Burundi : Une situation explosive

En Juin dernier, alors que la Commission d’enquête internationale ad-hoc des Nations Unies pour le Burundi rendait un bilan accablant de la situation des droits de l’Homme dans le pays, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH)publiait  quant à elle ,le 4 juillet dernier, un rapport inquiétant, établissant le bilan de la crise des Droits de l’Homme depuis le début du conflit politique en avril 2015.Quelques mois après la publication d’un premier rapport situationnel, la Fédération internationale basée à Genève décrit l’instauration d’un véritable régime dictatorial dans son nouveau rapport : Le Burundi au bord du gouffre, retour sur deux années de terreur[1].

Contexte général

Le rapport publié par la FIDH offre une mise en perspective impressionnante du conflit de basse-intensité qui sévit depuis deux ans au Burundi. L’origine de la crise politique est liée à la volonté du président sortant de briguer un troisième mandat présidentiel, violant par la même occasion un accord politique qui le lui interdit.[2]

Le président, au pouvoir depuis fin 2005, est aux commandes d’une répression sanglante et systématique contre l’opposition, à travers la mobilisation des forces de sécurité nationales. En riposte, un mouvement populaire de résistance s’est formé, s’attaquant aux individus considérés comme affiliés au parti au pouvoir, le Conseil National Pour la Défense de la Démocratie–Forces pour la Défense de la Démocratie, CNDD–FDD. Considéré comme parti unique par une partie l’opposition, ce parti cultive le culte de la personnalité, la propagande et l’incitation à la haine contre les membres de l’opposition, ou tout individu refusant de prendre part aux activités de propagande organisée par le pouvoir.

Des violations des droits de l’homme ayant poussant les organismes à l’exil

La situation des défenseurs des droits de l’homme est préoccupante à l’heure actuelle. Il est quasiment impossible pour toute organisation de défenses de droits de l’homme d’opérer sur le territoire burundais depuis la fin de l’année 2016[3]. La plupart des ONGs burundaises ayant collaboré à la préparation du rapport publié par le FIDH sont aujourd’hui en situation d’exil. Entre-temps le bureau du Haut-commissariat aux droits de l’Homme des Nations-Unies s’était déjà vu contraint par le gouvernement de quitter le territoire en octobre de la même année,presque concomitamment au retrait de Bujumbura de la Cour Pénale Internationale. Ce départ contraint de la CPI trouve ses germes dans la mise en place par le conseil de sécurité des Nations-Unies d’une commission d’enquête internationale sur le Burundi. Le Gouvernement, avait en effet eu l’occasion de sentir le vent tourné suite à d’innombrables dénonciations provenant de la Communauté Internationale. Quelques mois auparavant, le gouvernement a été informé de l’ouverture d’une enquête qui sera conduite par une commission internationale d’enquête crée par la commission des droits de l’homme de l’ONU suite aux nombreuses dénonciations des organisations de société civile locales[4]. En 2015, alors que les Nations-Unies venaient de se voir confier la responsabilité de conduire une mission spéciale d’observation électorale dans le pays, le gouvernement de  Pierre Nkurunziza avait déjà montré des signes de tensions[5]. Une année plus tard, plusieurs décisions restrictives adoptées par l’Assemblée nationale viennent mettre à mal l’action des ONGs locales et étrangères. Diverses lois suspendant ou radiant les activités de ces organisations ont été adoptées, en parallèle à la conduite de campagnes de diffamations, menaces et agressions[6]. Les organes de presse, quant à eux, continuent de subir des contrôles abusifs de la part des autorités[7].

En milieu d’année 2016, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, ZeidRa’ad Al Hussein, mettait en garde contre « une forte augmentation du recours à la torture et aux mauvais traitements au Burundi » et exprimait sa préoccupation face à des informations sur des lieux de détention illégaux dans la capitale et dans le reste du pays[8].

Les dynamiques de genre liées au conflit sont également particulièrement préoccupantes depuis le début de la répression, puisque les infrastructures en charge de la protection des femmes ne sont plus en mesure d’assurer leur service et ce, en raison de l’effondrement du système judiciaire. Dans l’ensemble, les experts ayant participé au rapport rapportent de nombreuses allégations de violences sexuelles, notamment par les forces de l’ordre et d’autres acteurs étatiques, et décrivent un grave problème d’exploitation des femmes burundaises suite à la survenance du conflit[9].

Bilan humanitaire désastreux  suite à la crise

En raison de son isolement et des réductions de l’aide au développement, le Brundi vit une situation humanitaire extrêmement préoccupante, aggravée par la détérioration des conditions sociales et économiques suite aux coupures budgétaires. Au vu des relations politiques complexes entre les organismes d’aide humanitaire et le gouvernement Burundais, les espoirs en vue de l’amélioration de la situation actuelle sont minimes. Le Burundi fait aujourd’hui partie de l’une des urgences humanitaires les moins financées de la planète[10].

Depuis le début de la crise, le bilan des personnes ayant fui le pays ne cesse d’augmenter. On dénombre actuellement plus de 400.000 réfugiés répartis principalement entre la République Démocratique du Congo, la Tanzanie, et le Rwanda[11].

Et pour ne rien arranger, les populations du nord, du centre et de l’est du pays souffrent d’une épidémie de malaria qui ne cesse d’empirer depuis mars 2017[12], alors que le virus avait déjà été diagnostiqué dans plus 70% de la population à fin 2016[13].

Un avenir inquiétant ?

Le gouvernement burundais a lancé de grands chantiers sur le plan législatif. En février de cette année, le Gouvernement a fait passer une loi créant une commission en charge de la réforme de la Constitution, qui permettrait au président de se représenter d’une manière illimitée. Nkurunziza n’a d’ailleurs jamais caché ses intentions de se représenter aux élections de 2020, avec ou sans modification de la Constitution.

 Une sortie de crise par voie diplomatique semble peu probable dans la conjoncture politique actuelle. Les perspectives de retrouver la stabilité dans un avenir proche sont assez restreintes. Pour l’opposition politique, le recours à des forces armées constitue malheureusement le moyen de résistance le plus pertinent dans l’état actuel de la situation.

Les auteurs du rapport présenté par la FIDH craignent d’ailleurs une recrudescence des violences allant jusqu’à la reprise de la guerre civile, d’autant plus que la militarisation de l’Etat ne cesse de croître, allant de paire avec une idéologie de plus en plus radicale.

