La vision fantasmée de l’entrepreneuriat en Afrique : un mirage dangereux et déresponsabilisant ?

L’entrepreneuriat est depuis quelques années présenté comme l’opportunité miracle pour résoudre le défi du chômage de masse qui menace l’Afrique subsaharienne et en particulier l’Afrique de l’ouest francophone. Soumises à une forte pression démographique, ces régions sont en effet en quête de solutions pour offrir des perspectives aux millions de jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Faute de quoi, ce phénomène démographique inédit est souvent présenté comme une « bombe à retardement ».

L’entrepreneuriat est alors évoqué comme une panacée capable de régler cet épineux problème du chômage des jeunes mais également de solutionner de nombreux défis sociaux (inclusion financière, accès à l’énergie, etc.) en faisant émerger une nouvelle classe de « champions éclairés ».Néanmoins, cette obsession pour l’entrepreneuriat est au minima illusoire voire déresponsabilisante et dangereuse.

Illusoire, tout simplement car il faut bien admettre que, par nature, l’entrepreneuriat a un fort taux d’échec et qu’il est donc déraisonnable de croire en une « société d’entrepreneurs ». L’entrepreneuriat sera indéniablement une source d’emplois, et l’objectif de cet article n’est en aucun cas de nier son importance, mais c’est la focalisation extrême sur ce sujet qui est dangereux. Pourquoi ?

Un transfert des responsabilités 

C’est la dynamique de déresponsabilisation impliquée par ce discours fantasmé sur l’entrepreneuriat qui est en réalité une menace sévère pour l’avenir de la région. En effet, la promotion de l'entrepreneuriat entraine naturellement un dangereux glissement politique de déresponsabilisation autour du problème du chômage des jeunes. Le discours quasi-incantatoire autour de « l’avenir c’est l’entrepreneuriat, chaque jeune doit créer son entreprise et devenir son propre patron », met de facto sous pression ces jeunes sur qui repose alors l’entière responsabilité de leur chômage. Si leurs projets échouent et qu’ils se retrouvent sans emploi, ce ne peut être que leur propre échec. Le danger de la croyance dans le miracle de l’entrepreneuriat est, dans une approche très libérale, de tout faire reposer sur le succès individuel. Cette dynamique de désengagement nie en réalité deux aspects fondamentaux de l’entrepreneuriat :

  • L’entrepreneuriat nécessite des réformes structurelles pour connaitre un essor. Ce climat de déresponsabilisation est d’autant plus dangereux qu’il implique un désengagement politique au niveau de réformes structurelles qui favoriseraient l’entrepreneuriat, en premier lieu l’éducation (primaire, secondaire et supérieure) et une politique de formation des jeunes. L’air du temps ne retient en effet des success stories américaines que des jeunes qui évoluent en autodidactes. Mais peu retiennent que la plupart des grandes révolutions dont ils se targuent sont issues des grandes universités américaines (Google à Stanford, Facebook à Harvard). Le plus agaçant est de voir pousser un peu partout des concours de pitch et de business plans, ersatz de formations à des jeunes que l’on séduit avec toute une panoplie de buzzwords excitants.
  • L’entrepreneuriat ne se décrète pas, cela nécessite une formation, formation que l’on peut obtenir en travaillant dans une entreprise plus « traditionnelle ». Or cette idéologie folle de l’entrepreneuriat à tout prix finit par évacuer une politique d’emploi ambitieuse qui favoriserait le salariat « traditionnel », pivot crucial de la formation des jeunes. Le sommet de l’hypocrisie consistant à éluder que les réussites africaines sont dans leur immense majorité le fruit d’individus qui ont fait leurs armes pendant des années avant de se lancer. Il est inutile de rêver, les succès sont forgés durant les expériences professionnelles en entreprises, à l’image de Jean-Luc Konan, fondateur de Cofina après une carrière bancaire de plus de 15 ans.

Enfin, le paradoxe atteint son comble lorsque ces discours parviennent toujours à promouvoir l’entrepreneuriat africain sans proposer aucune solution de financement. Il est effrayant de constater qu’il n’existe quasiment aucun fonds de VC ou groupes de business angels pour financer les jeunes pousses ouest-africaines. Encore une fois, c’est aux structures publiques de résoudre en partie ce problème en facilitant l’investissement dans la région.

Un rejet des cadres traditionnels 

Cette idéologie s’enracine dans une réaction quasi épidermique au cadre classique du travail : le salariat et le fonctionnariat. Ces deux mots sont devenus de véritables épouvantails dans la région, associés à la fainéantise, au clientélisme et aux emplois fictifs. Aujourd’hui, la réussite doit nécessairement passer par la réussite entrepreneuriale et il ne faudrait rien attendre des cadres classiques, présentés comme caducs voir décadents. Ce discours a deux écueils : tout d’abord il est la négation même de l’apport d’expériences professionnelles classiques dans la réussite de beaucoup d’entrepreneurs. D’autre part, il favorise un mouvement de rejet des institutions publiques à un moment où elles devraient s’affirmer comme acteurs déterminants.

Au niveau de la fonction publique il faut bien noter que ce mouvement de rejet est lié aux problèmes réels de gouvernance dont pâtissent encore beaucoup de pouvoirs publics. Néanmoins, écarter les jeunes talents de la fonction publique sous prétexte qu’elle dysfonctionne est-il une idée pertinente ? Décrédibiliser la capacité des pouvoirs publics à relever les défis sociaux et environnementaux de la région par rapport aux initiatives privées est un pari dangereux dans des pays où ces défis sont aigus et demandent des réponses justes et inclusives. Or beaucoup de discours actuels prônent un « capitalisme africain éclairé » qui serait, par nature, bienveillant envers les populations et qui chercheraient, au-delà du profit, des solutions aux grands défis actuels (logement, transport, éducation, santé). Croire rêveusement que des initiatives privées et découplées d’une gouvernance et d’une responsabilité publiques sont une solution miracle à une gouvernance actuellement en quête de renouveau est une erreur majeure. Croire que les entreprises privées vont s’occuper équitablement de populations diverses et défendre la diminution des inégalités au lieu de les creuser est illusoire.

