Le déclin de Jacob ZUMA ou la suprématie du régime parlementaire sud-africain ?

L’ANC a voulu offrir une sortie honorable à son leader contesté en lui proposant de présenter lui-même sa démission. C’était sans compter sur la tenacité de Jacob ZUMA qui tenait à son baroud d’honneur. Il s’est accroché  au pouvoir contre vents et marées.  Il a défié son propre parti en refusant dans un premier temps de démissioner. La  menace de la motion de censure initiée par son propre camp le 14 fevrier 2018 a cependant eu raison de lui.

La confiance brisée entre le camarade Zuma et le parti historique

Les affaires de corruption dans lesquelles le nom de Zuma sont citées sont nombreuses et ont finalement eu raison de sa légitimité. Nombreux sont celles et ceux au sein du parti de Nelson Mandela qui estiment depuis un moment, que le désormais ex-président n’était plus à même de conduire la destinée du pays Arc-en Ciel.

Jacob  ZUMA n’a pas attendu son arrivée au pouvoir pour être empêtré dans des affaires  de corruption et d’éthique. Il avait déjà été contraint à la démission lorsqu’il était vice président de Mbeki avant d’être traduit en justice pour viol sur une femme séropositive.  Bien avant cette affaire, son nom avait été cité en 2003, alors qu’il était déjà vice président, dans une affaire de corruption qui datait de 1999. Cette affaire qui a été par la suite classée sans suite, n’a pas empêché le tandem Mbeki-Zuma de rempiler pour un nouveau mandat.

Devenu en 2007 président de l’ANC, de nouvelles affaires de corruption dans lesquelles son nom est cité sont apparues. Cette accumulation de dossiers compromettants ne l’ont pas empêché d’être élu par ses camarades du parlement, président de la république en mai 2009.

Cette confiance d’apparat n’était en fait entretenue que par la phobie du parti de perdre le pouvoir et de ne pas poursuivre l’oeuvre des fondateurs. Depuis la fin de l’aparteid, l’ANC constitue à lui seul, un « régime politique » qui dirige ce pays. A ce titre, sa démarche a toujours consisté à se maintenir au pouvoir, qu’importe les conditions.

Les affaires  politico-financières de Zuma, ont ébranlé l’électorat de l’ANC, et cela s’est traduit par un cinglant revers électoral lors des élections locales de  2016 et une contestation sociale permanente. Cette situation a catalysé la mobilisation au sein de l’ANC, afin d’éviter la perte du pouvoir  en 2019.

Le peu de crédit et de légitimité dont disposait encore l’ex président au sein de son propre parti ont été épuisés par ces événements et surtout à la suite de sa condamnation pour détournement de deniers publics. Dans cette affaire, la justice a demandé à l’ex président de rembourser une somme totale de 15 millions d’euros à l’Etat ; somme qui a servi à la rénovation de sa résidence privée.Cette enième humiliation judiciaire a sonné le glas de la présidence Zuma dont on retiendra malheureusement plus les frasques judiciaires que les progrès économiques et sociaux qu’elle a pu apporter.

Le départ contraint de Zouma, c’est le triomphe de la démocratie sur les intérêts privés d’une minorité.

 En 1958, la France sous la férule du Général DE GAULLE , a adopté la constitution de la 5è république , pour palier les limites de la 3èmeet 4ème république qui  ont brillé par les instabilités institutionnelles quasi chroniques. La constitution sud africaine de 1993, modifiée en 1996,  faisant un bien original compromis entre un régime parlementaire (où le pouvoir législatif a une puissance politique quasi équivalente à l’exécutif) et un régime présidentiel (où l’exécutif est prédominant dans la gestion des affaires) a elle aussi voulu éviter à l’avenir les dérives de l’exécutif de la période apartheid. C’est ainsi que le président de la république sud africaine n’est pas élu au suffrage universel direct mais est choisi par le parlement et évidemment, au sein du parti ayant obtenu la majorité aux élections législatives.

C’est à cette légitimité que Zuma a essayé de s’accrocher durant ces dernières heures en refusant de démissionner malgré la pression de son parti l’ANC, qui ne trouvait plus en lui, aucune légitimité lui donnant la possibilité de conduire l’exécutif de l’Etat. Peut-être, a –t-il pensé pouvoir encore convaincre des députés de son camp au sein de l’Assemblée, de ne pas voter la motion de défiance qui se préparait contre lui et sa présidence. Une motion de défiance pour rappel, est une procédure législative réservée dans certaines normes fondamentales aux élus du peuple leur permettant de retirer la confiance au chef de l’exécutif (premier ministre généralement dans un régime parlementaire ou semi-présidentiel).

Zuma a donc voulu gagner du temps, histoire de tenter un dernier tour de lobbying afin de convaincre certains élus de son camp de renoncer à l’utilisation de cette arme ultime et fatidique à son règne. Il n’en a malheureusement rien été. Il a été contraint de démissionner et c’est bien le triomphe de la démocratie sur les intérêts privés d’une minorité qui a été manifesté.

La principale leçon à tirer de cette tragédie politique pour les pays africains se résume en la sacralisation des institutions sur les hommes qui les incarnent. Une  situation similaire dans d’autres pays africains n’aurait sans doute pas connu le même épilogue. Des acrobaties constitutionnelles couplées à des arguties juridiques auraient été utilisées pour  sauver un homme ( et ses intérêts)  au détriment des institutions.

L’Afrique du Sud nous réveille ce matin avec ce brin d’optimisme supplémentaire que le principe selon lequel les institutions sont au dessus des hommes n’est pas qu’une théorie en Afrique, mais peut bel et bien être mis en application.

L’Afrique et son laborieux apprentissage de la démocratie

Malgré les avancées considérables consenties en matière de démocratisation, force est d’admettre certains faits têtus qui caractérisent l’espace politique en Afrique Sub-saharienne. Le processus de démocratisation s’est déroulé dans un apprentissage difficile marqué par un tribalisme politique menaçant , un détournement d’objectif alarmant , et, in fine, la non satisfaction des besoins socioéconomiques des populations .

Un tribalisme politique menaçant

Le lien ethnique constitue un paramètre déterminant dans les Etats d’Afrique Sub-saharienne. Beaucoup de partis politiques se structurent suivant des clivages tribaux, régionaux ou claniques. En effet, « on cherche à s’emparer du pouvoir, non pas en fonction d’options politiques libérales ou socialistes, mais d’un clivage purement ethnique »[1]. A cet égard, il est intéressant de relater un épisode anecdotique au Cameroun où le gouvernement « a confisqué la vie à la première expérience de faculté privée de médecine créée au sein de l’université des Montagnes à l’Ouest du pays (…) la manœuvre reposait sur la volonté d’éviter que les Bamiléké ne monopolisent la formation des médecins »[2]. Lors du génocide rwandais, il a été signalé que « toute personne de telle ou telle autre ethnie qui ne montrait pas sa détermination à défendre son ethnie était considérée par cette dernière comme traître et risquait la mort. Il y en a effectivement qui sont morts tués par des gens de leur ethnie »[3]. Au Congo-Brazzaville, la politisation du fait identitaire a causé une déconsolidation des acquis démocratiques. Ainsi, « la constitution de milices basées sur des solidarités ethno-régionales et la transformation des leaders politiques en chefs de troupes tribales ont plongé le pays dans deux guerres civiles qui l’ont dévasté et mis terme à l’expérience de démocratisation »[4]. Même dans un pays comme le Bénin, les partis politiques n’ont pas été fondés sur une base nationale : «Il s’agit de partis d’obédience ethnique dont l’apparition vient aggraver ainsi les difficultés de la construction nationale (…) Certaines régions du pays sont écartées de la scène politique au niveau élevé du pouvoir (…) Mais depuis peu, les régions minoritaires sont en train de s’organiser elles aussi pour participer aux différents jeux politiques en créant leurs propres partis politiques ». Il apparaît dès lors que certains groupes ethniques qui seraient exclus de l’espace du pouvoir pendant un certain temps sont tentés de prendre leur revanche en opérant un « rattrapage ethnique » qui galvaude la cohésion nationale et remet en question les fondements mêmes de l’Etat-Nation en Afrique Sub-saharienne.

Ce phénomène est encore plus prononcé dans un pays comme la Côte d’Ivoire où les plus grands partis politiques se basent sur des allégeances purement ethniques et/ou régionales. Ainsi, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) compte dans ses rangs les Baoulé et les Agni, concentrés à l’Est et au Centre du pays. Le Rassemblement des Républicains (RDR), quant à lui, demeure le foyer des Malinké, des Gur, des Senoufo et des Lobi. Le Front Populaire Ivoirien (FPI) est l’antre des peuples de l’Ouest, notamment les Bété, les Dida, les Guéré, les Gouro. Les Abbey, les Ebrié et les Attié, eux, peuples du Sud, ont rejoint ce dernier depuis 2000 après avoir été déçus par le PDCI[5].

La prépondérance du fait ethnico-tribal dans le jeu politique s’avère donc très néfaste pour la construction de la démocratie dans des Etats où les crises post-électorales prennent souvent une coloration ethnique, régionale ou tribale. Cela est le cas en RDC, en Centrafrique, au Burundi ou encore en Guinée Conakry.

Un détournement d’objectif alarmant

Cependant, l’un des fléaux qui touchent le plus durement le processus de démocratisation en Afrique Sub-saharienne est probablement le détournement d’objectif dont il fait l’objet. Le but ultime du pouvoir politique étant la satisfaction de l’intérêt général, cet objectif a été complètement jeté aux oubliettes par les dirigeants africains. Ce détournement d’objectif s’illustre par une nette déconnection des élites par rapport aux populations et à leurs besoins. En effet, « une mauvaise compréhension, donc une mauvaise pratique de la démocratie pluraliste, a tendance, dans notre continent aussi, à couper de plus en plus des populations une classe politique qui semble s’être enfermée dans le cercle clos de luttes de positionnement »[6].

Ainsi, la démocratie apparaît sur le continent comme « un contrat de dupes, un système trop inique car au lieu de fonder une Afrique libre, il proroge paradoxalement le monolithisme archaïque »[7].  Les gouvernants africains et leur administration ont achevé d’appauvrir leurs populations en se livrant à un pillage sauvage des ressources publiques dans la plus grande opacité et la corruption généralisée. De ce fait, « l’Etat africain reste par excellence le lieu d’accumulation et demeure une source de redistribution et de profits pour la classe dirigeante. Seuls les pourvoyeurs et bénéficiaires de la rente étatique ont changé avec l’alternance politique »[8].

Par ailleurs, les avancées démocratiques notées dans les années 1990 s’estompent vers la fin de la décennie, avec la prise du pouvoir par la force de Laurent Désiré Kabila au Congo-Kinshasa, une nouvelle guerre civile au Congo-Brazzaville, une période de troubles politiques en République Centrafricaine, une répression d’opposants et de journalistes au Nigéria du Général Sani Abacha, ainsi que des tensions au Niger, au Mali, en Guinée et en Mauritanie, voire de guerre civile en Sierra Léone et au Libéria.

Le détournement d’objectif s’illustre aussi par la rapide volte-face qu’ont opérée les pouvoirs en place quelque temps après la vague pluraliste des années 1990. Beaucoup de dirigeants se sont ainsi adonnés à des modifications substantielles de leur Constitution pour pouvoir se représenter. Ce fut le cas en Guinée avec Lansana Conté en 2002, en Tunisie avec ZineAbiddine Ben Ali en 2002, au Tchad avec Idriss Déby en 2005, au Togo avec Gnassingbé Eyadéma en 2003, au Cameroun avec Paul Biya en 2008, et cela a failli être le cas au Sénégal avec Abdoulaye Wade en 2011 et au Burkina Faso avec Blaise Compaoré en 2014, n’eussent été les contestations de la rue auxquelles ils se sont heurtés. Dans d’autres pays comme le Rwanda, le Burundi, le Congo Brazzaville et la RDC, les velléités de tordre le cou aux dispositions constitutionnelles limitant le nombre de mandats présidentiels sont légion[9].

Il apparaît dès lors que les acquis démocratiques ont été confisqués par l’élite au pouvoir contre les aspirations des peuples africains qui restent écartés de la gestion des ressources publiques.

La non satisfaction des besoins socioéconomiques des populations

Le moins que l’on puisse dire, c’est que même dans les cas où la démocratie a prévalu sur le continent, elle n’a pas pu apporter une réponse satisfaisante aux besoins socioéconomiques des populations. Ainsi, cinquante ans après les indépendances, l’Afrique reste l’une des régions du monde les plus pauvres et les plus en recul en matière de progrès social. Si on prend en compte le taux d’alphabétisation par exemple, 65 millions d’adultes Ouest-africains, soit 40% de la population adulte, ne savent ni lire ni écrire[10]. De même, selon un haut fonctionnaire sénégalais, « près de 29 millions d’enfants d’âge scolaire ne sont toujours pas à l’école et près de 159 millions de jeunes et d’adultes ne savent ni lire ni écrire »[11]. Malgré l’ouverture démocratique, le progrès social n’a pas été au rendez-vous. Selon certains auteurs, le lien entre démocratie et développement économique n’est pas encore établi et la corrélation serait non linéaire : « aux niveaux faibles de droits politiques, une augmentation de ceux-ci stimule la croissance économique. Cependant, une fois atteint un niveau modéré de démocratie, davantage de démocratie réduit la croissance »[12]. Ceci corrobore l’hypothèse de Lipset selon qui « la démocratie est liée au stade de développement économique. Concrètement cela signifie que plus un pays est prospère, plus grandes sont les chances qu’il pérennise la démocratie »[13]. En d’autres termes, la croissance économique favoriserait le processus démocratique mais l’inverse ne serait pas vérifié pour le moment, sinon de façon résiduelle, et donc non décisive pour l’Afrique.

A partir d’une situation non démocratique, la démocratie favoriserait donc effectivement la croissance économique ; cependant, à un seuil de démocratisation significative, plus de démocratie serait de nature à limiter la croissance économique. Si l’on en croit certaines études, la relation entre démocratie et développement est tributaire du contexte, des conditions initiales, et du contenu de la démocratie propre à chaque pays[14]. Le contexte africain, où la culture du partage prend le pas sur celle de l’échange chère à l’économie de marché, demeure, dans cette perspective, singulièrement réticent au processus de démocratisation. La démocratie n’a pas été un facteur réel de progrès économique.