En parallèle, la branche des jeunes partisans du parti leader, les Imbonerakure, a vu ses capacités belligérantes se renforcer jusqu’à prendre une ampleur affolante, ayant réussi à faire fuir des milliers de civils hors des frontières du pays[14].

Les dynamiques du conflit ne cessent, somme toute, de se complexifier, en raison de l’augmentation d’acteurs se rebellant contre cette situation tragique. Rappelons également que les dynamiques régionales sont particulièrement complexes, ce qui pourrait éventuellement jouer en faveur du Burundi par une prise de conscience sur la répression intolérable qui sévit dans le pays. Il ne reste plus qu’à espérer que le rapport publié par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme alerte les acteurs internationaux de cette crise, et ce, bien avant 2020.

                                                                                                                                                                                                       Nadège Porta

[1] Disponible à https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/burundi/le-burundi-au-bord-du-gouffre-retour-sur-deux-annees-de-terreur

[2] A compléter

[3]Ibidem

[4] http://www.rfi.fr/emission/20161013-burundi-sort-cpi-justice-onu-pierre-nkurunziza

[5]https://mali-web.org/afrique/burundi-ouverture-de-la-mission-dobservation-electorale-de-lonu

[6] Disponible à https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/burundi/le-burundi-au-bord-du-gouffre-retour-sur-deux-annees-de-terreur

[7]Ibidem

[8] http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=37041#.Wd464lu0N1s

[9]Office des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires, « Burundi : Aperçu des besoins humanitaires 2017 »,

octobre 2016, p. 18., http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/hno_burundi_2017_fr_small.pdf

[10]Ibid.

[11] http://reliefweb.int/report/burundi/unhcr-regional-update-burundi-situation-may-2017

[12]Health Organization, Fact finding Mission on malaria spreading in Burundi, http://www.afro.who.int/fr/burundi/pressmaterials/

item/9345-mission-dinvestigation-des-flambees-de-cas-de-paludisme-sevissant-au-burundi.html

[13]http://www.rfi.fr/afrique/20170314-epidemie-malaria-est-declaree-burundipaludisme-

oms

[14]http://www.irinnews.org/report/101418/who-are-imbonerakure-and-burundi-unravelling

Burundi, Congo… Du silence à l’indifférence

JPG_BurundiUne grande partie de l’Afrique centrale semble aujourd’hui complètement en dehors des radars médiatiques et diplomatiques. Qui pense au Burundi, qui chaque heure, sombre un peu plus dans la violence ? Au Congo-Brazzaville, où les voix dissidentes ne nous reviennent plus qu’en de lointains échos. Faut-il inexorablement attendre le terrorisme et la guerre pour faire mine de s’intéresser à l’Afrique ? Comment ignorer qu’ils ne sont que les produits de nos indifférences d’hier ?

Tant bien que mal, le petit Burundi avait pourtant réussi à trouver un équilibre politique. C’était les accords d’Arusha, en 2000. Ils mettaient fin, progressivement, à une guerre civile qui avait coûté la vie à plus de 300 000 personnes. Ils établissaient aussi un partage du pouvoir entre la majorité hutu et la minorité tutsi et des principes simples comme la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels. Ces accords sont aujourd’hui en lambeaux. Après deux mandats, le président Pierre Nkurunziza s’est accroché à son fauteuil coûte que coûte, au prix d’une spirale de violence inouïe, d’assassinats ciblés, de journalistes malmenés, voire torturés. Passé à tabac par les services de renseignement, le correspondant de l’AFP et RFI a été contraint de se réfugier à l’étranger. Le pouvoir a également menacé à mots couverts une envoyée spéciale de la radio française accusée d’”action perturbatrice”, de “reportages de malédictions” et de “fausse informations incendiaires”. Depuis fin avril, des centaines de personnes ont été tuées, même si le bilan précis est difficile à établir. 5.000 soldats de l’Union africaine sont annoncés pour mettre fin aux violences. Mais quand et pour faire quoi ? Comment les déployer sans l’accord du pouvoir ?

Du côté de la communauté internationale, les appels à la modération et au calme se succèdent depuis des mois, sans effet. Le dialogue inter-burundais, piloté par l’Ouganda, est au point mort. Quand bien même les critères ethniques ne recouvrent pas les multiples lignes de fractures dans le pays, les chancelleries sont tétanisées par le fantôme de 1994. Les 800 000 victimes, tutsis et hutus modérés, du génocide rwandais qu’elles n’avaient pu empêcher. Si le pire advenait, l’ONU, dans une note dévoilée il y a quelques jours, reconnaît qu’elle ne pourrait y faire face sans moyens supplémentaires. L’ampleur des violences dépasserait “les capacités de protection des Nations Unies”, déplore ce texte.

Des appels de la communauté internationale, il y en a, aussi, au Congo-Brazzaville, mais si peu. Le paysage politique y est comme congelé. Le pays visiblement indissociable de son président Denis Sassou Nguesso, revenu au pouvoir par les armes en 1997, après une guerre civile, encore une. Pour 2016, une constitution l’empêchait de s’accrocher au pouvoir. Qu’importe, une autre a été écrite à la hâte et adoptée par référendum en octobre. Quelques jours avant le vote, François Hollande avait estimé que Denis Sassou Nguesso avait, après tout, tout à fait  le droit de consulter son peuple. La France est il est vrai un partenaire historique du Congo, où Total est le principal acteur de secteur pétrolier. Aussitôt critiqué par les ONG et l’opposition congolaise, le président français avait rectifié le tir quelques heures plus (trop) tard par un communiqué condamnant toute violence et rappelant l’importance de la liberté d’expression.

Puisque les critiques se font rares, la présidentielle au Congo a été avancée au mois de mars au lieu du mois de juillet. Avec cet inattendu changement de calendrier, l’opposition redoute de n’avoir ni le temps, ni les moyens de préparer la campagne, mais qui s’en soucie ? Les opposants ont certes depuis longtemps perdu une partie de leur crédibilité. Sans accès aux médias, ni véritable aura au sein d’une population désabusée, ils sont souvent divisés, sans ressources, exposés aux appels du pied et aux francs CFA de la présidence, qui bénéficie à plein des ressources pétrolières.

