Perspectives Economiques en Afrique : quand la Bad se réapproprie l’exercice !

La Banque Africaine de Développement a publié le mercredi 17 janvier dernier l’édition 2018 de son rapport sur les Perspectives Economiques en Afrique. Cette édition se démarque des précédentes et marque une certaine rupture dans la production de ce document. L’institution semble s’être appropriée totalement l’exercice, tant dans la forme que dans le fond. Le document sera désormais publié à la mi-janvier de chaque année, au lieu de juin, période traditionnelle de publication du rapport. L’institution assure vouloir être celle qui propose en premier des informations économiques sur l’Afrique, prenant ainsi à contre-pied le Fmi qui jusque-là établissait des prévisions sur les performances économiques en Afrique, en avril de chaque année. Le volume est réduit de moitié et seule la BAD a produit et signé cette édition – contrairement aux autres éditions co-signées avec l’OCDE et le PNUD. Elle va proposer aussi des sous rapports pour chacune des cinq régions du continent, une première.

La rupture est encore plus marquante au niveau méthodologique. Si le document propose toujours deux chapitres, l’un faisant l’état des lieux de la performance socio-économique et le second traitant d’une thématique donnée ; l’édition 2018 propose une lecture différente des pays africains, faite exclusivement par des africains – avec la contribution de quelques universitaires externes, spécialisés sur l’Afrique. Le nouveau format propose d’abord une lecture de la performance et des perspectives sur l’activité économique, les finances publiques, le secteur financier et les relations avec le reste du monde (avec un accent sur l’effet des chocs extérieurs). Il discute ensuite les évolutions sur le marché de l’emploi et la pauvreté, en lien avec les performances économiques des pays. En ce qui concerne la thématique d’intérêt (pour l’édition 2018, le focus a été mis sur le financement des infrastructures), le document propose une discussion de l’impact des infrastructures sur la performance économique des pays puis présente les stratégies ou les outils qui pourraient être utilisés pour accroître le financement des infrastructures sur le continent. Surtout, à chaque niveau, le rapport est force de proposition pour améliorer les conditions socio-économiques, en rupture avec les anciennes éditions qui se contentaient d’observer, d’expliquer et de décrire les actions mises en œuvre – de les juger le plus souvent.

Cette nouvelle approche est plus qu’appréciable à plusieurs titres. D’abord, la BAD se positionne comme une institution qui veut œuvrer pour le développement des pays africains, en s’appropriant effectivement les problématiques des pays et en étant force de proposition pour les résoudre en s’appuyant sur de l’expertise africaine. La BAD pourra ainsi se positionner en maître sur les discours portant sur l’Afrique et être une voix de référence sur la performance économique des pays africains et orienter les autres institutions intéressées par des travaux sur l’Afrique. Ensuite, le calendrier de publication proposé permet d’avoir une base de travail de référence sur l’Afrique pour les investisseurs. Enfin, le fait de proposer des rapports régionaux permet de tenir compte des hétérogénéités des pays, de proposer une lecture plus fine et surtout de traiter de thématiques d’intérêt pour Chacune des régions et mieux orienter les politiques publiques selon les urgences par zone. L’institution démontre que les autorités africaines ont pris la pleine mesure de la nécessité de se réapproprier les discours sur l’Afrique et de définir la stratégie de développement sur la base des particularités qui sont nôtres.