En ce qui concerne le rejet du salariat comme cadre dépassé du travail, cela est d’une part dangereux (on ne solutionnera pas le chômage uniquement avec l’entrepreneuriat) et déresponsabilisant (il faudrait plutôt favoriser une réforme structurelle permettant aux PME de former et d’employer davantage)  mais cela nie surtout l’apport des expériences professionnelles aux réussites entrepreneuriales. Ce discours est en effet d’une certaine mauvaise foi quand on observe les trajectoires des différents entrepreneurs « champions » : par exemple Tony Elumelu (1), l’un des hommes les plus puissants du continent, chantre de « l’afrocapitalisme » et de l’entrepreneuriat africain. Il se veut le parangon d’une Afrique qui entreprend et qui fait naitre les « champions » de demain, qui pourront rivaliser avec les occidentaux. Son objectif, via sa fondation, est de permettre à 10 000 jeunes africains de créer leur entreprise et, d’ici dix ans, créer 1 000 000 emplois. Et lui ? L’entrepreneur a en réalité réalisé une scolarité d’excellence dans les plus grandes universités du monde (dont Harvard) avant de débuter une carrière de plus de dix ans dans la banque. Il va y acquérir des compétences, tisser son réseau pour, en 1995, finalement prendre la tête de la Standard Trust Bank. Ce qui le mènera, dix ans après, à la consécration de sa carrière, la fusion avec UBA en 2005 pour créer l’une des plus grandes banques du continent, plus de vingt ans après le début de sa carrière.

Recommandations

Et après cela, l’on veut faire croire que l’entrepreneuriat est un modèle spontané et que l’on peut se contenter de sessions de pitch comme formation et d’un concours de business plans comme expérience professionnelle ? Ce discours n’a qu’une conséquence sur le court terme : décrédibiliser le salariat et l’emploi traditionnel et déresponsabiliser les leaders politiques sur les questions d’éducation, d’emploi et de l’investissement.

Une politique ambitieuse pour l’entrepreneuriat devrait se concentrer sur les problèmes de fond qui sont :

  • La formation et l’enseignement supérieur et professionnel
  • L’épineux problème du financement d’amorçage et la mise en place d’une politique qui favorise le capital-risque. Une fiscalité adaptée est nécessaire ainsi que l’apport de fonds publics qui rassureraient les investisseurs privés
  • Une politique pour l’emploi qui favorise les PME et leur permet de former et d’employer les jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Cela passe notamment par un programme qui facilite la formalisation de ces PME (notamment via une fiscalité adaptée et un abandon des arriérés) et leur accès au financement (notamment en mieux connectant les agences d’accompagnement des PME avec les financeurs). Les véritables pépinières de l’entrepreneuriat africain sont ces PME qui, tous les jours, affrontent des problématiques nouvelles.
  • Enfin, l’entrepreneuriat africain sera surtout un intrapreneuriat, au sens où les projets qui décollent sont issus d’anciens salariés qui innovent et prennent des initiatives ambitieuses car ils ont été exposés à des problématiques lorsqu’ils étaient salariés.
  • En finir avec le dénigrement constant du salariat et, encore pire, du fonctionnariat. Il est complètement utopique de rêver un capitalisme africain éclairé qui s’occuperait des plus démunis. Le renouveau du secteur public africain est une priorité et ce secteur nécessite un apport vital de talents. 

               

Gilles Lecerf

Sources

(1) http://www.lemonde.fr/m-actu/article/2016/02/19/tony-elumelu-le-banquier-africain-a-qui-tout-sourit_4868595_4497186.html

Article mis en ligne le 24 mars 2017, revu le 26 mars 2017

Développement des Comores : il faut (aussi) regarder au-delà des facteurs économiques!

Avec un indice de Développement humain faible, (moins de 0.550)[1],  les Comores sont un des pays africains les plus inégalitaires du continent. En plus des inégalités, c’est un pays qui connait des problèmes dans sa transformation avec une urbanisation galopante avec plus de 60 % des citadins vivant dans des bidonvilles. À cela, il faut ajouter la crise énergétique qui pèse sur la croissance économique, qui n’a pas dépassé 1.1 % en 2015, et un chômage élevé chez les jeunes. Ces problèmes économiques doivent inciter à  repenser l’économie et les politiques de développement du pays pour répondre aux attentes du peuple comorien comme l’a souligné Son Excellence Monsieur Le Président Azali Assoumani lors de son discours d’investiture en mai 2016: «  Je mesure pleinement l’ampleur de vos attentes et plus particulièrement, l’unité, la paix, la sécurité et le décollage économique de notre pays». Mais au-delà des facteurs économiques qui limitent son développement, les Comores font face également à des problèmes sociaux qui ne sont pas sans effets sur les progrès économiques du pays et qui demandent une remise en cause des comoriens. La question est donc de savoir comment les comportements influent-ils sur le  développement socio-économique des Comores ? Cet article traitera de certaines caractéristiques de la société comorienne qui pourrait être un frein au progrès économique et social des Comores.
 

La faculté de choix
Ces dernières décennies, la recherche sur les sciences naturelles et sociales a développé des théories stupéfiantes sur la façon dont les individus pensent et prennent des décisions. Alors que les gens posent toujours comme hypothèse que les décisions sont prises de façon délibérative et autonome, selon des préférences logiques et des intérêts personnels, de récents travaux montrent qu’il n’en est presque jamais ainsi : on pense de façon automatique – au moment de prendre une décision, les individus utilisent généralement ce qui vient naturellement à l’esprit ; on pense de façon sociale – les normes sociales influent en grande partie sur notre comportement et bon nombre de personnes préfèrent coopérer tant que les autres coopèrent ; et on pense par modèles mentaux – ce que les individus perçoivent et la façon dont ils interprètent ce qu’ils perçoivent dépendent de visions du monde et de concepts issus de leurs sociétés et d’histoires communes.