Le 20 octobre, des jeunes sont descendus dans la rue aux cris de “Sassoufit”. La répression des manifestations a fait 17 morts selon l’opposition. Dix jours après, cette même opposition annonçait des grandes marches dans tout le pays, pour contester les résultats du référendum. Sans explications crédibles, les manifestations ont finalement été annulées. Interrogé à Paris, l’écrivain Alain Mabanckou, tout en appelant le président à laisser le pouvoir, a dénoncé l’attitude d’une opposition “qui quand ça a commencé à crépiter s’est cachée et a laissé la jeunesse congolaise sous les balles”. Pessimiste, il a même prédit deux nouveaux mandats pour Denis Sassou Nguesso, “vu le larbinisme de l’opposition”.

A Bujumbura comme à Brazzaville, tout est fait pour que rien ne change. Ailleurs la situation de ces deux pays comme bien d’autres en Afrique, suscite au mieux une vague indifférence, au pire, des réponses dégainées comme des boomerang, pour dire qu’après tout “c’est ça l’Afrique”. Comme si “là bas”, plus qu’ailleurs, un président avait le droit de disposer de son peuple à guise, et de faire de son pays son jardin tâché de sang… Jusqu’à quand ?

Adrien de Calan

Après Ouaga, Bujumbura : la « génération consciente » prend la rue

BurundiBurkinaAprès le Sénégal en 2011-2012, le Burkina Faso en novembre 2014 et la République démocratique du Congo en janvier, voilà que la jeunesse du Burundi se soulève à son tour contre son président, trop avide de pouvoir pour admettre qu’après deux mandats et dix ans à la tête de l’État, il est désormais temps de passer la main.

Les manifestations qui agitent certains quartiers de Bujumbura ont commencé après la nomination, samedi 25 avril, du président Pierre Nkurunziza comme candidat du CNDD/FDD (le parti au pouvoir) à un troisième mandat lors des élections de juin et juillet. Sous la pression du régime, la Cour constitutionnelle a validé le 5 mai la candidature de Nkurunziza, profitant d’une disposition ambigüe dans la Constitution de 2005. Pour les manifestants, il n’y a pas matière à ambiguïté : élu en 2005, réélu en 2010, Nkurunziza doit partir en 2015.

Dans les premiers jours, certains médias internationaux ont dépeint les manifestations en des termes ethniques, provenant selon eux de « quartiers tutsi » opposés à un régime hutu. Il n’en est rien : comme à Dakar ou à Ouagadougou, la révolte est avant tout celle d’une jeunesse burundaise urbaine, qualifiée, désireuse de s’impliquer dans le développement du pays mais systématiquement écartée et marginalisée par les caciques du pouvoir. Aucun groupe ne s’est encore démarqué, comme Y’en a marre au Sénégal, le Balai Citoyen au Burkina Faso ou Filimbi en RDC ; mais comme dans ces pays, c’est la société civile qui est à la tête de la contestation. Tutsi, hutu, professeurs, étudiants, commerçants, chômeurs, activistes, les manifestants partagent tous la même aspiration à l’ouverture politique et le rejet d’un pouvoir « privatisé » au profit de quelques-uns.

L’idée d’un soulèvement ethnique est non seulement erronée : elle néglige complètement la lame de fond démocratique qui traverse l’ensemble du continent africain depuis maintenant quelques années. Elle est aussi profondément dangereuse : alors que des responsables du CNDD/FDD critiquent les manifestants hutu comme des « mauvais Hutu », et que les jeunesses militantes/miliciennes du parti (les « Imbonerakure ») multiplient les actes d’intimidation à forts sous-entendus ethniques dans les campagnes autour de Bujumbura, une description trop simpliste des évènements fait le jeu d’un régime prêt à exacerber la fibre ethnique de ses citoyens pour se maintenir au pouvoir.

La communauté internationale doit maintenant montrer qu’elle est prête à s’engager aux côtés des peuples africains lorsque ceux-ci revendiquent haut et fort leurs aspirations démocratiques. Hormis les États-Unis, les pays occidentaux sont pour l’instant restés trop timorés. L’UE, la Belgique et les Pays-Bas (impliqués dans le financement des élections) devraient notamment faire entendre leur voix. Des menaces de sanctions ciblées ou de suspension temporaire de l’aide auraient certainement un impact sur le régime, ou du moins éviteraient de devenir complice d’un processus électoral qui s’apparente de plus en plus à une mascarade. La demande adressée par le Secrétaire-général de l’ONU Ban Ki-moon au président ougandais Yoweri Museveni pour qu’il intervienne dans la crise burundaise laisse également sceptique : un homme au pouvoir depuis 29 ans, ayant lui-même aboli la limite constitutionnelle de deux mandats en 2005, est-il réellement le mieux placé pour plaider le respect des principes constitutionnels auprès de son homologue burundais ?

Surtout, on attend plus des institutions africaines. L’Union africaine s’est aussi saisie de la situation, mais sans prendre de position claire sur la candidature de Nkurunziza ou sur la répression policière. Elle aussi peut faire peser la menace de sanctions sur le régime, tout comme la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), qui a dépêché une délégation ministérielle au Burundi le 4 mai. Si la CAE est d’ordinaire focalisée sur les affaires économiques, la probable saisine prochaine de la Cour de justice de la CAE par l’opposition burundaise sur la légalité de la candidature de Nkurunziza sera l’occasion pour l’organisation de réitérer son attachement à certains principes démocratiques.

Au-delà du combat pour la démocratie, il s’agit surtout d’éviter un retour à une guerre civile, un scénario qui apparaît aujourd’hui moins improbable qu’il y a quelques mois. Parmi les manifestants se mêlent des anciens combattants (notamment des rebelles hutu du FNL), démobilisés après 2005 ; nombre d’entre eux se sentent aujourd’hui laissés pour compte et commencent à envisager de transformer le mouvement non-violent en une lutte armée. De l’autre côté, les Imborenakure, dont certains auraient récemment reçu des formations paramilitaires secrètes en RDC voisine, quadrillent l’intérieur du pays, et plusieurs rapports font état de distributions d’armes. Si l’armée jouit d’une bonne réputation, elle apparaît quant à elle entre une frange d’ex-CNDD/FDD restés fidèles au régime (dont le chef d’état-major), et le reste des hauts gradés (y compris le ministre de la Défense), qui semblent défendre le droit à manifester. Plus de 30 000 Burundais ont déjà fui vers les pays voisins ; au vu de ce cocktail explosif, la prévention des conflits doit devenir une priorité pour l’UA, active au Burundi dès ses premiers instants au début des années 2000 et qui dispose d’un Groupe des Sages dédié, et les autres acteurs.