Axelle Kabou interpellait l’intelligentsia africaine et le système néo-libéral en interrogeant : « Et si l’Afrique refusait le développement ? ». Plus de vingt ans après, malgré les taux de croissance record enregistrés sur le continent, sa question reste toujours d’actualité. Mais au-delà du développement, c’est la capacité des Etats africains à assurer leurs missions régaliennes, et même ne serait-ce que d’avoir un fonctionnement institutionnel régulier qui est mis en cause. Malgré l’adoption et la mise en place de constitutions pluralistes, l’organisation d’élections plus ou moins transparentes selon les pays, l’existence d’une société civile de plus en plus exigeante, force est de reconnaître que les principes démocratiques de base sont encore largement ignorés par la plupart des pouvoirs en place, sous fond d’ethnisme de la vie politique. Pis, les besoins socioéconomiques des populations ne sont pas satisfaits par une classe dirigeante dont la première préoccupation est son enrichissement personnel. Devant cette situation, il urge pour l’Afrique de trouver un modèle de gouvernance adapté à son héritage culturel et pertinent pour son épanouissement économique et social. Il est difficile de dire si ce modèle devrait ressembler ou non au système démocratique, car le débat sur l’universalité de ce dernier reste entier et ouvert. Mais il devra en tout cas tenir compte des énormes défis sécuritaires, environnementaux, éducatifs, et relatifs au capital humain, qui devraient être le cœur des préoccupations des pouvoirs publics, et, de plus en plus, se nourrir des principes de gouvernance essentiels au vivre-ensemble pour assurer un minimum de cohésion aux Nations africaines encore si fragiles et composites, où l’expérimentation d’un système politique fragmenté a longtemps prévalu.

                                                                                                                                            Mouhamadou Moustapha Mbengue

[1]EbénézerNjohMouelle& Thierry Michalon, L’Etat et les clivages ethniques en Afrique, Abidjan, CERAP, 2011.

[2] Jean Claude Shanda TONME, La Crise de l’intelligentsia africaine, Paris, L’Harmattan, 2008.

[3] Emmanuel Ndikumana, « Ministère de la réconciliation dans un contexte de conflit tribal » in  Le Tribalisme en Afrique… et si on en parlait ? Abidjan, Presses bibliques africaines, 2002.

[4] Mamadou GAZIBO, Introduction à la politique africaine, op. cit.

[5] Dieudonné Brou Koffi ; « Démocratie et tribalisme en Afrique » in Le procès de la démocratie en Afrique, sous dir. Justine Bindedou-Yoman, Paris, L’Harmattan, 2016.

[6]Sémou Pathé GUEYE, Du bon usage de la démocratie en Afrique, Dakar, NEAS, 2013.

[7] Jean-Rodrigue-Elysée EYENE MBA, Démocratie et développement en Afrique face au libéralisme : Essai sur la refondation politique, Paris, L’Harmattan, 2001.

[8] Grégoire, 1994.

[9] Olivier Bilé, La Démocratie africaine reste mal partie… Rectifions le tir !, Paris, L’Harmattan, 2016.

[10]http://www.irinnews.org/fr/report/84101/afrique-de-l-ouest-lutter-contre-les-taux-d-alphab%C3%A9tisation-les-plus-faibles-du-monde

[11]http://www.lesoleil.sn/index.php?option=com_content&view=article&id=22318:lafrique-a-le-taux-danalphabetisme-le-plus-eleve-au-monde-selon-un-officiel&catid=98:education

[12]Barro R. J. Determinants of Economic Growth : A cross-country empirical study. MIT Press, 1997, Cambridge Massachussetts

[13]Lipset S. M. Some social requisities of Democracy : Economic development and Political Legitimacy. The American Political Science Review, vol. 53, No 1 (March 1959.

[14]Huber E., Rueschemeyer D., & Stephens J. D., The Journal of Economic perspective.Vol. 7, No 3, 1993.

« Politisez-vous ! » : une invitation à la chose politique pour la jeunesse africaine

S’appuyant sur l’exemple de leur pays, dix jeunes sénégalais dénoncent dans un ouvrage collectif, la désuétude de la vie politique en Afrique, abandonnée par les intellectuels et envahie par des politiques professionnels qui peinent à transformer de façon durable et pérenne leurs pays. Fort de ce constat, ils invitent la jeunesse africaine à s’intéresser à la vie politique de leur pays parce que le développement tant recherché et souhaité par cette dernière ne peut se faire sans une gouvernance forte.

Dans cet entretien, certains des auteurs partagent leur lecture des mutations qu’a subies la sphère politique en Afrique et discutent de son renouvellement par une jeunesse engagée.

L’abandon du débat politique par les intellectuels serait la source de l’envahissement de la sphère politique par des personnes qui auraient plutôt un agenda personnel d’enrichissement. Comment peut-on expliquer ce paradigme quand ce sont les intellectuels qui avaient œuvré pour l’indépendance ? 

Racine Assane Demba – Oui la lutte pour l’indépendance a vu les intellectuels de l’époque s’engager pour l’émancipation pleine et entière des peuples africains. Puis sont arrivées les années post-indépendances avec les partis uniques, ensuite le multipartisme contrôlé et enfin le multipartisme intégral dans la plupart des pays du continent. Il y a eu deux types d’intellectuels : ceux qui se sont opposés aux nouveaux pouvoirs et les autres qui, par la force des choses, étaient devenus les intellectuels organiques de ces nouveaux pouvoirs. Les années passant, les jeux de pouvoir sont devenus de plus en plus violents. Une violence, pendant longtemps systématiquement physique contre les intellectuels qui osaient s’opposer, puis plus pernicieuse avec le vent de démocratisation qui a soufflé au début des années 1990 même si les assassinats, les enlèvements, les intimidations ont perduré ici ou là.

Cette violence de l’espace politique qu’elle soit physique ou verbale a poussé la plupart des intellectuels à déserter ce champ pour se retrancher dans les organisations dites de la société civile ou à se consacrer à leurs carrières laissant ainsi de plus en plus l’espace public à ceux que je nomme des politiciens professionnels. Il en a résulté une perte qualitative dans le débat public, dans la compétition partisane et dans l’action publique.

Quel doit être le rôle du politique et du citoyen « politisé » dans la société ? 

Racine Assane Demba – Il faut d’abord, je pense,  revenir à la nuance entre le politique et la politique  qu’introduit si bien Mohamed Mbougar Sarr dans « Politisez-vous !».  Mbougar rappelle, en résumé, que le politique est le rapport social, le lien qui se tisse toujours entre les individus pour que la vie en société soit possible. Alors que la politique consiste en l’organisation de ce rapport social déjà établi. En cela, nous dit-il, tout le monde est dans le politique. Ainsi, pour en revenir à la première partie de la question, le rôle du politique est de permettre à l’individu qui nait animal politique comme dirait le philosophe d’évoluer en société. La deuxième partie de la question concerne, quant à elle, le citoyen « politisé ». Je pense que son rôle, lui qui dans son processus de politisation a pris conscience des rapports de force et de domination dans la société, est d’essayer de faire comprendre ces enjeux à un maximum de ses concitoyens, ce que j’appelle passer du « je » au « nous » et pourquoi pas de faire la politique pour influer sur les décisions concernant le plus grand nombre. Et c’est là qu’il passe du « nous d’éveil » c’est-à-dire faire prendre conscience des enjeux au « nous de transformation » à savoir, au bout du compte,  être dans les espaces de décision et d’orientation de l’action publique.

Les défis des sociétés africaines sont multiples : justice, équité, égalité, éducation, environnement, etc. Selon votre livre, la réponse à ses défis est d’abord politique et vous estimez qu’il faudrait, pour ce faire, un plus fort engagement politique des jeunes. Comment devrait se dérouler ce processus de repolitisation auquel vous invitez  la jeunesse, dans un contexte de désaveu de la chose politique ?   

Hamidou Anne – Effectivement, les problèmes auxquels sont confrontées les populations africaines sont divers. Mais ils peuvent se retrouver sous une même matrice qu’est la faillite de la gouvernance qu’incarne le leadership politique. Et ces problèmes vont s’accroitre tant que les mêmes personnes avec les mêmes méthodes continuent à gérer les mêmes pays. La faillite de notre classe politique implique nécessairement son remplacement par une autre dotée d’une volonté de rupture, de transformation et de construction d’un nouveau peuple africain capable de relever les défis de notre époque.

Cela nécessite ainsi pour la jeunesse de quitter le registre de l’indignation stérile, de la colère non suivie d’effet car celle-ci est vaine. Ignorer le politique est une désertion coupable.

La jeunesse ne doit jamais abandonner le champ du rêve d’une société différente ; d’une société qui repense les rapports sociaux sous le prisme de la justice et de l’égalité. La politisation commence d’abord par le rêve d’une Afrique où la vie serait meilleure.

Nous devons nous mettre au fait des rapports de force en cours dans l’espace public, de la nécessité de changer qualitativement la vie des gens et de forger une destinée nouvelle.

Dans ce sens, vous invitez à une puissance publique forte ! Ne serait on pas dans une impasse si on considère que les politiques qui détiennent ce pouvoir publique n’ont pas toujours à cœur l’intérêt général ?

Nous sommes, il est vrai, dans une crise politique de long terme car nos pays, dans leur majorité, ne sont gouvernés ni dans la vertu dans la volonté de construire un présent et un futur de progrès. Dès lors, la puissance publique est aux mains de personnes qui ont perdu une légitimité  morale – parfois aussi électorale- d’agir au nom des millions de jeunes africains car elles ne sont pas mues par l’intérêt général. Nous sommes dans une triple impasse : politique, éthique et spirituelle car les valeurs sont désertées au profit de la perpétuation d’un système kleptocrate érigé depuis l’indépendance.

S’engager en politique doit être selon vous précédé d’un amour sincère pour la personne et la société. Pourquoi cet amour est il essentiel, voir fondamentale ? 

Hamidou Anne – La dimension sentimentale est importante en politique. C’est même la base de l’action publique. On ne peut pas agir, travailler, se lever pour des gens qu’on n’aime pas. Sartre disait « Pour aimer les hommes il faut détester violemment ceux qui les oppriment ». C’est de cette spiritualité  que nous parlions plus haut, celle de l’amour pour les plus faibles, les opprimés et ceux que nos systèmes de gouvernance briment au quotidien. Comme y invite le texte de Youssou Ndiaye, nous pensons que la politique dans la rigidité des statistiques et des classements est une impasse qui plonge nos démocraties dans l’ennui et la déshumanisation. Gouverner c’est gérer des Hommes et se préoccuper de leur devenir.

Tout le monde ne peut s’engager en politique mais vous estimez que l’implication de personnes honnêtes est suffisante et nécessaire. Comment alors mesurer la sincérité de l’engagement de ces hommes politiques nouveaux que vous appelez de tous vos vœux ?

Fary Ndao – L’homme politique, tout comme l’artiste ou l’écrivain, ne peut qu’inspirer, susciter le rassemblement autour de valeurs qu’il professe par ses écrits ou ses discours et  qu’il incarne dans son comportement, sa constance. A l’heure où de plus en plus de citoyens sont éduqués et que les médias classiques ou nouveaux prennent encore plus d’ampleur, l’homme politique sait que rien ne lui sera pardonné. Il a donc, aujourd’hui plus que jamais, un devoir de cohérence. C’est à cela qu’il sera jugé.  Il pourrait également se lancer dans des initiatives non partisanes et d’utilité publique (action sur l’environnement, action éducative, bénévolat etc) afin de donner, un tant soit peu, du sens aux idées qu’il développe. Cela peut également permettre de distinguer les hommes politiques sincères et cohérents de ceux qui ne font qu’adopter des postures.

Le Sénégal est toujours cité comme un exemple de démocratie, avec un espace politique vivant, une jeunesse engagée- on se rappelle encore du mouvement Y en a marre ! qui a su faire front pour amener le président Wade à revoir ses ambitions en 2012 – pourtant il constitue le cadre de vos discussions, qui s’appliquent à la majorité des pays d’Afrique subsaharienne. Qu’est ce qui explique cette dégradation et comment la jeunesse sénégalaise peut-elle encore s’approprier le combat de ses pères ?

Fary Ndao – Le Sénégal, « mondialisation » économique oblige, n’a pas échappé ces dernières décennies à l’accélération de la technicisation du monde. Or la technique nous dit Jacques Ellul, finit par faire des Hommes des îlots d’individualité sans lien réel entre eux et devient le principal moteur de l’Histoire. Un exemple : depuis 30 ans, l’ordinateur a  davantage transformé le monde que les forces classiques comme le travail ou le capital. Ainsi, les idéologies politiques dans lesquelles se reconnaissaient les militants d’hier, ne pèsent plus autant face à cette technique autonome et globalisante. Celle-ci est d’ailleurs toujours accompagnée d’une ribambelle de normes internationales qui assurent la standardisation de l’économie mondiale et « dépolitisent » les choix économiques et de société. Cet état de fait touche tous les pays du monde, et pas seulement le Sénégal. Partout, le militantisme est en net recul par rapport aux années post- seconde guerre mondiale, pour ce qui est des pays occidentaux et post-indépendances pour l’Afrique subsaharienne.

Il y’a également le fait qu’il ne semble plus y avoir, comme le rappelle Hamidou dans son texte, de dessein assez grand pour cristalliser la passion des jeunes d’un point de vue politique. « Nous sommes entrés dans l’ère des gestionnaires ». L’avènement des « pragmatiques » et des technocrates, ainsi que leur inclinaison naturelle pour la quantophrénie économique, n’a pas empêché la dégradation continue de l’environnement, l’affaissement de la justice sociale, la casse ou la privatisation des services publiques et de tant d’autres champs pouvant être importants dans la vie des hommes et d’une nation. Il faut donc arriver à trouver de nouveaux desseins collectifs assez inspirants qui pourront parler à la jeunesse sénégalaise, et africaine en général. Peut-être ainsi, sera t-il possible de la pousser à avoir un véritable projet de transformation de la société. Les taux de croissance, l’entreprise ou les kilomètres d’autoroute, bien que nécessaires, ne parlent pas au cœur des gens. Penseurs et hommes politiques doivent montrer qu’un grand défi d’humanisme, écologique et de changement de paradigme (économique notamment) nous attend pour les décennies à venir. Et, pour y répondre, nous devrons inaugurer de nouvelles utopies (sur l’humain, la nature, l’unité africaine réelle etc), les soumettre à la critique et les transformer en projet de gouvernement auquel il faudra essayer de faire adhérer les peuples africains. C’est comme cela que nous arriverons à réenchanter la politique.

Propos recueillis par Foly Ananou

Comprendre le processus de démocratisation en Afrique

Et si l’Afrique refuserait-elle la démocratie ? Nous vous proposons une série d’articles pour répondre à cette question. Ce premier article de la série fait un exposé de l’avènement du multipartisme en Afrique.

S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement, selon Jean-Jacques Rousseau. L’accès au régime démocratique, à travers le monde, s’est déroulé de manière différente selon les peuples. En Chine, c’est le progrès économique qui a été privilégié sur l’ouverture démocratique. A Hong Kong, à Singapour, en  Corée du Sud et à Taiwan, il a été noté un net progrès économique en la présence de régimes plutôt autoritaires sur une période relativement courte. En Inde, la plus grande démocratie du monde a opéré sa transition numérique et technologique sans éradiquer son système de castes et a atteint une émergence remarquable. Les pays est-européens, y compris la Russie, ont adopté un système d’économie de marché qui ne s’est pas toujours accompagné de régimes démocratiques parfaits.