Sur le fond, la BAD prévoit que la croissance devrait continuer à progresser en 2018 et 2019. Selon l’institution, elle devrait atteindre 4,1% en 2018 et 2019, après 3,6% en 2017 (et 2,2% en 2016) portée notamment par le redressement des économies à forte intensité de ressources, en raison du rétablissement des cours mondiaux. Toutefois, ce regain de croissance n’est pas générateur d’emplois, de sorte que les inégalités et la pauvreté persistent (indice de Gini est passé de 0,52 en 1993 à 0,56 en 2008). La Banque estime que le manque d’investissement dans le capital humain, dans un contexte de forte progression démographique d’une population de plus en plus jeune pourrait expliquer cette situation. A ce titre, elle invite les pays à poursuivre les efforts visant à améliorer leur capacité de mobilisation des ressources internes. En effet, bien que les pays aient consenti des efforts pour accroître leur capacité de mobilisation des ressources intérieures, se situant aujourd’hui à des niveaux comparables avec des pays d’Asie ou d’Amérique Latine ; cela reste insuffisant pour couvrir les besoins de financement nécessaire pour l’expansion des infrastructures et du capital humain, primordiales pour l’industrialisation et accroître davantage l’entrée des investissements étrangers. Ce déficit, la BAD le chiffre entre 68 à 108 Mds USD. Pour le résorber, elle invite les pays à se saisir des différents outils financiers auxquels ils peuvent désormais avoir accès pour mobiliser l’épargne mondiale, concomitamment à la poursuite des réformes fiscales. Un accent particulier est mis sur les partenariats public-privé ou le recours aux fonds souverains. Elle exhorte à la prudence en ce qui concerne l’endettement extérieur. Bien qu’indiquant que le risque de surendettement reste faible ou modéré (selon les pays), les experts de l’institution s’inquiètent quand même de l’accélération de la dette après l’atteinte des PPTE et indiquent qu’il faudrait orienter les emprunts vers les secteurs à fort potentiel.

Pour la BAD, doter le continent d’infrastructures performantes permettra d’accélérer son industrialisation, condition nécessaire pour lutter de façon efficace contre la pauvreté.  Elle exhorte ainsi les pays à adopter une stratégie visant à construire les infrastructures adaptées permettant de valoriser leur secteur à fort potentiel mais aussi d’intensifier l’investissement dans le capital humain.

Parcourir les PEA 2018 de la BAD offre une vision différente du continent et de ses performances. Une place de choix est donnée à l’analyse et aux recommandations. Les différents acteurs de la vie sociale et économique des pays africains gagneraient à s’approprier ce rapport, qui offre des orientations quant aux politiques à mettre en œuvre pour asseoir un développement durable pour le continent.  Il ne reste plus qu’à espérer que ce ne soit pas un rapport de plus et que les autorités africaines feront elles aussi le choix, comme le top management de la BAD, de penser leur politique sociale et économique davantage en collaboration avec des institutions africaines.

Peut-on parler d’émergence d’une classe moyenne en Afrique ?

185298136La dynamique économique actuelle de l’Afrique entraine des transformations de sa structure sociale avec l’émergence d’une classe moyenne qui devrait accompagner le processus de développement du continent. L’émergence de cette classe pourra engendrer une hausse significative et diversifiée de la demande, le développement du secteur financier, l’urbanisation et une demande plus forte d’institutions démocratiques. Cependant, sur la base des données disponibles, notre analyse indique que cette classe ne porte pas encore les propriétés qui feraient d’elle l’un des moteurs du développement de l’Afrique.

Néanmoins, elle est actuellement composée de personnes dont les besoins de consommation ne cessent de croître et de se diversifier. C’est certainement cette dynamique qui va lui permettre de se muter en une véritable classe moyenne capable de contribuer  pleinement au développement de l’Afrique. Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.

L’inclusion financière: Clé de la croissance durable pour tous en Afrique

inclusion_financièreLe taux de croissance moyen du PIB des économies africaines a été de plus de cinq pour cent par an depuis 2004, et nombreux sont celles qui devraient atteindre en 2060 le groupe des pays à revenu intermédiaire ou élevé. Cependant, cette vision ne peut être atteinte sans un secteur financier solide, développé et concurrentiel. Notamment, un système financier qui fonctionne bien sera une condition essentielle pour atteindre une croissance durable et inclusive.

Le secteur financier en Afrique a fait des progrès considérables en termes de développement et de stabilité. Beaucoup de pays africains ont fait des progrès dans la réforme de leur cadre institutionnel et la création d'un environnement propice à un meilleur accès aux services financiers. On observe une augmentation du taux de pénétration dans plusieurs pays africains grâce à des modèles économiques innovants tels que les services bancaires mobiles. Néanmoins, de nombreux défis restent à relever. Pour que les services financiers soient plus disponibles, accessibles, abordables et donc inclusifs, il y a lieu de développer des instruments financiers innovants et des infrastructures financières opérationnelles pour le bénéfice des groupes défavorisés et vulnérables.