À court terme, des actions diplomatiques sont également nécessaires pour mettre fin aux brutalités policières. Orchestrée par la police, sous les ordres d’un fidèle lieutenant de Nkurunziza, la répression a déjà fait plus d’une dizaine de morts dans les rues de Bujumbura. Le premier d’entre eux, tombé sous les balles des policiers à Cibitoke : un jeune de 15 ans, né en 2000, l’année des accords de paix d’Arusha. Son nom ? Népomucène Komezamahoro, qui signifie en kirundi « force de la paix ». Nul ne sait encore quel sera l’épilogue de ces deux semaines sans précédent de manifestations à Bujumbura ; mais le régime de Nkurunziza pourra-t-il résister à la force de ce symbole ?

Vincent Rouget 

Burundi : l’autre miroir du génocide

oms1Alors que le monde entier célèbre le vingtième anniversaire du tragique génocide rwandais, au Burundi, on déplore le vingtième anniversaire d’un assassinat. Celui de Melchior Ndadaye, président du Burundi de juin à octobre 1993, qui faisait partie de la majorité Hutu. Une tentative de coup d’Etat suivie de près par le massacre de milliers de Tutsi, minoritaires au Burundi, puis d’une escalade de violence qui fait écho à celle qui sévissait au Rwanda à la même période. Frontalier du Rwanda, avec lequel il partage certains aspects démographiques, le Burundi a lui aussi été le théâtre de massacres entre Hutu et Tutsi. Représentant de l'Organisation Mondiale de la Santé à Bujumbura au moment des faits, le Dr Mouhtare Ahmed revient sur les constats réalisés par une équipe de l'ONU dépêchée sur les lieux entre 1994 et 1995, et sur sa propre expérience.

Dans quel organisme de l’ONU travailliez-vous ?

J’ai exercé à l’OMS de 1990 à 1995 au Bureau de Bujumbura. J’y représentais également l’Afrique avec d’autres collègues médecins, sous la direction de Gotlieb T. Monekosso, directeur du bureau à l’époque. Nous avions pour rôle d’aider les différentes régions du pays à renforcer leurs infrastructures de santé.

Quelle était la situation du Burundi avant le début des hostilités ? Quand et comment se sont-elles déclenchées ?

Le Burundi était l’un des rares pays en Afrique à avoir atteint l’autosuffisance alimentaire. Mais le domaine de la santé avait encore besoin d’appuis, et c’est là qu’intervenait l’OMS. Les Tutsi, en minorité, détenaient le pouvoir depuis plusieurs années. Pour moi, tout a commencé lorsque le premier président Hutu, Melchior Ndadaye, a été élu en juin 1993. Il fit le geste très significatif de nommer une femme Tutsi en tant que premier ministre, pour signifier sa volonté d’unir les deux groupes et de promouvoir la place des femmes en politique. Mais cela n’a pas suffi à juguler les tensions naissantes.  Dans la nuit du 20 au 21 octobre 1993, alors que je dormais, j’ai entendu un bruit assourdissant dans le ciel. J’ai appris, le lendemain, qu’un commando de putschistes avait atterri en parachute aux abords du Palais présidentiel. Il était une heure du matin et l’on venait d’exécuter le président Ndadaye, après l’avoir torturé de manière innommable. Deux jours plus tard, la presse titrait le mot d’ordre des partisans de Melchior NdadayeNdadaye : « ils ont tué Ndadaye, mais ils n’ont pas tué tous les Ndadaye ».

Vous semblez établir un lien entre l’assassinat de M. Ndadaye et les affrontements entre Hutu et Tutsi qui ont suivi.

Bien avant son élection, Ndadaye prônait l’intensification des relations entre les deux communautés. Avant d’être élu, il avait commencé à alimenter des relations avec le Rwanda, avec des représentants influents de la communauté Tutsi, avec d’autres leaders de son parti, le Frodebu. Je pense qu’il a voulu mettre fin à une crise qui était déjà à son apogée, et qui était au bord du conflit.

Comment vous et votre famille avez vécu cette confrontation ? En avez-vous avisé votre organisme ?

Tout le monde était en état d’alerte. Je vivais dans un quartier résidentiel protégé par les Nations Unies, mais cela ne m’exonérait pas d’être victime d’hostilités à mon tour. Un après-midi, ma fille de quatre ans a ramassé une balle perdue dans la cour. Au même moment, une clameur s’est élevée dans le quartier, ordonnant de massacrer les Tutsi pour venger la mort de Ndadaye. J’ai immédiatement avisé la direction de mon bureau, soucieux de protéger ma famille. Celle-ci a été évacuée en janvier 1994. Je suis resté seul sur le terrain.

Quel est le rôle d’un représentant de l’OMS dans des moments comme celui-là ? Que dit la déontologie, et que fait l’humain ?

Nous avons découvert une classe de CP incendiée. Le maître avait fermé la porte à clé, puis arrosé les environs de la salle avec de l’essence avant d’y mettre le feu. A l’intérieur, les corps calcinés des enfants, encore debout, se tenaient deux par deux dans les bras les uns des autres. Dans la région de Ngozi, des femmes de tous âges se faisaient violer puis jeter dans la rivière avec leurs enfants[1]. Les corps jonchaient les routes et des jeunes armés de machettes surgissaient des abords. La déontologie me disait : soigne les blessés dans les camps de fortune, ne regarde rien d’autre. L’être humain en moi bouillonnait.

Vous aviez peur que l’on vous prenne pour un membre d’un des deux camps ?

Cela s’est déjà produit. Je revenais de Kigali avec mon collègue, quand nous nous sommes faits arrêter par les garde-frontières. Lui est du Congo Kinshasa et moi des Comores, et je ressemble beaucoup plus que lui aux Rwandais. Les gardes m’ont pris pour un Hutu et voulaient me capturer. Il a fallu que j’appelle le Bureau de l’OMS, puis l’ambassade des Comores, pour que l’on nous laisse partir. Après l’incident de l’école primaire incendiée, j’ai demandé à être rapatrié, quitte à renoncer à mon salaire pendant la durée normale de ma mission. C’en était trop.

Vous avez mentionné vos questionnements dans le rapport de la mission commandée par le Conseil de Sécurité, en février 1995.

Oui, nous avons interrogé la communauté internationale et les autorités du pays. Comment pouvait-on laisser faire un tel massacre sans réagir ? Que faisait la communauté internationale ? Pourquoi n’envoyait-on pas d’armées pour arrêter ce massacre ?