Les pays d’Afrique sub-saharienne eux, cinquante ans après leur accession à la souveraineté internationale, ont connu des fortunes diverses en matière de processus de démocratisation, mais semblent tous converger vers le pluralisme politique. La démocratie apparaît, dès lors, comme un « système politique indépassable »[1], en tout cas le « moins mauvais » des systèmes de gouvernement. Si on définit la démocratie avec le triptyque « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » selon la formule du Président américain Abraham Lincoln, l’on se rend rapidement compte que l’Afrique au sud du Sahara témoigne d’un paysage contrasté en la matière. Plus scientifiquement, on peut entendre par démocratie un régime politique dans lequel on observe «  des élections régulières au suffrage universel, une administration gouvernementale responsable devant les élus du peuple et les libertés d’opinion et d’association »[2].  Selon Paul Foulquié, c’est le régime politique dans lequel « le démos, le peuple, détient le kratos, la puissance »[3]. La souveraineté, et donc le pouvoir, appartient au peuple qui le délègue à des représentants élus, à l’inverse des régimes monarchiques ou oligarchiques où le pouvoir est concentré entre les mains d’un seul individu ou d’un petit groupe d’individus, et où la succession se fait le plus souvent de manière dynastique ou par cooptation selon des règles fermées.

Après une période de monopartisme plus ou moins intégral selon les pays, les pays d’Afrique sub-saharienne se sont heurtés à des crises économiques éprouvantes suite à l’adoption des Programmes d’ajustement structurels imposés par les bailleurs de fonds multilatéraux (FMI, Banque mondiale) dans les années 1980, avant d’entamer une période de transition démocratique au début des années 1990 marquée par l’organisation de conférences nationales qui ont débouché sur des élections ouvertes et un constitutionnalisme volontariste. Cependant, vers la fin des années 90 et dans les années 2000, un certain repli a été noté dans certains de ces pays sous la forme de modifications constitutionnelles substantielles qui visent à pérenniser les chefs d’Etat en place au pouvoir en plus de coups d’état militaires et crises postélectorales intempestifs. Tant et si bien que certains ont dû tirer la sonnette d’alarme, comme René Dumont qui affirmait que L’Afrique noire reste mal partie, ou simplement sonner le glas de la démocratisation du continent, à l’instar du Président français Jacques Chirac qui remarquait que « l’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie ».  Ainsi, il semble légitime de se demander si la démocratie est un système bien adapté à l’Afrique, s’il est pertinent pour le continent au vu de son héritage culturel, et s’il permet l’épanouissement économique et social des populations africaines.

En d’autres termes, la démocratie est-elle un bon système politique pour l’Afrique ? Et si l’Afrique refusait la démocratie ? Pour étudier ces questions, il sera utile de revenir sur les aspects positifs que recouvre la démocratie en Afrique en examinant les raisons pour lesquelles la démocratisation progressive qui est observée sur le continent augure de lendemains prometteurs, avant d’analyser les facteurs qui font que l’apprentissage démocratique difficile sur le continent n’a pas abouti à un progrès socioéconomique significatif pour les populations africaines.

Le caractère novateur du leg institutionnel en Afrique peut s’observer par le fait que la démocratie est presque partout restée une idée nouvelle pour le continent. Le mouvement qui consiste à associer les populations au système de gouvernement et à les amener à y participer est une innovation[4]. Les sociétés précoloniales d’Afrique noire étaient plutôt fragmentées et connaissaient des formes d’allégeances traditionnelles autoritaires et non légales-rationnelles. Les différentes formes de royauté observées sur le continent n’étaient toutefois pas généralement centralisatrices. Les royaumes du Ghana et du Mali, par exemple, centres incontournables, à l’époque, du commerce de longue distance, ont été plutôt organisés selon un système confédéral, rassemblant les différents royaumes et provinces sous l’autorité d’un chef suprême plutôt que des systèmes centralistes[5]. Le royaume du Ghana a ainsi rassemblé, en plus des Soninké ou Sarakolé, les royaumes wolof et mandingue en leur laissant une large autonomie de gestion. Même s’ils reconnaissaient l’autorité de Koumbi Saleh, ils conservaient leurs institutions de gouvernance et faisaient une allégeance symbolique au roi conquérant. C’est peut-être à cause de cette gouvernance fragmentée que le Ghana, après une apogée au Xe siècle, s’écroule sous la pression des Almoravides en 1076[6] parce que le pouvoir n’était pas centralisé par Koumbi.

Trois siècles plus tard, c’est l’Empire du Mali, fondé par Soundjata Keita, qui adopta un système de gouvernement similaire à celui du Ghana, même si les codifications coutumières ont été plus fortes. La charte de Kurukanfuga décide de l’hérédité des professions à travers le système de clans des métiers. Soundjata Keita, devenu Mansa (roi des rois) crée un gouvernement de compagnons qui reconnaît deux types de provinces : celles qui ont fait allégeance dès le début de son règne à son autorité et dont les rois conservent leur titre (Ghana et Mema), et d’autres où il nomme des gouverneurs (farin)  pour représenter[7] l’autorité impériale. Le caractère fragmenté y est prépondérant puisque les chefs traditionnels, surtout au Ghana et à Mema, reconnaissent l’autorité de Soundjata mais continuent de s’auto-administrer. La centralisation du pouvoir n’était donc pas une règle en Afrique précoloniale.

De plus, la tendance générale était à la responsabilisation des gouvernants qui ne s’autorisaient pas tous les excès. En effet, comme le montre Cheikh Anta Diop, la règle était la primauté de l’intérêt général sur les intérêts personnels des gouvernants. Les pouvoirs traditionnels étaient organisés de manière à limiter les abus du fait de la présence de mécanismes de contre-pouvoir : « en Afrique noire, ni le roi ni un seigneur quelconque n’ont jamais eu le sentiment d’une possession réelle de la terre »[8] ; « les Africains faisaient une claire distinction entre l’Etat et son appareil d’une part, et les serviteurs de l’Etat, le roi en particulier, d’autre part ; par conséquent, l’idée d’un appareil d’Etat confondu avec la base (…) est insoutenable »[9]. Ce, d’autant plus que le roi pouvait être démis, voire physiquement éliminé, s’il venait à ignorer la Constitution[10]. La gouvernance était donc relativement responsable.

La période coloniale va, quant à elle, mettre en place des institutions administratives qui vont permettre une transition souple vers l’indépendance. En effet, « dans sa dernière phase, la colonisation a connu une libéralisation politique indéniable qui s’est traduite par l’introduction au sud du Sahara d’institutions représentatives modernes, de partis politiques multiples, d’une pluralité d’organisations syndicales, d’une presse libre, d’une législation afférente », même si elle  « s’est aussi distinguée par l’ampleur des manipulations administratives destinées à contenir et à orienter ces transformations »[11]. Cela signifie que l’appareil administratif légué par les puissances coloniales a posé les bases d’une gouvernance hiérarchisée dans les Etats nouvellement indépendants. Mais la période coloniale a aussi contribué à créer une classe bureaucratique proto-bourgeoise qui utilisait la puissance publique étatique pour asseoir une domination socio-économique perverse sur des couches plus faibles de la société telles que la paysannerie et la classe ouvrière, malgré l’existence de syndicats et coopératives.

Immédiatement après, les Etats nouvellement indépendants mettent en place un régime de parti unique  où une prégnance du Chef de l’Etat et la confusion du parti avec l’appareil étatique prévalent. Dans ce contexte, les rares élections qui avaient lieu étaient destinées à entériner l’orientation donnée par le pouvoir en place. Ainsi du Dahomey avec la création de la République populaire du Bénin en 1975, de la Haute-Volta avec l’imposition du parti unique en novembre 1962 jusqu’à la disparition de la 1re République en 1966, du Mali sous la 2e République en mars 1979, et du Sénégal avec la dissolution du Parti du Regroupement africain (PRA) dans le parti au pouvoir, l’Union progressiste sénégalaise en 1966[12].  Le paysage politique était dominé par un seul parti qui pourvoyait l’essentiel du personnel administratif. Ce personnel bureaucratique a peu à peu conquis le paysage économique à travers des sociétés publiques qui ont essaimé dans tous les secteurs industriels et commerciaux de ces pays.

Les Etats africains accèdent ainsi timidement à la société démocratique internationale sous l’égide de pouvoirs centralisateurs qui mettaient en avant la sauvegarde de la cohésion et de l’unité nationales pour justifier leur centralisme. Le pouvoir politique contrôle tout dans l’Afrique postindépendances : bureaucratie, nominations, carrières, économie, société, agriculture, religion, idéologies, culture, etc. Au Mali par exemple, l’ordre économique et social était essentiellement le fait du pouvoir politique, lui-même concentré entre les mains d’une petite élite proto-bourgeoise d’Etat, qui rassemble toute l’activité industrielle et commerciale au détriment de la formation d’une classe d’entrepreneurs privés[13] indépendants. Cette prédation économico-commerciale des bureaucrates maliens est également justifiée par la volonté de garantir l’intégration nationale et de la sauvegarder afin de conserver le pouvoir de négociation malien au plan international, dans un contexte de guerre froide. Dans le même temps, elle permet d’éviter la constitution d’une classe bourgeoise nationale capitaliste qui pourrait menacer à tout moment les intérêts des bureaucrates et leur hégémonie socio-économique[14].

Le même phénomène de prédation du secteur commercial par une élite bureaucratique proto-bourgeoise a prévalu dans d’autres pays de l’Afrique postindépendances, tels que le Sénégal et le Niger. Cette prédation économique passe par la création de sociétés agricoles qui permettait, à terme, le contrôle de la paysannerie et de la classe ouvrière. La politique foncière s’est faite largement au détriment des exploitations familiales traditionnelles, du fait de l’accaparement des terres par des hauts fonctionnaires véreux. Cette expropriation continue d’avoir des conséquences terribles dans ces pays. Ces situations ont engendré beaucoup de frustration au sein des populations ; ce qui conduira par la suite à la volonté de l’instauration d’un pluralisme politique devant permettre des alternances à  la tête des pays.

Mouhamadou Moustapha Mbengue

[1] Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, coll. Histoire, 1992.

[2] Huber et al.

[3] Paul Foulquié, Dictionnaire de la langue philosophique, Paris, PUF, 1982.

[4] Guèye, 2009.

[5] Augustin LOADA et Jonathan Wheatley (sous la dir. de)  Transitions démocratiques en Afrique de l’Ouest – Processus constitutionnels, société civile et institutions démocratiques, Paris, L’Harmattan, 2015

[6] Ib.

[7] Ib.

[8] Diop, 1987.

[9] Diop, 1981.

[10] Augustin LOADA et Jonathan Wheatley, op. cit.

[11] Bayart, 1991.

[12] Augustin LOADA et Jonathan Wheatley, sous la dir. de,  Transitions démocratiques en Afrique de l’Ouest, op. cit.

[13] « L’Etat au Mali, Représentation, autonomie et mode de fonctionnement », Shaka Bakayoko, in L’Etat contemporain en Afrique, dir…

[14] Ib.

La Démocratie culturelle comme rempart contre l’exclusion dans les sociétés multiculturelles : le cas de la Ville du Cap

L’effectivité du principe démocratique selon lequel chaque voix compte peut s’avérer complexe dans un environnement multiculturel où des minorités peuvent être exclues. A partir de l’exemple de la ville du Cap en Afrique du Sud, cette étude montre comment la démocratie culturelle, c’est-à-dire un système politique où chacun est libre d’affirmer ses positions, son identité et sa culture par des moyens d’expression et des manifestations culturelles, peut être une solution à l’inclusion politique dans un environnement multiculturel. Les enseignements qui en découlent peuvent être utiles aux pays africains multiethniques. Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

Crises politique, économique et sociale en RDC : Un chaos quasi atavique?

La République Démocratique du Congo (RDC), un pays aux dimensions continentales (2.345.000 km2 de superficie), peuplé d’environ 70 millions d’habitants[1], disposant de ressources naturelles notamment minières parmi les plus fournies, a tout pour être un mastodonte au cœur de l’Afrique. Paradoxalement, ce potentiel géant se voit confiner aux dernières places des principaux classements internationaux sur le développement humain, la bonne gouvernance, la démocratie, entre autres.[2]

Indépendante depuis 1960, cette ancienne colonie belge n’a pas su s’émanciper des cycles de conflits et de violences sous différentes formes, de crises politiques, de tensions sociales. Dans cette analyse, nous décryptons successivement les crises politique, économique et socio-sécuritaire du moment dans ce pays et les défis qu’elles posent.

 

Crise politique

Le mandat constitutionnel du président Kabila est arrivé à son terme le 19 décembre 2016. Il est toutefois resté au pouvoir. En effet, les élections n’ont pas été organisées dans les délais prévus par la Constitution, le gouvernement justifiant le report des scrutins par un manque de moyens financiers conséquents et par la nécessité d’une actualisation du dernier fichier électoral désuet. Cependant, les prétextes avancés sont peu convaincants. Dès janvier 2015, le pouvoir voulait conditionner la tenue des élections à un recensement général de la population qui, sans doute, allait retarder le processus électoral. Le pouvoir a dû faire marche arrière face à la pression populaire contre cette tentative. Ensuite, certains tenants du pouvoir évoquaient les options de la révision constitutionnelle et surtout du référendum, le tout pour permettre au président de briguer un autre mandat à la tête du pays. Un arrêt de la Cour Constitutionnelle dont le dispositif allait en faveur du maintien au pouvoir du président en exercice jusqu’à l’élection de son successeur a donné du tonus aux partisans du « glissement ». Puis, en vertu d’un accord négocié entre le pouvoir, l’Opposition et la « Société civile », le président Kabila demeure à la tête de l’État pour une période de transition devant aboutir à l’organisation des élections en fin 2017. C’est précisément au niveau de l’application de l’Accord du 31 décembre 2016, dit « Accord de la St-Sylvestre » que les violons ne s’accordent pas entre le pouvoir et la frange majoritaire de l’opposition, réunie au sein du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement. Les principaux points d’achoppement sont la nomination d’un premier ministre présenté par le Rassemblement, conformément au prescrit de l’accord, la nomination du président du Conseil national de suivi de l’accord – après le décès d’Etienne Tshisekedi, figure historique de l’opposition à qui revenait ce poste-, le partage des postes ministériels et les mesures dites de « décrispation politique ». Le président Kabila a nommé Bruno Tshibala, un dissident du Rassemblement de l’opposition comme premier ministre et ce dernier a nommé un gouvernement quasiment dupliqué sur le précédent gouvernement. Kabila et sa majorité réclamaient une liste de candidats présentée par le Rassemblement, requête qui n’a pas reçu l’assentiment du Rassemblement qui a rétorqué que,selon les termes de l’accord, il n’était pas question de présenter une quelconque liste, mais un seul nom que le président devait tout juste nommer, eu égard à ses prérogatives constitutionnelles.