La belle tradition du ‘Anda’ aux Comores

À l’origine, le ‘Anda’ symbolise le Grand Mariage mais c’est devenu un phénomène social qui joue un rôle primordial dans la vie de chaque comorien. Je ne vais pas ici faire un bilan global du mariage et dire qu’il est mauvais ou pas car ce serait ignorer les maintes ramifications, irremplaçables et essentielles dans le déroulement de la vie aux Comores et qui ne relèvent pas du seul domaine économique. Les effets du ‘Anda’ tels que la gestion du quotidien, la structuration villageoise, le maintien d’une cohésion sociale et l’établissement de systèmes de gouvernance à l’échelle locale et régionale, nous permettent de voir à quel point ce phénomène est ancré en chacun de nous depuis notre naissance. Notre conduite et notre prise de décisions est programmée tel une machine dès notre jeunesse à suivre et respecter tout cela au risque d’être traité de non désirable, d’être banni de la société ou même au sein de nos propres maisons. La majorité des comoriens en sait quelque chose et beaucoup d’intellectuels y ont laissé leurs marques mais le plus important  concernant  le ‘Anda’ est que nous devons trouver le moyen d’allier coutume et modernité et faire en sorte que cette coutume se modernise de façon à répondre aux impératifs de développement du pays.


L’islam est-il un frein pour le développement ?

La religion joue un rôle fondamental en tant que déterminant du développement économique d’une région donnée et dispose d’un impact considérable sur la formation et l’évolution du corpus juridique et institutionnel d’une société, qui est lui-même un déterminant majeur et reconnu de longue date du développement économique. Dans les pays musulmans, l’influence de l’islam est si envahissante qu’elle empêche de nombreux États comme les Comores de s’interroger sur les vraies raisons de leur retard. Toutes les réponses apportées sont religieuses… Si les choses vont mal, nous sommes punis par Dieu pour avoir abandonné le droit chemin comme on a tendance à le souligner quand on est confronté à la mort : « c’est la volonté de Dieu ! » et on met de côté toutes les causes médicales, etc. Toutefois , comme on peut le constater dans plusieurs pays musulmans comme les Émirats Arabes Unis, le Qatar, l’Arabie Saoudite et autres qui sont très avancés qu’aucune religion ne puisse être «  par essence » défavorable au développement économique, puisque l’effet de ses dogmes est contingent aux conditions économiques, sociales et historiques du moment. Dans le cas des Comores où la pratique des lois islamiques que ce soit dans le collectif ou l’individualisme laisse à désirer. Surtout avec la nouvelle génération de «  musulman non pratiquant » qui semble croire qu'il suffit pour être musulman, de le déclarer avec la bouche et cela, même si on n'applique rien des obligations de l'Islam. Tous cela pour dire qu’aux Comores, on a plus nos repères dans la religion mais on tâtonne, nous devons soit nous déclaré pays laïc ou être de vrais musulmans pour le bien de notre développement.


La jeunesse comorienne est-elle une bombe à retardement ?
De nos jours, les jeunes comoriens, s’engagent en politique, et dans beaucoup d’autres secteurs. Ces nouveaux militants ont comme objectif de faire bouger les choses dans notre pays. Défendre les intérêts de la jeunesse paraît être leurs préoccupations majeures. Ils se lèvent ainsi pour revendiquer leurs droits à des conditions de meilleures conditions de vie. Ces jeunes comoriens longtemps défavorisés, veulent à travers leur engagement, avoir la liberté de choisir leur mode de vie. Et s'il n’y avait pas à choisir et que nous étions réduit à un seul mode de vie : la pauvreté ? Devraient-ils abandonner et continuer à critiquer les dirigeants sans bouger le petit doigt ou brandir le drapeau national et construire leurs vies par leurs propres mains ?

Plusieurs études montrent de façon concrète comment ces théories s’appliquent aux politiques de développement. Une meilleure compréhension et une vision plus subtile du comportement humain peut générer de nouveaux outils d’intervention et aider à atteindre des objectifs de développement a beaucoup d’égards – développement du jeune enfant, situation financière des ménages, productivité, santé et autres. En apportant même de légers ajustements au contexte décisionnel, en préparant les interventions sur la base d’une compréhension des préférences sociales et en exposant les individus à de nouvelles expériences et de nouveaux modes de pensée, on peut créer de meilleures conditions de vie.
Cependant n’y a-t-il pas un danger à essayer de changer les normes culturelles et religieuses d’une communauté par un «  big push » visant à modifier rapidement l’équilibre culturel d’une population, et donc ses normes coopératives ? Comme dit l’adage, qui va doucement, va surement. Il y a beaucoup à faire pour ce beau paradis et jeune pays que sont les Comores pour notre développement socio-économique et cela ne dépend que de notre mode de vie individuel et collectif  à nous tous peuple comorien car c’est uniquement ensemble qu’on mènera le bateau à bon port.

 


[1] African Economic Outlook 2016

Après Ouaga, Bujumbura : la « génération consciente » prend la rue

BurundiBurkinaAprès le Sénégal en 2011-2012, le Burkina Faso en novembre 2014 et la République démocratique du Congo en janvier, voilà que la jeunesse du Burundi se soulève à son tour contre son président, trop avide de pouvoir pour admettre qu’après deux mandats et dix ans à la tête de l’État, il est désormais temps de passer la main.

Les manifestations qui agitent certains quartiers de Bujumbura ont commencé après la nomination, samedi 25 avril, du président Pierre Nkurunziza comme candidat du CNDD/FDD (le parti au pouvoir) à un troisième mandat lors des élections de juin et juillet. Sous la pression du régime, la Cour constitutionnelle a validé le 5 mai la candidature de Nkurunziza, profitant d’une disposition ambigüe dans la Constitution de 2005. Pour les manifestants, il n’y a pas matière à ambiguïté : élu en 2005, réélu en 2010, Nkurunziza doit partir en 2015.

Dans les premiers jours, certains médias internationaux ont dépeint les manifestations en des termes ethniques, provenant selon eux de « quartiers tutsi » opposés à un régime hutu. Il n’en est rien : comme à Dakar ou à Ouagadougou, la révolte est avant tout celle d’une jeunesse burundaise urbaine, qualifiée, désireuse de s’impliquer dans le développement du pays mais systématiquement écartée et marginalisée par les caciques du pouvoir. Aucun groupe ne s’est encore démarqué, comme Y’en a marre au Sénégal, le Balai Citoyen au Burkina Faso ou Filimbi en RDC ; mais comme dans ces pays, c’est la société civile qui est à la tête de la contestation. Tutsi, hutu, professeurs, étudiants, commerçants, chômeurs, activistes, les manifestants partagent tous la même aspiration à l’ouverture politique et le rejet d’un pouvoir « privatisé » au profit de quelques-uns.