Le 21 octobre 2013, le Burundi a célébré le vingtième anniversaire de l’assassinat de M. Ndadaye, non loin de la commémoration du génocide rwandais. Vingt ans après, que diriez-vous au Conseil de Sécurité ?

Je ne sais pas si l’on peut juger une quelconque partie dans cette affaire, car la haine ne connaît pas de modération. Tous ceux qui se mêlent d’un conflit courent le risque d’être rangés d’un coté ou de l’autre…Malheureusement, certains pays ont choisi de fonctionner ainsi.

Interview réalisé pour L'Afrique des Idées par Touhfat Mouhtare

 

 

 

 

 

 


[1] Rapport S/1995/157 du 24 février 1995, par Boutros Ghali, adressé au Conseil de Sécurité de l’ONU

 

 

 

 

 

Les Burundaises ne peuvent toujours pas hériter des terres

Au Burundi, le projet de loi sur la succession est au point mort depuis quelques mois. Les femmes ne peuvent toujours pas hériter des terres. Les associations de défense des droits de la femme font le constat amer d’un retour en arrière. "Parler d'autonomisation de la femme, c’est vraiment une illusion quand la femme n’a rien, quand elle ne peut même pas posséder une bananeraie. C’est une inégalité formelle quand on n'a pas les mêmes droits, simplement parce que l’un est un garçon et l’autre une fille", s’indigne Perpétue Kanyange, coordonnatrice de la SPPDF, un collectif d’associations féminines.

L’an dernier, le ministère du Genre ainsi que diverses organisations avaient entamé une campagne pour sensibiliser autour du projet de loi sur la succession, les régimes matrimoniaux et les libéralités. Mais, depuis, ces activités ont été suspendues sans explication, sur ordre des instances étatiques. À Maramvya, à une trentaine de kilomètres à l'est de la capitale, Bujumbura, cette mesure a provoqué la colère des femmes, rapporte Judith Nzeyimana, coordonnatrice de terrain à l’Ong CARE. Pour elles, c’est comme un retour en arrière, alors que le processus était déjà avancé. Dans cette localité, les femmes sont nombreuses à adhérer à des associations. En témoigne Mpawenimana, qui dirige deux associations. "Avant, j’étais pauvre. Je devais tout demander à mon mari. Depuis que j’ai commencé des activités d’épargne et de crédit, comme on nous l’a enseigné, j’ai des revenus consistants. Et mon mari en est également content", raconte cette mère de six enfants, dont cinq sont à l’école primaire.

Pour Perpétue Kanyange, il faut que la population "change de conception et passe de celle d’une femme qui fait partie des propriétés à celle d'une femme propriétaire et actrice". "On voudrait, martèle-t-elle, que la communauté le comprenne et donne une place aussi importante à la femme qu’à l’homme." Face au blocage du projet de loi sur la succession, des organisations demandent qu’elle soit inscrite dans les priorités du gouvernement. Selon Chantal Mukandori, présidente de l’Association des femmes Juristes (AFJ), cette loi permettrait aussi de résoudre les nombreux conflits fonciers pendants devant les juridictions du pays : "Même les hommes n’ont pas de loi pour succéder. C’est pourquoi il y a des conflits. Mais si la loi est promulguée, les conflits diminueront parce que chacun connaîtra ses droits et ceux d’autrui", affirme-t-elle. En l’absence de législation, l’on se réfère à la coutume, qui favorise l’héritage des garçons au détriment des filles.

Toutefois, certaines familles respectent l’égalité entre les filles et les garçons dans le partage de la terre lignagère, comme c'est le cas au Rwanda voisin, qui a pratiquement les mêmes coutumes que le Burundi, mais où existe une loi qui établit la parité. L’AFJ y a effectué une mission pour constater le chemin parcouru. Pour sa présidente, cette loi a été promulguée "d’abord grâce à la volonté des pouvoirs publics et des dirigeants". "Et, poursuit-elle, "maintenant que la loi est là, les femmes succèdent au même titre que les hommes et il n’y a pas de problèmes particuliers."

 

Béatrice Ndayizigamiye, article initialement paru chez Syfia Grands Lacs

Burundi : une Nation qui joue avec le feu

L’Afrique des Grands Lacs a souvent fait l'actualité au cours des dernières années, et trop souvent pour les mauvaises raisons (Génocide au Rwanda et guerre dans l’Est du Congo notamment ). Les conflits et drames qui l’ont frappée ont marqué les esprits et nul doute que ces traces sulfureuses resteront longtemps encore dans les mémoires. La géopolitique de cette partie du continent est cependant dynamique et la donne change progressivement (stabilité et “miracle” économique rwandais, fragile retour a la normale au Congo orientale ).

Comparativement à ses deux voisins que sont le Congo et le Rwanda, le Burundi fait rarement les gros titres de l'actualité internationale et les grands médias semblent peu s’y intéresser. On pourrait en conclure que le pays est relativement épargné par les fléaux qui ont si durement frappé les pays limitrophes (tensions ethniques, génocide, conflits inter-étatiques, pillage des ressources naturelles). Ce serait néanmoins pécher par empressement, ignorance et naïveté que d’en arriver à cette conclusion. La faute sans doute à une illusion d’optique qui, en focalisant les regards sur l’ampleur des tragédies rencontrées ailleurs dans la région des Grands Lacs, aura insidieusement éludé les propres drames du Burundi, moins spectaculaires mais plus durables. Et qui sont toujours latents dans l’actuelle configuration politique du pays. “L'abcès” burundais n’a jamais complétement crevé comme chez ses voisins et le processus de putréfaction est toujours à l'œuvre, ignoré du plus grand nombre et sans possibilité immédiate de catharsis.