Plusieurs mois de négociations n’ont pas suffi à surmonter les antagonismes. Il convient surtout, de noter que la nomination du premier ministre Tshibala ne règle en rien la crise politique et de légitimité du pouvoir. Les quelques dissidents du Rassemblement ne bénéficient d’aucune légitimité et légalité pour représenter cette plateforme. En effet, le seul Rassemblement qui bénéficie du soutien populaire et de la reconnaissance internationale est celui piloté par le tandem Félix Tshisekedi-Pierre Lumbi.

Après les Accords de la Cité de l’OUA d’Octobre 2016, le pouvoir, conscient du manque d’inclusivité de cet accord et des risques de soulèvement et menaces de sanctions internationales s’était vu contraint bon an mal an de retourner à la table des négociations.  Alors que le dialogue entre le pouvoir et l’opposition a été infructueux, que cette opposition utilise de plus en plus un ton offensif et comminatoire vis-à-vis du régime kabiliste, que la communauté internationale maintient sa pression sur le président sortant pour la mise en œuvre intégrale de l’accord et que la situation sécuritaire est pour le moins volatile, deux scénarios semblent plausibles. On pourrait assister à un nouveau cycle de négociations pour parvenir à l’inclusivité voulue et à la formation d’un nouveau gouvernement de transition. Il se peut également que le statu quo perdure avec un risque certain d’entraîner une surenchère et une escalade de la violence qui ne pourront qu’hypothéquer encore plus la tenue des élections déjà incertaines .

Crise économique

L’économie congolaise est essentiellement extravertie, l’industrie extractive, tournée surtout vers l’exportation étant prépondérante. Face à la baisse des cours des matières premières, cette économie peu diversifiée n’a pas été assez résiliente pour surmonter ce choc exogène. Pour preuve, le franc congolais, monnaie nationale qui coexiste avec le dollar US comme intermédiaire des échanges dans ce pays connaît une dépréciation substantielle. Selon le gouverneur de la Banque Centrale du Congo, le franc congolais a enregistré une dépréciation de plus de 20% pour la seule année 2016. [3]Depuis quelques mois déjà, les fluctuations erratiques de cette monnaie pénalisent grandement les congolais qui voient les prix des biens et services grimper. Face à cette dépréciation du franc congolais par rapport au dollar US, la pilule est particulièrement dure à avaler pour les fonctionnaires et autres salariés payés en francs congolais, dont l’enveloppe salariale en proportion du dollar US -toutes choses étant égales par ailleurs- se trouve défalquée en termes de pouvoir d’achat malgré eux.

En ce qui concerne le taux de croissance économique, il a aussi connu un net recul, passant de 7,7% en 2015 à 2.5% en 2016. Le chômage y demeure endémique, surtout celui des jeunes.

Par ailleurs, la crise politique a évidemment créé une incertitude sur le plan économique entraînant une contraction des investissements étrangers dans le pays. Pour ne rien arranger à la situation, des menaces de sanctions et  mesures restrictives de certains partenaires internationaux (États-Unis, Grande Bretagne Belgique, France entre autres) viennent noircir le tableau économique.[4]

Dans cette situation de profondes difficultés financières et d’instabilité politique, la tenue des élections dans les délais conformes à l’Accord de la St-Sylvestre semble des plus hypothétiques.  

Crise socio-sécuritaire

Il faut dire que le second mandat de Joseph Kabila a été très mouvementé. La quiétude sociale n’a pas été au rendez-vous. À la suite des résultats controversés de la présidentielle de 2011, Kabila souffrait d’un déficit de légitimité aux yeux d’un grand nombre d’acteurs politiques de la scène nationale et d’une partie non-négligeable de la population. Lorsqu’en 2012 la rébellion du M23 fit son apparition, avec à son actif des massacres et actes exécrables au Nord-Kivu, la RDC s’est retrouvée en situation de crise et a dû consacrer de moyens conséquents pour rétablir l’autorité étatique dans les zones occupées par les rebelles.  Cette reconquête de la souveraineté territoriale a nécessité selon les tenants du pouvoir de surseoir ou « sacrifier » certains engagements pour cet impératif de souveraineté nationale. Alors que la défaite et la capitulation du M23 laissaient espérer des jours assez paisibles pour les ressortissants des territoires touchées- malgré la présence d’autres groupuscules armés- la résurgence dès 2013 d’actes de barbarie ignobles et crapuleux dans le territoire de Beni (Nord-Kivu) notamment par les rebelles ADF-Nalu ougandais a tôt fait de replonger le pays dans la spirale de violences et de crimes imprescriptibles. Tout récemment, ce sont les milices Kamwina Nsapu qui semèrent la terreur au Kasai (centre du pays). La non-organisation des élections dans les délais, le maintien de Kabila au pouvoir et les vicissitudes de l’application de l’accord du 31 décembre 2016 n’ont fait qu’exacerber les tensions sociales sur fond de répression, d’arrestations arbitraires et d’atteinte aux droits de l’Homme  en général.

Depuis 2013, il y a eu les  « Concertations Nationales », le dialogue de la cité de l’Union Africaine, le dialogue sous la médiation de la CENCO qui étaient censés renforcer la cohésion nationale et préparer à la tenue d’élections paisibles et crédibles dans les prochains mois (spécifiquement les deux derniers dialogues évoqués) mais force est de constater que la RDC demeure pour le moment dans une situation instable et potentiellement explosive (loin de nous toute logique d’hypertrophie).

On peut percevoir une lassitude des congolais face aux errements de la classe politique. Aussi bien au niveau de la majorité que de l’opposition politique[5], nombre de politiciens ont déçu les attentes des congolais. Edem Kodjo, ancien premier ministre togolais et médiateur du dialogue de la cité de l’OUA déclarait dans Jeune Afrique à propos de cette classe politique : « J’ai eu affaire à une classe politique à la fois brillante, adepte des faux-fuyants, intelligente, toxique. L’argent joue un rôle prépondérant : en Afrique de l’Ouest, les gens pensent qu’ils sont riches quand ils ont 100 millions de F CFA. Ici, ils le sont quand ils ont la même somme, mais en dollars »[6] Même si Edem Kodjo n’est pas un parangon d’exemplarité politique, son constat sonne plutôt juste. Nous estimons qu’une loi de moralisation de la vie politique, comme celle défendue par le président Macron, mais adaptée au cas congolais serait à-propos en RDC (comme d’ailleurs dans bon nombre de pays du continent éventuellement). Il pourrait par exemple être question dans cette loi d’interdire aux anciens rebelles ou chefs rebelles d’exercer de fonctions politiques[7], de s’assurer que les titulaires de charges publiques ne sont ni des repris de justice, ni des personnes qui se sont enrichies illicitement, pas plus qu’ils ne doivent être mêlés dans des conflits d’intérêts de nature à compromettre l’exercice de leurs fonctions, d’exiger une déclaration de patrimoines des candidats à la présidence de la République et du président élu et des ministres au début et en fin de mandat. Pour cela, il pourrait être mis en place un organe (ou une cour) supérieur(e) de surveillance et d’arbitrage chargé(e) de s’assurer du respect de ces principes.

 Il est somme toute, essentiel que nos pays africains se dotent d’institutions judiciaires solides, neutres et véritablement justes pour sanctionner quiconque contrevient aux textes légaux en vigueur. Les politiques devraient être esclaves de leur engagement ou serment. Il nous revient à l’esprit ici la notion de théorie de l’expectative légitime, qui est à peu près en droit administratif québécois le pendant de la théorie de « l’Estoppel » de la Common Law et selon laquelle les responsables politiques, qui tiennent des promesses à la population créent des « attentes ou espérances légitimes » qu’ils sont contraints de tenir de jure, sauf impondérables. Si un tel principe avait force de loi dans nombre de pays africains, on n’assisterait sans doute pas à autant de valses et convulsions rétrogrades qui retardent la marche de nos pays vers l’émergence.

Il est évident que la RDC a tout le potentiel humain et naturel pour se relever. Il faut pour cela un leadership politique responsable et éclairé et une révolution de mentalités au niveau de la population qui passe entre autres par une éducation et une formation civique de qualité. Ainsi, le chaos « quasi atavique » ne sera-t-il qu’un lointain souvenir.

 

                                                                                                                                                                                        Thierry SANTIME

 

 

 

 


[1] Le dernier et unique recensement scientifique de la population nationale datant de 1984, ce chiffre est approximatif des données compilées par des institutions comme la BM, le PNUD, entre autres.

 

[2] L’IDH (indice de développement humain) du PNUD classe la RDC 176ème sur 188 pays classés dans son dernier classement.  http://hdr.undp.org/en/data  L’ONG Freedom House qui étudie la démocratie dans le monde classe les États selon le niveau de droits politiques et de libertés civiles des populations place dans son classement la RDC comme État non-libre (not free).

 

[4] L’ONU menace de saisir la CPI pour les massacres au Kasai. http://www.mediacongo.net/article-actualite-25754.html

Les États-Unis et l’UE ont imposé des sanctions contre de « hauts responsables » congolais. https://vacradio.com/lue-et-les-etats-unis-imposent-des-sanctions-contre-de-hauts-responsables-de-rd-congo/

 

[5] Le réalisateur belge Thierry Michel, bien au fait des questions congolaises parle d’ « opposants alimentaires » pour décrire les opposants congolais. http://www.congoforum.be/fr/interviewsdetail.asp?id=207170&interviews=selected

 

[6]   « RDC : Kabila, Tshisekedi, Katumbi… L’ex-médiateur Edem Kodjo dit tout ». Jeune Afrique. 2016  http://www.jeuneafrique.com/mag/382533/politique/edem-kodjo-mediateur-ne-dire-ca/

 

[7] Il faut noter que l’impunité est une sérieuse préoccupation en RDC où des rebelles ou miliciens ayant perpétré des actes hideux bénéficient de l’amnistie et parfois deviennent des interlocuteurs du pouvoir.  http://www.afrik.com/rdc-kyungu-mutanga-alias-gedeon-de-chef-de-guerre-a-heros

 

 

Une autonomie socio-culturelle serait-elle l’avenir de la démocratie en Afrique ?

figures féminines d'Afrique - amazones du Dahomey
Amazones du Dahomey – Crédits : DR / Collectie Stichting Nationaal Museum van Wereldculturen / Commons

L’un des principaux objectifs de la démocratie de proximité est le rapprochement des populations à la gestion de la chose publique. Il est moins compliqué pour un citoyen de surveiller et d’influer sur l’action de l’exécutif communal de son lieu de résidence que sur les décisions prises au niveau gouvernemental.

Rapportée à l’Afrique, la décentralisation – une des manifestations de la démocratie de proximité -peut jouer un rôle relativement différent pour l’amélioration du système démocratique de certains pays. Le continent africain a en effet, une histoire particulière avec le système démocratique. Il est difficile de parler de ce système politique sans évoquer l’occupation occidentale de l’Afrique vers la fin du 19ème siècle.

La conférence de Berlin de 1884 reste dans l’histoire, l’évènement qui a véritablement marqué le début de l’impérialisme européen. Elle a surtout tracé des frontières arbitraires au gré des intérêts économiques des colons. Encore aujourd’hui, ces frontières produisent d’importantes conséquences dans l’administration territoriale de nombreux Etats en Afrique[1]. L’ancien premier ministre Malien, Moussa Mara affirmait, lors d’une rencontre organisée par l’Afrique Des Idées, que l’un des principaux problèmes du nord Mali est relatif à l’administration de cette région[2]. Cette région a en effet besoin d’une autonomie relativement poussée et elle ne peut être administrée de la même manière que l’est le reste du territoire.

Certains Etats ont tenté de réparer les torts de l’histoire en adaptant l’administration du pays avec plus ou moins de difficultés. D’autres ont testé le fédéralisme mais se sont très vite rétractés. C’est le cas par exemple du Cameroun qui a opté pour le fédéralisme entre 1961 et 1972 avant de revenir au système unitaire. La crise actuelle du Cameroun anglophone trouve l’une de ses causes dans ce retour à l’Etat unitaire qui n’a pas pris en compte la spécificité de cette région tant dans son histoire que dans son administration.

A contrario de son voisin, le Nigéria a gardé la structure fédérale mise en place au cours de la colonisation britannique ; seul gage d’un semblant d’unité dans une telle diversité socio-culturelle.[3]

Et si l’avenir démocratique de ces Etats crées de toute pièce pour des intérêts impérialistes, résidait dans une autonomie ethnico-culturelle poussée ?

Plusieurs notions qui vont s’entremêler dans ce propos devraient être clairement définies. C’est le cas de la notion de décentralisation. Par la décentralisation, le pouvoir central délègue un certain nombre de compétences à des autorités locales élues par les populations. L’élection de ces autorités au suffrage universel permet de différencier le système de décentralisation de la déconcentration. En effet, dans le cadre de cette dernière, les autorités déconcentrées ne sont qu’un prolongement du pouvoir central au niveau local. C’est le cas par exemple des Préfets nommés par décret.

Les organes décentralisés sont organisés tels des « mini Etats ». Ils disposent de ressources propres, d’organes de décisions qui leur sont propres, afin de mener à bien la politique locale pour laquelle ils sont élus.

En France par exemple, c’est par les lois Gaston Deferre de 1982 que la décentralisation a été institutionnalisée. Plusieurs garde-fous ont été pris pour éviter que les collectivités décentralisées ne poussent un peu trop loin la soif d’autonomie en réclamant par exemple des sécessions ou quasi indépendance du pouvoir central.  Inversement, c’est pour éviter ces désirs d’indépendance que la décentralisation dans de nombreux pays africains doit être poussée pour pallier certaines tares de l’histoire.

La prise en compte des spécificités locales.

La décentralisation est  un système d’administration qui permettrait la prise en compte  des originalités d’une région donnée[4]. L’exemple du Nigéria qui est allé au bout de la logique de ce respect des originalités régionales en optant pour le fédéralisme est édifiant. Le fédéralisme se distingue de la décentralisation par l’absence de dénégation des caractères étatiques. Tout comme aux Etats-Unis ou au Canada, le fédéralisme consiste en une Union d’Etats qui, pris individuellement, auraient pu être souverains.  Ils possèdent donc quasiment toutes les caractéristiques d’un Etat à l‘exception de certains pouvoirs régaliens. Ces différences de caractéristiques varient en fonction des Etats et de leur histoire.

Au Cameroun où le fédéralisme n’a pas fait long feu, une décentralisation ou autonomie poussée pourrait être une solution aux problèmes rencontrés entre le pouvoir central et les régions anglophones du nord du pays.

Depuis les années 60, l’une des principales revendications de ces régions porte sur la reconnaissance de leur spécificité culturelle héritée de l’occupation britannique. En désengorgeant le pouvoir central, les autorités locales pourraient prendre des décisions à l’aune des réalités locales. Des solutions pratiques à cette crise sont apportées dans un article publié par Thierry Santime pour l’Afrique Des Idées. La Partie anglophone pourrait avoir un statut tel celui de la région de l’Alsace en France. L’Alsace a en effet conservé un régime juridique propre, mis en place par les autorités allemandes avant qu’il ne devienne territoire français. Ces dispositions sont de nature diverse et vont des problématiques sociales, aux dispositions relatives au crédit, à la réglementation professionnelle etc.

