Conflit dans la région du Kivu : vers la seconde guerre mondiale africaine ?

A en croire les dernières déclarations et apparitions médiatiques, l'ensemble de la communauté internationale est fermement engagée dans la défense du processus de paix en République Démocratique du Congo (RDC). Paul Kagamé, Président du Rwanda, a laissé entendre que l'implication du Rwanda pour la résolution du conflit Congolais était sans égale et le gouvernement ougandais de son côté, s'est empressé de se positionner en négociateur pacifique. Se méfiant de l'implication d'Etats voisins dans le conflit, les contributeurs du Congo se sont investis sur la question comme jamais depuis près de 10 ans. Pourtant, il faut se défaire de l’image d'une poignée d'Etats s'unissant pour combattre des rebellions malveillantes afin de comprendre les véritables enjeux politiques enfouis derrière cette question.

Depuis quelques mois, une nouvelle rébellion se faisant appeler M23 a agrandi le groupe de factions rebelles actives dans la zone du Nord-Sud Kivu, deux provinces dans l'Est du Congo. Grâce aux liens entre le M23 et les forces supportées par le Rwanda au sein du FARDC, la force militaire congolaise, des lignes de batailles ont immédiatement été dressées entre Kinshassa et Kigali. Depuis, un torrent d'accusations et ripostes inonde la diplomatie africaine. Heureusement on est loin de voir surgir un immense conflit interétatique tel une seconde guerre du Congo – également nommée « la Guerre Mondiale Africaine » (1998 à 2003). La raison en est tout simplement que des acteurs externes au conflit n'auraient pas grand intérêt à y intervenir. En réalité, il semblerait que l'indifférence de la communauté internationale aura pour seule conséquence la stagnation du conflit. Nul ne doute que des pertes humaines sont à prévoir, seulement, elles ne seront pas causées par un nouvel incendie sur le continent.

Soulèvement dans l'Est

Le Rwanda, pays voisin du Congo et puissance militaire régionale est déterminé à mettre de l'huile sur le feu afin de servir ses intérêts stratégiques. En dépit de l'apparition récente du Président Kagamé sur la BBC dans laquelle ce dernier niait tout support aux insurgés du M23, des preuves accablantes montrent que l'Etat rwandais subventionne les rebelles. Le groupe d'experts envoyé par l'ONU a découvert des armes en provenance du Rwanda, intercepté des communications officielles, parlé avec des témoins, interviewé près de 80 déserteurs de la rébellion (dont 31 Rwandais), et parlé à des membres actifs du M23 et des autres chefs militaires. Cela prouve de façon inquiétante que le Rwanda a aidé le M23 à se positionner parmi d'autres "forces néfastes" telles que Raja Mutombi, ajouté à d'autres parasites politiques et militaires, tels que les Force de Défense du Congo et Nduma Défense Congo. Encore plus surprenant, le groupe d'expert a trouvé des preuves montrant que le gouvernement rwandais a remobilisé des anciens membres de la FDLR- ennemis jurés du régime de Kigali-, accusés de génocide afin de rejoindre le groupe de rebelles. 

En réponses à ces accusations, le gouvernement rwandais a qualifié le report de "biaisé et dénué d'intégrité". Cependant, le démenti est peu consistant. Les preuves contraires qu’il apporte sont essentiellement des déclarations et extraits de réunions officielles montés de toute pièce par l'élite politique et militaire. Par ailleurs, le gouvernement réfute les accusations selon lesquelles le secrétaire permanent du ministère de la défense aurait financièrement et logistiquement soutenu les rebelles en affirmant qu'il est simplement trop occupé pour s'embêter à aider les rebelles. De l'autre côté, le document officiel de l'ONU confirme toutes les conclusions avec cinq sources différentes et indépendantes, et même s'il contient très certainement des erreurs, le poids des preuves donne sans aucun doute raison au groupe d'experts; le soutien du Rwanda est crucial dans la lente marche du M23 vers Goma.