L'impasse de la situation politique actuelle

Le dernier soubresaut en date fait suite aux élections législatives et présidentielles de l’été 2010. L'opposition, unie face au président Pierre Nkurunziza, décide de boycotter ces deux scrutins et de pratiquer la politique de la chaise vide. Calcul stratégique déplorable dans un système pourtant conçu de telle manière que la mutualisation du pouvoir, et donc son partage, soit obligatoire. Validées par les observateurs internationaux, les élections ont été un succès technique, mais un désastre politique. Le processus électoral n’était pas terminé que les principaux dirigeants de l'opposition se réfugiaient à l’étranger ou prenaient le maquis (c'est le cas d'Agathon Rwasa, dirigeant des Forces nationales de libération [FNL], premier parti d'opposition). La violence n'a depuis cessé de s'amplifier (le massacre récent de Gatumba venant compléter la longue série macabre des attaques par des éléments "rebelles"). Dans un pays sortant d'une guerre civile larvée qui aura perduré plus d'une décennie (1993-2005), ce contexte exécrable peut être lourd de conséquence pour l'avenir. Dans une récente tribune (intitulée "Au Burundi, les symptômes de la rechute") parue dans l'hebdomadaire Jeune Afrique (numéro 2656), Thierry Vircoulon, directeur Afrique centrale d'International Crisis Group dressait un tableau sombre de la situation politique actuelle du pays. Et terminait sur une note menaçante : " Tout le monde est prévenu. Le feu est en train de couver dans le sous-sol de la maison Burundi et il pourrait facilement embraser les maisons voisines". Les observateurs attentifs de l'histoire du pays ne pourront que reconnaitre la validité de cette présente menace qui pèse sur le Burundi.

Une histoire contemporaine mouvementée

Le Burundi et le Rwanda ont plus que des points communs. Mêmes ethnies (hutus, tutsis, twas), un État-Nation centralisé de part et d'autre et antérieur à l’arrivée des premiers européens, une langue unique pour chaque pays (Kirundi au Burundi et Kinyiarwanda au Rwanda) et une même foi ancestrale en un Dieu unique (Imana), mêmes colonisateurs (allemand, puis belge), même politique néfaste avant l'accession aux indépendances (notamment sous l’ère coloniale belge qui en favorisant la minorité tutsie pratiquait le "diviser pour mieux régner", source de bien des frustrations dans la majorité hutue) et même climat délétère de tensions consécutives.

Après l’indépendance en 1962, l'aristocratie tutsie parviendra à conserver le pouvoir au travers de l'action de son parti politique (UPRONA), force dominante à l’échelle de tout le pays et les mouvements défendant les revendications hutues seront le plus souvent mis de côté. La monarchie ne sera abolie qu'en 1966 et les régimes successifs de Micombero, Bagaza et Buyoya tenteront, souvent de bonne foi mais en vain, d'apaiser les exigences de la majorité hutue tout en préservant le subtile équilibre permettant la conservation des acquis de la minorité tutsie. Sans même parler de sa préservation physique ; l'exemple rwandais ayant montré que la majorité hutue arrivée au pouvoir avait cherché à se venger des tutsis désormais déchus de leur précédente hégémonie. Meilleure garante de l'ordre et de la stabilité du statut quo, l’armée burundaise aura longtemps été une chasse gardée tutsie. Seul moyen avéré de pouvoir prévenir toute tentative de déstabilisation qui pouvait aller à l'encontre de ses intérêts, si ce n'est de sa survie. Mais ce dispositif défensif n'a cependant pas empêché des massacres inter-ethniques de grandes ampleurs tout au long de l'histoire contemporaine du pays (1965, 1969, 1972, 1988, 1991, 1993). Le scenario est toujours le même : les populations hutues, instrumentalisées par les partis extrémistes, se mettent a attaquer leurs concitoyens tutsis. L'ampleur des tueries est telle que l'on pourrait parler à bon droit d'une volonté génocidaire dont la conclusion n'a pu être menée à son terme qu'en raison de l'intervention décisive de l’armée. Cette dernière exerce alors le plus souvent une répression impitoyable et meurtrière qui contribue à figer les groupes ethniques de la société burundaise en ennemis irréductibles.

En 1993, le président Pierre Buyoya (leader du parti historique UPRONA) organise les premières élections pluralistes dans le pays. Il perd la présidentielle face au candidat du FRODEBU (Front pour la Démocratie au Burundi) le hutu Melchior Ndadaye. Celui-ci est assassiné peu après par des éléments conspirateurs de l’armée. Le pays s'embrase et les massacres contre les tutsis reprennent de plus belle. L'armée réagit de nouveau très violemment. C'est le début d'une guerre civile impitoyable qui durera plus d'une décennie, ponctuée de quelques épisodes saillants (mort accidentelle du président Ntaryamira, coup d’État de Buyoya en 1996, accord d'Arusha en 2000, partage progressif du pouvoir, montée en puissance politique du mouvement rebelle du CNDD-FDD) et qui fera plus de 300.000 morts .

Pierre Nkurunziza, président du Burundi

Le CNDD-FDD, dirigé par Pierre Nkurunziza, s'impose progressivement comme la principale force politique au cours d'une série de batailles électorales. Les victoires successives de ce parti majoritairement hutu sont en elles-mêmes la preuve éclatante de la recomposition du paysage politique après douze années de guerre civile, et mettent un terme au long tête-à-tête entre l'UPRONA et le FRODEBU. Nkurunziza est élu président en août 2005 et son accession à la tête de l’État a suscité de grands espoirs. En donnant le pouvoir aux anciens rebelles qui avaient été la cause de tant d’instabilité, une majorité de burundais a probablement espéré instaurer une paix durable. Mais ce pari initial et optimiste sur l'avenir semble aujourd'hui tourner court. Et les élections de 2010 n'ont au final que cristallisé les différents opposants du CNDD-FDD aux autres groupes hutus (PALIPEHUTU-FNL notamment) qui se sentent lésés et délaissés dans la nouvelle configuration politique. La recrudescence de la violence est depuis manifeste et elle va s'amplifiant. La courte accalmie des dernières années semble de plus en plus menacée. Certes, cette tension latente ne signifie pas que le pays a déjà basculé dans une situation de guerre. Mais elle dénote néanmoins avec acuité un contexte de passions qui pourraient s'embraser rapidement. Le Burundi doit veiller à ne pas jouer avec le feu.

L'économie en berne

Cette précarité de la situation socio-politique se répercute sur les fondamentaux économiques du pays. Il ne pourra en effet prétendre à une croissance forte et soutenue aussi longtemps que son environnement politique sera instable. Et en dépit des encouragements des institutions internationales qui dressent un bilan positif des progrès enregistrés au cours des dernières années en matière de gouvernance économique (discipline budgétaire, libéralisation du commerce extérieur), le Burundi reste l’un des pays les plus pauvres du monde (au dernier rang mondial pour le PIB par habitant selon les données du FMI en 2010). L’économie reste basée sur une agriculture de subsistance et la principale source de devises provient des exportations de café et de thé, deux productions très sensibles aux aléas climatiques et aux variations de cours sur les marchés mondiaux. Le budget est financé pour plus de moitié par l’aide extérieure (300 millions de $ par an en moyenne), ce qui rend la marge de manœuvre quasi-inexistante et la moindre réduction significative de cet apport peut avoir de fâcheuses conséquences. L’espérance de vie reste peu élevée et les deux tiers de la population ne mangent pas a leur faim.