Dans un livre récent intitulé « l'inclusion financière en Afrique "(co-édité par Thouraya Triki et Issa Faye), nous documentons l'état de l'inclusion financière en Afrique et fournissons aux décideurs, aux intervenants du secteur financier et aux acteurs du développement des informations précises sur les opportunités et les défis spécifiques qui méritent de l’attention et de l'action. Bien que l'accès aux services financiers se soit considérablement amélioré dans les pays africains, de nombreux individus et entreprises sont encore exclus des systèmes financiers formels. Le livre note en outre que moins d'un quart des adultes en Afrique ont un compte dans une institution financière formelle, et de nombreux adultes en Afrique utilisent des méthodes informelles pour épargner (comme les tontines, les fonds de funérailles, etc.) et emprunter (amis, famille et prêteurs privés informels). Néanmoins, le succès de certains instruments financiers novateurs tels que le Mobile-banking en Afrique de l'Est offre davantage de possibilités en matière d'inclusion financière, en particulier pour les pauvres, les femmes, les jeunes, les personnes vivant dans les zones rurales et les petites et moyennes entreprises (PME).

Une nouveauté de cette publication est l'analyse qu'elle fait de l'impact que l'instabilité politique et la vulnérabilité économique peuvent avoir sur la capacité des ménages et des PME à accéder à différents types de services financiers. Selon le livre, seulement 14 pour cent des adultes vivant dans des États fragiles d'Afrique ont un compte dans une institution financière formelle. Compte tenu du risque élevé pour certains pays africains d’être en situation de fragilité, le livre préconise qu'il est impératif que l'inclusion financière efficace et durable fasse partie des stratégies nationales de reconstruction. Le livre encourage également une plus grande coordination entre les partenaires de développement pour une approche contextualisée, flexible et adaptée à l'inclusion financière dans les États fragiles.

Pour que l'inclusion financière devienne un moteur de la croissance durable et inclusive en Afrique, les auteurs prévoient une série d'options stratégiques concernant le rôle de transformation que la technologie peut jouer dans la réalisation d’une plus grande inclusion financière, la nécessité de concilier l'inclusion financière et la stabilité financière, les leçons que l'Afrique pourrait apprendre des autres pays en développement, et le rôle des institutions financières de développement (IFD) pour aider à la conception et la mise en œuvre de programmes d'inclusion financière en Afrique. Les principaux messages du livre sont:

  • Les services financiers mobiles peuvent aider l'Afrique à parvenir à un développement plus important et plus inclusive. En fait, l'inclusion financière a le potentiel de stimuler l'épargne intérieure, l'augmentation des transferts d'argent entrants de la diaspora, et de réduire les coûts de transactions des PME et du secteur privé en réduisant le nombre de ménages et des entreprises financièrement exclus en Afrique.
  • La stabilité financière et l'inclusion financière pourraient constituer des objectifs complémentaires. Pour assurer une stratégie réglementaire inclusive, les régulateurs financiers devraient adopter un cadre conceptuel qui permettra d'atteindre l'inclusion financière tout en préservant la stabilité et en tenant compte des exigences réglementaires inhérentes aux différentes fonctions de l'industrie des services financiers.
  • Les modèles d'affaires innovants et rentables mis en œuvre par d'autres pays en développement (comme en Amérique latine) pour élargir l'accès aux services financiers pour les ménages à faible revenu pourraient inspirer les gouvernements africains et d'autres intervenants afin d'atteindre une plus grande inclusion financière en Afrique. Un exemple notable est le modèle de l'agence bancaire.
  • Les IFDs sont de plus en plus des acteurs clé dans la promotion de l'inclusion financière en Afrique. Afin de renforcer l’impact de leurs interventions sur le développement, il est nécessaires de promouvoir une plus grande collaboration entre elles; mettre à leur disposition plus de ressources et de compétences pour promouvoir les activités de renforcement des capacités, et renforcer les effets d’entraînement et catalytiques de leurs projets d’inclusion financière devrait être la norme.

 

Un article de Mthuli Ncube, initialement paru sur son blog de la Banque Africaine de Développement, traduit de l'anglais. 

Comment l’Afrique peut-elle faire face au problème de déchets solides ?

                                                              « Les pressions subies par les écosystèmes reflètent les niveaux intenables de la demande, ainsi que les méthodes néfastes d'extraction des ressources et d'élimination des déchets »
Rapport sur l’empreinte écologique de l’Afrique (2012, p.41)

une_dechetRécemment, un ami s'est rendu au Rwanda et m'a appelé pour exprimer son étonnement face à la propreté des rues de Kigali. Des commentaires comme « c'est si propre ici » sont fréquemment exprimés par les personnes originaires d'Afrique qui se rendent dans des régions du monde développé pour la première fois – les rues propres en Afrique sont souvent perçues comme l'exception plutôt que la règle. 