L’idée d’un soulèvement ethnique est non seulement erronée : elle néglige complètement la lame de fond démocratique qui traverse l’ensemble du continent africain depuis maintenant quelques années. Elle est aussi profondément dangereuse : alors que des responsables du CNDD/FDD critiquent les manifestants hutu comme des « mauvais Hutu », et que les jeunesses militantes/miliciennes du parti (les « Imbonerakure ») multiplient les actes d’intimidation à forts sous-entendus ethniques dans les campagnes autour de Bujumbura, une description trop simpliste des évènements fait le jeu d’un régime prêt à exacerber la fibre ethnique de ses citoyens pour se maintenir au pouvoir.

La communauté internationale doit maintenant montrer qu’elle est prête à s’engager aux côtés des peuples africains lorsque ceux-ci revendiquent haut et fort leurs aspirations démocratiques. Hormis les États-Unis, les pays occidentaux sont pour l’instant restés trop timorés. L’UE, la Belgique et les Pays-Bas (impliqués dans le financement des élections) devraient notamment faire entendre leur voix. Des menaces de sanctions ciblées ou de suspension temporaire de l’aide auraient certainement un impact sur le régime, ou du moins éviteraient de devenir complice d’un processus électoral qui s’apparente de plus en plus à une mascarade. La demande adressée par le Secrétaire-général de l’ONU Ban Ki-moon au président ougandais Yoweri Museveni pour qu’il intervienne dans la crise burundaise laisse également sceptique : un homme au pouvoir depuis 29 ans, ayant lui-même aboli la limite constitutionnelle de deux mandats en 2005, est-il réellement le mieux placé pour plaider le respect des principes constitutionnels auprès de son homologue burundais ?

Surtout, on attend plus des institutions africaines. L’Union africaine s’est aussi saisie de la situation, mais sans prendre de position claire sur la candidature de Nkurunziza ou sur la répression policière. Elle aussi peut faire peser la menace de sanctions sur le régime, tout comme la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), qui a dépêché une délégation ministérielle au Burundi le 4 mai. Si la CAE est d’ordinaire focalisée sur les affaires économiques, la probable saisine prochaine de la Cour de justice de la CAE par l’opposition burundaise sur la légalité de la candidature de Nkurunziza sera l’occasion pour l’organisation de réitérer son attachement à certains principes démocratiques.

Au-delà du combat pour la démocratie, il s’agit surtout d’éviter un retour à une guerre civile, un scénario qui apparaît aujourd’hui moins improbable qu’il y a quelques mois. Parmi les manifestants se mêlent des anciens combattants (notamment des rebelles hutu du FNL), démobilisés après 2005 ; nombre d’entre eux se sentent aujourd’hui laissés pour compte et commencent à envisager de transformer le mouvement non-violent en une lutte armée. De l’autre côté, les Imborenakure, dont certains auraient récemment reçu des formations paramilitaires secrètes en RDC voisine, quadrillent l’intérieur du pays, et plusieurs rapports font état de distributions d’armes. Si l’armée jouit d’une bonne réputation, elle apparaît quant à elle entre une frange d’ex-CNDD/FDD restés fidèles au régime (dont le chef d’état-major), et le reste des hauts gradés (y compris le ministre de la Défense), qui semblent défendre le droit à manifester. Plus de 30 000 Burundais ont déjà fui vers les pays voisins ; au vu de ce cocktail explosif, la prévention des conflits doit devenir une priorité pour l’UA, active au Burundi dès ses premiers instants au début des années 2000 et qui dispose d’un Groupe des Sages dédié, et les autres acteurs.

À court terme, des actions diplomatiques sont également nécessaires pour mettre fin aux brutalités policières. Orchestrée par la police, sous les ordres d’un fidèle lieutenant de Nkurunziza, la répression a déjà fait plus d’une dizaine de morts dans les rues de Bujumbura. Le premier d’entre eux, tombé sous les balles des policiers à Cibitoke : un jeune de 15 ans, né en 2000, l’année des accords de paix d’Arusha. Son nom ? Népomucène Komezamahoro, qui signifie en kirundi « force de la paix ». Nul ne sait encore quel sera l’épilogue de ces deux semaines sans précédent de manifestations à Bujumbura ; mais le régime de Nkurunziza pourra-t-il résister à la force de ce symbole ?

Vincent Rouget 

L’entrepreneuriat : un modèle de développement pour l’Afrique?

Lors d'un échange passionnant avec Mr Bonaventure MVE ONDO, Philosophe, ancien recteur de la Francophonie et de l'université Omar Bongo, nous nous sommes arrêtés sur des chiffres alarmants : plus de 120 millions de jeunes sortiront des systèmes éducatifs d'ici 2020 en Afrique subsaharienne et les 3/4 de ces jeunes ne trouveront pas d'emploi. Si le marché de l’emploi se raréfie en Europe par exemple, a t-il jamais existé en Afrique ?

Quelles y ont les réelles perspectives d'emploi ? Les entreprises internationales joueront-elles le jeu en créant des emplois dans la sous région ?

Les autorités africaines et internationales ont-elles prévu des plans d'actions opérationnels ? Est-ce que l'entreprenariat ne serait pas une solution efficace pour permettre à un plus grand nombre d'occuper une place d'acteur économique dans une Afrique en pleine croissance ?

Je crois personnellement que l'entrepreunariat est une conséquence logique de la mutation de notre société. En quittant l'ère industrielle pour passer à l'ère de l'information, le nord et le sud se retrouvent dans une situation presque similaire : la nécessité de revoir leurs fondamentaux socio-économiques et l'obligation de concevoir de nouvelles approches dans le domaine du travail.  J’imagine parfois que dans un futur proche où nos petits-enfants et arrière-petits-enfants découvriront le « salariat » en allant visiter les musées ! En effet notre économie, fondée sur l’industrialisation et la consommation date du début du 19ème siècle, soit plus de 200 ans ce qui est infiniment petit à l’échelle de l’histoire de l’humanité. Il y a eu d’autres modèles avant et il y a aujourd’hui l’opportunité de créer de nouveaux modèles durables. Ceci est un enjeu majeur pour l’Afrique et une grande responsabilité. Mais c’est surtout une grande chance car contrairement à l’époque industrielle qui nécessitait de gros investissements et des équipements lourds, on peut aujourd’hui créer son entreprise seul chez soi avec un téléphone, un ordinateur, une connexion internet et surtout de la matière grise ! C’est sans précédent. Et pendant que les monopoles perdus nous parlent de « la crise », il n’y a jamais eu autant d’initiatives et de success stories. Même si créer son entreprise nécessite certaines aptitudes et compétences, notamment la gestion, nous serons de plus en plus nombreux à tenter notre chance en « Terre entrepreneuriale». De la révolution industrielle à la révolution individuelle, quelle sera le modèle de développement de l’Afrique à l’aube du 22ème siècle ?

