Cela fait plus d'une semaine que j'ai terminé la lecture de Black sunlight, je devrais dire Soleil noir puisque c'est le titre en français de ce roman de Dambudzo Marechera. Cette traduction est parue en début d'été aux éditions Vents d'ailleurs. Ma lecture a été un peu longue. Faite comme un fractionné pour ceux qui préparent une épreuve de fond ou demi-fond. Avec des accélérations dans la lecture, puis des temps où je fus obligé de me poser pour suivre, comprendre les mots, les phrases, les développements de l'auteur zimbabwéen. Oui, c'est une lecture particulière, où le romancier dicte le tempo du lecteur, construit son discours en brisant le classicisme des pères de la littérature africaine.
Mais de quoi parle-t-on?
Le narrateur est le prisonnier d'un groupe militaire ou d'une milice quelque part en brousse ou dans une jungle. Entre les mains de chefs de guerre pas très commodes, assez rapidement, les errements de la pensée du prisonnier suspendu la tête en bas à une corde se détachent de ce lieu sordide pour évoquer des personnes, des lieux, une femme blanche, nommée Blanche sous une cascade prend un bain, Susan un esprit révolté à un point que le lecteur n'imagine même pas, sa femme Marie, aveugle de son état et bien d'autres personnages dont il est assez difficile de comprendre le positionnement en début de lecture. Cette première phase de la narration est aussi confuse que pourrait l'être le cerveau d'un prisonnier de guerre qui s'attend au pire.
Par bribes, certains personnages se précisent. Mais, si la pensée de notre photographe n'est pas linéaire. Certains sont déjà morts, mais vivent dans l'esprit du narrateur. On découvre petit à petit que dans ce pays en guerre, le narrateur fait partie d'une organisation terroriste, dans une brigade particulièrement violente. Marechera prend un réel plaisir a décrire un processus d'embrigadement et de conditionnement du narrateur, il se délecte d'un discours sur la violence et une volonté de faire exploser toute forme d'autorité et de normes. Ce qui le conduit à user du blasphème. Maréchera excelle dans la théâtralisation de son discours, par des images très fortes venant d'un esprit qu'on pourrait penser complètement destroy.
Le personnage narrateur, dont le métier de photographe lui apporte une certaine forme de recul sur les actions des personnages jusqu'au boutistes qui l'environnent, montre néanmoins la distance que le romancier peut poser. Il est important pour avoir une meilleure compréhension de ce texte de réaliser que ce livre publié en 1980 par Heinemman dans la fameuse collection "African writers" dirigée par James Currey, sort au moment de l'indépendance du Zimbabwé et de la fin de la Rhodésie. C'est une toile de fond qui explique quelque part le caractère insurrectionnel du discours de l'auteur. Le lecteur perçoit l'absence de repères des membres de Soleil noir et la folie attachée à leurs actions qui malheureusement trouve une source dans leurs parcours "barrés".
Allez, pour le plaisir du match anglophones vs francophones, le discours de la tigritude répondant à la négritude, alors que notre personnage est sous l'emprise du discours de Susan :
Mes mains auraient tremblé sur la volant si je ne m'y étais pas aggripés comme un apprenti conducteur.– Le « Tigre », « Tigre » de William Blake a une force lumineuse précisément parce qu'il réveille en nous, depuis le tréfonds, une force d'opposition plus terrible qui peut marteler ce tigre artificiel et en jaillir des myriades d'étincelles. Les sociétés aussi font le même effet; tout comme les nations; toutes ces grandes constructions. Elles peuvent être réduites à d'éphémères braises vite consumées. La vue même d'une chose vivante a un effet similaire. Fais-la éclater et écrase-la en grains de poussière livide.
Évangéliser le magma rouge qui bout en l'homme n'est pas mon but quand j'écris. D'ailleurs je n'ai aucun but. Je vois simplement les choses d'une certaine façon, juste comme vous, vous les voyez d'une autre façon. Je devrais être content ici. J'ai cette pièce. J'ai à boire à volonté. Et puis je vois soudain, et ça me paralyse, combien la création est stérile et auto-indulgente, parce qu'elle se nourrit continuellement d'elle-même; tantôt elle expose ses blessures en quatre dimensions, tantôt ellle rampe jusqu'à acquérir une majestueuse grandeur d'ou tout tire une signification particulière, tantôt elle retombe à nouveau dans des arguties aussi inutiles qu'un objet oublié en orbite autour du soleil.