Plus typiques sont des scènes de tas de déchets solides de toutes formes, tailles, origines et types jonchant les trottoirs, pris dans la végétation, ou entassés au coin des rues, sur le côté de la route et sur les terrains abandonnés dans nos villes. Tel est l'héritage visible des modes non viables de production et de consommation à mesure que les pays en développement, y compris la majorité des personnes en Afrique, deviennent de plus en plus industrialisés. Au fur et à mesure que la population augmente, les niveaux de revenus augmentent – permettant des taux de consommation plus élevés – et les pays deviennent plus urbanisés, la situation, selon toute vraisemblance, va s'aggraver. Bien que des publications récentes estiment que la moyenne de la production de déchets par habitant en Afrique est d'environ 0,65 kg/habitant/jour, ce qui est inférieur à la moyenne de 2,2 kg/habitant/jour pour les pays de l'OCDE, elle est en hausse rapide et mal gérée.  

La plupart des administrations et municipalités locales sont dépassées en ce qui concerne la gestion des déchets solides. Elles prétendent ne pas disposer de la capacité, des ressources financières et de l'accès à la technologie appropriée pour faire une différence durable.  Les conséquences du statu quo et du vécu quotidien par les citadins comprennent la contamination de la surface et des nappes phréatiques, la pollution de l'air (poussières et gaz fétides provenant de la décomposition des déchets et de la combustion des déchets solides) et la mauvaise santé générale. Dans certaines villes, des épidémies de choléra et de la dysenterie sont fréquentes (même si ce fait est également lié aux problèmes d'approvisionnement en eau et assainissement), la principale préoccupation est le fait que les décès qui en résultent sont évitables.  

Selon ONU-Habitat , la qualité des services de gestion des déchets est un bon indicateur de la gouvernance d'une ville. Qu'est-ce qui fait de la gestion des déchets solides un problème apparemment impossible à gérer dans de nombreuses régions de l'Afrique ? Est-ce le manque de volonté politique ? Le mauvais ordre de priorité ? L'absence d'un environnement politique favorable ? Les lois inadéquates ? Ou tout simplement le manque de planification ?

En fin de compte, que faudrait-il pour favoriser le changement ? Pour commencer, il existe des solutions et technologies éprouvées, parmi lesquelles des stratégies visant à : minimiser la production de déchets, maximiser le recyclage et la réutilisation des déchets de façon écologiquement rationnelle, promouvoir l'élimination et le traitement des déchets de manière écologiquement rationnelle, et étendre la couverture des services de déchets.

Si l'obstacle est la mobilisation du soutien et de l'adhésion de la communauté ou des parties prenantes, le Rwanda dispose d'un système appelé « Umuganda », qui est une journée de service communautaire le dernier samedi du mois, où la population nettoie ; il y a quelque espoir que les gens peuvent être amenés à changer leurs attitudes et, éventuellement, leurs modes de vie.   

Pour sa part, la Banque [Africaine de Développement, ndlr] a mis en place une stratégie de développement urbain qui fournit des conseils stratégiques sur la façon de renforcer la viabilité et la compétitivité des villes afin de leur permettre d'entretenir le développement économique et social durable et de servir de moteurs de la croissance. En outre, la politique de la Banque sur l'environnement identifie l'élimination des déchets solides comme un impératif pour assurer la santé publique et à améliorer l'environnement urbain. 

Plus récemment, lors de la conférence de Rio +20, la Banque africaine de développement en collaboration avec d'autres Banques multilatérales de développement a publié une déclaration commune exprimant l'engagement de leur part à soutenir globalement le programme de développement durable, reconnaissant, parmi la multitude de priorités, la nécessité de promouvoir les villes durables et par extension, la gestion des déchets urbains.  

Bien que la dynamique soit de renforcer ce domaine, il reste encore beaucoup à faire, en particulier en Afrique.

