La vision fantasmée de l’entrepreneuriat en Afrique : un mirage dangereux et déresponsabilisant ?

L’entrepreneuriat est depuis quelques années présenté comme l’opportunité miracle pour résoudre le défi du chômage de masse qui menace l’Afrique subsaharienne et en particulier l’Afrique de l’ouest francophone. Soumises à une forte pression démographique, ces régions sont en effet en quête de solutions pour offrir des perspectives aux millions de jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Faute de quoi, ce phénomène démographique inédit est souvent présenté comme une « bombe à retardement ».

L’entrepreneuriat est alors évoqué comme une panacée capable de régler cet épineux problème du chômage des jeunes mais également de solutionner de nombreux défis sociaux (inclusion financière, accès à l’énergie, etc.) en faisant émerger une nouvelle classe de « champions éclairés ».Néanmoins, cette obsession pour l’entrepreneuriat est au minima illusoire voire déresponsabilisante et dangereuse.

Illusoire, tout simplement car il faut bien admettre que, par nature, l’entrepreneuriat a un fort taux d’échec et qu’il est donc déraisonnable de croire en une « société d’entrepreneurs ». L’entrepreneuriat sera indéniablement une source d’emplois, et l’objectif de cet article n’est en aucun cas de nier son importance, mais c’est la focalisation extrême sur ce sujet qui est dangereux. Pourquoi ?

Un transfert des responsabilités 

C’est la dynamique de déresponsabilisation impliquée par ce discours fantasmé sur l’entrepreneuriat qui est en réalité une menace sévère pour l’avenir de la région. En effet, la promotion de l'entrepreneuriat entraine naturellement un dangereux glissement politique de déresponsabilisation autour du problème du chômage des jeunes. Le discours quasi-incantatoire autour de « l’avenir c’est l’entrepreneuriat, chaque jeune doit créer son entreprise et devenir son propre patron », met de facto sous pression ces jeunes sur qui repose alors l’entière responsabilité de leur chômage. Si leurs projets échouent et qu’ils se retrouvent sans emploi, ce ne peut être que leur propre échec. Le danger de la croyance dans le miracle de l’entrepreneuriat est, dans une approche très libérale, de tout faire reposer sur le succès individuel. Cette dynamique de désengagement nie en réalité deux aspects fondamentaux de l’entrepreneuriat :

  • L’entrepreneuriat nécessite des réformes structurelles pour connaitre un essor. Ce climat de déresponsabilisation est d’autant plus dangereux qu’il implique un désengagement politique au niveau de réformes structurelles qui favoriseraient l’entrepreneuriat, en premier lieu l’éducation (primaire, secondaire et supérieure) et une politique de formation des jeunes. L’air du temps ne retient en effet des success stories américaines que des jeunes qui évoluent en autodidactes. Mais peu retiennent que la plupart des grandes révolutions dont ils se targuent sont issues des grandes universités américaines (Google à Stanford, Facebook à Harvard). Le plus agaçant est de voir pousser un peu partout des concours de pitch et de business plans, ersatz de formations à des jeunes que l’on séduit avec toute une panoplie de buzzwords excitants.
  • L’entrepreneuriat ne se décrète pas, cela nécessite une formation, formation que l’on peut obtenir en travaillant dans une entreprise plus « traditionnelle ». Or cette idéologie folle de l’entrepreneuriat à tout prix finit par évacuer une politique d’emploi ambitieuse qui favoriserait le salariat « traditionnel », pivot crucial de la formation des jeunes. Le sommet de l’hypocrisie consistant à éluder que les réussites africaines sont dans leur immense majorité le fruit d’individus qui ont fait leurs armes pendant des années avant de se lancer. Il est inutile de rêver, les succès sont forgés durant les expériences professionnelles en entreprises, à l’image de Jean-Luc Konan, fondateur de Cofina après une carrière bancaire de plus de 15 ans.

Enfin, le paradoxe atteint son comble lorsque ces discours parviennent toujours à promouvoir l’entrepreneuriat africain sans proposer aucune solution de financement. Il est effrayant de constater qu’il n’existe quasiment aucun fonds de VC ou groupes de business angels pour financer les jeunes pousses ouest-africaines. Encore une fois, c’est aux structures publiques de résoudre en partie ce problème en facilitant l’investissement dans la région.

Un rejet des cadres traditionnels 

Cette idéologie s’enracine dans une réaction quasi épidermique au cadre classique du travail : le salariat et le fonctionnariat. Ces deux mots sont devenus de véritables épouvantails dans la région, associés à la fainéantise, au clientélisme et aux emplois fictifs. Aujourd’hui, la réussite doit nécessairement passer par la réussite entrepreneuriale et il ne faudrait rien attendre des cadres classiques, présentés comme caducs voir décadents. Ce discours a deux écueils : tout d’abord il est la négation même de l’apport d’expériences professionnelles classiques dans la réussite de beaucoup d’entrepreneurs. D’autre part, il favorise un mouvement de rejet des institutions publiques à un moment où elles devraient s’affirmer comme acteurs déterminants.

Au niveau de la fonction publique il faut bien noter que ce mouvement de rejet est lié aux problèmes réels de gouvernance dont pâtissent encore beaucoup de pouvoirs publics. Néanmoins, écarter les jeunes talents de la fonction publique sous prétexte qu’elle dysfonctionne est-il une idée pertinente ? Décrédibiliser la capacité des pouvoirs publics à relever les défis sociaux et environnementaux de la région par rapport aux initiatives privées est un pari dangereux dans des pays où ces défis sont aigus et demandent des réponses justes et inclusives. Or beaucoup de discours actuels prônent un « capitalisme africain éclairé » qui serait, par nature, bienveillant envers les populations et qui chercheraient, au-delà du profit, des solutions aux grands défis actuels (logement, transport, éducation, santé). Croire rêveusement que des initiatives privées et découplées d’une gouvernance et d’une responsabilité publiques sont une solution miracle à une gouvernance actuellement en quête de renouveau est une erreur majeure. Croire que les entreprises privées vont s’occuper équitablement de populations diverses et défendre la diminution des inégalités au lieu de les creuser est illusoire.

En ce qui concerne le rejet du salariat comme cadre dépassé du travail, cela est d’une part dangereux (on ne solutionnera pas le chômage uniquement avec l’entrepreneuriat) et déresponsabilisant (il faudrait plutôt favoriser une réforme structurelle permettant aux PME de former et d’employer davantage)  mais cela nie surtout l’apport des expériences professionnelles aux réussites entrepreneuriales. Ce discours est en effet d’une certaine mauvaise foi quand on observe les trajectoires des différents entrepreneurs « champions » : par exemple Tony Elumelu (1), l’un des hommes les plus puissants du continent, chantre de « l’afrocapitalisme » et de l’entrepreneuriat africain. Il se veut le parangon d’une Afrique qui entreprend et qui fait naitre les « champions » de demain, qui pourront rivaliser avec les occidentaux. Son objectif, via sa fondation, est de permettre à 10 000 jeunes africains de créer leur entreprise et, d’ici dix ans, créer 1 000 000 emplois. Et lui ? L’entrepreneur a en réalité réalisé une scolarité d’excellence dans les plus grandes universités du monde (dont Harvard) avant de débuter une carrière de plus de dix ans dans la banque. Il va y acquérir des compétences, tisser son réseau pour, en 1995, finalement prendre la tête de la Standard Trust Bank. Ce qui le mènera, dix ans après, à la consécration de sa carrière, la fusion avec UBA en 2005 pour créer l’une des plus grandes banques du continent, plus de vingt ans après le début de sa carrière.

