveau régional, le président Alpha Condé a promis que le Sénégal, la Guinée-Bissau et la Gambie recevront respectivement 20%, 6% et 4% de l’énergie produite par le récent barrage de Kaléta. Toutefois, deux problèmes persistent. D’un côté, Kaléta n’est pas encore en mesure de fournir les 240MW d’électricité tout au long de l’année. En effet, en période sèche lorsque les cours d’eau sont à leur niveau le plus bas, les turbines ne pourront pas fonctionner à plein régime réduisant le taux de rentabilité d’utilisation. Mais, il est prévu que Souapiti, dont la mise en service est prévue dans plus au moins 5 ans, sera doté de réservoirs assez grands pour pallier à ce problème. De l’autre côté, un réseau de distribution interconnectant ces pays doit encore voir le jour. Celui-ci est en phase de projet et des négociations sont en cours pour sa réalisation.

Bien que les embûches soient nombreuses et peuvent paraître difficiles à surmonter, il existe des cas qui prouvent qu’elles ne sont pas insurmontables. En effet, depuis la chute de l’Union soviétique en 1991, l’Ethiopie a connu une très forte expansion énergétique. Grâce à la formation d’alliances diplomatiques régionales, la conception de montages financiers astucieux au niveau national, comme le devoir des citoyens d’acheter des obligations qui ont permis de trouver 4 milliards de dollars, l’octroi d’aides extérieures, mais surtout une volonté politique basée sur le long terme,  l’état éthiopien est sur le point de devenir le plus grand pourvoyeur d’énergie électrique en Afrique de l’Est. Néanmoins, l’accession à ce statut a demandé beaucoup de temps. Débutée en 1994 avec la publication d’une politique nationale dessinant les contours d’une nouvelle stratégie énergétique, puis en 2005 avec un plan d’exécution de celle-ci sur 25 ans,  Addis-Ababa déclencha une campagne agressive d’investissements visant à réduire sa dépendance envers ses importations d’énergies fossiles et augmenter sa production électrique, notamment en faisant appel à l’hydroélectricité. Et, cette dernière est «aujourd’hui excédentaire avec une réelle volonté politique de se tourner vers l’exportation.»[6]

Depuis son indépendance en 1958, la Guinée a toujours souffert d’un manque crucial d’électricité, ce qui a contribué à prendre du retard dans son développement économique. L’inauguration, en septembre dernier, du barrage de Kaléta sur le fleuve Konkouré et la possible construction de centrales hydroélectriques supplémentaires donnent des raisons d’espérer que ce pays puisse, à terme, atteindre son objectif d’être un leader dans l’exportation d’énergie dans la sous-région. Toutefois, les déficits encore dans la distribution, la production et l’interconnexion régionale laissent entrevoir le chemin qui reste à parcourir rendant incertain le but fixé par le gouvernement de Conakry, celui d’être une puissance énergétique à l’horizon 2020. Néanmoins, le cas de l’Ethiopie, considéré, tout comme la Guinée, comme un des châteaux d’eau d’Afrique, démontre qu’il pourrait assouvir son ambition, mais à plus long terme.

Szymon Jagiello

[1] M. Devey Malu-Malu, Guinée: Remédier « au scandale géologique », Jeune Afrique, Juin 2011. Disponible sur http://www.jeuneafrique.com/31868/economie/guin-e-rem-dier-au-scandale-g-ologique/

[2] M. Diallo,  Energie : la Guinée en quête d’ 1 milliard de dollar pour devenir une puissance exportatrice, Afriki Press, Octobre 2015. Disponible sur http://www.afrikipresse.fr/economie/energie-la-guinee-en-quete-d-1-milliard-de-dollar-pour-devenir-une-puissance-exportatrice

[3] L'hydroélectricité de Guinée: un rôle à jouer dans la sous-région, World Investment News. Disponible sur http://www.winne.com/guinea_cky/cr07.html

[4] M. Mouissi, Electricité: le paradoxe guinéen, Mays Mouissi News, Octobre 2015, http://www.mays-mouissi.com/2015/10/19/electricite-le-paradoxe-guineen-2/

[5] Ibis.

[6] J. Favennec, L’Energie en Afrique à l’Horizon 2050, Rapport de l’Agence de Développement des Entreprises en Afrique, Septembre 2015. Disponible sur http://www.eurogroupconsulting.fr/sites/eurogroupconsulting.fr/files/document_pdf/eurogroup_livredenotes_n15_1sept15_bat.pdf

 

Que veulent dire les réélections d’Alpha Condé et d’Alassane Ouattara ?

alpha_conde_et_alassane_ouattara1Si, de Bouteflika à Robert Mugabe, on ne fait pas fi depuis quelques années du débat sur l’âge des chefs d’Etat africains, les jeunes de Guinée et de Côte d’Ivoire, pourtant soucieux de leur avenir, ont voté pour des personnalités représentant sensiblement le passé. Ces victoires de septuagénaires rompus à la bataille politique sont emblématiques d’une difficulté récurrente au sein des oppositions africaines.

Pourquoi les jeunesses guinéenne et ivoirienne ont-elles accordées leur confiance aux anciens Condé et Ouattara ? Ils ne sont sans doute pas nombreux, ceux qui, parmi eux se souviennent de l’Alpha Condé, opposant teigneux et bouillant, familier des geôles de Lassana Conté. Tout comme rares sont ceux qui trépignent encore au souvenir de l’appel au secours du « vieux » Houphouët Boigny au brillant technocrate Alassane Ouattara pour sauver la Côte d’Ivoire de la crise économique, en 1990.

A Conakry comme à Abidjan, le « Un coup Ko » a rendu groggy une opposition aussi dispersée que disparate, aussi désorganisée qu’incohérente

En Afrique, les oppositions n’ont souvent que pour seule ambition de remplacer le président sortant. On cherche le consensus contre un homme, oubliant l’édification d’une véritable alternative politique et d’un projet de société crédible.

Alors que, contrairement à ce que semble penser une partie de l’élite politique, les électeurs ne sont guères des aventuriers incapables de choix de raison face à l’impérieuse question du destin de leur pays. Nos opinions publiques ont foncièrement mûri et les électeurs sont dans l’attente d’une meilleure gouvernance, qui prennent en considération leurs préoccupations, notamment les plus élémentaires et impactent positivement leurs conditions de vie.