 

Un article de Musole M. Musumali initialement paru sur le blog de la Banque Africaine de Développement

L’Intégration de la main-d’œuvre africaine

une_ncubeNous avons tous vu des reportages consacrés aux travailleurs africains non qualifiés et aux migrants économiques qui cherchent désespérément à se rendre en Europe, à bord de navires surchargés et dangereux, risquant de perdre la vie dans leur quête d’une vie meilleure. Nous avons aussi lu des articles décrivant les importants flux de migrations clandestines (auxquelles participent des commerçants et des professionnels très qualifiés) observés sur le continent africain, dont le coût humain et social est très élevé. Les motifs de ces migrations illégales et massives ne sont pas nouveaux. L’instabilité politique et la détérioration de la situation socio-économique alimentent l’aspiration pressante de nombreux jeunes et travailleurs africains à des revenus plus élevés ou à des conditions de vie décentes, à l’étranger ou même sur un autre continent. Mais l’intégration régionale pourrait-elle constituer une stratégie pour résoudre les problèmes persistants et croissants que posent ces migrations ? Nous pensons en effet qu’une intégration renforcée et des stratégies migratoires régionales cohérentes peuvent contribuer à faciliter la libre circulation de la main-d’œuvre en Afrique et à relever les défis du chômage et de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, surtout parmi les jeunes. 

Les chiffres relatifs aux émigrants africains, qu’ils soient qualifiés ou non, qu’ils migrent sur le continent ou qu’ils quittent l’Afrique pour des pays de l’OCDE, sont saisissants. D’après les estimations de l’Organisation internationale du travail (OIT), en Afrique, les travailleurs migrants représentent près de 3 % de la population adulte. Environ 50 à 80 % des ménages ruraux d’Afrique comptent au moins un membre migrant. En outre, d’après l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), la majorité des 15 000 migrants et demandeurs d’asile qui ont gagné les côtes de l’Italie et de Malte en 2012 provenaient de pays d’Afrique. L’OCDE a découvert que 21 des 40 pays les plus concernés par le problème de la « fuite des cerveaux » sont africains. Et bien que seulement 10 % environ des immigrants très instruits vivant dans des pays de l’OCDE soient africains, ce nombre est significatif, car les pays africains comptent relativement peu de citoyens d’un niveau d’instruction élevée (notamment des médecins, des infirmiers, des enseignants, des ingénieurs). De plus, il convient de souligner que ces chiffres relatifs aux migrations ne comprennent pas le nombre croissant de migrants clandestins ou sans-papiers qui franchissent les frontières au sein même de l’Afrique.

Le manque d’opportunités d’emploi décentes, la dégradation des conditions économiques et la très grande instabilité de la situation politique contribuent à l’augmentation des flux migratoires sur le continent africain. Et pourtant, de nombreux pays africains se battent pour renforcer leur croissance économique, stabiliser leur situation politique, ou relever les défis de leur développement. Les efforts d’intégration régionale visent à aider les pays africains à relever quelques-uns des défis économiques et de développement auxquels ils font face (par ex. la petite taille des marchés domestiques, la faiblesse des structures productives, la lenteur des progrès accomplis dans la mise en œuvre des réformes, la lenteur de la croissance économique, ainsi que les conflits de grande envergure et l’instabilité politique) en leur permettant de tirer profit des économies d’échelle, d’une plus vive concurrence, et d’un accroissement des investissements nationaux et étrangers. Toutefois, l’intégration régionale par la libre circulation des capitaux, les échanges commerciaux intra régionaux et les stratégies de développement ne peut réussir si la libre circulation des personnes et de la main-d’œuvre n’est pas assurée.

Depuis leur création, la plupart des communautés économiques régionales (CER) d’Afrique ont fixé des objectifs et promulgué des protocoles visant à faciliter la libre circulation des personnes au-delà des frontières nationales. Des progrès significatifs ont été réalisés par quelques CER, telles que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE). Par exemple, les passeports de la CEDEAO ont remplacé les passeports nationaux, et les citoyens de la Communauté ont le droit d’entrée, de séjour et d’installation dans tous ses États membres. D’autres CER, par contre, comme la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA) et le Marché commun de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe (COMESA), n'ont pas réussi à pleinement mettre en œuvre leurs politiques régionales de migration, certains de leurs membres refusant de supprimer les exigences en matière de visa. En fait, certains États membres ont rechigné à adopter une politique de frontières ouvertes aux citoyens de leur communauté en raison des risques liés au renforcement de la liberté de circulation, comme la traite des êtres humains, le crime organisé et le terrorisme, et à l’augmentation de la main-d’œuvre non qualifiée, qui pourrait avoir un impact négatif sur la sécurité, la stabilité et l’économie du pays hôte. Un autre facteur expliquant les restrictions à la libre circulation des personnes est le coût engendré par la mise en œuvre des politiques migratoires, par ex. le coût élevé de la réforme de la gestion et des protocoles frontaliers, et la perte des revenus générés par les visas et les droits de douane.