Recommandations

Et après cela, l’on veut faire croire que l’entrepreneuriat est un modèle spontané et que l’on peut se contenter de sessions de pitch comme formation et d’un concours de business plans comme expérience professionnelle ? Ce discours n’a qu’une conséquence sur le court terme : décrédibiliser le salariat et l’emploi traditionnel et déresponsabiliser les leaders politiques sur les questions d’éducation, d’emploi et de l’investissement.

Une politique ambitieuse pour l’entrepreneuriat devrait se concentrer sur les problèmes de fond qui sont :

  • La formation et l’enseignement supérieur et professionnel
  • L’épineux problème du financement d’amorçage et la mise en place d’une politique qui favorise le capital-risque. Une fiscalité adaptée est nécessaire ainsi que l’apport de fonds publics qui rassureraient les investisseurs privés
  • Une politique pour l’emploi qui favorise les PME et leur permet de former et d’employer les jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Cela passe notamment par un programme qui facilite la formalisation de ces PME (notamment via une fiscalité adaptée et un abandon des arriérés) et leur accès au financement (notamment en mieux connectant les agences d’accompagnement des PME avec les financeurs). Les véritables pépinières de l’entrepreneuriat africain sont ces PME qui, tous les jours, affrontent des problématiques nouvelles.
  • Enfin, l’entrepreneuriat africain sera surtout un intrapreneuriat, au sens où les projets qui décollent sont issus d’anciens salariés qui innovent et prennent des initiatives ambitieuses car ils ont été exposés à des problématiques lorsqu’ils étaient salariés.
  • En finir avec le dénigrement constant du salariat et, encore pire, du fonctionnariat. Il est complètement utopique de rêver un capitalisme africain éclairé qui s’occuperait des plus démunis. Le renouveau du secteur public africain est une priorité et ce secteur nécessite un apport vital de talents. 

               

Gilles Lecerf

Sources

(1) http://www.lemonde.fr/m-actu/article/2016/02/19/tony-elumelu-le-banquier-africain-a-qui-tout-sourit_4868595_4497186.html

Article mis en ligne le 24 mars 2017, revu le 26 mars 2017

Développement des Comores : il faut (aussi) regarder au-delà des facteurs économiques!

En 2016, l’Union des Comores présente un profil de développement particulièrement préoccupant. Son Indice de Développement Humain (IDH) s’établit à 0,497, ce qui la classe dans la catégorie des pays à développement humain faible, au 159ᵉ rang sur 188 pays évalués par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Cet indicateur synthétique traduit à la fois la faiblesse de l’espérance de vie, du niveau d’éducation et du revenu national par habitant.

L’urbanisation du pays s’accélère sans pour autant s’accompagner de politiques d’aménagement maîtrisées : plus de 69,6 % des citadins vivent dans des bidonvilles, révélant une pression croissante sur les infrastructures et les services publics urbains. Cette urbanisation informelle, souvent liée à l’exode rural et à la concentration des opportunités dans les centres urbains, génère une fragmentation socio-spatiale et renforce les inégalités d’accès aux services de base.

Sur le plan énergétique, seulement 74,6 % de la population a accès à l’électricité en 2015.& Ce déficit énergétique structurel nuit gravement à la productivité des entreprises locales, limite l’accès à l’éducation (notamment en milieu rural), et compromet le fonctionnement optimal des centres de santé.

La croissance économique, quant à elle, reste modeste : +1,15 % en 2015 selon les données de la Banque mondiale. Un tel taux est bien inférieur aux seuils requis pour absorber les dynamiques démographiques du pays et générer un impact réel sur la réduction de la pauvreté. À titre comparatif, le seuil de croissance nécessaire pour impacter significativement l’emploi en Afrique subsaharienne est estimé à 6 % par an selon les études de la Commission économique pour l’Afrique (CEA).

La jeunesse comorienne – qui constitue près de 60 % de la population – est particulièrement vulnérable. Le taux de chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans atteint 19 % en 2015, un chiffre sans doute sous-estimé si l’on prend en compte le sous-emploi massif et l’informalité du marché du travail. Ce chômage structurel alimente une désillusion sociale, une tentation migratoire et une perte de confiance dans les institutions.

Ces indicateurs confirment l’existence d’un triple verrou structurel aux Comores : vulnérabilité humaine, précarité urbaine et stagnation économique. Pour le débloquer, il ne suffit pas d’ajuster les instruments macroéconomiques ; il faut également repenser les fondements culturels et comportementaux du développement national.

Le rôle du comportement humain dans le développement : une approche cognitive

Les politiques de développement économique en Afrique, et plus particulièrement aux Comores, tendent encore à reposer sur une vision strictement rationaliste de l’individu. Pourtant, les avancées contemporaines en psychologie cognitive et en sciences comportementales démontrent que les décisions humaines ne sont que rarement prises de manière pleinement délibérative, informée et autonome.

Les travaux de chercheurs comme Daniel Kahneman, Richard Thaler ou encore Esther Duflo montrent que les individus raisonnent selon trois mécanismes majeurs : l’automaticité, la norme sociale et le filtre culturel. D’une part, les choix sont souvent effectués dans l’urgence ou la routine, en mobilisant ce qui vient immédiatement à l’esprit. D’autre part, les comportements sont régulés par ce que l’on attend socialement de l’individu – on coopère si les autres coopèrent, on consomme ou on investit selon ce que notre entourage juge pertinent. Enfin, les modèles mentaux façonnés par l’histoire, la religion et la tradition déterminent ce que les individus perçoivent comme acceptable, légitime ou même possible.

Aux Comores, où les normes communautaires restent particulièrement puissantes, ces dimensions prennent une ampleur déterminante. Le respect des aînés, l’obéissance aux structures coutumières et religieuses, le rôle central de la famille élargie, influencent fortement les choix économiques : consommation ostentatoire dans les cérémonies, choix éducatifs dictés par l’environnement social, ou rejet de certaines pratiques jugées « importées ».

Ainsi, l’échec de certaines politiques de développement ne réside pas tant dans leur contenu technique que dans leur inadéquation avec les systèmes de représentations locaux. Pour être efficaces, les politiques publiques doivent intégrer ces logiques comportementales : concevoir des incitations sociales plutôt que monétaires, valoriser des récits inspirants ancrés dans la culture locale, et créer des « environnements de choix » qui orientent les comportements sans les contraindre.

Il s’agit donc de passer d’une approche normative du développement – qui cherche à corriger les individus – à une approche transformationnelle, qui accompagne les communautés dans une évolution des comportements, respectueuse de leurs référents culturels.

Le ‘Anda’ : entre fierté culturelle, redistribution diasporique et construction communautaire

Le ‘Anda’, ou Grand Mariage, est bien plus qu’un événement privé : il est l’un des socles de l’organisation sociale comorienne. Codifié, hiérarchisé et largement ritualisé, il incarne à la fois l’accomplissement individuel et la reconnaissance publique d’un homme dans la société. Ce rite d’élévation sociale assure une légitimité symbolique dans l’espace communautaire, notamment en ouvrant l’accès aux cercles décisionnels locaux (décision villageoise, gestion des conflits, participation aux assemblées des notables).

Mais au-delà de sa portée sociale, le ‘Anda’ agit comme un puissant catalyseur économique, activant de multiples circuits de production et de consommation. En 2016, le coût moyen d’un ‘Anda’ oscille entre 7 000 et 15 000 euros, selon la notoriété de la famille, l’envergure de la cérémonie, et les exigences traditionnelles. Ce montant considérable est en partie financé par l’une des principales sources de revenu national : les transferts de fonds de la diaspora, estimés à environ 24,6 % du PIB comorien en 2015, soit plus de 120 millions USD (Banque mondiale).

En effet, la diaspora comorienne – implantée notamment à Marseille, Paris et Mayotte – joue un rôle central dans le financement des ‘Anda’. Elle mobilise à la fois les ressources familiales et les réseaux d’entraide communautaire à l’étranger. Ces envois de fonds ne sont pas uniquement destinés à des dépenses ostentatoires : ils soutiennent aussi l’activité économique locale, par effet d’entraînement.