Malgré la plume de Thierno Monénembo qui reproche à l’opposition guinéenne d’être « trop légaliste, trop démocrate », la réélection de Condé tout comme celle de Ouattara suivent une logique claire : ils ont, mieux que la « jeune garde » de l’opposition, réussi à donner espoir à travers des réalisations et à forger l’assurance de lendemains meilleurs. Tiendront-ils parole ?

Et devant une cinglante défaite, leurs oppositions ont, soit refusé de combattre, soit invoqué, une énième fois, la fraude devenue un point Godwin, déjà vu !

Du défi de transformer les promesses en actes

Le défi de cette classe politique finissante est de préparer le passage du témoin à une nouvelle génération, et de ne pas s’inscrire dans une tentative, qui sera vaine, de s’agripper au pouvoir. Un vent de renouveau souffle en Afrique et le continent se place lentement mais sûrement au cœur des problématiques mondiales. Le point noir de la carte du monde, jadis océan de misère, compte dorénavant comme une opportunité économique.

Mais je demeure convaincu que cette belle promesse africaine restera vaine si nous n’arrivons pas à construire des modèles démocratiques solides et à la hauteur des défis qui nous interpellent.

C’est là le grand défi de notre génération de « smarts » (l’expression est du caustique ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau) : au delà du gazouillis des réseaux sociaux et des objets connectés, il devient en effet urgent de transformer enfin cette énergie et cet élan en un engagement concret pour la démocratie et le progrès social.

L’Afrique a besoin que sa nouvelle élite quitte sa zone de confort technocratique pour s’engager à prendre le pouvoir, et à gouverner. Car la révolution transformatrice, celle qui charriera une Afrique nouvelle, ne sera pas twettée. Elle est à fabriquer et imposer. Il faut que la jeunesse intègre cette réalité.

Hamidou Anne

Trois dimanches, cinq élections: un octobre africain

JPG_Elections180614Trois dimanches chargés attendent les passionnés de politique africaine en octobre prochain. Trois jours pour pas moins de cinq élections présidentielles sur le continent, complétées de surcroît par des législatives dans certains cas. Le Burkina Faso et la Guinée ouvrent le bal le 11 octobre. Une présidentielle est ensuite annoncée en Centrafrique le 18. Les électeurs ivoiriens et tanzaniens se présenteront eux dans les bureaux de vote la semaine suivante, le 25 octobre. Cinq scrutins, qui chacun à leur manière ont une saveur particulière.

C’était déjà un jour d’octobre, il y a près d’un an, que les Burkinabè se soulevaient pour chasser du pouvoir Blaise Compaoré et ses velléités de présidence à vie. En quatre jours, le peuple du Faso inscrivait ainsi son nom tout en haut d’une page d’histoire, peut-être en train de s’écrire sur le reste du continent. Celle où un chef d’État ne gagne pas automatiquement le droit de se porter candidat à sa propre succession, et où le multipartisme ne ressemble plus à une façade où prospèrent les entreprises politiques personnelles des uns et des autres.

C’est donc peu dire que la présidentielle burkinabè est très attendue après une transition d’un an. Son bon déroulement sonnerait comme un message d’espoir pour ceux qui au Rwanda, au Congo-Brazzaville ou en RDC, s’opposent à la reconduction de leur président pour un troisième mandat, ou pour les Burundais qui ne veulent pas se résoudre à accepter la réélection controversée de Pierre Nkurunziza. A l’inverse, un scrutin raté, même à moitié, ferait le jeu de tous ces dirigeants qui se présentent comme les incontournables garants de la stabilité et la paix. Et il y a déjà comme un mauvais signal, à moins de deux mois du vote. Le choix des autorités de transition d’invalider les candidatures aux législatives d’anciens cadres du régime Compaoré, au nom de la constitution, ressemble à un premier accroc sur les voies de la réconciliation.

En Guinée, après des mois de désaccord, le pouvoir et l’opposition ont enfin trouvé un compromis sur les dossiers aussi sensibles que la composition de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) – qui devrait bientôt accueillir deux nouveaux représentants de l’opposition – l’organisation des élections locales, ou le réexamen du fichier électoral. Prudence, affirment malgré tout certains responsables politiques, qui redoutent des délais trop courts pour permettre aux autorités de respecter leurs engagements.

Quoi qu’il en soit, le 11 octobre, comme lors de la présidentielle “historique” de 2010, le duel au sommet devrait opposer Cellou Dalein Diallo et son UFDG, à Alpha Condé, qui depuis a passé cinq ans à la présidence. La crainte, ce sont de nouveaux épisodes de violences, comme ceux qui surviennent régulièrement en Guinée quand il s’agit d’élections, à l’image des incidents meurtriers d’avril et mai dernier lors des manifestations de l’opposition. L’autre inquiétude c’est encore un raidissement sur des bases ethniques avec d’un côté les Peuls rassemblés derrière Cellou Dalein Diallo et de l’autre les Malinké avec Alpha Condé. Pour cette présidentielle, Cellou Dalein Diallo a scellé une alliance électorale opportuniste mais ambiguë avec l’ancien chef de la junte Moussa Dadis Camara, qui pourrait lui apporter des voix de sa région d’origine, la Guinée forestière. Un geste surprenant quand on sait que des partisans de l’UFDG faisaient partie des victimes des massacres du 28 septembre 2009, pour lesquels Moussa Dadis Camara a été inculpé il y a quelques semaines.

Une présidentielle le 18 octobre en RCA ?

Le premier tour de présidentielle centrafricaine pourra-t-il avoir lieu la semaine suivante ? Certains observateurs ou des responsables politiques comme le candidat déclaré Crépin Mboli Goumba n’y croient guère. Après deux ans et demi de crise, la Centrafrique reste un Etat “failli” où la plupart des services publics sont à terre. Y organiser des élections dans de bonnes conditions relève du défi, et le mot est faible. D’autant que de nouveaux affrontements entre chrétiens et musulmans ont eu lieu ces derniers jours à Bambari, dans le centre du pays, faisant au moins une quinzaine de morts. Il faudra ramener le calme, aller au bout d’un recensement électoral difficile, trouver les fonds nécessaires au scrutin, établir le fichier électoral et comment faire voter les réfugiés qui ont fui le pays pendant les violences. Soit près de 500 000 personnes dont un peu moins de la moitié d’électeurs potentiels. La communauté internationale s’accroche pourtant à ce calendrier électoral comme à une bouée de sauvetage et son respect est la mission numéro 1 assignée aux autorités de transition. En attendant les candidats se bousculent, dont l’ancien président François Bozizé, des ex-premiers ministres comme Martin Ziguélé, Nicolas Tiangaye ou Anicet Dologuélé… pour un scrutin censé permettre de tourner la page.