Si les pays africains veulent opérer la transformation structurelle et l’intégration régionale, les travailleurs et les talents africains doivent être à même de considérer les opportunités d’emploi et d’envisager le transfert de compétences entre des industries différentes et entre plusieurs pays. La libre circulation de la main-d’œuvre au sein des communautés économiques et entre les groupements régionaux ne favorisera pas seulement la mobilité des personnes dans leur région, mais elle encouragera aussi les échanges commerciaux, la création d’emplois et de nouvelles entreprises. La fuite des cerveaux que connaissent de nombreux pays africains pourrait se transformer en un transfert transfrontalier de talents. Un infirmier ou une infirmière sans emploi au Ghana pourrait gagner sa vie décemment au Libéria tout en contribuant à de meilleurs services de santé dans le pays hôte. Un jeune diplômé d’une école technique en Tunisie pourrait trouver un emploi décent dans l’industrie de la plomberie en Afrique du Sud et contribuer à répondre aux besoins en main-d’œuvre de ce pays. Dans un certain sens, la libre circulation des personnes et de la main-d’œuvre crée également des débouchés pour la jeunesse africaine, qui est aujourd’hui au cœur des initiatives récentes et des débats de politique portant sur l’Afrique.

 

Article initialement publié sur le Blog de Mthuli Ncube, Economiste en Chef de la Banque Africaine de Développement

L’efficacité du développement: l’action de la Banque Africaine de Développement

 

La banque africaine de développement (BAD) mesure régulièrement l’efficience de son action dans les pays auxquels elle vient en aide et a récemment publié un rapport sur les tendances du développement à l’échelle continentale.

Ainsi pour mesurer sa performance en tant qu’acteur socio-économique en Afrique, elle utilise une grille de critères relatifs aux axes clés du développement et de l’efficacité organisationnelle. Le niveau 1 mesure l’ensemble des progrès sur le plan du développement en Afrique, particulièrement dans 9 secteurs clés, notamment la croissance, la gouvernance, la prestation de services publics et le développement humain. Le second niveau évalue la contribution de la BAD dans le développement de l’Afrique en se focalisant toujours sur les 9 domaines. Le troisième niveau se veut une critique de la gestion des opérations menées par la BAD et enfin le quatrième niveau permet de juger son efficience en tant qu’organisation précisément à travers la gestion de ses opérations.

La BAD nous apprend ainsi qu’au-delà des discours afro-pessimistes qui font souvent monnaie-courante, l’Afrique a connu un développement économique conséquent durant la dernière décennie, en attestent les taux de croissance dépassant souvent le cap des 6%. La BAD attribue ces résultats à l’émergence des BRICS dont la demande en matières premières a redynamisé les exportations africaines. D’autre part, les gouvernements ont, bon an mal an, su recréer un cadre macroéconomique stable et, par suite, propice aux affaires. En 2005, le PIB cumulatif de l’Afrique s’élevait à 1,6 billions soit le PIB du Brésil ou de la Russie.

Si les OMD (Objectifs du millénaire pour le développement) n’ont pas toujours été atteints, à cause du coup d’arrêt provisoire porté par la crise de 2007, l’essor économique est encore d’actualité et fait la part belle au secteur privé. Avec le gonflement de la classe moyenne et de son pouvoir d’achat, les secteurs des biens de consommation, des télécommunications et de la banque progressent trois fois plus vite que dans les pays de l’OCDE. On retrouve, à l’échelle microéconomique, le même dynamisme et la même productivité. A titre d’exemple, le temps moyen pour faire démarrer une entreprise est passé de 59 à 29 jours tandis que le coût moyen pour y parvenir a diminué de moitié ! Néanmoins la capacité d’investissement et la croissance du secteur privé sont freinées par les réglementations juridiques excessives et mal conçues, le manque drastique d’infrastructures, les lacunes d’un système éducatif préparant mal aux compétences entrepreneuriales et techniques appropriées. C’est justement à ce propos que surgit la question de l’intégration.