En définitive, après un demi-siècle d’indépendance, le Burundi se cherche toujours. Tiraillé de toutes parts par des passions antagonistes meurtrières qui l'ont souvent mené au bord du précipice. Aujourd'hui, une fois encore, le pays connait des regains de tension qui pourraient faire basculer les circonstances et rouvrir la boite de Pandore des démons du passé. C'est un sérieux avertissement qui ne saurait être éludé, notamment par la communauté internationale qui a si souvent détourné les yeux et bouché les oreilles s'agissant du Burundi.

 

Jacques LEROUEIL

Maman Maggy reçoit le Prix de la Fondation Chirac

 

Ce 24 novembre 2011, Kofi Annan, prix Nobel de la paix et ancien Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, a remis, pour sa troisième édition, le Prix de la fondation  Chirac, à la « Mère Teresa » burundaise. « Chère Maggy, vous êtes un exemple pour votre pays, pour l’Afrique et  pour le monde. Vous êtes une femme de foi, de courage et d’espérance au service de la jeunesse du Burundi », a déclaré le premier ministre François Fillon dans son discours. « Je suis contente et fière d’être une burundaise qui a remporté ce prix.  Je suis encouragée de voir toutes ses hautes personnalités et des burundais venant de différents coins du monde, s’être  déplacés pour me soutenir », a-t-elle confié.

Deux prix pour deux femmes exemplaires

La Fondation Chirac décerne chaque année deux distinctions : le Prix de la Fondation Chirac récompense une ou des personnes de la société civile et le Prix Spécial du Jury, une ou des personnalités publiques. Si semblables mais si différentes, les deux lauréates 2011, ont des parcours opposés.

L’une, Marguerite Barankitse, est enseignante de formation, et mène une vie de mère entièrement dévouée aux enfants victimes de la guerre. Ce Prix, doté de 100 000 euros va lui permettre de poursuivre son action en faveur de la réconciliation au Burundi.

Et l’autre, la Canadienne Louise Arbour est juriste et s’attaque avec détermination aux criminels de guerre. Elle a été le premier procureur du Tribunal Pénal international (TPI) pour l’Ex-Yougoslavie et du TPI pour le Rwanda. Le Prix Spécial du Jury  la récompense notamment pour ses innovations majeures qui ont permis à la justice internationale de s’affirmer contre l’esprit d’impunité. Ses nombreuses initiatives, notamment les « actes d’accusations scellés » (inculpations gardées secrètes contre des criminels de guerre, des auteurs d’actes de génocide, qu’ils soient hauts responsables politiques ou militaires), et la sensibilisation des médias au travail du TPI ont largement contribué à renforcer la justice internationale. Les inculpations prononcées aujourd’hui par la CPI témoignent de ce processus désormais inéluctable.

Une rescapée de guerre au service des enfants

L’action  de Maman Maggy a commencé en  1993, lorsque 72 personnes ont été massacrées devant ses yeux, elle-même y ayant échappé de justesse. Courageuse, elle est allée sur les champs de bataille recueillir les blessés. Elle a rassemblé  des orphelins sans distinction ethnique. Grâce à l’apport de certains bienfaiteurs, elle a pu construire la Maison Shalom de Ruyigi où vivent aujourd’hui 20 000 enfants. Un centre d’apprentissage des métiers de plomberie, menuiserie, agriculture, élevage, et couture est mis à disposition des orphelins. Marguerite Barankitse a aussi fait construire à Ruyigi l’hôpital Rema qui prend en charge la protection maternelle et infantile. Un centre de dépistage du VIH/SIDA  accueille aussi les séropositives ; les patientes y reçoivent des conseils, des antiviraux, de la nourriture.

Une ambassadrice de bonne volonté pour le Burundi

Dans certains médias internationaux, Maman Maggy  est comparée à Nelson Mandela, pour  sa lutte contre la discrimination ethnique. D’autres la comparent à Mère Teresa pour son engagement envers les enfants. Une semaine avant la  remise de son prix,  des grandes affiches ont été arborées sur les murs de différentes stations de métros  parisiens, des RER de l’île de France, et  sur le grand boulevard des champs Elysées. Grâce à l’action de Maman Maggy et à la récompense de la Fondation Chirac, de plus en plus de personnes découvrent le Burundi. Maman Maggy fait la fierté de ce pays  à l’étranger et offre un bel exemple d’engagement social.

Landry Rukingamubiri

 

L’Afrique et ses minorités : (1) Situation des Albinos en Afrique

Parler de « minorités » en Afrique ne va pas de soi. D’abord parce que ce terme a été confiné, dans le discours contemporain, aux situations spécifiques de communautés ethniques, religieuses, culturelles ou sociologiques vivant en Occident. Ensuite, parce que l’histoire politique du continent reste encore profondément marquée par les affres des pouvoirs minoritaires (coloniaux, raciaux, ethniques, religieux, économiques etc.). De fait, la « protection des minorités » apparaît moins urgente que la « défense contre les minorités ». Si l’on entend bien qu’il faille protéger les populations Pygmées d’Afrique Centrale, défendre la « minorité » Afrikaner d’Afrique du Sud paraît moins évident. Enfin, parce que la prise en compte des  minorités apparaît bien souvent comme un luxe. Les droits des minorités seraient des privilèges surnuméraires, des caprices dont la satisfaction paraît moins urgente que, par exemple, l’urgence de lutter contre le VIH ou la pauvreté.

La série d’articles que propose TerangaWeb entend pourtant démontrer que le sort réservé aux minorités en Afrique – comme ailleurs – est un puissant révélateur, un miroir grossissant des travers, faiblesses et impasses, de l’état général d’une société, d’un continent. Nous montrerons que la situation des Albinos dans certains pays africains est intrinsèquement liée aux questions d’éducation, de santé publique et de protection des Droits de l’Homme. Nous explorerons les ramifications économiques, politiques et sociales du statut réservé aux groupes ethniques minoritaires ou indigènes. Nous verrons ce que la persécution des homosexuels peut enseigner sur l’état de la laïcité, le respect des normes constitutionnelles ou même l’influence des États occidentaux, de l’Union Africaine ou de l’ONU en Afrique.