La Côte d’Ivoire a quant à elle retrouvé sa tranquillité et son allant économique. Fort de ces résultats, Alassane Ouattara rêve de se faire réélire dans un fauteuil. Une présidentielle apaisée et crédible le 25 octobre servira en tout cas à tenter d’oublier le traumatisme du scrutin précédent et des quelque 3 250 personnes qui ont perdu la vie pendant la crise post-électorale et les affrontements fratricides entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara. La société civile ivoirienne vient d’ailleurs de rendre publique une charte qu’elle souhaite faire signer à tous les candidats pour qu’ils s’engagent à une élection sans violence. La quasi-totalité des figures de la vie politique ivoirienne devraient la parapher parce qu’à peu de chose près, ils sont tous sur la ligne de départ : Ouattara bien sûr, mais aussi Pascal Affi Nguessan, Charles Konan Banny, Kouadio Konan Bertin (KKB) pour ne citer qu’eux… Des rivaux qui se présentent donc divisés face à un chef de l’État qui se sent fort.

Le modèle tanzanien

Enfin la Tanzanie aura elle aussi droit à une présidentielle le 25 octobre. Une élection inédite entre d’un côté le ministre des Travaux Publics John Magufuli, vainqueur surprise de la primaire au sein du parti au pouvoir, et de l’autre côté l’ancien premier ministre Edward Lowassa. Défait pendant la primaire, Edward Lowassa a réussi une jolie manœuvre puisqu’il a tout simplement changé de camp pour devenir le chef de file de l’opposition, dont il sera le candidat unique. A l’approche du scrutin, on retiendra surtout le passage de relais du chef de l’État Jakaya Kikwete, qui conformément à la constitution, ne brigue pas un troisième mandat. La Tanzanie fait figure de modèle puisqu’aucun président n’y a tenté un quelconque tripatouillage électoral pour s’accrocher au pouvoir.

Cinq présidentielles donc après lesquelles courront les journalistes et les observateurs, happés par les soubresauts de l’actualité et son temps forcément trop court. Aura-t-on le recul nécessaire pour voir que 2014, 2015 et 2016 pourraient bien ressembler à un tournant de la politique africaine, comme le furent les années 1990 et les grandes conférences souveraines, préludes à la démocratisation.

Il y a déjà eu une révolution au Burkina Faso, une alternance paisible au Nigéria. Il y a maintenant une série d’élections qui se profilent et peuvent chacune incarner un symbole fort pour leur peuple et les dirigeants de la région. L’ouverture au multipartisme des années 1990 s'est malheureusement conclue par un grand espoir déçu. Qu’en sera-t-il cette fois-ci ?

Adrien de Calan

Ebola, une terreur politico-économique

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Ayant principalement frappé trois pays d’Afrique de l’Ouest, le Libéria, la Guinée et la Sierra Leone, la propagation du virus Ebola depuis mars 2014 bat tous les records. En effet, l’épidémie en date dépasse de loin tous les dégâts qu’Ebola avait pu causer dans le passé. Face à la gravité des faits, une mobilisation internationale a tout naturellement vu le jour avec pour dessein de lutter pour une accalmie voire une totale éradication de cette maladie. Cependant, la fièvre hémorragique Ebola semble manifestement dicter ses propres lois en termes de relations géopolitiques et géoéconomiques.

Des bilans de plus en plus lourds …

La catastrophe sanitaire gagne du terrain. Le dernier bilan de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), publié le mercredi 12 novembre, fait état de 5 160 personnes mortes sur 14 098 cas de fièvre hémorragique Ebola enregistrés. On assiste ainsi à l’épidémie la plus grave depuis la découverte du virus en 1976 en Afrique centrale.

Aide internationale et fermeture de frontières

Face à la précarité de la situation et aux signaux de détresse envoyés par les pays touchés, des mesures d’urgence ont été prises parmi les acteurs de la scène internationale. Ainsi, le 16 septembre, le président américain Barack Obama annonçait l’envoi de 3 000 soldats américains au Libéria pour participer à la construction de 17 centres de traitement, offrir une aide logistique et assurer des formations pour le personnel sanitaire, tout en promettant de débloquer des centaines de millions de dollars. Le Libéria possède de faibles moyens pour contrer la propagation de ce virus et que sa capitale, Monrovia, où réside plus de 1,2 million d’habitants, a été frappée de plein fouet. La France a également fourni du matériel médical et versé 9 millions d’euros d’aide à la Guinée. La Sierra Leone, quant à elle, a reçu des soutiens matériel, humain et financier en provenance d’Angleterre, d’Autriche, de Belgique mais aussi de Chine. On pourra ainsi noter l’engagement de nombreux pays du Nord dans la lutte contre cette pandémie et que cela aura eu le mérite de faire quelque peu oublier le manque de réactivité de l’ONU face à cette menace.

Cependant, dans cet élan de solidarité internationale, ce sont surtout les médecins volontaires d’organisations non-gouvernementales qui se sont fait remarquer. Bravant tous les dangers, quitte à se rendre dans les zones rouges, ces médecins ont su redonner de la force et du courage aux populations affectées, en utilisant les techniques et soins de prévention appropriés. Parmi les cas d’Ebola hors d’Afrique, on compte notamment trois aides-soignantes, deux Américaines, une Française rattachée à Médecins Sans Frontières (MSF), ayant montré des symptômes de la maladie à son retour du Libéria ; et une Espagnole ayant été en contact avec deux missionnaires contaminés puis décédés peu de temps après leur retour de Sierra Leone.