C'est pour faire un tour d'horizon de la situation globale et des spécificités de chaque pays que je me suis tournée vers des opérateurs économiques confirmés ou débutants pour prendre le pouls de cette économie africaine qui fait l'objet de toutes les convoitises.

Episode 1 : Au Bénin les jeunes diplômés créent leur job !

Lors d'un séjour à Cotonou, j'ai eu le plaisir de rencontrer une équipe de jeunes diplômés qui a décidé de prendre son avenir en main en créant sa propre structure. Ils partagent leur expérience et leur vision du futur. Une génération ambitieuse qui est à l'écoute d'un monde qui bouge mais qui doit composer avec ses réalités et les usages locaux.

Entretien avec Steve Hoda, Directeur des opérations et Vianio Kougblenou Directeur Général du cabinet Intellect Consulting 

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Présentez-nous votre structure 

Intellect Consulting est le seul cabinet-conseil pluridisciplinaire du Bénin géré par de jeunes Béninois. Fondé en Janvier 2012, le cabinet propose ses expertises en vue de favoriser le développement économique des pays africains. Les activités du cabinet tournent autour de 7 départements (Recherche-Formation et Développement – Informatique – Communication et Stratégie – Ingénierie solaire – Management des Projets – Juridique – Évènementiel & Création) et repose sur les valeurs telles que la responsabilité, la réactivité, l’éthique et la qualité. Le cabinet, à ce jour, travaille en partenariat avec plus d’une dizaine de partenaires à travers le monde. (Consulter www.intellect-consulting.com pour plus d’informations)

 

Quelle est globalement la situation des jeunes diplômés au Bénin ?

La question de l’emploi est un véritable problème dans notre pays le Bénin. Il suffit simplement de voir le nombre de candidats lors des concours de la fonction publique pour s’en rendre compte.

 

Quels sont les dispositifs mis en place pour favoriser l'emploi ? Sont-ils opérationnels ?

Pour favoriser l’emploi, l’État a mis en place des Business Promotion Center (BPC) qui sont des cadres qui incitent les jeunes à la création de leur emploi. Ces BPC accompagnent les micro-entrepreneurs dans leur idée d’entreprise.

En dehors de cela, l’État a mis en place l’Agence Nationale pour le Promotion de l’Emploi qui accompagne également les jeunes dans la mise en œuvre de leur propre entreprise et aussi pour l’employabilité dans une entreprise qu’elle soit privée ou publique. Mais il faut noter que ces structures ne sont pas tellement opérationnelles.

 

Comment vous est venue l'idée de créer votre entreprise ?

Nous sommes pour la plupart membres de l’Association des Volontaires du développement Durable (AVD-Bénin) qui est une organisation non gouvernementale que nous avons créée en 2011. Vu qu’il était difficile d’avoir des financements et que la plupart d’entre nous étaient diplômés dans divers domaines, nous nous sommes dit « pourquoi ne pas mettre en place un cabinet-conseil pour financer nos activités ? » C’est ainsi que nous avons crée Intellect Consulting.

Comment ont réagi vos familles ?

La génération de nos parents ne sait rien de ce qu’on appelle « entrepreneuriat ». Ils préfèrent voir leurs enfants au sein d’une grande entreprise, signe de réussite pour eux. C’est donc normal qu’ils soient restés sceptiques au départ. Maintenant, ils nous apportent leurs bénédictions puisqu’ils sont conscients qu’il n’est plus facile de trouver un emploi.

 

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Nous avons deux grandes difficultés. La première est qu’il est difficile pour les banques de nos pays d’accompagner les start-up. Vous êtes donc bien conscients qu’une jeune entreprise qui se bat seule risque de disparaitre. Ce qui fait que le taux de « mortalité » des entreprises est très élevé. À côté de cela, il faut dire que la fiscalité dans notre pays n’est pas une fiscalité de développement. Elle tue plutôt les entreprises.  

Deuxième difficulté : Nous sommes très jeunes et la génération des personnes aux affaires ne fait pas confiance à la jeunesse qu’elle estime immature et incompétente.

 

Comment a été accueillie votre initiative ? Que pensent vos camarades de promotion de votre projet ?

C’est une initiative qui a été bien accueillie et qui force l’admiration autour de nous. Nos amis de promotion sont fiers de nous même s’ils trouvent le pari trop risqué.

 

Quels sont vos atouts ?

Nos atouts : Nous sommes jeunes diplômés dans plusieurs domaines (droit, informatique, journalisme, économie, gestion, finance, ingénierie solaire, e-marketing…). Nous avons fait pour la plupart des expériences dans de grandes entreprises de la place.

Intellect-Consulting s’est également entouré de personnes qui ont du succès dans leur domaine d’expertise, afin de bénéficier d’une formation continue pour notre équipe car nous souhaitons apporter un service de haute qualité sur le marché africain. Nous avons noué des partenariats avec des entrepreneurs & des experts en France, en Suisse, au Sénégal, au Togo, au Canada et en Inde. Ils nous apportent leur concours sur le plan méthodologique et sur le plan des idées.

Pour nous faire connaître et vulgariser le métier de consultant et plus largement la prestation de service intellectuel, nous avons également un magazine économique en ligne « LeConsultant » : http://intellect-consulting.com/la-mediatheque/bulletin/

 

Qu'apportez-vous à vos clients ?

Nous accompagnons nos clients pour développer leur chiffre d’affaires tout en adoptant une attitude éco-responsables. Tout le monde fait du business au Bénin, mais combien d’entreprises sont vraiment rentables ? Nous les aidons à préparer l’avenir en étant plus performantes.