Dans la majeure partie des pays africains, la décentralisation mise en œuvre correspond à la conception classique de cette organisation administrative. Une telle conception ne semble pas appropriée à tous les Etats, d’autant plus que le passif colonial appelle à une prise en compte poussée de la spécificité de certaines régions. C’est le cas par exemple de la plus grande province de la République Démocratique du Congo(RDC), le Katanga. Avant l’occupation Belge, le Katanga était peuplé par les Bantous depuis l’âge de Fer. La conférence de Berlin  cèdera cette région au roi belge et  le Katanga intègrera dès lors la RDC.[5] Cette région n’a jamais caché ses désirs de sécession. Le Katanga a d’ailleurs proclamé son indépendance en 1960 à la suite de l’indépendance du Congo. Des guerres civiles  impliquant même l’ONU ont martyrisé cette région de l’Afrique centrale pendant de longues années avant qu’elle ne soit contrainte à un rattachement définitif à la RDC en 1967.

Une telle région devrait également bénéficier d’une autonomie poussée au-delà même du spectre de la simple décentralisation. En matière foncière par exemple, jusqu’à 2009 en RDC, le pouvoir central avait tout pouvoir et passait par des décrets pour créer des circonscriptions foncières. Les autorités foncières issues de ces découpages étaient complètement déconnectées des réalités vécues par les paysans vivant dans les dites localités[6]. Une décentralisation plus intelligente devrait pallier de telles problématiques en délégant à des autorités locales ces responsabilités.

La nécessité d’une décentralisation intelligente.

Nombreux sont les pays africains qui ont enclenché des processus de décentralisation à des rythmes  plus ou  moins différents[7]. Parfois, par contrainte car certaines aides sont dorénavant conditionnées : elles seraient désormais directement versées à des acteurs locaux maitrisant les problèmes locaux. L’un des problèmes liés à la décentralisation réside justement dans le financement des collectivités décentralisées. Le principe voudrait que les collectivités s’autofinancent à travers différents revenus tels que les impôts locaux ou la valorisation commerciale du patrimoine local. La conséquence de cet autofinancement est la constitution de collectivités décentralisées très disparates en termes de richesse.

La décentralisation ne sera utile que si elle permet un équilibre politique et social.  En aucun cas, elle ne doit être la source de nouvelles déstabilisations fondées sur les différences économiques des collectivités décentralisées d’un Etat unitaire. Une décentralisation intelligente s’impose. Elle devrait ainsi se matérialiser par une solidarité accrue et obligatoire entre différentes collectivités décentralisées, gage de stabilité et d’unité du pays. Faute de quoi, le caractère unitaire de bon nombre de pays pourrait être remis en cause.

Une solidarité entre collectivité décentralisée implique que le pouvoir central garde la main non seulement sur la gestion globale du pays mais également sur celle des entités décentralisées. D’où la nécessité d’une autonomie poussée et non d’un fédéralisme.

 

                                                                                                                                                                     Giani GNASSOUNOU

 

 

 

 

 

 


[1] Le conflit ayant opposé le Nigéria au Cameroun concernant la péninsule de Bakassi tire son origine des frontières tracées au cours de la colonisation. Les problèmes sociaux ethniques ayant conduit à la guerre du Biafra peuvent s’expliquer en partie par la création d’un Etat du « Nigéria » avec pour objectif l’exploitation des ressources des terres occupées par la puissance coloniale britannique.

 

 

 

[4] Définition Larousse

 

 

 

Ultralibéralisme, démocratie et citoyenneté : l’improbable compromis.

démocratie-député JB Belley
Jean-Baptiste Belley, député sous la Révolution française. 1798.
La démocratie est à ce jour, dans ses principes du moins, le régime qui favorise le mieux l’éclosion de l’homme dans toute sa splendeur, mais l’application effective de ses principes n’a rien d’aisé, car elle est un régime des hauteurs. La vivre véritablement suppose de débarrasser l’homme de sa pesanteur, de réduire sa charge d’égoïsme et de mesquinerie, car ce régime exige, pour briller de tous ses feux, des hommes magnanimes. C’est pourquoi elle doit demeurer une quête permanente. Le moindre relâchement, la plus petite négligence quant à ce vaisseau en route vers la félicité, dont la barre et les instruments de navigation doivent être surveillés en permanence mènent à des dérives et des régressions dangereuses auxquelles les gredins n’hésiteraient pas à exposer ceux qu’ils ont la charge de conduire (la démocratie n’est pas pour eux).

Vigilance, une exigence citoyenne

Vigilance, donc ! Tel est le mot d’ordre. En tous instants, en toute circonstance. Au niveau des individus, il s’agit de vigilance envers soi-même, envers son engagement citoyen d’abord, puis vigilance envers le fonctionnement des institutions. Vigilance quant à la force de la loi, sans laquelle les institutions n’ont de sublime que la beauté des murs qui les abritent. Leurs frontons, leurs colonnes, leurs frises, leurs statues, ne cessent pourtant de nous rappeler la grandeur et la noblesse des premiers qui en instituèrent les principes et de ceux qui les portèrent jusqu’à nous.

Démocratie, entre luttes et défense de la dignité humaine

L’aventure démocratique occidentale, hormis son aïeule grecque dont le terreau était une certaine idée de l’homme, mesure de toute chose et par essence libre, n’était pas le fait d’une constitution particulière de l’homme d’Occident, mais elle était fille de l’audace et de l’insoumission, seules capables d’inventer d’autres possibles. Soutenue par une pensée juchée sur une conception élevée de l’homme et par conséquent des rapports sociaux et des institutions qui les régissent, au secours desquels s’étaient plus tard portées des actions militaires ou des soulèvements populaires, la démocratie finit par s’imposer en Occident et être portée en triomphe, dressée sur un char dont l’attelage était fait de la loi, de l’égalité, de la liberté, de la séparation des pouvoirs, du pluralisme, du respect de la dignité humaine. Enracinés, tels de vieux chênes, dans l’esprit et les institutions occidentaux, ayant eu le dessus sur leurs adversaires idéologiques d’hier, les principes de la démocratie, renforcés par leur victoires historiques, furent propagés avec un succès relatif au-delà de leurs limites traditionnelles. Ils furent reconnus et acceptés par des peuples qui, quoique les vivant peu du fait de barrières plus politiques que culturelles comme on veut souvent le faire croire, y aspiraient néanmoins fébrilement. Aussi, même acceptés, dans ces contrées peu habituées à cette façon d’organiser la vie politique, comme la parole de l’Evangile tombant sur un sol rocailleux, ces principes ne purent-ils germer partout où ils furent semés. Elle ne germa pas faute d’y croire, mais elle n’advint pas par défaut de batailles. Aux hommes vaillants les grandes choses, aux sociétés lutteuses le progrès. La démocratie, la vraie, la révolutionnaire, nous dit l’histoire, ne s’instaure que par la lutte. Son avènement menace les pouvoirs, les privilèges, les rentes, les aristocraties, elle fait place à la véritable noblesse celle du partage, de la justice, de l’égalité et de la liberté. Cependant, nous l’avons dit, le progrès est fils de luttes, de dépassements, de privations toujours plus grands pour donner cours à des meilleurs lendemains. C’est pourquoi les plus grands progrès politiques et sociaux sont souvent précédés de périodes plus ou moins longues de souffrance, d’étouffement, de frustrations, de honte. Lorsqu’ils surgissent enfin, ils sont accueillis avec liesse et souvent ébahissement car ils libèrent.

Occident :l’essoufflement citoyen

Or depuis la Libération, la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, l’Occident libéré n’a plus eu à connaitre les hésitations de l’histoire, atermoyant entre évolutions et régressions. Habitué à une paix merveilleusement longue comparée aux détonations que ne manquait pas connaitre toute génération ou presque, et à un progrès technologique époustouflant auquel les masses accèdent sans encombre, l’Occident (et le reste du monde créé à son image), vautré dans son confort, entièrement acquis aux valeurs les plus matérialistes, a perdu le sens du  tragique. En même temps qu’on y crée le progrès tel qu’entendu dans la société ultra libérale, on s’y amuse à un point qui confirme que l’homme, qui y était jadis volonté de conscience y a perdu la tête ; on le croirait devenu volonté d’insouciance. Les préoccupations qui le plongeaient dans de graves méditations sur sa condition et son devenir ont été balayées par un excès d’assurance qui l’a plongé dans une profonde inconséquence. La facilité inouïe de son existence aussi banale qu’insipide en a fait un être désincarné, malléable et dangereusement servile.

C’est preuve que ce progrès-là est malsain. Contrairement au progrès d’antan qui se voulait collectif, affectait la société dans sa globalité et révélait à l’homme sa dignité, celui-ci il est abrutissant. Il produit des imbéciles savants complètement détournés des questions non seulement personnelles nées de la volonté de savoir et de comprendre, caractéristique de l’homme, mais aussi des préoccupations collectives, les seules capables, parce qu’elles révèlent les véritables conditions de l’épanouissement des êtres sociaux, de hisser l’homme au-dessus de la médiocrité.

Sous l’impulsion de ce progrès déshumanisant, qui assèche l’esprit et réduit l’homme à l’état de consommateur en ce qu’il stimule le désir de s’encombrer toujours, le gave sans le tonifier, et favorise un quant à soi si loin de l’individualisme des Lumières, la défense d’intérêts collectifs a perdu son souffle. Adieu syndicats, adieu militantisme ! Effrayé, leurré et surtout occupé par cette société chronophage où faute de temps à soi, on rechigne à en donner pour la collectivité, le peuple s’est vu remplacé par des défenseurs qui roulent bien peu pour lui.

Les libertés individuelles chèrement acquises, dont, à vrai dire, la conscience chez les individus d’aujourd’hui se limite à la possibilité d’aller et venir et d’étendre chaque jours un peu plus l’emprise de la bêtise, sont menacées sous les yeux de ceux-là mêmes à qui elle confère des privilèges. Les libertés publiques maintenues avec une habileté d’artiste ne sont plus qu’un épouvantail, en tout cas tant qu’elles ne serviront pas les buts pour lesquels elles ont été instituées, elles demeureront des armes inefficaces. Tout le monde a ce mot à la bouche : démocratie, mais semble oublier que ce régime implique des citoyens responsables et impliqués dans le devenir de leur société. Il implique également qu’on fasse attention à la conduite des affaires. Confier les rênes à des instances aux mandats importants et peu comptables des choix qu’elles imposent, qui ont réduit le peuple à un rôle de téléspectateur qui donne son avis lors de consultation graves avec la légèreté et la désinvolture qui convient à une élection de miss, est sans conteste une régression démocratique que rien ne justifie. Pourtant, malgré sa tendance moutonnière, ce n’est pas vraiment au peuple qu’il faut en vouloir. Brouillé par le discours des politiques de gauche et de droite qui, défendant moins ses intérêts que ceux des puissants, appliquent à quelques nuances près les mêmes politiques, le peuple d’Occident, jusque-là jouant ce jeu du ni-ni, montre des signes de lassitude et peu à peu sourit aux thèses populistes.

 

 

« L’avenir de l’Europe est lié à celui de l’Afrique »

“Tournons la page”, c’est le mot d’ordre d’une campagne de la société civile qui intervient dans sept pays africains – Congo-Brazzaville, RDC, Gabon, Tchad, Niger, Burundi et Cameroun – afin de promouvoir l’alternance et dénoncer les potentats africains. Ce groupement d’associations a notamment appelé au boycott de la Coupe d’Afrique des Nations après la réélection controversée d’Ali Bongo au Gabon. Laurent Duarte, l’un des coordinateurs de ce mouvement, explique cette démarche à L’Afrique des Idées.

Pourquoi faut-il “tourner la page” en Afrique ?

Dans de nombreux pays africains, notamment francophones, des familles pour certaines au pouvoir depuis cinquante ans confisquent l’avenir politique de la jeunesse. Plus de 85% des Gabonais ou des Togolais n’ont connu qu’une famille au pouvoir. Nous, on considère que le développement c’est un développement inclusif, total, que parmi cela il n’y a pas simplement la croissance économique mais également l’apaisement politique. Il faut tourner la page des dictatures bien entendu, mais aussi écrire une nouvelle page de paix et de stabilité dans ces pays.

N’est-il pas réducteur de demander un changement à la tête du pays si c’est tout le système qui est vicié ? Qui nous dit que la situation ne va pas rester la même avec un nouveau dirigeant ?

L’alternance démocratique, ce n’est qu’une porte d’entrée. Après, elle est décisive car elle ouvre les champs des possibles. Sans le départ de ces gouvernants, il ne peut y avoir de changements durables. Bien entendu, notre travail au quotidien ne se limite pas à dire qu’Ali Bongo doit être renversé par Jean Ping, Faure Gnassingbé par Jean-Pierre Fabre ou que sais-je encore… L’idée, ce n’est pas simplement un changement de tête. C’est pour ça que notre dernier rapport concerne la fiscalité. Car il ne peut pas y avoir de démocratie sans justice fiscale. En même temps, quand on est un militant de la société civile, il est intéressant d’accompagner les coups de projecteurs médiatiques qu’il peut y avoir sur l’Afrique, notamment pendant les élections qui sont un moment décisif. Bien sûr, le combat ne se réduit pas à ça. Quand bien même on arrive à faire tomber les dictatures, on n’aura pas réglé les problèmes de corruption ou de développement.

La vague d’alternances qui a pu avoir lieu en Afrique de l’Ouest vous fait-elle dire qu’on est à un moment charnière ?

Complètement. Entre 2015 et 2017, environ trente pays africains ont connu ou vont connaître des élections présidentielles. A première vue, on peut dire que ça n’a pas marché partout. En Afrique de l’Ouest, ça avance même s’il reste le Togo qui est l’exception qui confirme la règle. On concentre nos efforts sur l’Afrique Centrale, qui est le nœud dictatorial en Afrique et le nœud des Etats rentiers. Le lien entre dictature et rentes n’est d’ailleurs pas anodin. On sent qu’il y a une lame de fond dans la société civile. Si ce n’est pas pour demain, ce sera pour après-demain. En RDC, depuis 2006 il y a une montée en puissance des mouvements citoyens qui est indéniable. Au Gabon, qui aurait cru que l’archétype du gouvernement “françafricain” aurait pu vaciller comme ça aussi fortement ? Qui aurait pu croire qu’au Tchad, Idriss Déby allait devoir enfermer ses opposants de la société civile les plus importants pour réussir son coup de force électoral ? Pour nous il y a des avancées, même si bien sûr ce n’est pas linéaire.

Quelles sont les situations qui vous inquiètent le plus aujourd’hui ?