A l’inverse, certains pays ont fermé leurs frontières aux pays touchés lorsque certains ont préféré mettre en place des systèmes de mise en quarantaine parfois jugés comme étant exagérés. De telles mesures ont été prises dans le but d’empêcher des personnes infectées de fuir leur pays et propager l’épidémie au-delà des frontières. Au plan régional, la Guinée Equatoriale et le Sénégal ont pris la décision de fermer leurs frontières avec la Guinée. De nombreux vols de la Côte d’Ivoire, du Tchad et de la Gambie vers les pays touchés ont été annulés. De l’autre côté de l’Atlantique, le Canada, suivant l’Australie, a fait le choix de ne plus accorder de visas aux ressortissants des pays principalement contaminés mais aussi aux personnes y ayant séjournés. Ces nouvelles dispositions politiques, mues sans nul doute par un sentiment de peur et un instinct de survie à grande échelle, ne semblent cependant pas politiquement courageuses. Hélas, il demeurera toujours une probabilité, certes fine, que les personnes en provenance du Libéria, de la Sierra Leone ou de Guinée trouvent des moyens de transiter par d’autres pays pour se rendre là où elles considèrent pouvoir retrouver une sécurité sanitaire.

D’autres pays tels que les Etats-Unis ont préféré se lancer dans une procédure de mise en quarantaine systématique des humanitaires de retour d’Afrique de l’Ouest. Devant pourtant être ceux qui méritent d’être traités avec le plus de tact et de respect, les infirmiers sont bel et bien ceux qui pâtissent le plus de cette politique. Kaci Hickox, la première d’entre eux à être passée par ce protocole, s’est exprimée en les termes suivants : « Je ne souhaite à personne une telle situation et j'ai peur pour les gens qui vont être dans mon cas à l'avenir » tout en ajoutant s’être sentie telle une « criminelle ». En effet, ce système semble déshumaniser les personnes suspectées de présenter des symptômes de la maladie. Fortement critiquée, la mise en quarantaine est considérée comme contre-productive car les données scientifiques prouvent que sans symptômes, il n’y a pas lieu de considérer l’éventualité d’une contagion. Il devient alors essentiel de réinstaurer une relation de confiance entre les contrôleurs et les volontaires, en indiquant à ces derniers des mesures précises à suivre les 21 jours suivants leur arrivée mais aussi et surtout, pour les motiver à repartir sur le terrain et contribuer à l’éradication d’Ebola.

Un environnement économique chamboulé

Il est indubitable que le virus Ebola constitue une menace économique pour les pays d’Afrique de l’Ouest. Il vient malheureusement au moment où l’Afrique connait une belle période en termes d’investissements. Or, selon la Banque mondiale, si l’épidémie continue de se répandre dans les pays les plus touchés et se propage aux pays limitrophes, l’impact financier pourrait atteindre 32,6 milliards de dollars. L’un des secteurs les plus touchés étant le tourisme d’affaires, certaines entreprises étrangères, notamment dans le secteur minier, ont interrompu leurs projets au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée. Leurs voisins tels que le Sénégal et la Côte d’Ivoire pâtissent également de cette situation, avec l’annulation de nombreux séminaires et colloques.

Publié au début du mois d’octobre, une analyse de la Banque africaine de développement (BAD) prévoie deux cas de figures dans l’éventualité d’un phénomène de contagion à d’autres pays. Concernant, le scénario « bas », les pertes du PIB de l’Afrique de l’Ouest  pourraient s’élever à 2.2 milliards de dollars en 2014 et 1,6 milliards en 2015. Pour ce qui est du scénario dit « haut », ces pertes pourraient s’élever à 7,4 milliards de dollars en 2014 et atteindre 25,2 milliards en 2015. Ceci explique pourquoi il est plus que nécessaire que l’ONU renforce son aide financière aux pays touchés car leurs activités et échanges économiques risquent peu à peu d’être paralysés, sans compter leur manque grandissant de ressources humaines. Le plus dur sera encore de faire disparaître ce sentiment de rejet et de stigmatisation que nourrissent les acteurs économiques régionaux et internationaux à l’égard des pays directement concernés.

Un fléau mais aussi une stigmatisation

Le terme Ebola suscite une peur à dimension internationale et, dans ce monde que l’on qualifie pourtant d’interconnecté, une nette rupture de sociabilité se fait sentir. Il n’y aurait manifestement que deux groupes désormais : les ressortissants du « triangle » Ebola et les autres. C’est précisément la raison pour laquelle de nombreuses voix, ne pouvant plus supporter cette stigmatisation se sont faites entendre. Parmi elles, la bloggeuse Sierra Léonaise, Hannah Foullah, qui a publié une vidéo où défilent les photos de plusieurs de ses compatriotes, chacune accompagnée d’un message disant « Je suis Sierra Léonais, pas un virus ! » ou encore « Isolez Ebola, pas notre pays ». Elle explique vouloir ouvrir les yeux aux autres en affirmant que de la même façon que son pays a pu se remettre d’une guerre civile, ceci  n’est qu’une mauvaise passe de plus et qu’elle ne définit en rien son peuple. Dans le même registre, une photographe et présentatrice de télévision libérienne a réalisé une vidéo où différentes personnes tiennent une pancarte contenant le message « Je suis Libérien et non un virus ! ». Signalons par ailleurs que le Libéria traverse récemment une phase d’apaisement et que les spécialistes considèrent qu’il y a de bonnes raisons d’être optimistes quant au recul de la pandémie.

Redoublant de créativité, Anthony England, professeur de chimie aux Etats-Unis, a réalisé une carte pour préciser que la fièvre hémorragique Ebola ne concerne principalement que trois pays. Publié sur Twitter, ce schéma a pour objectif de sensibiliser les internautes sur cet amalgame trop fréquent entre le fait d’être Africain et celui de contracter cette maladie. Tout ceci conduit essentiellement à un point vital : les ressortissants des pays où Ebola s’est installé tiennent plus que tout à être traités dignement mais aussi à ne pas être isolés du reste du monde. La réponse la plus concrète serait donc d’envoyer le maximum d’aide médicale possible pour limiter les risques de transmission, encercler le virus, l’exterminer et, par-dessus-tout, faire un pas de plus dans la réinstauration de la paix et de la sécurité internationales.