Grâce à l’intégration économique régionale, le continent réalise des économies d’échelle et devient plus compétitif sur les marchés internationaux. Néanmoins elle n’est pas assez développée et ceci est dû à la faiblesse des infrastructures de transport. Lorsqu’il faut 25 jours pour exporter des biens au Brésil, il faut le double pour le faire dans un pays africain et par ailleurs, les coûts de transport sont deux fois plus élevés.

Pourtant il n’empêche que le continent regorge de possibilités notamment dans le secteur agricole. Avec plus d’un quart des terres arables de la planète, le continent est une mine d’or. Malheureusement ses ressources sont sous-exploitées et l’Afrique est la seule région du monde où la production alimentaire par habitant a reculé ces trente dernières années.

En appuyant les réformes engagées par les pays africains afin de faciliter la liberté de circulation des biens et en affectant 28% de ses revenus à des opérations de construction de réseaux d’échanges, la BAD contribue donc activement au développement du continent. Pour résorber la question de l’agriculture, 318 milliards de dollars ont été alloués par la banque.Afin de s’assurer que la conception de son assistance est techniquement juste et appropriée, la banque a mis en place de nouveaux mécanismes de contrôle de la qualité à l’entrée. Dans la foulée de la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide, la banque a donc accru son efficience auprès des bénéficiaires de ses fonds et solutions d’investissements.

Lire l'étude de la Banque Africaine de Développement.  

Boubacar Diarisso

L’Afrique possède-t-elle une véritable classe moyenne?

Au cours des 10 dernières années, l’Afrique a enregistré un taux de croissance économique de 5% en moyenne. Le continent a ainsi tourné le dos à des taux de croissance négatifs au cours des années 1980, presque nuls dans la décennie 1990, pour afficher un niveau de progrès économique honorable d’autant plus que les prévisions de croissance demeurent optimistes.

Au delà des revenus tirés des ressources minières et agricoles du continent, cette croissance a été sous tendue par le développement sans précédent des classes moyennes africaines. C’est ce que révèle une étude http://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/The%20Middle%20of%20the%20Pyramid_The%20Middle%20of%20the%20Pyramid.pdf qui vient d’être publiée par la Banque Africaine de Développement (BAD) et intitulée The Middle of the Pyramid : Dynamics of the Middle Class in Africa. D’après les experts de la BAD, le nombre d’africains figurant dans cette classe moyenne a plus que doublé en passant de 151 millions en 1990 à 313 millions en 2010, soit 34,3% de la population aujourd’hui contre 27% il y a 20 ans. La BAD insiste aussi sur le fait que les classes moyennes constituent un levier fort et un indicateur particulièrement pertinent du développement économique de l’Afrique. Surtout, le renforcement de cette classe de la population africaine, mieux que le taux de croissance du PIB, permet d’apprécier les avancées enregistrées dans la réduction de la pauvreté en Afrique. Il permet aussi au continent d’assurer un progrès économique plus endogène du fait de la consommation des ménages et moins dépendante des exportations.

Il reste que, comme toujours dans ce genre d’études, la pertinence des chiffes est tributaire des critères retenus dans la définition des classes moyennes. Les personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour étant considérés comme pauvres, la BAD a notamment retenu dans son acception des classes moyennes les personnes dépensant entre 2 et 20 dollars par jours. Il en ressort que 60% des 313 millions que compte aujourd’hui la classe moyenne africaine se situe juste au dessus de ce seuil de 2%, ce qui amène à relativiser l’importance de cette partie de la classe moyenne.

Au delà de ces éléments quantitatifs, il semble plus intéressant de noter la corrélation entre l’émergence des classes moyennes et les exigences de démocratie, de bonne gouvernance et de qualité des services publics. Il y aurait d’ailleurs un lien entre développement des classes moyennes et nature clientéliste ou pas des Etats africains. C’est ce que suggère un document http://conte.u-bordeaux4.fr/DocsPdf/CMA.pdf de septembre 2010 publié par des chercheurs de l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux. Dans cette hypothèse, l’évolution des classes moyennes africaines ne serait pas linéaire ; elle suivrait plutôt « un cycle d’expansion-recession de type U inversé ». 

Nicolas Simel NDIAYE