Le ‘Anda’ génère ainsi une économie circulaire locale, en activant des chaînes de valeur informelles : traiteurs, musiciens, agriculteurs, éleveurs, décorateurs, couturiers, menuisiers, vidéastes… Des dizaines de professions sont temporairement mobilisées autour de l’événement, dont beaucoup sont issues de l’économie informelle. Cette dépense, bien que concentrée sur un temps court, irrigue toute une micro-économie communautaire.

Mais l’impact du ‘Anda’ dépasse la seule consommation. Dans de nombreux cas, ces cérémonies contribuent à la réalisation d’infrastructures collectives. L’homme qui organise son Grand Mariage doit souvent réhabiliter la place publique, construire ou rénover la maison familiale, cofinancer la mosquée ou apporter une contribution au développement du village (achat d’un générateur, forage, route secondaire, éclairage public). Ainsi, le ‘Anda’ fonctionne aussi comme un levier de développement local auto-organisé, parfois plus structurant que les interventions publiques.

Ce système repose sur une logique de redistribution : les individus investissent dans leur prestige personnel en réinjectant massivement des fonds dans la sphère collective. Cette mécanique économique et symbolique repose sur la valeur de l’honneur social, moteur essentiel des dynamiques communautaires dans une société où l’État reste partiellement absent.

Néanmoins, la pression économique du ‘Anda’ est réelle et mérite d’être interrogée. Le coût élevé du rite, lorsqu’il devient un passage obligé, peut engendrer des endettements privés chroniques, voire des conflits familiaux. Il devient alors impératif de réconcilier tradition et soutenabilité économique. Certains collectifs villageois commencent déjà à proposer des formes de « Grand Mariage collectif » ou à limiter les dépenses somptuaires, sans altérer la valeur symbolique du rituel.

Dans cette perspective, il ne s’agit pas de déconstruire la tradition, mais de l’inscrire dans un modèle plus résilient, où la fierté culturelle devient compatible avec la rationalité économique. En ce sens, le ‘Anda’ peut être perçu non comme un frein, mais comme un dispositif de développement endogène à fort potentiel, dès lors qu’il est repensé comme outil de construction communautaire et de réactivation des circuits de solidarité locale.

L’islam : socle spirituel, ordre social… et levier ambigu du développement

Aux Comores, l’islam constitue à la fois la matrice spirituelle de la nation et l’ossature normative de la vie sociale. En 2016, environ 98 % de la population se déclare musulmane sunnite, selon le Pew Research Center. Cette centralité religieuse s’exprime dans l’organisation communautaire, les relations sociales, les mécanismes de solidarité et les normes juridiques. La mosquée, au-delà de sa fonction liturgique, demeure un espace de régulation sociale, de médiation des conflits et de transmission intergénérationnelle.

Cette affiliation religieuse dépasse d’ailleurs les frontières nationales : les Comores sont membres à part entière de la Ligue des États arabes depuis 1993, une appartenance qui les inscrit dans un espace géopolitique et spirituel partagé, regroupant des économies musulmanes avancées. Cette intégration offre un cadre de coopération potentielle sur les plans économique, éducatif et financier, mais reste encore sous-exploitée dans les politiques publiques nationales.

Pour autant, la prégnance de l’islam dans la vie sociale ne se traduit pas mécaniquement par une dynamique de développement. Dans le discours courant, les épreuves individuelles ou collectives sont fréquemment interprétées à travers un prisme fataliste : crises économiques, maladies, ou catastrophes naturelles sont souvent perçues comme des manifestations de la volonté divine, écartant ainsi toute lecture structurelle et institutionnelle des problèmes.

Cette lecture métaphysique des faits sociaux, lorsqu’elle devient hégémonique, affaiblit la conscience critique, dilue la responsabilité des élites, et empêche l’émergence d’un véritable contrat social. Ce n’est pas l’islam en tant que tel qui pose problème, mais son instrumentalisation sociale dans un contexte de faible éducation religieuse et d’analphabétisme structurel.

Pourtant, plusieurs exemples internationaux montrent que l’islam, compris comme système éthique de gouvernance, peut devenir un vecteur de progrès. Les Émirats arabes unis, avec un PIB par habitant de 37 622 dollars en 2015, ou le Qatar, qui culmine à 59 331 dollars par habitant, ont su mobiliser la richesse et la religion pour bâtir des États performants, où l’innovation coexiste avec les valeurs islamiques. La Malaisie, leader mondial de la finance islamique, atteint un PIB par habitant de près de 10 000 dollars en 2015 tout en maintenant un modèle de société inclusive, fondé sur l’équilibre entre tradition et ouverture.

Ces trajectoires rappellent que l’islam n’est pas un frein ontologique au développement, mais que son influence dépend du cadre institutionnel, de l’interprétation dominante de ses textes, et de la capacité des dirigeants à en faire un levier de transformation. Aux Comores, la promotion d’un islam éclairé, fondé sur le savoir (‘ilm), la concertation (shûra) et la justice sociale (‘adl), est une condition essentielle pour restaurer la confiance collective, refonder les responsabilités politiques et donner du sens à la participation citoyenne.

La jeunesse comorienne : une bombe à retardement ou une promesse à activer ?

Avec plus de 60 % de sa population âgée de moins de 25 ans, l’Union des Comores est l’un des pays les plus jeunes du continent africain. Cette jeunesse massive, dans un contexte de faible croissance et de transition démographique partiellement engagée, constitue un paradoxe stratégique : à la fois risque majeur de désordre social et réservoir inépuisable de potentiels économiques, culturels et civiques.

En 2016, les jeunes comoriens font face à une marginalisation multidimensionnelle. Sur le plan économique, le taux de chômage des 15-24 ans atteint 19 %, un chiffre qui ne rend pas compte de l’ampleur réelle du sous-emploi et de l’économie informelle où ces jeunes évoluent souvent sans protection ni statut juridique. L’accès au crédit demeure très limité, le système éducatif est déconnecté du marché du travail, et les infrastructures de formation technique sont sous-développées. Le sentiment de déclassement est renforcé par un exode migratoire croissant, en particulier vers la France, où les jeunes espèrent trouver une meilleure insertion.

Politiquement, bien que très présents dans les mobilisations communautaires, les jeunes sont tenus à l’écart des sphères de décision. Leur engagement se limite souvent à des rôles d’exécution, dans des campagnes électorales marquées par des logiques clientélistes, sans véritable accès à la formulation des politiques publiques. Ce déficit de participation alimente un sentiment d’invisibilité sociale.

Pourtant, des signaux faibles mais porteurs d’avenir émergent. Des jeunes créent des micro-entreprises artisanales, agricoles ou numériques, investissent les réseaux sociaux pour exprimer leurs revendications, ou s’organisent dans des collectifs citoyens autour de l’environnement, de la culture ou de l’éducation. Ces initiatives, bien que dispersées, témoignent d’une volonté de réinventer les règles du jeu et de s’approprier le devenir du pays.

À condition d’être reconnue, accompagnée et protégée, cette énergie peut devenir le principal levier de transformation socio-économique du pays. Cela implique de repenser les politiques de jeunesse à partir de leurs réalités concrètes : mettre en place des dispositifs de microcrédit adaptés aux jeunes ruraux, renforcer les centres de formation professionnelle et artisanale, connecter les jeunes à la diaspora via des programmes de mentorat, et surtout leur ouvrir des espaces de dialogue structurant avec les institutions publiques.

Enfin, la jeunesse comorienne ne peut se construire dans un vide symbolique. Il est nécessaire de revaloriser les récits d’émancipation, d’honorer les figures de réussite locale, et de bâtir une culture de la confiance intergénérationnelle. Sans cela, le capital humain risque de se muer en désenchantement chronique, avec pour issue l’exil ou la radicalisation.