 

Quels objectifs souhaitez-vous atteindre ?

Notre objectif : accompagner sur les trois prochaines années plus de 100 entreprises à développer leurs activités et leur chiffre d’affaires dans la sous-région.

 

Vous êtes-vous déjà imaginé ce que vous deviendrez dans 10 ans ?

Dans 10 ans, nous envisageons devenir un grand groupe qui accompagne les chefs d’États africains dans les processus de développement économique. C’est pourquoi, nous avons travaillé sur la vision de l’Afrique à l’orée 2050 que vous pouvez lire en allant sur ce lien : http://stevehoda.over-blog.com/2014/04/quand-intellect-consulting-vous-plonge-dans-l-afrique-de-2050.html

 

Quelles sont les aptitudes indispensables pour réussir ?

Pour réussir, il faut avoir une vision, des objectifs clairs et mettre les moyens nécessaires pour atteindre ces objectifs. Cela demande beaucoup de discipline, de rigueur et surtout de persévérance.

 

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui veulent se lancer ?

Pour les jeunes qui veulent se lancer, nous les encourageons et nous leur disons qu’ils ont fait le meilleur choix. Maintenant, il leur revient de bien mûrir leur idée de projet, de s’entourer de personnes qui partagent la même vision qu’eux et de maintenir l’esprit d’équipe.

Ils rencontreront certainement des difficultés qui sont des marches vers le succès. Ils ont donc besoin d’un esprit guerrier pour avancer.

 

Quels sont vos prochains défis ?

  • Mettre en place différentes micro-entreprises à travers le projet CAFE (Conférence/Plan d’Action Africain sur l’Entrepreneuriat). À cet effet, nous travaillons avec Lawson Investissements pour la mise en place d’une ferme agricole à Zinvié au Bénin.
  • Servir de foyer d’opérationnalisation pour aider la diaspora à investir au Bénin.
  • Amener tous les professionnels, élèves et étudiants à maitriser les logiciels de leur domaine respectif.
  • Installer l’énergie solaire dans bon nombre de foyers béninois.

 

Article de Jenny-Jo Delblond Coach financière et passionnée d’entrepreneuriat elle est spécialiste de l’éducation financière. Elle intervient en France, aux Antilles et en Afrique pour accompagner les entrepreneurs et les chefs d’entreprises. Conférencière, consultante et formatrice elle démystifie l’argent et permet aux gens de développer leur créativité financière pour augmenter leurs revenus et améliorer leur qualité de vie. Jenny-Jo a coutume de dire qu’elle est diplômée de la Haute École de la Vie, car autodidacte, c’est dans les entreprises qu’elle acquiert son expertise pratique dans le domaine des affaires et de la vente.

Portraits d’Afro-responsables

« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ». Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre (1961)

A la rentrée 2012-2013 l’Education nationale française a intégré au programme de géographie des classes de Terminale un nouveau chapitre intitulé « L’Afrique : les défis du développement » ! C’est dire si l’heure est à la prise de conscience que désormais il faudra compter avec l’Afrique. L’indéniable émergence du continent africain se fait par le bas…ou le haut, selon l’échelle que l’on retient. Convaincus qu’ « il vient une heure où protester ne suffit plus : après la philosophie, il faut l’action »[1], de jeunes africains, la véritable manne du continent, agissent tous les jours, à leur niveau pour donner un sens à l’afro-responsabilité.

Ils sont quatre jeunes africains, pas trentenaires ou à peine, à qui j’ai demandé de me parler de leurs activités et du sens qu’ils donnent à l’expression « afro-responsabilité ».


385917_2895783839254_845707110_nElom Kossi 20ce est un rappeur et activiste togolais, il se définit comme « un griot contemporain, qui essaye de cicatriser à travers l’art oratoire et l’écriture, les profondes plaies de l’Afrique ». Il est à l’origine du concept d’ « arctivisme », contraction des mots art et activisme désignant le militantisme sociopolitique porté par l’art ; le dernier chapitre d’Arctivism a vu Elom 20ce et son équipe se déplacer à Cotonou au Bénin pour faire découvrir l’histoire de Toussaint Louverture. On doit aussi à l’infatigable Elom le « Cinéreflex » contraction des mots Cinéma et Réflexion, un rendez-vous mensuel pour réfléchir sur les problèmes contemporains de l’Afrique et du monde en relation avec notre histoire. Elom 20ce a réussi à faire de sa musique un vecteur de transmission et d’éveil des consciences. Il a sorti un maxi, Légitime Défense, en janvier 2010 suivi en 2012 par l’album Analgézik, disponible « dans toutes les bonnes pharmacies ». L’afro-responsabilité pour Elom c’est la prise en main de la destinée de l’Afrique par les Africains. Elom 20ce sera en concert-live à Lomé le 10 août prochain.

 


976990_10200741548274601_340972181_oEn octobre 2012 j’assiste au chapitre parisien d’Arctivism consacré à Thomas Sankara. Dans la salle, beaucoup de visages connus. Un débat suit la projection d’un documentaire sur la vie de Sankara, une main se lève, puis une voix, étonnamment douce. Je me retourne, visage connu encore. Enorme contraste entre cette voix et la force des propos de celle qui la possède. Lena a 25 ans, elle est togolaise et vit à Paris. Sous son apparence frêle se cache une redoutable femme d’affaires qui vient de lancer la Nana'secrets, une beautybox qui révèle chaque mois aux femmes, les produits de beauté inspirés du terroir Africain. Ce projet réunit les trois grandes passions de Lena : l’Afrique, les affaires et la beauté. Pluridisciplinaire, Lena tient aussi un blog Nana Benz et est un membre actif de l’association AfreecaTIC qui se donne pour objectif la vulgarisation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) en Afrique ainsi que l’accès à l’énergie et la protection de l’environnement. Pour Lena, être afro-responsable c’est « apporter une pierre au chantier du développement africain ». Victime de son succès, la toute première box Nana Secrets est déjà en rupture de stock, celle de Juin arrive très bientôt…

 