Il y a inquiétude et importance, ce sont deux choses différentes. Clairement, le Burundi est dans une situation qui nous effraie. La FIDH (Fédération internationale des droits de l’homme), qui est membre de notre réseau, a tiré la sonnette d’alarme avec un rapport sur les dynamiques génocidaires à la tête de l’Etat. Les membres de notre campagne travaillent en exil depuis Kigali, ils ne peuvent plus travailler sur place. Cela montre la dureté du régime. En termes d’inquiétude il y a bien sûr le Tchad où Idriss Déby fait face à une grogne sociale. On connaît sa capacité à décapiter la société civile en emprisonnant ses opposants, voire en passant parfois à l’acte. Et puis le Cameroun qui depuis quelques semaines montre qu’on n’est pas seulement dans une dictature “soft” comme on a tendance à présenter le régime de Paul Biya, et où quand il s’agit de réprimer, Biya est aussi doué malheureusement que ses collègues de Brazzaville ou de N'Djamena. Après, en termes d’importance politique, il y a deux pays qui vont être au cœur de notre travail dans les deux prochaines années. C’est la RDC bien sûr parce que c’est un pays continent et décisif. Nous croyons à l’effet domino en Afrique Centrale. Lorsqu'il y en a un qui aura basculé, ça fera un précédent. On espère que Kabila partira dans un climat apaisé et avec un vote respecté. L’autre c’est le Cameroun en 2018, il va y avoir toutes les élections locales et présidentielles, on sent bien qu’il y a une tension sociale qui est énorme et qu’on est face à un régime à bout de souffle.

Le risque de votre discours n’est-il pas d’entretenir une confusion entre mouvement de la société civile et opposition ?

On a toujours été très clair. Il n’y a aucun mouvement politique dans notre organisation. On est opposé à des dictatures, c’est certain, mais nous ne sommes pas des opposants politiques. C’est complètement différent. On ne peut pas nous accuser d'être complaisant à l’égard de quelconque opposant que ce soit. Si je prends le cas de Jean Ping au Gabon, notre position, qui est incarnée par Marc Ona Essangui sur place, est très claire. Aujourd’hui, Jean Ping est le président élu dans les urnes aux dernières élections comme le montrent les rapports de l’Union Européenne. Néanmoins, si demain il arrive au pouvoir et qu’il fait les mêmes choses qu’Ali Bongo – et on a des craintes potentielles vu d’où il vient – il nous trouvera sur son chemin.

Pendant la Coupe d’Afrique des Nations, vous avez appelé au boycott de la compétition au Gabon. Dans un de vos communiqués, il y a même eu pendant un moment un appel au sabotage. Ce type d’actions font-elles partie de votre registre ?

Il y a eu véritablement un couac, ça arrive dans un mouvement de la société civile qui réunit 200 associations. Nous, on était contre le sabotage. Cela a été ajouté par une association qui a cosigné l’article. On n’a pas été assez ferme dans la relecture. Nous étions vraiment sur du boycott. Sabotage ça fait penser à des attaques armées, il n’a jamais été question de cela. On est pacifique, on est non-violent. Toutes les formes de non-violence, et il y en a des centaines, sont dans notre répertoire d’actions. On n’appellera jamais à la violence, au contraire. S’engager sur le chemin de la violence par rapport à des régimes dictatoriaux, c’est forcément perdre, c’est là où ils sont les plus forts.

Un certain nombre de ces pays ont des liens avec la France. Quel bilan tirez-vous du quinquennat finissant de François Hollande ?

C’est un bilan assez décevant, il faut le dire. Il y avait ce moment important en 2015-2016 avec une ligne rouge infranchissable qui était la question du tripatouillage constitutionnel à des fins personnelles. C’était quelque chose d’indéfendable pour nous. On attendait que François Hollande soit ferme sur ces questions. Il ne l’a pas été, notamment sur le Congo-Brazzaville. On ne l’a pas entendu sur le Tchad malgré une élection non transparente. C’est une déception. Si on compare à ce qui s’est passé avant, on est sorti du schéma classique de la Françafrique de Papa qui était quand même encore assez présent avec Nicolas Sarkozy.

Néanmoins, on aurait attendu – un peu comme les Etats-Unis ont pu le faire parfois de manière cynique – un discours très clair sur les droits humains. Ça n’a pas été le cas. Il y a un problème d’alignement de la politique africaine sur la politique de défense de la France. Jean-Yves Le Drian (ministre de la Défense) a eu beaucoup plus d’influence que les ministres des Affaires étrangères Laurent Fabius ou Jean-Marc Ayrault. Quand on voit le Tchad d’Idriss Déby c’est vraiment l’exemple type de l’échec de la politique africaine de la France. Un dictateur qui était dans une situation délicate aussi bien socialement que politiquement ressort du mandat de François Hollande renforcé, considéré comme le grand défenseur de la stabilité de l’Afrique. Et le premier ministre Bernard Cazeneuve pour son premier voyage à l'étranger lui rend visite…

Sur le Gabon, la position française ne vous a pas semblé plus équilibrée ?

On a cru à un moment donné qu’il allait y avoir une vraie inflexion sur le Gabon. Et puis il y a eu un rétropédalage assez clair, matérialisé par la visite de Manuel Valls au Togo, où endossant la casquette de présidentiable, il dit qu’Ali Bongo est le président en place et un interlocuteur légitime. Cette inflexion aurait dû être contestée par le président de la République. Ça n’a pas été le cas, cela montre que bon an mal an on s'accommode de cette position.

La coordination de votre campagne a lieu depuis Paris. Ne risquez-vous pas un procès en néocolonialisme ?

C’est souvent l’argument préféré des dictateurs aux abois, ces mêmes dictateurs qui au quotidien bradent leur indépendance et leur souveraineté à des entreprises. Donc ça nous fait un peu rire jaune. Pourquoi Tournons la page a une coordination en France ? Premièrement parce qu’ici on a la liberté d’expression et la possibilité de parler en toute tranquillité. Et les moyens financiers aussi pour faire avancer ces mouvements citoyens qui ont des conditions économiques fragiles en situation dictatoriale. On est la caisse de résonance de ce qui se passe en Afrique.

Avec ces dirigeants qui s'accrochent au pouvoir depuis tant d'années, ne craignez-vous pas une lassitude du grand public sur ce type de sujets ?

Il n’y a pas de lassitude du public africain quand il entend les mouvements citoyens se battre. Un sondage vaut ce qu’il vaut mais en RDC, une enquête lancée par Freedom House montre que 80 % des Congolais veulent voir Kabila partir et une transition se mettre en place. La lassitude au niveau africain n’est pas là. C’est un mauvais procès. Sur la France et l’Europe, c’est vrai. Mais il faut avoir en tête que l’avenir démocratique et politique de l’Afrique ne concerne pas simplement l’Afrique. Si on veut comprendre les vagues migratoires massives depuis l'Erythrée ou le Soudan, il faut regarder les régimes politiques qui y sévissent. Pour comprendre la résurgence du terrorisme dans la bande sahélienne et autour du Lac Tchad, il faut aussi regarder la situation de ces jeunes qui voient depuis des décennies le même pouvoir leur voler leur avenir politique. L’avenir de l’Europe est lié à celui de l’Afrique.


Propos recueillis par Adrien de Calan

 

L’état des démocraties en Afrique : mi-figue, mi-raisin

En ce début d’année 2017, que peut-on dire globalement de la situation démocratique des États africains? Alors que certains pays consolident bon an mal an les acquis démocratiques obtenus souvent de haute lutte et au prix de moult sacrifices, d’autres n’arrivent pas encore à se défaire des relents encore bien vivaces et prégnants de l’autoritarisme. Alors qu’on assiste à des passations de pouvoir pacifiques et des alternances démocratiques dans certains pays, on a encore affaire à des dirigeants qui, avec leurs affidés et sinistres thuriféraires pas assez repus des ors de la République et autres avantages dantesques, s’emploient à user des procédés retors pour prolonger indûment leur bail à la tête de l’État. Preuve s’il en est que la hantise du pouvoir demeure un tropisme vivace dans le chef de bien d’autorités politiques en Afrique. Précisons déjà que nous ne mesurons pas la bonne santé démocratique des pays africains à l’aune de la seule tenue d’élections libres et transparentes dans ces pays. Ce serait là une conception fort minimaliste et subjective de la démocratie.

Les bons élèves de la démocratie en Afrique

Le Ghana et le Bénin ont connu l’année dernière des élections apaisées et une alternance démocratique pacifique au sommet de l’État. Dans ces deux pays, le pluralisme politique est perçu comme une force et n’est pas étouffé. Les syndicats sont bien organisés, et constituent un moyen de pression vis-à-vis du gouvernement. C’est également le Bénin qui organisa la première conférence nationale sur le continent en 1990. Il est  aussi le pionnier dans l’établissement  d’une commission électorale nationale autonome. Le mérite du Bénin est qu’il n’est pas resté sclérosé dans une sorte d’exaltation de ce rôle historique de précurseur démocratique mais comme le souligne à juste titre l’analyste Constantin Somé dans son mémoire de maîtrise : «Le Bénin s'illustre par sa capacité d'innovation dans un souci d'équité et de transparence, signe de progrès refusant l'usurpation du pouvoir par tout groupe ou toute faction qui n'émanerait pas d'un choix du corps électoral. C'est pourquoi il a été mis sur pied «un arbitre» chargé des consultations électorales, qui revendique toute son autonomie et son indépendance.  Il semble cultiver le pacifisme par une gestion de plus en plus saine des compétitions électorales à travers une institutionnalisation progressive des organes chargés de réguler les élections et surtout leur indépendance vis à vis du gouvernement, du parlement et des pouvoirs publics ».[1]

En ce qui concerne le Ghana, il occupe la deuxième place en Afrique après la Namibie et la 26ème au niveau mondial du classement 2016 de Reporters Sans Frontières (RSF) sur la liberté de la presse.[2] Cette place de choix dans ce classement international traduit le souci constant de garantir à la presse ses prérogatives d’indépendance éditoriale et de liberté de ton et d’opinion. Sur le plan politique, le vote populaire est respecté et les perdants acceptent leur défaite. Lors de la présidentielle de 2012, la Cour Constitutionnelle avait déclaré Dramani Mahama vainqueur face à Akuffo Addo, après recours de ce dernier devant ladite cour. Face à ce verdict, il avait reconnu sa défaite et appelé Mahama pour le féliciter. En 2016, le président sortant Mahama a été battu lors des élections par Akuffo-Addo et a reconnu aussitôt sa défaite. Tout ceci porte à croire que la démocratie ghanéenne se consolide inéluctablement.   `

Toujours en Afrique de l’ouest, le Sénégal est également avant-gardiste en matière de démocratie sur notre continent. Même si ce pays a connu des épisodes ponctuels de « crise », il a toujours su se ressaisir. La longue et solide tradition de militantisme dans les sphères politique, associative et syndicale (Ex : Collectif Y’EN A MARRE, Raddho, Forum Civil ainsi que d’autres organisations de la société civile et des partis politiques alertes et engagés) constitue un garde-fou non-négligeable contre les velléités autoritaires et anti-démocratiques.  La défaite du président Wade contre son adversaire Macky Sall en 2012, le référendum constitutionnel organisé par ce dernier en 2016 sont illustratifs de la bonne santé démocratique de ce pays et de la volonté de ses citoyens et dirigeants de préserver l’ethos démocratique sénégalais. Les États insulaires que sont le Cap-Vert et Maurice méritent aussi d’être évoqués comme des démocraties exemplaires sur le continent. Ces pays connaissent une stabilité politique qui est notamment le fruit d’une institutionnalisation et du respect des règles et pratiques démocratiques qui encadrent aussi bien l’action publique que la sphère privée.

Pour ce qui est de l’Afrique du Sud, c’est une démocratie qui fonctionne aussi bien en général.. On peut porter au crédit de cette nation et contrairement à beaucoup de pays sous nos tropiques que le pouvoir judiciaire est quand même indépendant de l’exécutif. Pour preuve, on peut citer les démêlés judiciaires du président Zuma empêtré dans des scandales de corruption et d’abus de pouvoir. On a tous en mémoire les rapports de l’ex-médiatrice de la République Thuli Madonsela qui a révélé en toute indépendance- même si elle a ensuite subi des pressions politiques- le « Nkandlagate » qui réfère à la rénovation d’une résidence privée du président avec l’argent public et aussi l’affaire concernant l’étroite collusion entre Zuma et la richissime famille Gupta. Même si les assassinats ciblés sont encore légion dans ce pays, on peut quand même voir que sur le terrain institutionnel, la liberté de parole est garantie et respectée, comme en témoignent les sévères récriminations des députés de l’EFF (Economic freedom fighters) de Julius Malema lors des sessions parlementaires en présence même du président Zuma.

Sao Tomé et Principe est aussi un modèle démocratique en Afrique. Même si ce petit pays, peu stratégique du point de vue géopolitique et économique suscite peu d’intérêt pour les observateurs et analystes internationaux, il reste que les fondamentaux de la démocratie y sont établis et valorisés. La même analyse peut être faite pour la Tanzanie.

Selon un classement de Reporters Sans Frontières (RSF) de 2014 sur la liberté de la presse, la Namibie est le seul pays d’Afrique à obtenir un score peu ou prou comparable aux pays scandinaves, en étant mieux notée (19ème  à l’échelle mondiale) que la France (37ème) et bien d’autres pays du Vieux Continent. Il est également le premier pays africain à organiser des élections présidentielles et législatives par vote électronique en Novembre 2014.

Le Botswana jouit également d’une assez bonne réputation en matière de démocratie. Ce pays organise des élections libres et transparentes de façon régulière, présente aussi un tableau plutôt reluisant en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption même si on ne peut pas ignorer les mesures coercitives et répressives prises à l’encontre de la minorité San, aussi appelée Bushmen. 

En Afrique du Nord, la Tunisie essaie de se démarquer de ses voisins. Elle s’est dotée d’une constitution progressiste et a organisé en 2014 des élections libres et transparentes. L’activisme de certaines organisations syndicales ou de la société civile telles que l’UGTT (Union générale tunisienne du travail) et la ligue des droits de l’Homme en Tunisie (LTDH) a été sans contredit d’un apport capital dans ce sursaut démocratique.

Les régimes réfractaires à l’implantation durable des principes démocratiques

À côté de ces pays-à propos desquels, faut-il le rappeler on ne prétend aucunement une quelconque exhaustivité ni situation démocratique idyllique-qui présentent un profil démocratique assez remarquable, s’opposent des pays qui restent toujours prisonniers de régimes autoritaires ou peu démocratiques. En Afrique, nombreux sont les régimes qui instaurent des démocraties « cosmétiques » ou de façade. Nombreux sont les régimes qui feignent de s’enticher des fondamentaux de la démocratie comme le multipartisme, les élections libres et transparentes, un État de droit, une loi fondamentale, alors même que la gestion de leurs pays reflète nettement un pouvoir arbitraire, autocratique et/ou corrompu, c’est selon. L’Afrique des grands lacs (Ouganda, RDC, Rwanda et Burundi) et des pays comme l’Erythrée, la Gambie, le Zimbabwe, le Soudan, Djibouti, l’Ethiopie, l’Egypte, pour ne citer que ces quelques pays parmi bien d’autres sont encore loin d’avoir atteint les standards souhaitables ou escomptés d’une démocratie, pour parler en termes euphémiques. Il est évident que la situation démocratique de ces pays n’est pas tout à fait homogène. Certains de ces pays sont dirigés par des régimes tyranniques et jusqu’au-boutistes, frontalement réfractaires aux ambitions démocratiques des populations, alors que dans d’autres, malgré des lacunes démocratiques importantes, certains principes démocratiques de base sont relativement- parfois au gré des humeurs du régime- bien promus et appliqués.