« Jeunesse comorienne, n’attendez pas que l’histoire vous invite à la table du destin : imposez votre place par l’audace, le travail et la solidarité. Le développement de demain dépend de vos actes aujourd’hui. » 

La jeunesse n’est pas une menace en soi. Elle est un révélateur. Si elle s’impatiente, c’est parce que le système social et économique ne répond pas à ses aspirations. Si elle s’engage, c’est qu’elle croit encore en la possibilité d’un futur comorien à hauteur d’homme.

Valoriser les normes sociales tout en initiant une réforme douce

Le développement ne repose pas uniquement sur l’accumulation de capital physique ou l’augmentation du PIB. Il est aussi et surtout un processus de transformation des représentations, des comportements et des normes sociales. Aux Comores, comme dans de nombreuses sociétés postcoloniales à forte cohésion communautaire, les normes culturelles façonnent profondément les choix individuels et collectifs. Elles déterminent ce qui est socialement valorisé ou stigmatisé, ce qui est permis ou impensable, ce qui est aspiré ou interdit.

Ces normes, issues d’un héritage islamique, africain et insulaire, ont permis aux Comores de préserver une forte identité collective et une stabilité sociale relative. Le respect de la hiérarchie, la centralité de la famille élargie, la solidarité villageoise et la préservation des traditions sont des atouts culturels majeurs. Mais ces mêmes normes peuvent, dans certains contextes, freiner l’innovation, figer les rapports de pouvoir, ou bloquer les initiatives individuelles qui dérogent aux schémas établis.

Le défi n’est donc pas d’opposer tradition et modernité, mais d’engager un processus graduel de réforme endogène, qui part des pratiques existantes pour en corriger les dérives et les rigidités. Il s’agit de pratiquer une réforme douce, selon l’idée que les comportements humains sont plus facilement transformés par la persuasion, l’expérimentation et la démonstration, que par la contrainte ou la rupture brutale.

Les sciences comportementales offrent aujourd’hui des outils concrets pour accompagner cette transition : les « nudges », par exemple, permettent de modifier les choix en ajustant subtilement l’environnement décisionnel. Des études de terrain dans plusieurs pays d’Afrique montrent que l’exposition à de nouveaux récits, la valorisation de figures de changement issues du même contexte social, ou l’encouragement à l’apprentissage expérientiel peuvent modifier durablement les comportements.

Dans notre pays, l’Union des Comores, cela pourrait passer par :
– La mise en récit de traditions réinterprétées, comme un ‘Anda’ plus sobre mais plus équitable.
– L’encadrement des pratiques religieuses dans des cadres pédagogiques ouverts, intégrant sciences sociales et théologie.
– Le soutien aux innovations culturelles locales, notamment portées par la jeunesse, les artistes, les diasporas ou les entrepreneurs sociaux.
– La valorisation des savoirs traditionnels, non comme folklore figé, mais comme ressources adaptables aux défis contemporains (agriculture, pharmacopée, architecture, gestion des communs).

Il ne s’agit pas d’un « big push » culturel visant à faire table rase du passé, mais d’un réajustement collectif du sens, un aggiornamento lent, respectueux mais décisif. Car comme l’a montré Amartya Sen, le développement, au fond, est la capacité des individus à élargir leurs libertés réelles : choisir, expérimenter, remettre en cause, et reconstruire.

Dans une société comorienne marquée par la pluralité des influences, le respect des anciens et l’émergence d’une jeunesse mondialisée, il est possible de construire une modernité enracinée, capable de mobiliser le capital culturel existant pour produire un développement souverain, juste et durable.

 

Pour un développement comorien fondé sur la transformation endogène des comportements

En 2016, l’Union des Comores fait face à une conjonction de vulnérabilités économiques, sociales et institutionnelles. Faible croissance, chômage des jeunes, urbanisation informelle, dépendance énergétique, stagnation des indicateurs humains… Ces symptômes structurels ne peuvent être compris sans une analyse plus profonde des comportements sociaux, des représentations collectives et des normes culturelles qui les sous-tendent.

Car le développement ne s’impose pas uniquement par des investissements, des infrastructures ou des transferts financiers. Il se construit aussi par des décisions individuelles, par des croyances partagées, par des formes d’aspiration et de coopération. Il est le produit d’un système de sens, autant que d’un système de production.

Dans ce contexte, il ne s’agit ni de nier les traditions comoriennes – comme le ‘Anda’, véritable pilier culturel et moteur de redistribution locale –, ni de rejeter la centralité de l’islam, socle éthique et institutionnel de la société. Il s’agit plutôt de les réinterpréter, de les mobiliser comme ressources, en les inscrivant dans un projet national de transformation, à la fois lucide et enraciné.

La jeunesse comorienne, souvent présentée comme une menace, apparaît ici comme l’acteur central de cette reconfiguration. Elle incarne à la fois les tensions du présent et les promesses d’un futur à inventer. Mais encore faut-il lui offrir des espaces d’expression, des instruments d’action, des récits d’émancipation.

Le véritable changement ne viendra pas d’un plan unique ni d’un modèle importé. Il viendra d’un ajustement profond des comportements collectifs, d’une élévation des consciences, et d’une capacité, en tant que peuple, à se penser autrement. Il viendra de cette « modernité intérieure » que chaque société doit inventer à sa manière.

« Un pays ne se développe pas par décret. Il se développe quand sa population croit à nouveau que demain peut être meilleur, et que chacun porte une part de cette espérance. »

Les Comores ont tous les ingrédients d’un modèle original : une culture forte, une diaspora puissante, une jeunesse dynamique, des traditions d’entraide, une foi structurante. Mais ces ressources ne produiront aucun miracle si elles ne sont pas converties en énergie transformatrice, par la réflexion, le courage et l’organisation collective.

Ce travail commence maintenant – au sein des villages, des familles, des mosquées, des écoles, des marchés, des réseaux sociaux. Il commence par un regard critique sur nous-mêmes, et par une volonté partagée de faire advenir une société comorienne digne, souveraine et pleinement en mouvement

Après Ouaga, Bujumbura : la « génération consciente » prend la rue

BurundiBurkinaAprès le Sénégal en 2011-2012, le Burkina Faso en novembre 2014 et la République démocratique du Congo en janvier, voilà que la jeunesse du Burundi se soulève à son tour contre son président, trop avide de pouvoir pour admettre qu’après deux mandats et dix ans à la tête de l’État, il est désormais temps de passer la main.

Les manifestations qui agitent certains quartiers de Bujumbura ont commencé après la nomination, samedi 25 avril, du président Pierre Nkurunziza comme candidat du CNDD/FDD (le parti au pouvoir) à un troisième mandat lors des élections de juin et juillet. Sous la pression du régime, la Cour constitutionnelle a validé le 5 mai la candidature de Nkurunziza, profitant d’une disposition ambigüe dans la Constitution de 2005. Pour les manifestants, il n’y a pas matière à ambiguïté : élu en 2005, réélu en 2010, Nkurunziza doit partir en 2015.

Dans les premiers jours, certains médias internationaux ont dépeint les manifestations en des termes ethniques, provenant selon eux de « quartiers tutsi » opposés à un régime hutu. Il n’en est rien : comme à Dakar ou à Ouagadougou, la révolte est avant tout celle d’une jeunesse burundaise urbaine, qualifiée, désireuse de s’impliquer dans le développement du pays mais systématiquement écartée et marginalisée par les caciques du pouvoir. Aucun groupe ne s’est encore démarqué, comme Y’en a marre au Sénégal, le Balai Citoyen au Burkina Faso ou Filimbi en RDC ; mais comme dans ces pays, c’est la société civile qui est à la tête de la contestation. Tutsi, hutu, professeurs, étudiants, commerçants, chômeurs, activistes, les manifestants partagent tous la même aspiration à l’ouverture politique et le rejet d’un pouvoir « privatisé » au profit de quelques-uns.

