FasoPro, comme la majorité des start ups, est d’abord l’histoire d’un entrepreneur. Kahitouo HIEN est Burkinabè. Dagara, plus précisément. De là où il vient, il est traditionnellement considéré comme l’un de ces burkinabè qui consomment régulièrement des chenilles. En effet, dans tout l’ouest du pays, c’est un met répandu, que les populations s’arrachent pendant les mois de juillet, août et septembre.
Plus qu'un insecte goutu, craquant à l’extérieur et moelleux à l’intérieur s’il est bien préparé, la chenille a d’autres propriétés. Et c’est bien là ce qui a intéressé notre entrepreneur. Alors qu’il étudie pour obtenir sa Maitrise en Biochimie à l’Université de Ouagadougou, il apprend que la chenille de karité est particulièrement riche en protéines : composé de 63% de protéines, elle serait même plus protéinée que la viande ou le poisson. Il apprendra plus tard que 100g de chenilles permettent de fournir à un homme de corpulence moyenne le taux journalier nécessaire en fer, et que les chenilles présentent également un excellent rapport oméga 3 / oméga 6. Dès alors, pourquoi ne pas l’utiliser et la valoriser pour lutter contre la malnutrition, un de ces fléaux qui ravage encore le Burkina ?
L’idée suit son chemin … Et Kahitouo intègre une école d’ingénieur pour obtenir un Master en Environnement. Mais cette école est un peu spéciale et propose de former des « ingénieurs-entrepreneurs ». C’est ainsi qu’à 2iE (Institut International d’Ingénierie de l’Eau et de l’Environnement[1]). Kahitouo va imaginer une réalité économique à son idée. Première étape : structurer ses pensées dans un Business Plan. Exercice beaucoup plus difficile qu’il n’y parait. Et pour augmenter la pression, c’est à travers une compétition plus qu’exigeante qu’il se prête à l’exercice : la Global Social Venture Competition[2]. Surprise : le jury est intéressé par le projet, le trouve pertinent, et potentiellement très successful. Direction la finale mondiale à Berkeley en Californie, où, après de multiples étapes, Kahitouo obtient le Prix du Meilleur Impact Social et repart à Ouagadougou avec la somme de 10 000$. Oui, son projet a du potentiel. Oui, il créera une entreprise dont l’objectif est de prévenir la malnutrition grâce à la valorisation des chenilles de karité du Burkina Faso.
Il s’agit maintenant d’avancer. Créer une nouvelle industrie agroalimentaire, ça ne s’improvise pas. Pour cela, il intègre l’incubateur d’entreprises de 2iE. Un incubateur, qu’est-ce que c’est ? Un dispositif d’accompagnement à la création d’entreprise (souvent adossé à une institution d’enseignement supérieur, mais qui peut aussi être totalement privé et indépendant). Pendant deux années, il profite d’un accompagnement intensif du point de vue technique (grâce à l’intervention d’agronomes et à la collaboration avec un centre spécialisé français pour valider la composition nutritionnelle de ses produits[3]), du point de vue stratégique (pour penser un modèle économique performant et rédiger un Business Plan convainquant), du point de vue juridique (pour protéger ses innovations) et du point de vue financier (avec le financement de tout le travail de prototypage et l’accompagnement dans la première levée de fonds de l’entreprise). Il rencontre beaucoup d’experts et apprend beaucoup. Son projet est malmené, remis en question sans cesse, questionné dans un seul but : le rendre toujours plus ambitieux.
2014 : c’est parti pour une phase pilote. Grâce au partenariat avec des associations regroupant une centaine de femmes collectrices de chenilles, à la création d’un packaging sur-mesure, à la collaboration avec une association locale pour la location des équipements lourds, à une première levée de fonds réussie (en participant à des concours, en menant une campagne de crowdfunding[4] et en mobilisant des donateurs privés), et au recrutement d’une équipe de 6 personnes pour la production … FasoPro lance ToumouDélice, son premier produit. Objectif : commercialiser 17 000 produits pour valider l’existence d’un marché réel et convaincre les investisseurs potentiels de suivre l’entreprise dans son changement d’échelle en 2015.
ToumouDélice, ce sont des sachets de 500g ou 1kg de chenilles fraiches, savamment conditionnées pour être conservées pendant 18 mois, tout en préservant au mieux leurs qualités nutritionnelles. Ainsi, grâce à FasoPro, les Burkinabè peuvent désormais consommer toute l’année des chenilles de qualité, à un prix fixe palliant ainsi le caractère saisonnier de cette ressource. Les produits sont aujourd’hui en vente dans les alimentations ouagalaises, et bien sûr, les projets de recherche pour développer de nouveaux produits spécifiquement dédiés aux populations malnutries sont nombreux !
FasoPro est une illustration parfaite de l’entrepreneuriat social « made in Africa » : un entrepreneur profondément attaché à son pays, une idée qui part de la valorisation de traditions et de savoir-faire locaux, un projet qui cherche à répondre à un problème social important, une utilisation intelligente des outils et des ressources existants, un développement étape par étape pour convaincre les consommateurs … FasoPro pourrait bien devenir incontournable sur le marché de la commercialisation des insectes.
Lisa Barutel
Pour en savoir plus :
https://www.facebook.com/pages/FasoPro/192247810976127?fref=ts