Les populations africaines et notamment la jeunesse ont ardemment soif de démocratie pour exprimer librement leurs potentialités. Elles ne veulent plus que celles-ci soient étouffées par des dérives autoritaires surannées. Récemment, on a vu comment le régime de Yahya Jammeh en Gambie a tenté d’effectuer un coup de force illégitime pour demeurer au pouvoir malgré sa défaite. Cette mégalomanie de trop n’a fort heureusement connu que le destin qu’elle méritait : un échec. L’Union africaine ainsi que les organisations subrégionales se doivent de jouer un rôle actif pour enrayer les dynamiques autoritaires. Le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays, braillé à tue-tête surtout par les despotes et leurs irréductibles ne saurait résoudre ces organisations du continent à de l’attentisme pendant que des populations se voient arracher injustement leur humanité et dignité. Vivement que la démocratie africaine renaisse de ses cendres et s’engage résolument vers le progrès!

                                                                                                                                                                                       Thierry SANTIME

 

                                                                                            

 

 

 

 

 

 

 


[1] Somé, Constantin (2009, pp.31-32) : « Pluralisme socio-ethnique et démocratie : cas du Bénin ». Mémoire en vue de l’obtention d’une maîtrise en science politique à l’Université du Québec à Montréal.

 

 

 

 

 

 

[2] Classement RSF : https://rsf.org/fr/classement

 

 

 

 

 

 

L’Etat de droit a-t-il régressé en 2016 ?

L’Afrique a connu une année 2016 mouvementée sur le plan politique. Entre l’organisation de plusieurs scrutins électoraux et la lutte contre le terrorisme, la solidité des institutions des pays concernés a été testée. L’état de droit a-t-il été impacté par ces différents évènements ? En fonction des situations prévalant dans chaque pays, le sort réservé aux droits humains et au respect de la constitution n’a pas été le même. Le rapport annuel de Human Right Watch (HRW) nous donne des éléments intéressants à analyser.

Le Burundi et l’enlisement de la crise.

Au Burundi, la crise politique, qui a débuté en 2015 suite au refus du président sortant Pierre Nkurunziza de ne pas briguer un nouveau mandat, s’est poursuivie en 2016. A la suite de sa réélection, des affrontements meurtriers se sont déroulés entre les partisans de l’opposition et les forces de sécurité soutenues par des regroupements de jeunes proches du pouvoir en place.

Le régime en place n’a pas hésité à instrumentaliser les voies de droit afin d’arrêter le maximum de partisans de l’opposition. Plusieurs procédures judiciaires ont été enclenchées sur la base d’éléments peu fiables. D’autres procédures ouvertes contre les forces de l’ordre ou les agents de renseignement proches du pouvoir, ont été bafouées ou biaisées afin de disculper les éventuels responsables.

Selon le rapport annuel de HRW, plus de 325000 burundais ont fui le pays vers les pays voisins depuis le début de la crise.

La situation dans ce pays de l’Afrique de l’est est de plus en plus inquiétante. Ces dernières semaines, des propos flirtant avec des intentions génocidaires, émanant d’éminentes personnalités du pouvoir ont ramené le pays à la tragique nostalgie des heures les plus sombres qu’a connues cette région en 1994.

Le Nigéria, entre justice et lutte contre le terrorisme

Le Nigéria est loué par l’ONG HRW pour sa société civile et ses médias puissants et influents, qui jouent un rôle majeur dans la responsabilisation de la fonction publique du pays face au cancer qu’est la corruption. Cependant, HRW dénonce la rédaction de certains projets de loi qui pourraient porter un frein à l’activité des organismes de la société civile ; ces dernières constituant une menace pour le gouvernement. C’est le cas par exemple du projet de loi (. Bill to Prohibit Frivolous Petitions and Other Matters Connected Therewith .) introduit au Sénat en décembre 2015  et qui vise spécifiquement les utilisateurs des réseaux sociaux et médias électroniques.

Sur le plan sécuritaire, un rapport des autorités dénonce la recrudescence des exécutions arbitraires commises par les forces de sécurité. Une commission publique instituée par le gouvernement a, par exemple, demandé que les soldats responsables du meurtre de plus de 300 membres du mouvement islamique du Nigéria dans l’Etat de Kaduna soient déférés devant la justice. La lutte contre le terrorisme islamiste incarnée par la secte Boko Haram est la principale raison de l’utilisation de plus en plus importante de moyens illégaux par les forces de sécurité. Le gouvernement pourrait-il dans ce contexte enclencher un combat judiciaire à l’encontre de ces hommes et femmes en uniforme, censés affaiblir Boko Haram ? Avoir de l’optimisme pour la poursuite objective de ces enquêtes, relèverait d’une relative naïveté.

La RDC et son président « sortant par intérim »

Le mandat constitutionnel du président Kabila est arrivé à terme le 16 décembre 2016 sans que son remplaçant ne soit connu, faute d’organisation d’élections présidentielles. Le président sortant s’est donc maintenu au pouvoir malgré l’opposition de la majeure partie de la classe politique. Des affrontements ont eu lieu entre les forces de l’ordre et de jeunes congolais demandant le départ du président Kabila. Mais pouvait-il réellement partir ?

L’opposant historique Etienne Tshisekedi avait appelé les populations à une « résistance pacifique » sans pour autant expliquer ce qu’il voulait dire en ces termes. Un accord a finalement été conclu après d’âpres négociations entre le pouvoir et l’opposition sous la supervision du clergé catholique. Les acteurs se sont mis d’accord sur un certain nombre de points clés. D’autres points, bien que faisant partie de l’accord, posent toujours problème. C’est le cas de la date des échéances électorales que l’opposition voudrait organiser au plus tôt. Au niveau de la mouvance présidentielle, on persiste à dire que des élections libres et transparentes ne peuvent être organisées avant 2018. Nous ne sommes donc pas à l’abri de nouveaux rebondissements.

Le clergé catholique a quand même le mérite d’avoir pu réunir la classe politique autour de la table avec, à la clé, une solution à l’impasse juridique et constitutionnelle causée par la non tenue des élections. Malgré ses lacunes, l’accord trouvé sous l’égide des hommes de Dieu a permis une certaine décrispation de la situation dans le pays.

La Cote d’Ivoire et le Ghana, des exemples d’avancées démocratiques

D’après le rapport de l’ONG américaine, l’impressionnant redressement économique de la Cote d’Ivoire – qui a connu plus de dix ans de conflit armé –  a favorisé « une amélioration progressive de l’état de droit et de la réalisation des droits économiques et sociaux ».

L’événement symbolique de cette avancée reste sans ambages l’adoption d’une nouvelle constitution et le passage à la 3ème République. Cette nouvelle constitution, bien que critiquée par l’ONG pour sa vocation « hyper présidentielle », a supprimé la fameuse disposition relative à la nationalité. Disposition de la discorde qui a porté les germes des dix années de conflits ayant secoué ce pays.

Cependant, ces derniers jours, des mutineries d’une partie des corps habillés ont mis sur la scène publique l’une des faiblesses institutionnelles du pays. Il s’agit de la place réservée au pouvoir militaire dans la structure institutionnelle. Cette mutinerie pose un problème plus général en Afrique qui est celui du pouvoir effectif des forces armées dans nos institutions ; sujet traité par l’Afrique Des Idées au cours de l’année écoulée.

Enfin, la dernière élection présidentielle au Ghana a abouti à une alternance. Le président sortant John Mahama a été battu par l’historique opposant au NDC[1] ( National democratic congress), le chef du New Patriotic Party( NPP), Nana Akufo Addo. Ces élections, qui se sont déroulées dans la plus grande transparence, ont démontré encore une fois la solidité institutionnelle de ce pays. Le Ghana se hisse de plus en plus dans la lignée des grandes nations africaines réussissant l’épreuve de la sempiternelle équation de l’alternance pacifique en Afrique.

                                                                                                                                   Giani GNASSOUNOU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Le parti du président sortant John Mahama qui avait lui-même succédé à John Attah Mills après son décès.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Afrique centrale a-t-elle un problème avec la démocratie ?

Internet coupé, écemac-chefs_0lections contestées et violences ; la présidentielle du 27 août au Gabon a de tristes airs de déjà-vu. Comme si se rejouait cinq mois plus tard la mauvaise pièce du Congo voisin, à Brazzaville, où le président Sassou Nguesso a été lui aussi réélu dans des conditions controversées, après un scrutin du 20 mars peu crédible de l’aveu de l’Union Européenne et entaché “d’irrégularités généralisées” selon les Etats-Unis.

Le vent des alternances qui souffle en Afrique de l’Ouest, du Burkina au Bénin, n’a donc pas atteint l’Afrique Centrale, protégée semble-t-il par un drôle de microclimat. Bien sûr la région n’a pas le monopole du pouvoir autoritaire et du trucage électoral et les pays qui la composent ont leurs dynamiques propres. Mais de la Guinée équatoriale d’Obiang Nguema au Congo de Sassou Nguesso, en passant par le Gabon d’Ali Bongo et le Cameroun de Paul Biya, les similitudes sont troublantes jusqu’à faire de l’Afrique centrale “le cœur des ténèbres de la démocratie”, selon Achille Mbembé ?

Filles et fils de

D’abord, le pouvoir reste une affaire de famille et de clan. Les “filles et fils de” sont vice-président (en Guinée équatoriale), députés (au Congo), responsable du secteur pétrolier (encore au Congo), ou encore président comme au Gabon où Ali a succédé à son père Omar Bongo en 2009.

La présidentielle gabonaise version 2016 est un cas d’école avec un duel entre le sortant Ali Bongo et son ex-beau-frère, Jean Ping, ancien mari de Pascaline Bongo et qui fut également plusieurs années ministre d’Etat, sous le règne de Bongo père. Avec pour compliquer le tout, des relations familiales parfois transfrontalières, comme entre le Congo et le Gabon où Omar Bongo, avait pour épouse Edith Sassou Nguesso, la fille du président congolais.

37 ans en Guinée équatoriale comme en Angola, 33 au Cameroun, 32 au Congo-Brazza, les chefs d’Etat se livrent en outre à un véritable concours de longévité au pouvoir. Sur ce point, il faut l’admettre l’Afrique centrale n’est pas seule. Songez à Yoweri Museveni en Ouganda (30 ans), Robert Mugabe au Zimbabwe (28 ans, si l’on ne compte pas ses années à la primature) et Omar el-Béchir au Soudan (27).

La classe politique et la société civile y sont aussi extrêmement fragmentées et fragilisées par la force centrifuge du chef de l’Etat et de ses richesses. Interrogé par l’Afrique des idées, le philosophe Achille Mbembe dénonce ainsi “des systèmes de chefferie, où on règne sur des captifs ou au mieux sur des clients” et “une captation des élites dans une économie du désir et de la parure”.

Rentes et corruption

Autre critère fondamental, la plupart de ces régimes fonctionnent grâce à l’exploitation des ressources naturelles, notamment pétrolières, avec une économie peu diversifiée et un système de rentes, favorable à la corruption et à la confiscation des richesses.

L’exploitation du pétrole est au cœur de l’économie du Gabon, du Congo-Brazzaville et de la Guinée équatoriale, déstabilisés d’ailleurs par la chute des cours ces derniers mois.

Et ce sont ces mêmes trois pays qui sont les premiers visés par la fameuse affaire des biens mal acquis où des ONG accusent des chefs d’Etat et leur entourage d’avoir détourné de l’argent public pour acquérir de luxueux biens privés.

“C’est une région où la corruption et la vilénie ont atteint des proportions transnationales, dans la mesure où ce sont des régimes soutenus par des forces économiques internationales et des acteurs politiques transcontinentaux”, déplore encore Achille Mbembe.

Enclavement et relations incestueuses

Malgré la présence de ces entreprises multinationales, l’intellectuel camerounais insiste sur le relatif isolement des populations d’Afrique Centrale, où “les pays sont les plus enclavés de la sous-région. En Afrique de l’Ouest, vous voyagez avec votre carte d’identité du Sénégal au Bénin. En Afrique Centrale, on ne peut pas circuler librement”. De quoi être à l’écart des dynamiques politiques et intellectuelles en cours sur le continent.

Dans la pratique, le Cameroun a bien été à l’initiative d’un passeport biométrique CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) en 2014 censé permettre de se déplacer d’un pays à l’autre sans visa, mais encore faut-il que les services d’immigration soient à la page.

La région reste en marge des grands carrefours de circulation du continent, avec un taux de bitumage des routes encore très faibles et pour ce qui est des lignes aériennes internationales, dans le cas de Libreville (Gabon) et Brazzaville (Congo), une polarisation vers l’ancienne puissance coloniale, la France. Pour ces deux pays, la question de la relation ambigüe avec la France tient encore une place centrale dans la vie politique, avec des nuances toutefois.

Au Gabon, la passation de pouvoir d’Omar à Ali Bongo en 2009, a amené une forme de rééquilibrage des relations et tourné en partie la page d’une “Françafrique” dont Omar Bongo était un des piliers. En contestant sa défaite, l’opposant Jean Ping en appelle à la France, en regrettant une forme de “non-assistance à peuple en danger”, comme si inévitablement, le rôle d’arbitre revenait à Paris.

Au Congo, Denis Sassou Nguesso, arrivé au pouvoir en 1979, reste lui un héritier de ces relations incestueuses franco-africaines où se mêlent diplomatie classique et réseaux d’influence parallèles. En témoigne l’embarras de l’Elysée au moment du référendum organisé dans le pays pour permettre au président de se représenter à un nouveau mandat.

Vers une recomposition politique ?

Faut-il pour autant résumer ces pays à des pétro-Etats dynastiques condamnés à échapper à la démocratie ? En se focalisant sur le scrutin présidentiel, le risque est de passer à côté des mouvements à l’œuvre au sein des différentes sociétés.

Malgré la crise gabonaise, un historien comme Jean-Pierre Bat soutient qu’une recomposition politique est bien en cours dans le pays depuis 2009. L’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo coïncide selon lui avec une série de ruptures sur le plan diplomatique mais aussi intérieur avec une fragmentation du clan Bongo et de l’autre côté une opposition mieux organisée qui est parvenue à s’accorder sur une candidature unique en la personne de Jean Ping.

A Libreville, si certains médias gabonais ont été attaqués ou incendiés pendant la crise, les journalistes étrangers sur place ont plutôt reconnu qu’ils pouvaient quant à eux travailler sans difficulté et “couvrir les violences de façon libre”. 