L’idée d’un soulèvement ethnique est non seulement erronée : elle néglige complètement la lame de fond démocratique qui traverse l’ensemble du continent africain depuis maintenant quelques années. Elle est aussi profondément dangereuse : alors que des responsables du CNDD/FDD critiquent les manifestants hutu comme des « mauvais Hutu », et que les jeunesses militantes/miliciennes du parti (les « Imbonerakure ») multiplient les actes d’intimidation à forts sous-entendus ethniques dans les campagnes autour de Bujumbura, une description trop simpliste des évènements fait le jeu d’un régime prêt à exacerber la fibre ethnique de ses citoyens pour se maintenir au pouvoir.

La communauté internationale doit maintenant montrer qu’elle est prête à s’engager aux côtés des peuples africains lorsque ceux-ci revendiquent haut et fort leurs aspirations démocratiques. Hormis les États-Unis, les pays occidentaux sont pour l’instant restés trop timorés. L’UE, la Belgique et les Pays-Bas (impliqués dans le financement des élections) devraient notamment faire entendre leur voix. Des menaces de sanctions ciblées ou de suspension temporaire de l’aide auraient certainement un impact sur le régime, ou du moins éviteraient de devenir complice d’un processus électoral qui s’apparente de plus en plus à une mascarade. La demande adressée par le Secrétaire-général de l’ONU Ban Ki-moon au président ougandais Yoweri Museveni pour qu’il intervienne dans la crise burundaise laisse également sceptique : un homme au pouvoir depuis 29 ans, ayant lui-même aboli la limite constitutionnelle de deux mandats en 2005, est-il réellement le mieux placé pour plaider le respect des principes constitutionnels auprès de son homologue burundais ?

Surtout, on attend plus des institutions africaines. L’Union africaine s’est aussi saisie de la situation, mais sans prendre de position claire sur la candidature de Nkurunziza ou sur la répression policière. Elle aussi peut faire peser la menace de sanctions sur le régime, tout comme la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), qui a dépêché une délégation ministérielle au Burundi le 4 mai. Si la CAE est d’ordinaire focalisée sur les affaires économiques, la probable saisine prochaine de la Cour de justice de la CAE par l’opposition burundaise sur la légalité de la candidature de Nkurunziza sera l’occasion pour l’organisation de réitérer son attachement à certains principes démocratiques.

Au-delà du combat pour la démocratie, il s’agit surtout d’éviter un retour à une guerre civile, un scénario qui apparaît aujourd’hui moins improbable qu’il y a quelques mois. Parmi les manifestants se mêlent des anciens combattants (notamment des rebelles hutu du FNL), démobilisés après 2005 ; nombre d’entre eux se sentent aujourd’hui laissés pour compte et commencent à envisager de transformer le mouvement non-violent en une lutte armée. De l’autre côté, les Imborenakure, dont certains auraient récemment reçu des formations paramilitaires secrètes en RDC voisine, quadrillent l’intérieur du pays, et plusieurs rapports font état de distributions d’armes. Si l’armée jouit d’une bonne réputation, elle apparaît quant à elle entre une frange d’ex-CNDD/FDD restés fidèles au régime (dont le chef d’état-major), et le reste des hauts gradés (y compris le ministre de la Défense), qui semblent défendre le droit à manifester. Plus de 30 000 Burundais ont déjà fui vers les pays voisins ; au vu de ce cocktail explosif, la prévention des conflits doit devenir une priorité pour l’UA, active au Burundi dès ses premiers instants au début des années 2000 et qui dispose d’un Groupe des Sages dédié, et les autres acteurs.

À court terme, des actions diplomatiques sont également nécessaires pour mettre fin aux brutalités policières. Orchestrée par la police, sous les ordres d’un fidèle lieutenant de Nkurunziza, la répression a déjà fait plus d’une dizaine de morts dans les rues de Bujumbura. Le premier d’entre eux, tombé sous les balles des policiers à Cibitoke : un jeune de 15 ans, né en 2000, l’année des accords de paix d’Arusha. Son nom ? Népomucène Komezamahoro, qui signifie en kirundi « force de la paix ». Nul ne sait encore quel sera l’épilogue de ces deux semaines sans précédent de manifestations à Bujumbura ; mais le régime de Nkurunziza pourra-t-il résister à la force de ce symbole ?

Vincent Rouget 

L’entrepreneuriat : un modèle de développement pour l’Afrique?

Lors d'un échange passionnant avec Mr Bonaventure MVE ONDO, Philosophe, ancien recteur de la Francophonie et de l'université Omar Bongo, nous nous sommes arrêtés sur des chiffres alarmants : plus de 120 millions de jeunes sortiront des systèmes éducatifs d'ici 2020 en Afrique subsaharienne et les 3/4 de ces jeunes ne trouveront pas d'emploi. Si le marché de l’emploi se raréfie en Europe par exemple, a t-il jamais existé en Afrique ?

Quelles y ont les réelles perspectives d'emploi ? Les entreprises internationales joueront-elles le jeu en créant des emplois dans la sous région ?

Les autorités africaines et internationales ont-elles prévu des plans d'actions opérationnels ? Est-ce que l'entreprenariat ne serait pas une solution efficace pour permettre à un plus grand nombre d'occuper une place d'acteur économique dans une Afrique en pleine croissance ?

Je crois personnellement que l'entrepreunariat est une conséquence logique de la mutation de notre société. En quittant l'ère industrielle pour passer à l'ère de l'information, le nord et le sud se retrouvent dans une situation presque similaire : la nécessité de revoir leurs fondamentaux socio-économiques et l'obligation de concevoir de nouvelles approches dans le domaine du travail.  J’imagine parfois que dans un futur proche où nos petits-enfants et arrière-petits-enfants découvriront le « salariat » en allant visiter les musées ! En effet notre économie, fondée sur l’industrialisation et la consommation date du début du 19ème siècle, soit plus de 200 ans ce qui est infiniment petit à l’échelle de l’histoire de l’humanité. Il y a eu d’autres modèles avant et il y a aujourd’hui l’opportunité de créer de nouveaux modèles durables. Ceci est un enjeu majeur pour l’Afrique et une grande responsabilité. Mais c’est surtout une grande chance car contrairement à l’époque industrielle qui nécessitait de gros investissements et des équipements lourds, on peut aujourd’hui créer son entreprise seul chez soi avec un téléphone, un ordinateur, une connexion internet et surtout de la matière grise ! C’est sans précédent. Et pendant que les monopoles perdus nous parlent de « la crise », il n’y a jamais eu autant d’initiatives et de success stories. Même si créer son entreprise nécessite certaines aptitudes et compétences, notamment la gestion, nous serons de plus en plus nombreux à tenter notre chance en « Terre entrepreneuriale». De la révolution industrielle à la révolution individuelle, quelle sera le modèle de développement de l’Afrique à l’aube du 22ème siècle ?

C'est pour faire un tour d'horizon de la situation globale et des spécificités de chaque pays que je me suis tournée vers des opérateurs économiques confirmés ou débutants pour prendre le pouls de cette économie africaine qui fait l'objet de toutes les convoitises.

Episode 1 : Au Bénin les jeunes diplômés créent leur job !

Lors d'un séjour à Cotonou, j'ai eu le plaisir de rencontrer une équipe de jeunes diplômés qui a décidé de prendre son avenir en main en créant sa propre structure. Ils partagent leur expérience et leur vision du futur. Une génération ambitieuse qui est à l'écoute d'un monde qui bouge mais qui doit composer avec ses réalités et les usages locaux.