 Khadidiatou Cissé

La démocratie de l’angoisse (2ème partie)

Dr. Gilles Olakounlé Yabi est consultant indépendant sur les questions de conflits, de sécurité et de gouvernance en Afrique de l'Ouest. Il était auparavant directeur du projet Afrique de l'Ouest du think-tank International Crisis Group. Cet article a initialement été publié sur le site d'African Futures et sur son blog (http://gillesyabi.blogspot.com). Nous le republions ici avec son accord.  

JPG_Elections180614Dans la première partie de cet article, l’auteur a décrit le contexte politique dans lequel se dérouleront les élections présidentielles dans les six pays d’Afrique de l’Ouest concernés par ces scrutins souvent à haut risque cette année et en 2015. Il a examiné en particulier l’intensité anticipée de la compétition électorale dans chacun des pays, un des trois éléments d’appréciation des risques de violence. Dans cette deuxième partie, il s’interroge sur le contexte sécuritaire actuel des différents pays et sur l’environnement institutionnel qui devra encadrer les processus électoraux.

 

Lorsqu’on s’intéresse au contexte sécuritaire général, un deuxième élément d’appréciation capital pour une analyse approximative des risques liés aux élections présidentielles à venir, il n’y a pas de quoi être rassuré. Parmi les déterminants principaux du contexte sécuritaire, on peut s’appesantir sur l’existence ou non dans le pays de groupes armés rebelles ou ex-rebelles, le degré de contrôle politique et d’intégrité professionnelle des forces de sécurité et des forces armées, le niveau d’alignement des affinités politiques avec l’appartenance ethnique et régionale, les conditions pacifiques ou non des élections présidentielles les plus récentes ainsi que l’ampleur et la forme de l’implication politique et/ou sécuritaire d’acteurs extérieurs importants.

Le Nigeria apparaît sans conteste comme l’environnement sécuritaire le plus fragile. L’élection de 2015 va se dérouler dans un pays déjà aux prises avec le groupe terroriste Boko Haram au Nord-Est, un pays qui abrite également des groupes armés organisés dans le Delta du Niger aussi prompts à soutenir politiquement qu’à exercer des pressions sur le président Jonathan lui-même issu de cette région du South-South, et un pays qui connaît des niveaux élevés de violence combinant des dimensions politiques, économiques, ethniques et religieuses dans le Middle Belt (centre du pays) et ailleurs sur le territoire. La fédération nigériane est aussi habituée à des lendemains d’élection meurtriers, comme ce fut le cas en 2011, alors même que le scrutin avait été jugé mieux organisé et plus crédible que tous les précédents.

Plus de 800 personnes avaient été tuées en trois jours d’émeutes et de furie dans douze Etats du nord de la fédération, l’élément déclencheur ayant été la défaite du candidat nordiste Muhammadu Buhari face à Jonathan. Le Nigeria n’avait pas besoin du terrorisme de Boko Haram pour atteindre de tels niveaux de violences mettant aux prises des concitoyens entre eux, avec certes une dose de spontanéité mais aussi un degré certain de préparation des esprits à la violence par des entrepreneurs politico-ethniques et des extrémistes religieux. Dans la perspective de 2015, le chantage à la violence a déjà commencé dans le pays, animé aussi bien par des groupes de militants du « si Jonathan n’est pas réélu, ce sera le chaos » que par ceux du « si Jonathan est réélu, ce sera le chaos ». Quand on ajoute à cette préparation mentale le très faible degré de confiance des populations nigérianes dans l’intégrité et le professionnalisme des forces de sécurité, la crainte d’un sombre début d’année 2015 dans la grande puissance de l’Afrique de l’Ouest paraît fort légitime.

La Guinée, du fait du prolongement ethno-régional de la polarisation politique et du passif de violences, est également très fragile du point de vue sécuritaire. Il convient de reconnaître les progrès indéniables qui ont été faits sous la présidence Condé dans la réforme du secteur de la sécurité qui se traduit par une amélioration de la capacité des forces de l’ordre à contenir des manifestations de rue sans tuer en une seule journée plusieurs dizaines de personnes. Ce n’est plus l’époque de Lansana Conté ou celle de Dadis Camara mais on n’est encore très loin d’un comportement exemplaire des forces de sécurité et d’une neutralité politique des responsables du maintien de l’ordre et de la haute administration territoriale. Les différentes manifestations qui avaient rythmé la longue et difficile marche vers les élections législatives de septembre dernier s’étaient tout de même traduites par des violences parfois meurtrières. On peut déjà anticiper un face-à-face explosif entre manifestants de l’opposition et forces de sécurité lorsque sera engagé le processus menant à l’élection présidentielle.

Le contexte sécuritaire n’est pas particulièrement rassurant non plus en Guinée Bissau et en Côte d’Ivoire. Dans le premier pays, les chefs de l’armée se sont toujours considérés autonomes par rapport au pouvoir politique civil et on parle de réforme du secteur de la sécurité depuis une dizaine d’années sans avoir jamais réussi à l’enclencher. En Côte d’Ivoire, des efforts significatifs ont été faits pour gérer les conséquences catastrophiques du conflit armé postélectoral de 2011, mais il faudra encore quelques années pour doter le pays de forces de défense et de sécurité cohérentes, efficaces et politiquement neutres. L’héritage difficile des années de rébellion et de conflit risque de peser lourdement dans l’environnement sécuritaire et les développements politiques… après l’élection de 2015. Aussi bien en Guinée Bissau qu’en Côte d’Ivoire, la présence d’acteurs extérieurs mandatés pour le maintien de la paix, la mission militaire de la CEDEAO (ECOMIB) et l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) respectivement, est un facteur d’apaisement relatif.

Le positionnement politique des forces de défense et de sécurité et le maintien de leur unité sont des éléments d’incertitude qui pèsent sur le contexte sécuritaire au Burkina Faso qui a connu de violentes mutineries en 2011. Impossible de savoir comment l’armée burkinabè et les différentes générations qui la composent vivent actuellement la situation inédite d’incertitude politique sur l’après 2015. Les hauts responsables militaires dont beaucoup ont été nommés au lendemain des mutineries de 2011 pour reprendre en main ce pilier essentiel du pouvoir de Compaoré considèrent-ils leur sort lié au maintien de ce dernier au palais présidentiel après 2015 ? Comment les officiers les plus proches du président qui l’ont accompagné depuis les premières années d’un régime alors très brutal appréhendent-ils l’avenir ? Beaucoup de questions et peu de réponses, ce qui ne devrait pas atténuer l’angoisse des Burkinabè et de nombre de leurs voisins ouest-africains. Au Togo, la question du positionnement politique des forces de sécurité et de l’armée se pose beaucoup moins : le verrouillage sécuritaire par le pouvoir de Lomé semble résister à l’usure du temps.