383521_609792782373486_67387218_nLe 28 mai 2013 un dîner de gala donné en présence d’ambassadeurs de pays africains et des Etats-Unis a marqué à Accra le lancement officiel du livre « From Nowhere to Somewhere ». L’auteur, I.K Adusei, n’est pas vraiment un inconnu pour la centaine d’invités. Diplômé de Sciences politiques de l’Université du Ghana, Isaac a à peine 24 ans. Fort de la conviction qu’une jeunesse responsable et instruite doit être l’épine dorsale d’une Afrique qui se relève, il a créé en 2009 –à 20 ans !- le Youth Rights Watch Initiative International, une ONG qui mène des projets et des programmes orientés vers la responsabilisation de jeunes ghanéens et africains. Isaac s’est fait le porte-parole d’une jeunesse forte et est régulièrement invité à participer à des conférences. En 2012 son poème « The choice at the cross road » a été parmi l’un des rares écrits africains retenus par l’ONU dans le cadre du UN Poetry for Peace Contest. Pour Isaac l’afro-responsabilité c’est le destin de l’Afrique entre les mains des Africains. Il n’est pas aisé de faire une synthèse des activités de ce jeune qui se définit sans détour comme un panafricaniste, nourri de la mémoire et des œuvres de son illustre compatriote Kwame Nkrumah, tant le jeune homme est insaisissable, foisonnant de projets et d’initiatives toujours orientés vers l’émergence du continent africain à travers ses jeunes. Isaac K. Adusei. Retenez ce nom : il pourrait bien être, dans quelques années, celui de l’autre ghanéen qui occupe le poste qui a longtemps été celui de Koffi Annan.


319139_10150420171962674_527661021_n(Re)construire l’Afrique par ce qui est sa première richesse : les enfants. Cela pourrait être la devise d’Ablavi Gokou. Cela fait bientôt dix ans que j’ai la chance de côtoyer Ablavi et dix ans donc que je la vois faire échec à l’acception –masculine – selon laquelle la femme est le sexe faible. Née à Lomé, Ablavi a vécu un peu partout en Afrique avant d’arriver en France en 2002. Titulaire d’un Master de Droit international, elle avait hâte de quitter la France pour exercer ses compétences là où on en a réellement besoin : en Afrique. Ablavi ne voulait pas figurer dans cette galerie de portraits, « je n’ai encore rien fait » me dit-elle. Certes. Si l’on considère qu’une vie dévolue à l’humanitaire entre Nairobi, Conakry, Lille, Paris, Bruxelles, Le Caire, Bobo Dioulasso, Lomé, n’est « rien ». Lorsque ses études l’emmènent au Caire pour des recherches sur les minorités et le droit à l’éducation, le stage seul ne suffit pas à cette battante, elle veut se sentir utile, et comme souvent c’est auprès des enfants qu’elle nourrit ce besoin. Six mois à s’occuper de jeunes réfugiés soudanais déplacés par la guerre.

A travers le continent, des jeunes dévoués, sérieux et déterminés, travaillent en silence et avec acharnement au développement du continent africain. Compagnons de barricade, éclaireurs et bâtisseurs d’une nouvelle Afrique, ils nourrissent et réaffirment notre foi dans la jeunesse africaine.

Liens :

http://www.elom20ce.com/

http://nanasecrets.com/ 

http://www.un.org/disarmament/special/poetryforpeace/poems/adusei/

http://worldwriteafrica.wordpress.com/ 


[1] Victor Hugo

 

 

 

 

 

 

 

La croissance africaine est-elle condamnée à ne pas générer d’emplois ?

À l’heure où l’économie chinoise ralentit et que les principales puissances économiques peinent à croître durablement, les pays africains se placent en tête de la liste des pays ayant la plus forte croissance économique en 2012. Ainsi, la Zambie, avec une croissance de 7,38%, est le douzième pays de la liste, tandis que la Mozambique occupe la dixième place, l’Éthiopie la huitième, le Liberia la quatrième ; l’Angola, avec 10,5% occupe la troisième place, et le Niger connaît la plus forte croissance économique à l’échelle mondiale, à hauteur de 15,4%.

Un optimisme exagéré ?
Si la croissance économique dans les pays africains est une source indubitable d’espoir, dans la plupart des cas, elle n’implique pas pour autant une réduction significative de la pauvreté. En effet, croissance n’est pas nécessairement synonyme de meilleure distribution de richesses, tandis que la transparence reste de l’ordre du fantasme. De fait, lors du récent Forum Africain pour le Développement qui s’est tenu à l’École d’Études Africaines et Orientales de l’Université de Londres, le Docteur Patricia Daley, professeur de géographie humaine à l’Université d’Oxford, s’est posée la question de savoir qui, réellement, bénéficiait de la croissance économique en Afrique. Bien que cette croissance soit dynamique, les secteurs qui la favorisent demandent, en général, plus de capitaux que de main-d’œuvre ; l’investissement provenant de l’étranger étant directement injecté dans les zones les plus développées. Cette croissance n’impacte donc que très peu les sans-emplois et ceux qui survivent dans la précarité et les emplois informels, sans disposer de protection sociale. Ainsi, selon le Docteur Daley, « en dépit de la croissance, il n’y a pas de transfert des ressources du haut vers le bas. La croissance reste concentrée dans la production et l’extraction de matières premières, ce qui ne permet pas de créer beaucoup d’emplois ».

Une croissance qui ne génère pas d'emplois
Suite aux annonces de hausse du chômage en Afrique, un rapport de l’African Economic Outlook a rappelé que la stabilité politique et sociale du continent noir serait déterminée par la capacité des pays à utiliser leur plus précieuse ressource : la jeunesse de sa population, qui est amenée à doubler vers 2045. De nos jours, 60% des chômeurs africains ont entre 15 et 24 ans. Il est crucial que des politiques soient menées afin de former les jeunes, et qu’ils puissent ainsi intégrer le marché africain du travail, un marché dont l’étendue devrait dépasser celle des marchés de l’Inde et de la Chine à l’horizon 2040.