Entretien avec Steve Hoda, Directeur des opérations et Vianio Kougblenou Directeur Général du cabinet Intellect Consulting 

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Présentez-nous votre structure 

Intellect Consulting est le seul cabinet-conseil pluridisciplinaire du Bénin géré par de jeunes Béninois. Fondé en Janvier 2012, le cabinet propose ses expertises en vue de favoriser le développement économique des pays africains. Les activités du cabinet tournent autour de 7 départements (Recherche-Formation et Développement – Informatique – Communication et Stratégie – Ingénierie solaire – Management des Projets – Juridique – Évènementiel & Création) et repose sur les valeurs telles que la responsabilité, la réactivité, l’éthique et la qualité. Le cabinet, à ce jour, travaille en partenariat avec plus d’une dizaine de partenaires à travers le monde. (Consulter www.intellect-consulting.com pour plus d’informations)

 

Quelle est globalement la situation des jeunes diplômés au Bénin ?

La question de l’emploi est un véritable problème dans notre pays le Bénin. Il suffit simplement de voir le nombre de candidats lors des concours de la fonction publique pour s’en rendre compte.

 

Quels sont les dispositifs mis en place pour favoriser l'emploi ? Sont-ils opérationnels ?

Pour favoriser l’emploi, l’État a mis en place des Business Promotion Center (BPC) qui sont des cadres qui incitent les jeunes à la création de leur emploi. Ces BPC accompagnent les micro-entrepreneurs dans leur idée d’entreprise.

En dehors de cela, l’État a mis en place l’Agence Nationale pour le Promotion de l’Emploi qui accompagne également les jeunes dans la mise en œuvre de leur propre entreprise et aussi pour l’employabilité dans une entreprise qu’elle soit privée ou publique. Mais il faut noter que ces structures ne sont pas tellement opérationnelles.

 

Comment vous est venue l'idée de créer votre entreprise ?

Nous sommes pour la plupart membres de l’Association des Volontaires du développement Durable (AVD-Bénin) qui est une organisation non gouvernementale que nous avons créée en 2011. Vu qu’il était difficile d’avoir des financements et que la plupart d’entre nous étaient diplômés dans divers domaines, nous nous sommes dit « pourquoi ne pas mettre en place un cabinet-conseil pour financer nos activités ? » C’est ainsi que nous avons crée Intellect Consulting.

Comment ont réagi vos familles ?

La génération de nos parents ne sait rien de ce qu’on appelle « entrepreneuriat ». Ils préfèrent voir leurs enfants au sein d’une grande entreprise, signe de réussite pour eux. C’est donc normal qu’ils soient restés sceptiques au départ. Maintenant, ils nous apportent leurs bénédictions puisqu’ils sont conscients qu’il n’est plus facile de trouver un emploi.

 

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Nous avons deux grandes difficultés. La première est qu’il est difficile pour les banques de nos pays d’accompagner les start-up. Vous êtes donc bien conscients qu’une jeune entreprise qui se bat seule risque de disparaitre. Ce qui fait que le taux de « mortalité » des entreprises est très élevé. À côté de cela, il faut dire que la fiscalité dans notre pays n’est pas une fiscalité de développement. Elle tue plutôt les entreprises.  

Deuxième difficulté : Nous sommes très jeunes et la génération des personnes aux affaires ne fait pas confiance à la jeunesse qu’elle estime immature et incompétente.

 

Comment a été accueillie votre initiative ? Que pensent vos camarades de promotion de votre projet ?

C’est une initiative qui a été bien accueillie et qui force l’admiration autour de nous. Nos amis de promotion sont fiers de nous même s’ils trouvent le pari trop risqué.

 

Quels sont vos atouts ?

Nos atouts : Nous sommes jeunes diplômés dans plusieurs domaines (droit, informatique, journalisme, économie, gestion, finance, ingénierie solaire, e-marketing…). Nous avons fait pour la plupart des expériences dans de grandes entreprises de la place.

Intellect-Consulting s’est également entouré de personnes qui ont du succès dans leur domaine d’expertise, afin de bénéficier d’une formation continue pour notre équipe car nous souhaitons apporter un service de haute qualité sur le marché africain. Nous avons noué des partenariats avec des entrepreneurs & des experts en France, en Suisse, au Sénégal, au Togo, au Canada et en Inde. Ils nous apportent leur concours sur le plan méthodologique et sur le plan des idées.

Pour nous faire connaître et vulgariser le métier de consultant et plus largement la prestation de service intellectuel, nous avons également un magazine économique en ligne « LeConsultant » : http://intellect-consulting.com/la-mediatheque/bulletin/

 

Qu'apportez-vous à vos clients ?

Nous accompagnons nos clients pour développer leur chiffre d’affaires tout en adoptant une attitude éco-responsables. Tout le monde fait du business au Bénin, mais combien d’entreprises sont vraiment rentables ? Nous les aidons à préparer l’avenir en étant plus performantes.

 

Quels objectifs souhaitez-vous atteindre ?

Notre objectif : accompagner sur les trois prochaines années plus de 100 entreprises à développer leurs activités et leur chiffre d’affaires dans la sous-région.

 

Vous êtes-vous déjà imaginé ce que vous deviendrez dans 10 ans ?

Dans 10 ans, nous envisageons devenir un grand groupe qui accompagne les chefs d’États africains dans les processus de développement économique. C’est pourquoi, nous avons travaillé sur la vision de l’Afrique à l’orée 2050 que vous pouvez lire en allant sur ce lien : http://stevehoda.over-blog.com/2014/04/quand-intellect-consulting-vous-plonge-dans-l-afrique-de-2050.html

 

Quelles sont les aptitudes indispensables pour réussir ?

Pour réussir, il faut avoir une vision, des objectifs clairs et mettre les moyens nécessaires pour atteindre ces objectifs. Cela demande beaucoup de discipline, de rigueur et surtout de persévérance.

 

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui veulent se lancer ?

Pour les jeunes qui veulent se lancer, nous les encourageons et nous leur disons qu’ils ont fait le meilleur choix. Maintenant, il leur revient de bien mûrir leur idée de projet, de s’entourer de personnes qui partagent la même vision qu’eux et de maintenir l’esprit d’équipe.

Ils rencontreront certainement des difficultés qui sont des marches vers le succès. Ils ont donc besoin d’un esprit guerrier pour avancer.

 

Quels sont vos prochains défis ?

  • Mettre en place différentes micro-entreprises à travers le projet CAFE (Conférence/Plan d’Action Africain sur l’Entrepreneuriat). À cet effet, nous travaillons avec Lawson Investissements pour la mise en place d’une ferme agricole à Zinvié au Bénin.
  • Servir de foyer d’opérationnalisation pour aider la diaspora à investir au Bénin.
  • Amener tous les professionnels, élèves et étudiants à maitriser les logiciels de leur domaine respectif.
  • Installer l’énergie solaire dans bon nombre de foyers béninois.

 

Article de Jenny-Jo Delblond Coach financière et passionnée d’entrepreneuriat elle est spécialiste de l’éducation financière. Elle intervient en France, aux Antilles et en Afrique pour accompagner les entrepreneurs et les chefs d’entreprises. Conférencière, consultante et formatrice elle démystifie l’argent et permet aux gens de développer leur créativité financière pour augmenter leurs revenus et améliorer leur qualité de vie. Jenny-Jo a coutume de dire qu’elle est diplômée de la Haute École de la Vie, car autodidacte, c’est dans les entreprises qu’elle acquiert son expertise pratique dans le domaine des affaires et de la vente.