Il convient enfin de s’interroger sur le cadre institutionnel dans lequel se dérouleront les scrutins présidentiels dans les différents pays. Ce cadre désigne ici l’ensemble des règles, procédures, institutions qui sont mobilisées du début à la fin du processus électoral et qui jouent un rôle déterminant dans la crédibilité des scrutins, en particulier celle des résultats définitifs qui désignent le vainqueur. Si la crédibilité du processus électoral n’est pas une garantie d’absence de crise et de violences, la perception d’un déficit important de crédibilité est quasiment toujours un déclencheur de troubles. De plus, lorsque l’élection présidentielle se passe dans un pays dont l’environnement sécuritaire est déjà fragile et dans le contexte d’une intense compétition pour le pouvoir, la crédibilité du cadre institutionnel régentant l’élection peut être décisive pour sauver le pays d’un basculement quasiment certain dans une crise postélectorale.

Il ne faudra pas trop compter sur cela. Partout, les dispositions des lois électorales, les conditions d’établissement des fichiers d’électeurs, la neutralité politique et la compétence technique des institutions chargées d’organiser les élections et d’examiner les éventuels recours font l’objet de controverses. Aucun des pays concerné par une élection présidentielle en 2014 ou 2015 n’est un modèle dans la région en matière d’organisation de scrutins libres, transparents et crédibles. Certains ont accompli, à l’instar du Nigeria, des progrès notables en la matière au cours des dernières années, mais ils sont tous encore loin, bien loin, des modèles en Afrique de l’Ouest que sont le Ghana, le Cap-Vert et le Sénégal où des commissions électorales et/ou d’autres dispositifs et institutions ont su gérer et crédibiliser des élections parfois très compétitives.

Au Nigeria, nombre de réformes qui avaient été recommandées par les experts au lendemain des élections générales de 2011, certes mieux organisées que les précédentes, pour corriger les plus graves failles du système n’ont pas été mises en œuvre. En Guinée, il a fallu des médiations, une forte implication technique internationale et un accord politique âprement négocié pour arriver à organiser des élections législatives en septembre 2013. La liste des tâches à accomplir pour rendre le dispositif électoral plus crédible pour la présidentielle de 2015 est très longue. Elle comprend l’établissement d’un nouveau fichier électoral et la mise en place d’une institution cruciale comme la Cour constitutionnelle qui doit remplacer la Cour suprême dans le rôle de juge ultime du contentieux électoral. Même en Côte d’Ivoire, où l’actuel président avait promis une révision de la Constitution, rien n’a été fait pour fermer la page des dispositions spéciales issues des accords de paix et doter le pays d’un nouveau cadre électoral et d’un mode de composition de la commission électorale indépendante susceptible de créer davantage de confiance de la part de tous les acteurs politiques.

On ne peut, en guise de conclusion, que donner raison aux citoyens d’Afrique de l’Ouest déjà angoissés à l’approche des échéances électorales à venir. Lorsqu’on prend en compte simultanément les trois éléments d’appréciation, aucun des pays ne sera à l’abri de tensions fortes susceptibles de dégénérer en violences plus ou moins graves. En prenant le risque de se tromper, – qui peut vraiment prévoir tous les scénarios possibles dans chacun de ces pays plusieurs mois avant les différents scrutins ? -, il est raisonnable de classer le Nigeria et la Guinée dans une catégorie de pays à très haut risque, le Burkina Faso dans une catégorie de pays à haut risque et la Guinée Bissau, la Côte d’Ivoire et le Togo dans une catégorie de pays à risque modéré, ce qualificatif ne voulant surtout pas dire « faible » ou « inexistant ».

Les élections calamiteuses ne sont pas cependant des catastrophes naturelles imprévisibles et inévitables. Les citoyens de chacun des pays concernés, la CEDEAO et les acteurs internationaux importants ont les moyens de dompter l’angoisse par une forte mobilisation pour prévenir des crises violentes. Mais il y a aussi un risque à appréhender les élections uniquement ou principalement comme des moments de danger d’implosion des Etats, et à ne rechercher que des élections sans violence. Cela revient souvent, pour les organisations régionales et internationales, à préférer la manipulation des processus électoraux au profit du camp le plus puissant, et donc le plus à même de provoquer le chaos en cas de défaite, à des scrutins réellement ouverts à l’issue incertaine. Le risque est celui d’oublier et de faire oublier à quoi devraient servir les rituels électoraux dans des démocraties jeunes et fragiles : à ancrer petit à petit une culture démocratique dans la société. Si les populations doivent continuer à aller voter tous les quatre ou cinq ans, la peur au ventre, c’est l’adhésion populaire à l’idéal démocratique en Afrique de l’Ouest qui finira par être menacée.

Dr. Gilles Yabi

La démocratie de l’angoisse (1ère partie)

Dr. Gilles Olakounlé Yabi est consultant indépendant sur les questions de conflits, de sécurité et de gouvernance en Afrique de l'Ouest. Il était auparavant directeur du projet Afrique de l'Ouest du think-tank International Crisis Group. Cet article a initialement été publié sur le site d'African Futures et sur son blog (http://gillesyabi.blogspot.com). Nous le republions ici avec son accord.  

