Quelles perspectives pour les banques d’affaires en Afrique ?

Une banque d’investissement (ou d’affaires) est un prestataire de services rassemblant l'ensemble des activités de conseil, d'intermédiation et d'exécution sur des opérations dites de haut de bilan (introduction en Bourse, émission de dette, fusions/acquisitions, financement structuré). Ainsi comptent-t-elles parmi leurs clients entreprises, investisseurs et Etats. En tout contexte, le banquier d’investissement est donc le fidèle compagnon de l’entreprise et de l’Etat grâce à ses experts en ingénierie financière. Il joue donc un rôle de conseil plus que celui de prêteur. Cette notion de conseil est très importante puisque la priorité des Etats et entreprises réside non pas dans la simple allocation de nouvelles tranches de dettes mais dans la structuration de montages financiers lisibles et stratégiques, à même de créer de la valeur et du bien-être. Avec un marché des capitaux qui est en pleine structuration, le continent Africain a besoin de renforcer ses banques locales pour ne pas voir ce marché grandissant trusté par les banques internationales.

L’intensification de l’activité de conseil des banques en Afrique

Face à des secteurs en pleine consolidation, l’explosion des opérations de haut de bilan a intensifié l’activité de conseil des banques, en marge d’un profond changement économique sous-tendu par une croissance soutenue à 5%. L’économie Africaine a été tirée par une croissance sans précédent durant ces dix dernières années. Aujourd’hui, au moment même où l’économie américaine piétine et que l’Europe fait face aux grelots de la crise, l’Afrique continue d’attirer les investissements au vu des flux d’IDE qui ont été à peine ralenti par la crise de 2008. La croissance de l'Afrique subsaharienne devrait être plus rapide encore: 5,3% en 2012 et 5,4% en 2013, selon les prévisions de l'OCDE et des Nations Unies (dans l’édition 2012 des Perspectives Economiques en Afrique). Cette croissance est largement portée par les secteurs des télécommunications, de l’agro-alimentaire, de l’énergie et de la banque-assurance.

C’est ainsi que de nombreuses multinationales investissent leurs capitaux dans les fleurons de l’industrie africaine. Ainsi, en juillet 2010, le premier groupe de télécommunications japonais Nippon Telegraph and Telephone (NTT) annonçait le rachat de la société sud-africaine de services informatiques et de télécommunications Dimension Data créée en 1983 et cotée à la Bourse de Londres,  pour un montant total de 3 milliards de dollars. Cependant, la plus grande opération de fusion-acquisition à ce jour reste le rachat en 2010 des filiales Africaines du groupe de télécommunications koweïtien Zain par le premier opérateur indien Bharti Airtel, pour un montant de 10,7 milliards de dollars. La sensibilité de telles transactions et l’enjeu stratégique qui les entoure font qu’elles nécessitent des compétences techniques pointues.

Au cours des deux dernières décennies, la montée des places financières de Johannesburg, Casablanca ou Lagos a constitué un véritable coup d’accélérateur pour le secteur financier africain.  Durant les dix dernières années, le regain d’intérêt pour l’économie africaine s’est traduit par une multiplication des opérations de fusions-acquisitions et de financements structurés, tant de la part de sociétés multinationales que d’entreprises locales, motivées par les recherches de synergies. On a pu noter une polarisation des opérations les plus importantes dans les métropoles financières que sont Casablanca, Johannesburg, Le Caire et dans une moindre mesure Tunis et Lagos. En effet, ces métropoles financières de l’Afrique ont tiré profit du nombre croissant d’opérations de fusions-acquisitions et de l’exacerbation des besoins en capitaux de la part des entreprises et des Etats. Dans ce contexte d’accélération économique, le recours aux banques d’affaires s’en est trouvé plus important et leur  rôle plus gratifiant. Qu’il s’agisse d’emprunts obligataires internationaux ou de financements complexes d’infrastructures, les banques ne sont plus de simples créanciers mais les acteurs de montages financiers ingénieux, complexes, nécessaires.