Portraits d’Afro-responsables

« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ». Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre (1961)

A la rentrée 2012-2013 l’Education nationale française a intégré au programme de géographie des classes de Terminale un nouveau chapitre intitulé « L’Afrique : les défis du développement » ! C’est dire si l’heure est à la prise de conscience que désormais il faudra compter avec l’Afrique. L’indéniable émergence du continent africain se fait par le bas…ou le haut, selon l’échelle que l’on retient. Convaincus qu’ « il vient une heure où protester ne suffit plus : après la philosophie, il faut l’action »[1], de jeunes africains, la véritable manne du continent, agissent tous les jours, à leur niveau pour donner un sens à l’afro-responsabilité.

Ils sont quatre jeunes africains, pas trentenaires ou à peine, à qui j’ai demandé de me parler de leurs activités et du sens qu’ils donnent à l’expression « afro-responsabilité ».


385917_2895783839254_845707110_nElom Kossi 20ce est un rappeur et activiste togolais, il se définit comme « un griot contemporain, qui essaye de cicatriser à travers l’art oratoire et l’écriture, les profondes plaies de l’Afrique ». Il est à l’origine du concept d’ « arctivisme », contraction des mots art et activisme désignant le militantisme sociopolitique porté par l’art ; le dernier chapitre d’Arctivism a vu Elom 20ce et son équipe se déplacer à Cotonou au Bénin pour faire découvrir l’histoire de Toussaint Louverture. On doit aussi à l’infatigable Elom le « Cinéreflex » contraction des mots Cinéma et Réflexion, un rendez-vous mensuel pour réfléchir sur les problèmes contemporains de l’Afrique et du monde en relation avec notre histoire. Elom 20ce a réussi à faire de sa musique un vecteur de transmission et d’éveil des consciences. Il a sorti un maxi, Légitime Défense, en janvier 2010 suivi en 2012 par l’album Analgézik, disponible « dans toutes les bonnes pharmacies ». L’afro-responsabilité pour Elom c’est la prise en main de la destinée de l’Afrique par les Africains. Elom 20ce sera en concert-live à Lomé le 10 août prochain.

 


976990_10200741548274601_340972181_oEn octobre 2012 j’assiste au chapitre parisien d’Arctivism consacré à Thomas Sankara. Dans la salle, beaucoup de visages connus. Un débat suit la projection d’un documentaire sur la vie de Sankara, une main se lève, puis une voix, étonnamment douce. Je me retourne, visage connu encore. Enorme contraste entre cette voix et la force des propos de celle qui la possède. Lena a 25 ans, elle est togolaise et vit à Paris. Sous son apparence frêle se cache une redoutable femme d’affaires qui vient de lancer la Nana'secrets, une beautybox qui révèle chaque mois aux femmes, les produits de beauté inspirés du terroir Africain. Ce projet réunit les trois grandes passions de Lena : l’Afrique, les affaires et la beauté. Pluridisciplinaire, Lena tient aussi un blog Nana Benz et est un membre actif de l’association AfreecaTIC qui se donne pour objectif la vulgarisation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) en Afrique ainsi que l’accès à l’énergie et la protection de l’environnement. Pour Lena, être afro-responsable c’est « apporter une pierre au chantier du développement africain ». Victime de son succès, la toute première box Nana Secrets est déjà en rupture de stock, celle de Juin arrive très bientôt…

 


383521_609792782373486_67387218_nLe 28 mai 2013 un dîner de gala donné en présence d’ambassadeurs de pays africains et des Etats-Unis a marqué à Accra le lancement officiel du livre « From Nowhere to Somewhere ». L’auteur, I.K Adusei, n’est pas vraiment un inconnu pour la centaine d’invités. Diplômé de Sciences politiques de l’Université du Ghana, Isaac a à peine 24 ans. Fort de la conviction qu’une jeunesse responsable et instruite doit être l’épine dorsale d’une Afrique qui se relève, il a créé en 2009 –à 20 ans !- le Youth Rights Watch Initiative International, une ONG qui mène des projets et des programmes orientés vers la responsabilisation de jeunes ghanéens et africains. Isaac s’est fait le porte-parole d’une jeunesse forte et est régulièrement invité à participer à des conférences. En 2012 son poème « The choice at the cross road » a été parmi l’un des rares écrits africains retenus par l’ONU dans le cadre du UN Poetry for Peace Contest. Pour Isaac l’afro-responsabilité c’est le destin de l’Afrique entre les mains des Africains. Il n’est pas aisé de faire une synthèse des activités de ce jeune qui se définit sans détour comme un panafricaniste, nourri de la mémoire et des œuvres de son illustre compatriote Kwame Nkrumah, tant le jeune homme est insaisissable, foisonnant de projets et d’initiatives toujours orientés vers l’émergence du continent africain à travers ses jeunes. Isaac K. Adusei. Retenez ce nom : il pourrait bien être, dans quelques années, celui de l’autre ghanéen qui occupe le poste qui a longtemps été celui de Koffi Annan.


319139_10150420171962674_527661021_n(Re)construire l’Afrique par ce qui est sa première richesse : les enfants. Cela pourrait être la devise d’Ablavi Gokou. Cela fait bientôt dix ans que j’ai la chance de côtoyer Ablavi et dix ans donc que je la vois faire échec à l’acception –masculine – selon laquelle la femme est le sexe faible. Née à Lomé, Ablavi a vécu un peu partout en Afrique avant d’arriver en France en 2002. Titulaire d’un Master de Droit international, elle avait hâte de quitter la France pour exercer ses compétences là où on en a réellement besoin : en Afrique. Ablavi ne voulait pas figurer dans cette galerie de portraits, « je n’ai encore rien fait » me dit-elle. Certes. Si l’on considère qu’une vie dévolue à l’humanitaire entre Nairobi, Conakry, Lille, Paris, Bruxelles, Le Caire, Bobo Dioulasso, Lomé, n’est « rien ». Lorsque ses études l’emmènent au Caire pour des recherches sur les minorités et le droit à l’éducation, le stage seul ne suffit pas à cette battante, elle veut se sentir utile, et comme souvent c’est auprès des enfants qu’elle nourrit ce besoin. Six mois à s’occuper de jeunes réfugiés soudanais déplacés par la guerre.

A travers le continent, des jeunes dévoués, sérieux et déterminés, travaillent en silence et avec acharnement au développement du continent africain. Compagnons de barricade, éclaireurs et bâtisseurs d’une nouvelle Afrique, ils nourrissent et réaffirment notre foi dans la jeunesse africaine.

Liens :

http://www.elom20ce.com/

http://nanasecrets.com/ 

http://www.un.org/disarmament/special/poetryforpeace/poems/adusei/

http://worldwriteafrica.wordpress.com/ 


[1] Victor Hugo

 

 

 

 

 

 

 

La croissance africaine est-elle condamnée à ne pas générer d’emplois ?

À l’heure où l’économie chinoise ralentit et que les principales puissances économiques peinent à croître durablement, les pays africains se placent en tête de la liste des pays ayant la plus forte croissance économique en 2012. Ainsi, la Zambie, avec une croissance de 7,38%, est le douzième pays de la liste, tandis que la Mozambique occupe la dixième place, l’Éthiopie la huitième, le Liberia la quatrième ; l’Angola, avec 10,5% occupe la troisième place, et le Niger connaît la plus forte croissance économique à l’échelle mondiale, à hauteur de 15,4%.

Un optimisme exagéré ?
Si la croissance économique dans les pays africains est une source indubitable d’espoir, dans la plupart des cas, elle n’implique pas pour autant une réduction significative de la pauvreté. En effet, croissance n’est pas nécessairement synonyme de meilleure distribution de richesses, tandis que la transparence reste de l’ordre du fantasme. De fait, lors du récent Forum Africain pour le Développement qui s’est tenu à l’École d’Études Africaines et Orientales de l’Université de Londres, le Docteur Patricia Daley, professeur de géographie humaine à l’Université d’Oxford, s’est posée la question de savoir qui, réellement, bénéficiait de la croissance économique en Afrique. Bien que cette croissance soit dynamique, les secteurs qui la favorisent demandent, en général, plus de capitaux que de main-d’œuvre ; l’investissement provenant de l’étranger étant directement injecté dans les zones les plus développées. Cette croissance n’impacte donc que très peu les sans-emplois et ceux qui survivent dans la précarité et les emplois informels, sans disposer de protection sociale. Ainsi, selon le Docteur Daley, « en dépit de la croissance, il n’y a pas de transfert des ressources du haut vers le bas. La croissance reste concentrée dans la production et l’extraction de matières premières, ce qui ne permet pas de créer beaucoup d’emplois ».