JPG_WestAfrica040614C’est l’estomac noué et la gorge serrée que les citoyens de six pays membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’apprêtent à entrer dans une période électorale devenue synonyme, dans une trop grande partie du continent, de risque maximal de crise violente. Les premiers qui devraient être convoqués aux urnes sont les électeurs de Guinée Bissau où un scrutin présidentiel et des législatives censés tourner la page d’une période de transition sont prévus le 13 avril prochain. Dans ce pays lusophone, le seul de la région avec les îles du Cap-Vert, le calendrier électoral a été systématiquement perturbé depuis la démocratisation formelle au début des années 1990 par des coups de force militaires, des assassinats politiques et dernièrement par la mort naturelle du président. Mais c’est en 2015 que l’actualité électorale sera extraordinairement chargée.[1] Des élections présidentielles sont prévues au premier trimestre au Nigeria et au Togo, puis au dernier trimestre au Burkina Faso, en Guinée et en Côte d’Ivoire.[2]
 
Pour chacun de ces pays et pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, les élections présidentielles à venir représentent un enjeu crucial pour la paix, la stabilité politique mais aussi pour le progrès économique et social. Si la région n’avait pas connu une série de crises violentes au cours des dix dernières années, les échéances de 2014-2015 auraient dû surtout servir de test pour la consolidation de la pratique et de la culture démocratiques dans chacun des pays concernés et, par là même, pour l’ensemble de cette région du continent. Cette question ne sera que secondaire autant pour les citoyens que pour les organisations régionales et internationales à l’approche des différents scrutins présidentiels. La préoccupation première sera celle d’éviter que ces moments censés incarner la vitalité démocratique ne se transforment en périodes d’explosion de violences, ou pire, de basculement dans des conflits armés. Au regard des évènements politiques et sécuritaires des dernières années, ces craintes sont légitimes.
 
Mais quelle est l’ampleur des risques associés à chacune des élections présidentielles à venir dans la région ? Où sont-ils les plus importants ? Pour tenter de répondre à ces questions, trois éléments d’appréciation méritent d’être mobilisés: ce qu’on pourrait appeler l’intensité anticipée de la compétition présidentielle, le contexte sécuritaire général du pays et le cadre institutionnel appelé à régenter le processus électoral. Anticiper l’intensité de la compétition pour la fonction présidentielle revient à s’interroger, dans chaque pays, sur les chances que le scrutin soit ouvert et qu’il n’y ait pas de candidat quasiment sûr de gagner bien avant l’échéance. Classer les pays en fonction de ce premier critère n’est pas si simple, alors qu’on ne connaît pas encore avec certitude qui seront les candidats en course pour chacune des élections présidentielles.
 
En Guinée Bissau, le scrutin doit mettre fin à une situation d’exception née d’un coup d’Etat…contre un Premier ministre qui était en passe de devenir président, Carlos Gomes Júnior. Organisée en avril 2012, la dernière élection présidentielle s’était arrêtée entre les deux tours. Gomes Júnior, largement en avance à l’issue du premier tour, avait été brutalement sorti du jeu par les chefs militaires du pays qui lui étaient résolument hostiles. L’ancien Premier ministre reste en 2014 un acteur politique influent mais contraint à l’exil d’abord au Portugal et désormais au Cap-Vert, toujours considéré inacceptable pour la hiérarchie militaire et peut-être pour des acteurs régionaux importants, on ne voit pas comment il pourrait rentrer dans son pays en sécurité et se présenter à nouveau à une élection présidentielle. Il a sollicité l’investiture de son parti, le PAIGC (Partido Africano da Independência da Guiné e Cabo Verde, Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert), mais le choix de ce dernier s’est porté le 2 mars sur l’ancien ministre des Finances et ancien maire de la capitale, José Mário Vaz.
 
Le PAIGC, qui continue à bénéficier de son statut historique de  parti ayant conduit la lutte armée pour l’indépendance des deux anciennes colonies portugaises d’Afrique de l’Ouest, reste la force politique dominante dans le pays malgré ses divisions internes. Il partira favori pour les élections législatives, face au PRS (Partido para a Renovação Social, Parti pour la rénovation sociale), également divisé, et aux autres partis plus petits. La compétition pour le fauteuil présidentiel devrait être plus ouverte en raison notamment de quelques candidatures indépendantes susceptibles de séduire un électorat désorienté par les luttes politiques partisanes. Mais le plus dur en Guinée Bissau n’est pas toujours de doter le pays d’un président démocratiquement élu. C’est de lui garantir de bonnes chances de survie politique et physique jusqu’à la fin de son mandat, surtout s’il lui venait à l’esprit de toucher aux intérêts des chefs militaires et/ou des alliés locaux des réseaux internationaux de trafic de drogue actifs dans ce pays et dans toute l’Afrique de l’Ouest.
 
Au Nigeria non plus, on ne sait pas encore avec certitude qui sera candidat, mais l’attention se concentre sur les intentions du président sortant Goodluck Jonathan. Evoquant un principe non écrit de rotation entre candidats nordistes et sudistes désignés par le PDP (People’s Democratic Party, Parti démocratique du peuple), parti au pouvoir depuis le retour à la démocratie en 1999, nombreux sont ceux qui s’opposent à une nouvelle candidature du président actuel. Vice-président en 2007, Jonathan avait hérité du poste de président après le décès de Umaru Yar’Adua en 2010 avant de se faire élire en 2011 pour un premier mandat plein de quatre ans. Les défections de personnalités très influentes du PDP se sont multipliées ces derniers mois et elles continuent, affaiblissant le camp du président.
 
L’opposition au PDP semble par ailleurs n’avoir jamais été aussi forte, en raison de la fusion en février 2013 de quatre partis importants dans une grande formation, l’APC (All Progressives Congress, Congrès de tous les progressistes) qui est aussi bien implanté que le parti au pouvoir dans tous les Etats de la fédération. Les moyens financiers, déterminants dans la bataille électorale colossale qui se profile, ne manqueront pas d’un côté comme de l’autre, même si le camp au pouvoir dans cette puissance pétrolière qu’est le Nigeria disposera inévitablement d’un avantage certain en la matière. La compétition sera selon toute probabilité très intense. Elle le sera dans tous les cas, y compris dans l’hypothèse très improbable d’un retrait du président sortant de la course à l’investiture du PDP, et quel que soit le candidat qui sera choisi par l’APC. Ce choix ne sera pas aisé et pourrait provoquer des failles dans l’unité affichée jusque-là par le nouveau grand parti d’opposition.
 