“Ce qui me surprend le plus au Gabon, c’est la permissivité dont les forces de sécurité font preuve à mon égard. Savoir jusqu’où l’on peut faire son travail de journaliste sans être inquiété est souvent un bon baromètre du degré de démocratie dans un pays”, raconte ainsi le photographe de l’Agence France Presse (AFP) Marco Longari.

A l’inverse, au Congo-Brazzaville, les trois journalistes du quotidien Le Monde et de l’AFP qui s’étaient risqués à interroger le principal candidat de l’opposition, Jean-Marie Michel Mokoko, après la présidentielle, avaient aussitôt été agressés et dépouillés de leur matériel par des hommes se présentant comme des policiers.

Au Cameroun, au-delà de la longévité au pouvoir de Paul Biya, on pourrait souligner la plus grande diversification de l’économie ou les progrès faits en matière agricole.

Il faut aussi mettre en évidence l’ébullition politique et sociale dans les rues, avec la manifestation inédite d’octobre 2015 à Brazzaville, où les événements de 19 et 20 septembre à Kinshasa, dans la RDC voisine, réprimés par le pouvoir en place.

Il n’en reste pas moins que l’Afrique Centrale reste orpheline des changements politiques majeurs qui ont en partie changé la donne sur le continent ces derniers mois. “Cela prendra un moment, il faut qu’une dynamique s’enclenche”, analyse Achille Mbembe. “S’il y avait eu alternance au Gabon, cela aurait eu des répercussions inéluctables sur l’ensemble de la sous-région”, conclut-il.

                                                                                                          Adrien de Calan

Partis politiques au Bénin : opposer le débat du développement au regroupement des partis sur des bases idéologiques

JPG_PartisBenin08061-La classe politique béninoise effectue depuis quelques temps un plaidoyer en faveur des réformes qui regrouperaient la pléthore de partis politiques sur une base idéologique au Bénin. Pourtant, la légitimité des idéologies politiques dans notre système démocratique est radicalement balayée par l’urgence des défis du développement auquel le Bénin est confronté. Le regroupement des partis politiques ne pourra pas se faire sur des bases idéologiques. Pour cause, ces partis politiques n’ont jamais présenté des divisions idéologiques depuis que le Bénin a négocié son ticket démocratique en 1990. D’ailleurs, il y a fort à parier qu’il n’y aura aucune division idéologique fondamentale pendant les trente prochaines années à venir. Pourquoi donc s’attarder à inventer des différences qui n’existent pas pour l’instant ? La réelle clé de voûte du système politique béninois se trouve à la surface du principe cardinal qui motive la création de tout parti politique. Il existe une réelle opportunité d’induire un meilleur rendement des valeurs démocratiques du Bénin en précisant le mode de contribution de ces partis au débat du développement.

Six professeurs du même collège

Que nous disent les principaux partis politiques qui ont marqué les 25 premières années de la démocratie béninoise ? Par critère de légitimité et de participation aux temps forts de la vie démocratique, les plus grandes formations politiques ont sans doute été la Renaissance du Bénin (RB), l’Union pour le Bénin du Futur (UBF), le Parti du Renouveau Démocratique (PRD), le Parti Social Démocrate (PSD), les Forces Cauris pour un Bénin Emergent (FCBE), l’Union pour la Nation (UN). A la lumière de leur idéologie (en formulant l’hypothèse que chacun des partis en possède), il y a en effet très peu à apprendre sur leur différence.

De façon conceptuelle, la formation d’un parti politique est motivée par l’existence d’intérêts contraires à celui d’un courant en vogue. Ainsi, il est facile de comprendre l’émergence aux Etats-Unis d’une classe républicaine plus conservatrice que le courant démocrate ou encore le système populaire de la gauche et de la droite qui existe dans bon nombre de pays occidentaux. Les questions essentielles de politiques sociales et fiscales, des limites de la responsabilité du gouvernement par rapport au citoyen ou encore celle des politiques étrangères créent des divisions fondamentales au sein de ces démocraties.

Au Bénin par contre, les partis politiques sont créés dans l’unique but de la conquête du pouvoir. L’intérêt présenté dans ces partis est par conséquent de nature purement personnelle, c’est-à-dire totalement connectée aux ambitions égoïstes des hommes politiques qui se regroupent pour les créer. Il n’est donc pas étonnant d’assister à la dislocation quasi mécanique de ces partis après leur échec à une élection majeure.

Le problème réel dans un paysage politique aussi désorganisé est la déconnection totale de ces partis de l’objet de leur création, c’est-à-dire leur contribution au développement de la nation à travers la formulation de propositions concrètes. Il est cependant possible d’y remédier avec une bonne dose de bon sens.

Un socle d’actions programmatiques

A l’évidence, le Bénin a clairement embrassé un système politique ‘’ social-démocrate ‘’ après l’échec du marxisme léninisme en 1989. Aujourd’hui encore, la centaine de partis politiques en existence (et/ou enterrés) reflète inévitablement cette philosophie unique avec des accents plus ou moins prononcés sur le discours de l’unité nationale. L’unicité idéologique est en effet particulièrement ostentatoire sur les plans économique, politique, social et même culturel.

Sur le plan socio-économique, il s’agit notamment d’adresser le problème du sous-emploi des jeunes et de réduire la pauvreté qui touche toujours plus du tiers de la population depuis 1990. Sur le plan politique, la position stratégique du Bénin lui exige de se rendre beaucoup plus actif dans le processus d’intégration régionale afin d’étendre de façon significative sa liberté politico-économique. La conservation et la promotion des valeurs culturelles ne créent pas non plus de désaccord. Le défi à relever est plutôt celui du mainstreaming des différentes priorités socio-politiques et économiques dans des plans quinquennaux (périodicité actuelle des mandats présidentiels au Bénin) de développement.

Systématiser la contribution des partis au débat du développement

En réalité, le travail programmatique a déjà été largement effectué afin d’orienter les pays en voie de développement tels que le Bénin. Il existe bon nombre de cadres stratégiques qui définissent clairement la voie à suivre aussi bien sur les plans institutionnels qu’au niveau des stratégies-pays. Les cadres les plus importants sont sans doute les 17 objectifs de développement durables et les 5 axes du plan stratégique communautaire de la CEDEAO. Ces cadres doivent systématiquement constituer des leviers d’actions au Bénin et des bases de spéculation pour les partis politiques.

A l’heure actuelle, il s’agit d’user d’outils législatifs et institutionnels pour astreindre de façon catégorique les partis politiques à se servir de ces cadres pour proposer des plans d’actions minutieusement élaborés. Ainsi, avant les échéances électorales, leurs projets de société ou plans d’actions devraient par conséquent détailler leurs mesures opérationnelles d’atteinte de résultats et de mobilisation de ressources. Ces partis devront développer de véritables budgets pro-formats pour convaincre les électeurs du coût d’opportunité que ces derniers encourraient en optant pour des alternatives proposées par d’autres partis.

Après les élections, la conduite systématique de ces exercices prédisposera les partis politiques et leurs parlementaires à devenir plus incisifs sur les questions de reddition de comptes et de contrôle de l’action gouvernementale parce qu’ils disposeraient déjà de solides instruments de comparaison préalablement développés par leurs propres soins.

R. Alan Akakpo

Alan Akakpo est analyste de politique publique et responsable du projet IMANI Francophone-Benin. Les points de vue exprimés ne reflètent pas nécessairement ceux d’IMANI Center for Policy and Education

Conflits sociopolitiques et crises électorales en Afrique subsaharienne francophone

LCrises électorales’inscription des pays africains francophones dans un processus de consolidation démocratique témoigne des importants progrès accomplis ces dernières années sur cette voie. Cependant, comme l’illustre la récurrence des crises électorales, l’expérience demeure encore fragile. En effet, l’exacerbation des conflits sociopolitiques antérieurs aux élections lors de leur déroulement, conduit parfois à des irrégularités électorales ou des fraudes électorales. L’intensification des conflits sociopolitiques lors des élections présidentielles est donc l’une des principales causes des crises électorales dans certains pays d’Afrique subsaharienne francophone. La prévention des crises électorales, et surtout l’enracinement de la démocratie électorale, doivent, par conséquent, et en dépit de ces conflits sociopolitiques, s’appuyer sur une véritable culture démocratique parfois défaillante.  Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

Les défis du second (ou dernier?) mandat du président Condé

JPG_AlphaCondé090316« Le Président de la République est élu au suffrage universel direct. La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non ». Cet article 27 de la Constitution guinéenne en vigueur étant on ne peut plus clair, Alpha Condé, dont le second mandat a officiellement démarré le 21 décembre 2015, ne serait plus éligible au poste de président de son pays. Constitutionnellement donc, tout comme le chef d’État américain Barack Obama, Alpha Condé est à son dernier mandat. Mais entre ces deux chefs d’État, la similitude s’arrête là.

Car, si pour les Américains, il est hors de question qu’Obama prolonge son bail à la maison blanche au-delà de 2016, en revanche, pour le peuple de Guinée, toute la question reste encore à savoir sans l’ombre d’un doute si Condé serait secrètement tenté par une modification constitutionnelle qui lui permettrait, à l’image de son prédécesseur Lansana Conté en 2002, de briguer un troisième mandat.

À en croire certains opposants du régime Condé, tel que Lansana Kouyaté, leader du parti politique de l’espoir pour le développement national (PEDN), aucun doute ne devrait planer sur la volonté du chef de l’État guinéen à demeurer au pouvoir bien au-delà de 2020. « Je n’ai aucun doute, il aura cette tentation. C’est au peuple de réagir. Mais chez nous, vous connaissez l’effet de démonstration et du suivisme. Déjà, on a entendu deux voix qui clament qu’il faut lui accorder cela. C’est comme ça que ça commence. Après, les clairons vont sonner. Ensuite, on va distribuer l’argent. Tout le monde va rentrer en tranche pour réclamer un troisième mandat. Je crois que si cela est vrai, il faudra fermer la porte, jeter la clé et aller ailleurs », soutenait-il dans un entretien accordé à la radio privée Espace FM le 1er mars 2016.

Ceux qui connaissent l’histoire politique africaine le savent : à l’échelle continentale, les révisions constitutionnelles dans l’unique but de se maintenir au pouvoir ne sont certes pas une pratique nouvelle, mais elle devient de plus en plus récurrente chez les dirigeants africains. Les exemples les plus récents nous viennent du Burundais Pierre Nkurunziza, du Congolais Denis Sassou Nguesso ainsi que du Rwandais Paul Kagamé. Toutefois, dans le cas guinéen, force est d’admettre que, malgré ce que peuvent légitimement penser les uns et les autres, aucun indicateur fiable ne permet, pour le moment, de défendre une telle hypothèse. D’ailleurs, environ quatre mois sur une période de cinq ans, c’est largement insuffisant pour sonder les profondes ambitions politiques de Condé. Néanmoins, ses actions ou inactions, discours ou silences, durant les prochaines années, seront sans doute plus révélateurs.

En plus de cette problématique fondamentale, qui commence à cristalliser l’attention des Guinéens, le président guinéen sera confronté à six immenses défis durant son second mandat.

  1. Non seulement rendre l’eau potable accessible, mais aussi poursuivre le développement de la filière hydroélectrique afin que la fourniture de l’électricité au peuple s’améliore davantage. Il convient de noter qu’en Septembre 2015, le gouvernement guinéen a inauguré le barrage Kaléta qui est d’une capacité de 240 MW.
  2. Assurer la sécurité des biens et des personnes (les attaques à mains armées et coupures de route se multiplient dans le pays) et veiller à ce que justice soit rendue pour les victimes des odieux massacres et viols  du 28 Septembre au stade éponyme en 2009. Rappelons ici que, dans son rapport de 2015, l’ONG Human Rights Watch critiquait « l’insuffisance des progrès en matière de renforcement du système judiciaire et une corruption endémique » en Guinée.
  3. Tirer toutes les leçons de l’épidémie du virus Ébola, et s’atteler à la construction de centres hospitaliers de haute gamme (ou rénover les plus défectueux) ainsi que des logements sociaux accessibles à la majorité du peuple, et non pas que des résidences de luxe, telle que le Plaza Diamant, réservées à une minorité richissime.
  4. Accorder une attention particulière à la cohésion sociale entre les différentes communautés ethniques (peule, soussou, malinké, etc). L’identité et la solidarité nationales ne devraient pas reculer au profit des identités et solidarités ethniques. Au niveau du recrutement dans l’administration publique par exemple, l’origine ethnique des candidats ne devrait pas être plus décisive que leur niveau de compétences. Il y va non seulement de la qualité du service public mais aussi, in fine, de la crédibilité même de l’État.
  5. « Les caisses de l’État sont vides », avouait récemment le nouveau ministre guinéen chargé du budget Mohamed Diaré lors d’un séminaire gouvernemental. Cependant, en essayant de les renflouer (surtout pas en recourant une énième fois à la planche à billets), il ne faudrait aussi se fixer comme objectif la maitrise de l’inflation (1$ américain pour environ 8000 francs guinéens). Pour commencer, il faudrait d’abord renforcer les politiques de soutien à la croissance économique, et ensuite sonner le glas à la dépendance chronique au prix de la bauxite sur le marché mondial. Enfin, le gouvernement devrait, lui aussi, se serrer la ceinture, en réduisant notamment son budget de fonctionnement, voire en mettant en place un gouvernement plus resserré (31 ministres pour 12 millions d’habitants alors que, la première puissance européenne qu’est Allemagne fédérale, par exemple, n’en possède pas plus de 20 pour plus de 80 millions d’habitants).
  6. Last but not least : refondre la commission électorale nationale indépendante (CENI) qui, depuis sa création, n’a pas encore vraiment réussi à briller par ses compétences professionnelles, encore moins par son indépendance supposée. N’est-ce pas d’ailleurs ce qui fera dire à Frank Engel, chef de la mission d’observation électorale de l’union européenne, que l’organisation de l’élection présidentielle du 11 octobre 2015 était « lamentable » ?

Bien évidemment, que les défis auxquels le président Condé fait face soient immenses et diversifiés est indéniable. Mais que deux mandats consécutifs, totalisant une décennie, soient insuffisants pour les relever est contestable. Comparaison n’est certes pas raison, mais, en 2020, il serait pertinent de  comparer, par exemple, le bilan des deux mandats du président guinéen à celui d’Alassane Ouattara, lequel aura, lui aussi, effectué dix années ininterrompues à la tête de la Cote d’Ivoire. Par ailleurs, après deux essais manqués, Cellou Dalein Diallo, chef de file de l’opposition guinéenne et président de l’union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), parviendra-t-il à remplacer le président Condé en 2020 ? Et si ce dernier avait un dauphin caché, par exemple, en la personne de son haut représentant Sidya Touré ?

Dans tous les cas de figure, s’il cède démocratiquement le pouvoir au terme de ses deux mandats constitutionnels, Alpha Condé se sera nettement démarqué de ses prédécesseurs (Sékou Touré et Lansana Conté) qui, quant à eux, appartiennent à un club africain peu recommandé et recommandable : celui des présidents à vie.

Ousmane Diallo