Après Ouaga, Bujumbura : la « génération consciente » prend la rue

BurundiBurkinaAprès le Sénégal en 2011-2012, le Burkina Faso en novembre 2014 et la République démocratique du Congo en janvier, voilà que la jeunesse du Burundi se soulève à son tour contre son président, trop avide de pouvoir pour admettre qu’après deux mandats et dix ans à la tête de l’État, il est désormais temps de passer la main.

Les manifestations qui agitent certains quartiers de Bujumbura ont commencé après la nomination, samedi 25 avril, du président Pierre Nkurunziza comme candidat du CNDD/FDD (le parti au pouvoir) à un troisième mandat lors des élections de juin et juillet. Sous la pression du régime, la Cour constitutionnelle a validé le 5 mai la candidature de Nkurunziza, profitant d’une disposition ambigüe dans la Constitution de 2005. Pour les manifestants, il n’y a pas matière à ambiguïté : élu en 2005, réélu en 2010, Nkurunziza doit partir en 2015.

Dans les premiers jours, certains médias internationaux ont dépeint les manifestations en des termes ethniques, provenant selon eux de « quartiers tutsi » opposés à un régime hutu. Il n’en est rien : comme à Dakar ou à Ouagadougou, la révolte est avant tout celle d’une jeunesse burundaise urbaine, qualifiée, désireuse de s’impliquer dans le développement du pays mais systématiquement écartée et marginalisée par les caciques du pouvoir. Aucun groupe ne s’est encore démarqué, comme Y’en a marre au Sénégal, le Balai Citoyen au Burkina Faso ou Filimbi en RDC ; mais comme dans ces pays, c’est la société civile qui est à la tête de la contestation. Tutsi, hutu, professeurs, étudiants, commerçants, chômeurs, activistes, les manifestants partagent tous la même aspiration à l’ouverture politique et le rejet d’un pouvoir « privatisé » au profit de quelques-uns.

L’idée d’un soulèvement ethnique est non seulement erronée : elle néglige complètement la lame de fond démocratique qui traverse l’ensemble du continent africain depuis maintenant quelques années. Elle est aussi profondément dangereuse : alors que des responsables du CNDD/FDD critiquent les manifestants hutu comme des « mauvais Hutu », et que les jeunesses militantes/miliciennes du parti (les « Imbonerakure ») multiplient les actes d’intimidation à forts sous-entendus ethniques dans les campagnes autour de Bujumbura, une description trop simpliste des évènements fait le jeu d’un régime prêt à exacerber la fibre ethnique de ses citoyens pour se maintenir au pouvoir.

La communauté internationale doit maintenant montrer qu’elle est prête à s’engager aux côtés des peuples africains lorsque ceux-ci revendiquent haut et fort leurs aspirations démocratiques. Hormis les États-Unis, les pays occidentaux sont pour l’instant restés trop timorés. L’UE, la Belgique et les Pays-Bas (impliqués dans le financement des élections) devraient notamment faire entendre leur voix. Des menaces de sanctions ciblées ou de suspension temporaire de l’aide auraient certainement un impact sur le régime, ou du moins éviteraient de devenir complice d’un processus électoral qui s’apparente de plus en plus à une mascarade. La demande adressée par le Secrétaire-général de l’ONU Ban Ki-moon au président ougandais Yoweri Museveni pour qu’il intervienne dans la crise burundaise laisse également sceptique : un homme au pouvoir depuis 29 ans, ayant lui-même aboli la limite constitutionnelle de deux mandats en 2005, est-il réellement le mieux placé pour plaider le respect des principes constitutionnels auprès de son homologue burundais ?

Surtout, on attend plus des institutions africaines. L’Union africaine s’est aussi saisie de la situation, mais sans prendre de position claire sur la candidature de Nkurunziza ou sur la répression policière. Elle aussi peut faire peser la menace de sanctions sur le régime, tout comme la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), qui a dépêché une délégation ministérielle au Burundi le 4 mai. Si la CAE est d’ordinaire focalisée sur les affaires économiques, la probable saisine prochaine de la Cour de justice de la CAE par l’opposition burundaise sur la légalité de la candidature de Nkurunziza sera l’occasion pour l’organisation de réitérer son attachement à certains principes démocratiques.

Au-delà du combat pour la démocratie, il s’agit surtout d’éviter un retour à une guerre civile, un scénario qui apparaît aujourd’hui moins improbable qu’il y a quelques mois. Parmi les manifestants se mêlent des anciens combattants (notamment des rebelles hutu du FNL), démobilisés après 2005 ; nombre d’entre eux se sentent aujourd’hui laissés pour compte et commencent à envisager de transformer le mouvement non-violent en une lutte armée. De l’autre côté, les Imborenakure, dont certains auraient récemment reçu des formations paramilitaires secrètes en RDC voisine, quadrillent l’intérieur du pays, et plusieurs rapports font état de distributions d’armes. Si l’armée jouit d’une bonne réputation, elle apparaît quant à elle entre une frange d’ex-CNDD/FDD restés fidèles au régime (dont le chef d’état-major), et le reste des hauts gradés (y compris le ministre de la Défense), qui semblent défendre le droit à manifester. Plus de 30 000 Burundais ont déjà fui vers les pays voisins ; au vu de ce cocktail explosif, la prévention des conflits doit devenir une priorité pour l’UA, active au Burundi dès ses premiers instants au début des années 2000 et qui dispose d’un Groupe des Sages dédié, et les autres acteurs.

À court terme, des actions diplomatiques sont également nécessaires pour mettre fin aux brutalités policières. Orchestrée par la police, sous les ordres d’un fidèle lieutenant de Nkurunziza, la répression a déjà fait plus d’une dizaine de morts dans les rues de Bujumbura. Le premier d’entre eux, tombé sous les balles des policiers à Cibitoke : un jeune de 15 ans, né en 2000, l’année des accords de paix d’Arusha. Son nom ? Népomucène Komezamahoro, qui signifie en kirundi « force de la paix ». Nul ne sait encore quel sera l’épilogue de ces deux semaines sans précédent de manifestations à Bujumbura ; mais le régime de Nkurunziza pourra-t-il résister à la force de ce symbole ?

Vincent Rouget