Les Togolais devraient, comme les Nigérians, aller aux urnes au premier trimestre 2015. Le président sortant Faure Gnassingbé, élu dans des circonstances controversées et violentes en 2005 après la mort naturelle de son père, Eyadema Gnassingbé, puis réélu en 2010, pourra se porter candidat une troisième fois sans avoir à faire modifier la Constitution en vigueur. Depuis le retour forcé à un système démocratique formel, le pouvoir togolais n’a pas arrêté de jouer avec la disposition de limitation à deux du nombre de mandats présidentiels successifs. En 2002, une révision constitutionnelle avait non seulement supprimé cette disposition mais elle avait également consacré le principe d’une élection présidentielle à un seul tour. Malgré les recommandations d’un accord politique global signé en 2006 et les demandes répétées de l’opposition, les dispositions actuelles de la Constitution et du code électoral restent très favorables à une tranquille pérennité du régime du président Gnassingbé. Le parti présidentiel UNIR (Union pour la République) dispose d’une majorité absolue au Parlement et s’assurera que rien ne soit entrepris pour réduire les chances de victoire de son chef en 2015. Par ailleurs, la machine sécuritaire au service du pouvoir et l’insuffisante coordination des forces politiques de l’opposition ne militent pas pour l’instant en faveur d’une compétition électorale ouverte et intense pouvant déboucher sur une alternance politique réelle dans un pays qui n’en a pas connue depuis le coup d’Etat d’Eyadema Gnassingbé en… 1967.
 
Au Burkina Faso, il n’y a même pas eu d’alternance générationnelle comme ce fut le cas au Togo en 2005. Au pouvoir depuis octobre 1987, Blaise Compaoré devrait avoir passé 28 ans à la tête de l’Etat au moment de l’élection présidentielle de 2015. La Constitution limitant le nombre de mandats successifs à deux, le président ne pourra être candidat qu’à condition de réussir à faire passer une nouvelle révision de la loi fondamentale dans les mois à venir. Cette intention ne faisant plus de doute, la mobilisation des adversaires à une énième manœuvre visant à prolonger le règne du président Compaoré a commencé à Ouagadougou. Elle a même affaibli le pouvoir beaucoup plus rapidement qu’on ne pouvait le prévoir, un large groupe de personnalités de poids du parti présidentiel, le CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès) qui ont toujours soutenu Compaoré, ayant décidé de quitter le navire pour rejoindre en janvier dernier le camp des adversaires de toute révision constitutionnelle.
Le Burkina Faso est de fait déjà entré dans une période  tendue et cela devrait durer jusqu’à ce que le pouvoir décide de renoncer à toute modification constitutionnelle ou choisisse de convoquer un référendum sur cette question. Dans ce dernier cas, de fortes contestations sociopolitiques seront inévitables et leurs conséquences incertaines. La compétition  électorale en 2015 sera forcément intense. Dans l’hypothèse où Compaoré renoncerait à prétendre à un nouveau mandat, la compétition devrait être très ouverte. Elle pourrait juste être moins tendue et explosive qu’en cas de candidature du président sortant.
 
En Guinée, le président Alpha Condé devrait être candidat en 2015 pour un second et dernier mandat. Pas d’obstacle légal à contourner. Il devrait par contre faire face à des rivaux politiques organisés, déterminés et capables de le priver d’un nouveau mandat. Arrivé au pouvoir en décembre 2010, au terme d’un scrutin laborieux et controversé, le président avait été largement distancé au premier tour par l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo avant de l’emporter au second. Les récentes élections législatives, elles-aussi organisées au forceps après une série de reports et grâce à une forte implication internationale, ont encore montré que le camp du président Condé n’était pas capable d’écraser l’opposition. Cette dernière, même éclatée en plusieurs pôles, a quasiment fait jeu égal avec le parti du président, le RPG (Rassemblement du peuple de Guinée) et ses alliés.
 
L’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo reste une force politique significative qui, si elle s’allie à d’autres partis importants comme l’Union des forces républicaines (UFR) de Sydia Touré ou le PEDN (Parti de l’espoir pour le développement national) de Lansana Kouyaté, pourrait devenir majoritaire à l’occasion du second tour d’un scrutin présidentiel. Dans l’hypothèse, pour le moment improbable, d’une candidature unique de l’opposition, le président Condé serait particulièrement menacé par une défaite électorale, malgré les avantages habituels conséquents d’un président-candidat. Aucun doute n’est permis sur l’intensité de la bataille pour la présidence de la Guinée à la fin de l’année 2015. Elle  sera l’une des plus rudes de la région.
 
Au cours de ce même dernier trimestre 2015, les Ivoiriens seront eux-aussi convoqués aux urnes pour reconduire le président Alassane Ouattara ou choisir un nouveau chef d’Etat. Arrivé au pouvoir au terme d’une élection compétitive qui a dégénéré en conflit armé avec celui qui était le président sortant, Laurent Gbagbo, Ouattara a rapidement indiqué qu’il serait bien candidat à un second et ultime mandat. Si son parti, le Rassemblement des républicains (RDR) sera à coup sûr uni derrière le président pour la future bataille électorale, le soutien franc et massif du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), allié important et potentiellement décisif, n’est pas nécessairement acquis. Le scrutin ne sera pas gagné d’avance mais la faiblesse et le passif du Front populaire ivoirien (FPI) de l’ex-président Gbagbo, détenu à la prison de la Cour pénale internationale aux Pays-Bas, sont tels que le président sortant devrait partir favori. Son bilan en termes de relance de l’économie ivoirienne et des mesures récentes allant enfin dans le sens de l’apaisement et de la réconciliation nationale devraient aussi jouer en sa faveur. On peut anticiper une compétition présidentielle modérément intense dans un pays dont les électeurs ont encore à l’esprit le traumatisme postélectoral de 2010-2011.
 
Gilles Olakounlé Yabi
 
[1] L’autre élection présidentielle de l’année 2014, prévue en juin, aura lieu en Mauritanie, pays à cheval sur l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Nord qui s’est retiré de la CEDEAO en 2000.

[2] Dans la foulée, au début de l’année 2016, les électeurs du Niger et du Bénin seront à leur tour appelés aux urnes pour choisir leurs chefs d’Etat. Dans les deux pays, l’atmosphère politique est déjà marquée par de fortes tensions à plus de deux ans des échéances électorales. Le Cap-Vert, la Gambie puis le Ghana seront aussi concernés par les élections au second semestre 2016.