Dans les coulisses des opérations de haut de bilan sur le continent Africain, on retrouve en tête de file les géants internationaux tels que Goldman Sachs, Morgan Stanley, Deutsche Bank, Rothschild…Selon Thomson Reuters, ces banques auraient réalisé plus de 300 millions de commissions en 2011, c'est-à-dire la grande majorité du marché total. Néanmoins, des acteurs locaux, spécialistes du continent, se sont déjà affirmés sur le marché à l’image de Renaissance Capital, BMCE Capital et Attijariwafa au Maroc, Standard Bank en Afrique du sud, ECOBANK Capital…Il faut aussi noter le nombre florissant de boutiques spécifiquement dédiées à l’Advisory : Linkstone Capital (créé par le financier Pape Diouf), Blackpearl Finance, etc. La différence notoire entre acteurs locaux et internationaux réside dans le fait que les seconds remportent la majorité des mandats d’opérations internationales, mieux rémunérés, grâce à leur crédibilité internationale.  

Le continent Africain, est ainsi devenu une terre d’opportunité pour les investisseurs, au grand profit des banquiers d’affaires. Les opérations financières transfrontalières ne s’opèrent que lorsque le marché fait état d’un dynamisme prometteur. Le secteur des télécommunications est un bon exemple de la corrélation entre le nombre de fusions transfrontalières et l’état du marché. Au moment où la crise des DOTCOM faisait entrer en récession l’industrie des télécommunications en Europe et en Asie, le continent voyait son taux de pénétration de la téléphonie mobile passer de 2 à 62 % (sources : GSMA 2011).  Grâce à son potentiel de consommateurs, les flux d’IDE (Investissements directs étrangers) ont à peine souffert de l’éclatement de la bulle Internet en 2000-2001 d’après la BAD (Banque Africaine de Développement) et l’OCDE dans leur rapport Perspectives Economiques en Afrique 2009. La décennie 2000-2010 a ainsi été marquée par de grandes opérations comme l’acquisition de la SONATEL (Société Nationale de Télécommunications au Sénégal) par Orange. L’augmentation du nombre de transactions fait de l’Afrique un marché intéressant pour les banques d’investissement.

Des banques au service des Etats africains

Par ailleurs, le recours aux émissions obligataires sur les marchés internationaux fait progressivement sa place dans les systèmes de gestion des finances publiques. En effet, les banques sont de plus en plus sollicitées par les Etats pour accéder à des marchés de capitaux toujours plus intenses et en pleine structuration. A titre d’exemple, Ecobank Capital annonce avoir conseillé pour l’équivalent de 2 milliards de dollars d’émission de dette en monnaie locale au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Togo. Enfin, les financements structurés, montages financiers à haute valeur ajoutée destinés à des projets particuliers, ont le vent en poupe face à un besoin croissant de financement mais également de produits innovants, afin de ne pas tomber dans le biais classique de ces types de financement : « gonfler la dette publique sans améliorer la situation des destinataires du service public » selon Arlette Tonye, spécialiste du droit des financements structurés, auteur de Pratique des financements structurés en Afrique. On peut d’ailleurs noter un décrochage de l’Afrique francophone par rapport à l’Afrique anglophone du fait d’un cadre juridique plus au fait des pratiques du métier, décrochage qui se généralise dans la pratique globale de l’Advisory.

Les banques d’investissement africaines devront installer un esprit de durabilité dans leurs opérations, en marge de la crise financière qui affecte l’Europe et l’Amérique. Comme on le sait maintenant, il n’y a pas de soutenabilité de la croissance sans une amélioration des institutions. Celles-ci devront tirer les leçons des crises bancaires qui ont affecté l’Europe et les USA afin de créer un cadre juridique propice à la durabilité des opérations et à même de contenir l’ « aléa moral ». Par exemple, l’Afrique sud, plus avancée sur la question, a approfondi le droit de la concurrence et des opérations financières si bien que l’acquisition de Masmart avait été inquiétée en 2010 pour vice de forme. Il faut donc souligner que l’intérêt manifeste d’avoir des banques d’investissement dynamiques ne doit pas nous faire tomber dans le biais d’un capitalisme effréné. La transition devra être assurée par les autorités de régulation et de transparence (équivalent de l’AMF en France) pour éviter de tomber dans le hasard moral.