Une croissance qui ne génère pas d'emplois
Suite aux annonces de hausse du chômage en Afrique, un rapport de l’African Economic Outlook a rappelé que la stabilité politique et sociale du continent noir serait déterminée par la capacité des pays à utiliser leur plus précieuse ressource : la jeunesse de sa population, qui est amenée à doubler vers 2045. De nos jours, 60% des chômeurs africains ont entre 15 et 24 ans. Il est crucial que des politiques soient menées afin de former les jeunes, et qu’ils puissent ainsi intégrer le marché africain du travail, un marché dont l’étendue devrait dépasser celle des marchés de l’Inde et de la Chine à l’horizon 2040.

Les politiques gouvernementales devraient s’appliquer à rendre les programmes d’éducation plus pertinents, en accord avec les demandes du marché du travail. À l’heure où beaucoup d’entreprises recherchent des profils techniques, l’Afrique détient le record d’étudiants inscrits en sciences sociales, et beaucoup d’entre eux finissent sans emploi. Traditionnellement, les systèmes éducatifs ont été bâtis pour répondre aux besoins de la fonction publique ; mais les universitaires devraient garder un œil sur le marché africain, faisant ainsi progresser l’initiation des jeunes à des formations techniques et à l’agriculture. Selon une étude de l’African Economic Outlook, mettre en adéquation l’éducation aux besoins du marché du travail sera crucial dans les prochaines années car 54 % des chercheurs d’emploi ont de hautes qualifications, mais qui ne répondent pas aux besoins des entreprises.

Cependant, il sera aussi crucial d’étudier l'offre d’emplois afin de transformer la croissance en développement. La jeunesse africaine a certes été bien instruite grâce à des politiques de développement qui se sont appuyées sur l’éducation, mais elle manque tout de même d’opportunités d’emplois, ce qui conduit à ce que 72% de la jeune population du continent vivant avec moins de 2 dollars par jours. Sur 200 millions de personnes âgées de 15 à 24 ans, seules 21 millions sont considérées comme dotées d’un emploi « salarié » – paramètre permettant de mettre en évidence les emplois « sérieux » – tandis que 53 millions ont des emplois précaires qu’ils sont obligés d’accepter du fait de leur pauvreté. Selon Jan Rielaender, économiste au centre du Développement de l’OCDE, « L’Organisation Internationale du Travail estime qu’entre 2000 et 2007, la population active a vu ses rangs gonfler de 96 millions d’individus, alors que le nombre d’emplois créés était juste de 63 millions. Avec 10 à 12 millions de jeunes intégrant le marché du travail africain chaque année, les jeunes qui ne travaillent ou n’étudient pas constituent un gaspillage des ressources de leur pays ».

Il est aussi nécessaire d’indiquer que cette croissance économique, comme on peut s’en douter, impacte de façon différente les populations en fonction de leur sexe. Les femmes sont particulièrement désavantagées dans l’accès à un travail de bonne qualité, à cause de facteurs tels que l’accès limité à l’éducation. Ce fait pousse beaucoup d’entre elles à s’activer dans des secteurs économiques informels et à basse valeur ajoutée, où elles sont sujettes aux petits salaires, à la précarité, et se rendent vulnérables à l’exploitation. De ce fait, il s’avère très important de faciliter leur accès à des emplois décents afin d’améliorer leur revenus et leur bien-être.

Pour une croissance inclusive

Les gouvernements sont aujourd’hui incapables de créer assez d’emplois chaque année pour réduire le chômage de façon significative, le secteur public ayant des moyens limités dans beaucoup de pays d’Afrique – un héritage des Programmes d’Ajustement Structurel de la Banque Mondiale. Le secteur privé est appelé à combler ce déficit, mais son assiette reste limitée. Les espérances portées sur le secteur privé pour qu'il génère les emplois nécessaires pour répondre à la croissance démographique et intégrer les nouveaux entrants sur le marché du travail semblent démesurément optimistes. Par exemple, 100 000 étudiants diplômés intègrent le marché du travail du Sénégal chaque année, se disputant moins de 30 000 emplois formellement recensés.

Augmenter la productivité et les revenus dans les emplois industriels nécessitant le plus de main d’œuvre dans les petites et moyennes entreprises serait une solution plus viable. Le rapport de l’AEO stipule d’ailleurs que « étant donnée la taille immense du secteur informel dans la majorité des pays africains, et le fait qu’il naisse d’une absence d’alternatives, il doit être vu comme une partie de la solution, et non comme le problème ».
Pour y parvenir, l’attitude des gouvernements africains à propos de l’économie informelle doit changer. L’histoire de Mohamed BOUAZIZI, vendeur clandestin de légumes qui s’est immolé par le feu dans les rues de la Tunisie pour protester contre la répression constante qu’il subissait de la part des autorités locales, déclenchant une réaction en chaîne qui mena à la révolution, devrait suffire comme exemple aux gouvernements.

Une option plus crédible consisterait à augmenter la productivité et les revenus dans les secteurs plus intensifs en main d'oeuvre, notamment au niveau des petites et moyennes entreprises et du secteur informel. Le rapport de l’AEO stipule d’ailleurs que « étant donnée la taille immense du secteur informel dans la majorité des pays africains, et le fait qu’il naisse d’une absence d’alternatives, il doit être vu comme une partie de la solution, et non comme le problème ». Pour y parvenir, l’attitude des gouvernements africains vis-à-vis de l’économie informelle doit changer.

Un optimisme mesuré

Si une opinion plus positive de l’Afrique représente une alternative providentielle à l’image classique d’un continent miné par les maladies, les gouvernements véreux et la pauvreté, l’assimilation de la croissance économique à un hypothétique développement mènera inévitablement à de la déception. Une croissance non supportée par des investissements à long terme dans les infrastructures locales et l’éducation ne produira pas les transformations structurelles nécessaires au développement. Pour que l’aide extérieure serve d'instrument effectif sur le chemin du développement économique et la réduction de la pauvreté, il est nécessaire qu’il y ait un équilibre entre la diligence à accueillir des investisseurs étrangers et le respect des droits des populations destinées à intégrer le marché du travail.

Le Docteur Daley soutient que « L’Africa Youth Charter et l’Africa Women Protocol doivent être pris en considération dans le développement de programmes visant à faire bénéficier les femmes et les jeunes de la croissance économique. Au final, orienter des politiques pérennes vers les défis que rencontrent les femmes et les jeunes face au marché du travail est la seule solution pour que la croissance africaine devienne, un jour, plus inclusive. Une telle action permettrait d’avoir un socle plus solide pour l’afro-optimisme ».

 

Kiran Madzimbamuto-Ray, article intialement paru chez notre partenaire Think Africa Press

Traduction de l'anglais au français réalisée par Souleymane LY, pour le compte de TerangaWeb – l'Afrique des idées

 

Pour aller plus loin :

Emploi des jeunes : Que faire ? par Georges-Vivien Houngbonon

Pour une croissance inclusive en Afrique par Nicolas Simel

Quelle politique de l’emploi au Sénégal dans un contexte d’accroissement démographique ? par Khadim Bamba

Algérie : la bataille de l’emploi au pays des méga-contrats chinois par Leïla Morghad

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