Situation des Albinos en Afrique

La mutation génétique qui cause l’albinisme, étrangement, est l’une de celles qui permirent la colonisation de l’Europe par l’homme moderne, il y a 35.000 ans[1]. Sous le climat glacial de l’époque, faiblement éclairé, la peau noire de l’homo sapiens sapiens l’empêche de produire suffisamment de vitamine D, nécessaire à la minéralisation des os. L’altération de sa capacité à produire de la mélanine (qui pigmente la peau, des cheveux et des yeux, entre autres), « évolution » qui se fera sur 10.000 ans lui permit de s’adapter à cette région – et explique aujourd’hui, une grande partie de la différence phototypique de l’humanité. Dans le même temps, La mélanine aide à protéger des rayons ultraviolets. Son absence expose à des complications médicales graves : photophobie, baisse de l'acuité visuelle, myopie incorrigible par des lunettes, hypopigmentation de la rétine et de l'iris, nystagmus pathologique (mouvements spontanés et involontaires des yeux) et risques accrus de cancers cutanés[2].

L’incapacité à produire de la mélanine (définition simplifiée de l’albinisme) fut une bénédiction pour l’homo sapiens sapiens lors de la conquête de l’Europe. Aujourd’hui encore, dans les pays occidentaux, les personnes souffrant d’albinisme peuvent bénéficier des soins et de l’attention médicale nécessaires et mener des vies relativement ordinaires – l’espérance de vie des Albinos en Occident est sensiblement égale à celle du reste de la population. Tel n’est pas le cas en Afrique où aux ennuis médicaux s’ajoutent préjugés, croyances archaïques et danger de mort.

Entre 2007 et 2009, une soixantaine d’albinos ont été exécutés et démembrés au Burundi et au Kenya. Ces homicides ont poussé plus de 10.000 Tanzaniens, Kenyans et Burundais souffrant d’albinisme à abandonner leurs villages pour se réfugier en zones urbaines ou vivre en cachette[3]. L’origine de ces persécutions est aussi simple que sordide : des croyances traditionnelles attribuent des vertus magiques au sang et aux organes des albinos, intégrés à des décoctions et potions rituelles, ils permettraient de réussir en affaires, de gagner le cœur de l’être aimé, voire… de remporter des élections. On évaluerait ainsi, en Tanzanie, à 1000 dollars, une main d’albinos, un corps entièrement démembré et revendu pouvant rapporter jusqu’à 75.000 dollars[4]

La tentation est forte d’arrêter l’analyse au caractère abject et proprement horrifiant de ces actes. Il est nécessaire pourtant de l’élargir, d’abord à la question de « l’altérité », de sa compréhension et de son acceptation en Afrique, ensuite à la dimension marchande que ces croyances acquièrent dans certains pays, et enfin au problème plus général que pose la persistance de croyances animistes en Afrique contemporaine (« voleurs de sexe », « maris de nuit », sorcellerie, etc.).

Même lorsqu’il n’est pas aussi tragique que dans les cas évoqués plus haut, le sort des Albinos est loin d’être enviable. Le rejet par son père, à sa naissance, du chanteur Malien Salif Kéita est emblématique de la situation de nombre d’albinos Africains, souvent marginalisés, élevés dans la plupart des cas par des mères seules, soupçonnées, comme toujours, d’être à l’origine de cette « anomalie[5] », pauvres, n’ayant pas accès au suivi médical indispensable vu leur vulnérabilité et n’ayant pas pu bénéficier d’une scolarisation même élémentaire. Au fardeau de la maladie s’ajoute celui de la discrimination sociale. L’altérité n’est pas comprise, ni acceptée. Les Albinos ne sont «ni Blancs ni Noirs », ils ne sont pas « reconnus » : ils sont rejetés. À un problème de santé publique – la nécessaire prise en charge médicale des complications dues à l’albinisme – s’ajoute une crise d’éducation « à l’autre » – d’éducation tout court.

Le cas des minorités albinos questionne également la mansuétude teintée de condescendance envers l’inconcevable persistance de croyances, rites et pratiques animistes en Afrique subsaharienne au XXIe siècle. Si les lynchages sporadiques de soi-disant « rétrécisseurs de sexe[6] » n’ont pas suffi à alerter les autorités publiques en Afrique, sur la nécessité de mettre en place des programmes de sensibilisation à grande échelle sur l’inanité et la dangerosité de telle croyance, peut-être que les massacres d’Albinos en Afrique de l’Est les en convaincront. Ceci est d’autant plus urgent que l’animisme s’adapte et évolue. Ainsi, la pandémie du VIH/Sida a fait naître une nouvelle croyance au Zimbabwe : avoir des rapports sexuels avec une femme souffrant d’albinisme guérirait de la maladie[7]

La monétarisation et la marchandisation de ces croyances est certainement l’un des aspects les plus étonnants et effarants des exactions commises contre les Albinos en Afrique de l’Est. La prégnance de superstitions archaïques sur les populations de ces pays, le difficile rapport à l’altérité ont certainement servi de terreau à la transformation de « simples » préjugés animistes en folie meurtrière. L’appât du gain a fait le reste, parfois, aux limites de l’imaginable. Des cas d’enfants Albinos vendus par leurs parents, livrés par ceux-ci à une mort certaine et ignominieuse ont été reportés. La pauvreté n’explique pas tout mais lorsque certaines conditions sont réunies, elle peut mener à tout.

Comme souvent confrontés à des problématiques complexes quoique pressantes, les responsables politiques choisissent la solution la plus sommaire. Ainsi, la réponse trouvée à cette barbarie est une autre barbarie : le gouvernement Tanzanien punit les attaques contre les albinos par… la peine de mort.

Joël Té Léssia



[5] Alors que l’albinisme est dû à des mutations génétiques récessives, c'est-à-dire qu’il faut que les deux parents soient porteurs du gène malade pour qu'il y ait une possibilité -une chance sur quatre en fait- que l'enfant soit albinos.

[6] Ce trouble psychologique caractérisé par la conviction ou la sensation que le pénis est en train de se rétracter dans l’abdomen, connu sous le nom de « Koro » (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21511718 )  n’est pas spécifique aux Africains. Il a été d’abord identifié et étudié en Chine.