A l’aune de la mondialisation, de grandes perspectives d’accélération se dessinent dans les années à venir et les Etats ainsi que les banques centrales africaines devront jouer un rôle plus important en termes de régulation. En Afrique subsaharienne, le monde des affaires comprend peu à peu l’importance d’être accompagnée de banques alignées sur les standards internationaux. Il incombe donc aux les Etats et les banques centrales de créer un écosystème d’affaires sain et attractif. Dès lors, la nécessité d’un environnement toujours plus transparent, de cadres légaux harmonisés et d’une image du banquier décorrellés de la corruption est d’autant plus importante. L’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) dont l’objectif est de faciliter les échanges et les investissements en Afrique à travers la sécurité juridique, a posé de premiers jalons à travers, par exemple, la rédaction du Unified Business Law for Africa, ensemble de recommandations destinées aux jurisprudences africaines utilisant le système du Commom Law.

Le nécessaire changement de perception du métier de banquier d’affaires

Une vision du banquier d’affaires en pleine évolution. Peu connues du grand public, les banques d’investissement ont toujours évolué à l’ombre des banques commerciales. L’absence manifeste d’acteurs Africains pendant très longtemps a favorisé le développement d’une perception réductrice des métiers de la banque, les cantonnant au simple statut de prêteur. Aujourd’hui, la médiatisation de grands « deals » tels que l’acquisition d’une prise de participation de 51% du géant de la distribution sud-africain par son homologue Walmart  pour 2,36 milliards de dollar  participe à mieux faire connaître le métier. En effet, la notion de  banquier-conseil qui demeurait assez méconnue devient plus plébiscitée et s’insère peu à peu dans l’écosystème immédiat de l’entreprise.  Dès lors, il devient impératif de vulgariser davantage l’image de la banque d’affaires non pas comme un simple intermédiaire commissionné mais comme un professionnel créatif et techniquement compétent.


Le défi des jeunes Africains : l’entrepreneuriat financier.  Comme cela a déjà été mentionné, on assiste aujourd’hui à une vague d’ouverture de boutiques d’Advisory et de Private Equity notamment dans les grandes places financières de Casablanca, Johannesburg ou encore Lagos. Cette dynamique devrait s’intensifier dans les centres actuels et se développer dans l’espace francophone subsaharien. Il est certes nécessaire que les instituts académiques africains intègrent davantage l’ingénierie juridique et financière dans leurs programmes (c’est déjà le cas au CESAG de Dakar, à l’ENSEA d’Abidjan ou encore à la toute récente African School of Economics basée à Cotonou). Néanmoins, les professionnels de la diaspora ont un rôle décisif à jouer. Leurs expériences acquises dans les plus belles banques d’affaires anglo-saxonnes, françaises ou asiatiques pourraient donner un élan décisif et une véritable crédibilité à l’industrie financière du continent. En effet, leur exposition aux réseaux internationaux alliée à leur sensibilité africaine leur permettrait de mettre en place des services financiers alignés sur les standards internationaux et adaptés à aux besoins de leurs clients. D’ailleurs, cette marche est déjà à l’œuvre. On peut la voir à travers l’exemple de Papa Madiaw Ndiaye, fondateur de l’AFIG (Advanced Finance & Investment Group), qui a cumulé plus d’une dizaine d’années de carrière chez Salomon Brother, JP Morgan et l’IFC (filiale de la Banque Mondiale) avant de créer l’un des fonds d’investissement les plus importants d’Afrique.