Les politiques gouvernementales devraient s’appliquer à rendre les programmes d’éducation plus pertinents, en accord avec les demandes du marché du travail. À l’heure où beaucoup d’entreprises recherchent des profils techniques, l’Afrique détient le record d’étudiants inscrits en sciences sociales, et beaucoup d’entre eux finissent sans emploi. Traditionnellement, les systèmes éducatifs ont été bâtis pour répondre aux besoins de la fonction publique ; mais les universitaires devraient garder un œil sur le marché africain, faisant ainsi progresser l’initiation des jeunes à des formations techniques et à l’agriculture. Selon une étude de l’African Economic Outlook, mettre en adéquation l’éducation aux besoins du marché du travail sera crucial dans les prochaines années car 54 % des chercheurs d’emploi ont de hautes qualifications, mais qui ne répondent pas aux besoins des entreprises.

Cependant, il sera aussi crucial d’étudier l'offre d’emplois afin de transformer la croissance en développement. La jeunesse africaine a certes été bien instruite grâce à des politiques de développement qui se sont appuyées sur l’éducation, mais elle manque tout de même d’opportunités d’emplois, ce qui conduit à ce que 72% de la jeune population du continent vivant avec moins de 2 dollars par jours. Sur 200 millions de personnes âgées de 15 à 24 ans, seules 21 millions sont considérées comme dotées d’un emploi « salarié » – paramètre permettant de mettre en évidence les emplois « sérieux » – tandis que 53 millions ont des emplois précaires qu’ils sont obligés d’accepter du fait de leur pauvreté. Selon Jan Rielaender, économiste au centre du Développement de l’OCDE, « L’Organisation Internationale du Travail estime qu’entre 2000 et 2007, la population active a vu ses rangs gonfler de 96 millions d’individus, alors que le nombre d’emplois créés était juste de 63 millions. Avec 10 à 12 millions de jeunes intégrant le marché du travail africain chaque année, les jeunes qui ne travaillent ou n’étudient pas constituent un gaspillage des ressources de leur pays ».

Il est aussi nécessaire d’indiquer que cette croissance économique, comme on peut s’en douter, impacte de façon différente les populations en fonction de leur sexe. Les femmes sont particulièrement désavantagées dans l’accès à un travail de bonne qualité, à cause de facteurs tels que l’accès limité à l’éducation. Ce fait pousse beaucoup d’entre elles à s’activer dans des secteurs économiques informels et à basse valeur ajoutée, où elles sont sujettes aux petits salaires, à la précarité, et se rendent vulnérables à l’exploitation. De ce fait, il s’avère très important de faciliter leur accès à des emplois décents afin d’améliorer leur revenus et leur bien-être.

Pour une croissance inclusive

Les gouvernements sont aujourd’hui incapables de créer assez d’emplois chaque année pour réduire le chômage de façon significative, le secteur public ayant des moyens limités dans beaucoup de pays d’Afrique – un héritage des Programmes d’Ajustement Structurel de la Banque Mondiale. Le secteur privé est appelé à combler ce déficit, mais son assiette reste limitée. Les espérances portées sur le secteur privé pour qu'il génère les emplois nécessaires pour répondre à la croissance démographique et intégrer les nouveaux entrants sur le marché du travail semblent démesurément optimistes. Par exemple, 100 000 étudiants diplômés intègrent le marché du travail du Sénégal chaque année, se disputant moins de 30 000 emplois formellement recensés.

Augmenter la productivité et les revenus dans les emplois industriels nécessitant le plus de main d’œuvre dans les petites et moyennes entreprises serait une solution plus viable. Le rapport de l’AEO stipule d’ailleurs que « étant donnée la taille immense du secteur informel dans la majorité des pays africains, et le fait qu’il naisse d’une absence d’alternatives, il doit être vu comme une partie de la solution, et non comme le problème ».
Pour y parvenir, l’attitude des gouvernements africains à propos de l’économie informelle doit changer. L’histoire de Mohamed BOUAZIZI, vendeur clandestin de légumes qui s’est immolé par le feu dans les rues de la Tunisie pour protester contre la répression constante qu’il subissait de la part des autorités locales, déclenchant une réaction en chaîne qui mena à la révolution, devrait suffire comme exemple aux gouvernements.

Une option plus crédible consisterait à augmenter la productivité et les revenus dans les secteurs plus intensifs en main d'oeuvre, notamment au niveau des petites et moyennes entreprises et du secteur informel. Le rapport de l’AEO stipule d’ailleurs que « étant donnée la taille immense du secteur informel dans la majorité des pays africains, et le fait qu’il naisse d’une absence d’alternatives, il doit être vu comme une partie de la solution, et non comme le problème ». Pour y parvenir, l’attitude des gouvernements africains vis-à-vis de l’économie informelle doit changer.

Un optimisme mesuré

Si une opinion plus positive de l’Afrique représente une alternative providentielle à l’image classique d’un continent miné par les maladies, les gouvernements véreux et la pauvreté, l’assimilation de la croissance économique à un hypothétique développement mènera inévitablement à de la déception. Une croissance non supportée par des investissements à long terme dans les infrastructures locales et l’éducation ne produira pas les transformations structurelles nécessaires au développement. Pour que l’aide extérieure serve d'instrument effectif sur le chemin du développement économique et la réduction de la pauvreté, il est nécessaire qu’il y ait un équilibre entre la diligence à accueillir des investisseurs étrangers et le respect des droits des populations destinées à intégrer le marché du travail.

Le Docteur Daley soutient que « L’Africa Youth Charter et l’Africa Women Protocol doivent être pris en considération dans le développement de programmes visant à faire bénéficier les femmes et les jeunes de la croissance économique. Au final, orienter des politiques pérennes vers les défis que rencontrent les femmes et les jeunes face au marché du travail est la seule solution pour que la croissance africaine devienne, un jour, plus inclusive. Une telle action permettrait d’avoir un socle plus solide pour l’afro-optimisme ».

 

Kiran Madzimbamuto-Ray, article intialement paru chez notre partenaire Think Africa Press

Traduction de l'anglais au français réalisée par Souleymane LY, pour le compte de TerangaWeb – l'Afrique des idées

 

Pour aller plus loin :

Emploi des jeunes : Que faire ? par Georges-Vivien Houngbonon

Pour une croissance inclusive en Afrique par Nicolas Simel

Quelle politique de l’emploi au Sénégal dans un contexte d’accroissement démographique ? par Khadim Bamba

Algérie : la bataille de l’emploi au pays des méga-contrats chinois par Leïla Morghad