  Boubacar Benjamin DIARISSO  

L’efficacité du développement: l’action de la Banque Africaine de Développement

 

La banque africaine de développement (BAD) mesure régulièrement l’efficience de son action dans les pays auxquels elle vient en aide et a récemment publié un rapport sur les tendances du développement à l’échelle continentale.

Ainsi pour mesurer sa performance en tant qu’acteur socio-économique en Afrique, elle utilise une grille de critères relatifs aux axes clés du développement et de l’efficacité organisationnelle. Le niveau 1 mesure l’ensemble des progrès sur le plan du développement en Afrique, particulièrement dans 9 secteurs clés, notamment la croissance, la gouvernance, la prestation de services publics et le développement humain. Le second niveau évalue la contribution de la BAD dans le développement de l’Afrique en se focalisant toujours sur les 9 domaines. Le troisième niveau se veut une critique de la gestion des opérations menées par la BAD et enfin le quatrième niveau permet de juger son efficience en tant qu’organisation précisément à travers la gestion de ses opérations.

La BAD nous apprend ainsi qu’au-delà des discours afro-pessimistes qui font souvent monnaie-courante, l’Afrique a connu un développement économique conséquent durant la dernière décennie, en attestent les taux de croissance dépassant souvent le cap des 6%. La BAD attribue ces résultats à l’émergence des BRICS dont la demande en matières premières a redynamisé les exportations africaines. D’autre part, les gouvernements ont, bon an mal an, su recréer un cadre macroéconomique stable et, par suite, propice aux affaires. En 2005, le PIB cumulatif de l’Afrique s’élevait à 1,6 billions soit le PIB du Brésil ou de la Russie.

Si les OMD (Objectifs du millénaire pour le développement) n’ont pas toujours été atteints, à cause du coup d’arrêt provisoire porté par la crise de 2007, l’essor économique est encore d’actualité et fait la part belle au secteur privé. Avec le gonflement de la classe moyenne et de son pouvoir d’achat, les secteurs des biens de consommation, des télécommunications et de la banque progressent trois fois plus vite que dans les pays de l’OCDE. On retrouve, à l’échelle microéconomique, le même dynamisme et la même productivité. A titre d’exemple, le temps moyen pour faire démarrer une entreprise est passé de 59 à 29 jours tandis que le coût moyen pour y parvenir a diminué de moitié ! Néanmoins la capacité d’investissement et la croissance du secteur privé sont freinées par les réglementations juridiques excessives et mal conçues, le manque drastique d’infrastructures, les lacunes d’un système éducatif préparant mal aux compétences entrepreneuriales et techniques appropriées. C’est justement à ce propos que surgit la question de l’intégration.

Grâce à l’intégration économique régionale, le continent réalise des économies d’échelle et devient plus compétitif sur les marchés internationaux. Néanmoins elle n’est pas assez développée et ceci est dû à la faiblesse des infrastructures de transport. Lorsqu’il faut 25 jours pour exporter des biens au Brésil, il faut le double pour le faire dans un pays africain et par ailleurs, les coûts de transport sont deux fois plus élevés.

Pourtant il n’empêche que le continent regorge de possibilités notamment dans le secteur agricole. Avec plus d’un quart des terres arables de la planète, le continent est une mine d’or. Malheureusement ses ressources sont sous-exploitées et l’Afrique est la seule région du monde où la production alimentaire par habitant a reculé ces trente dernières années.

En appuyant les réformes engagées par les pays africains afin de faciliter la liberté de circulation des biens et en affectant 28% de ses revenus à des opérations de construction de réseaux d’échanges, la BAD contribue donc activement au développement du continent. Pour résorber la question de l’agriculture, 318 milliards de dollars ont été alloués par la banque.Afin de s’assurer que la conception de son assistance est techniquement juste et appropriée, la banque a mis en place de nouveaux mécanismes de contrôle de la qualité à l’entrée. Dans la foulée de la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide, la banque a donc accru son efficience auprès des bénéficiaires de ses fonds et solutions d’investissements.

Lire l'étude de la Banque Africaine de Développement.  

Boubacar Diarisso