Une "guerre froide"

Pourtant, même si des milliers de civils sont déjà affectés par cette situation, il existe de bonnes raisons de penser que les combats ne déborderont pas vers un autre conflit intercontinental. D’une part le fait que les facteurs structurels qui ont déclenché la guerre en 1990, la décadence de l’Etat Congolais- à l’époque Zaïre- l’effondrement des zones d’influence de la Guerre Froide, l’augmentation du niveau de démocratie, sont désormais obsolètes.  

Par ailleurs, quand le nouveau gouvernement de Paul Kagamé s’est immiscé pour la première fois dans la région à la fin de l’année 1995 (autant qu’il le fait aujourd’hui) des millions de réfugiés rwandais, génocidaires réarmés se trouvaient esseulés dans les camps. Aujourd’hui, cette menace n’existe plus. Contrairement à 1995, l’impressionnante augmentation de l’implication du Rwanda en République Démocratique du Congo est certainement motivée par un ensemble hétérogène d’intérêts. Le gouvernement est véritablement préoccupé par les différents groupes de rebelles, mais il cherche également à étendre son contrôle sur les ressources du nord et du Sud du Kivu et accomplir ses ambitions régionales en mettant en place une zone d’influence plus large, entre autres. Il suffirait, afin de satisfaire ses intérêts, que le Rwanda étende son protectorat dans les provinces de l’Est avec le but ultime que le Kivu parvienne à faire sécession de la RDC. Mais quand bien même, cela ne supposerait pas un changement de régime à Kinshasa ; si les rebelles prennent Goma (tel qu’ils menacent actuellement de le faire) il n’est pas à exclure que Kagamé recule en chemin. Ayant gagné l’espace nécessaire pour la libre circulation de ses troupes, récupéré les revenus miniers et assis son influence par delà ses frontières, il se pourrait que le Rwanda préfère éviter les problèmes diplomatiques liés à la violation de la souveraineté de la RDC.

Après tout, c’est précisément ce goût de la démesure qui a coupé court aux ambitions du Rwanda entre 1999 et 2005. Responsable du déclin de Mobutu, le Rwanda a par la suite ré-envahi la RDC afin d’installer un candidat de son choix à Kinshasa, dans l’unique but de voir l’Angola et le Zimbabwe se précipiter à la rescousse de leur voisin congolais. L’offensive a stagné, la guerre s’est étendue, la considérable bienveillance mondiale s’est progressivement estompée, et finalement il ne restait pour se réjouir, que les mêmes problèmes auxquels l’administration de Kagamé est encore confrontée aujourd’hui. Il est donc peu probable que les stratèges rwandais commettent à nouveau la même erreur.

Ni aide, ni obstacle 

Cette logique s’effondre si les Etats voisins du Congo s’alignent derrière le Rwanda afin de l’aider à renverser le gouvernement de Kabila et se tailler une part du lion. Une hypothèse néanmoins très peu probable. Alors que de nombreux gouvernement prétextaient des guerres dans les années 1990 pour combattre leur ennemis régionaux, de telles manigances ne sont plus d’actualité. Le Soudan est beaucoup trop occupé avec ses propres conflits internes, par exemple, et pour ce qui est de l’Angola, ses intérêts sécuritaires au Congo ont disparu en 2002 avec la mort de Jonas Savimbi, l’ancien et tristement célèbre chef de l’Union Nationale pour l’Indépendance totale de l’Angola.

Certaines de ces dynamiques se manifestent dans l’échec de la RDC à rallier des supporters aux réunions de la Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs, un conseil régional représentant 11 pays. Auparavant, le groupe a déployé l’ancien président Tanzanien Benjamin Mkapa ainsi que l’ancien président Nigérian Olusegun Obansajo en tant qu’envoyés spéciaux pour enquêter sur les insurrections. Mais leurs efforts pour convaincre les Etats membres d’ajouter leurs troupes à une force de contrôle ou même d’apporter un support rhétorique contre l’attitude du Rwanda sont tombés dans des oreilles sourdes. Personne ne veut se mêler à ce conflit.

Le gouvernement ougandais continue d'harceler le Président Yoweri Musevini. Etant donné que dernièrement les choses se sont arrangées avec Kagamé, les deux présidents pourraient collaborer sur la question du M23 à leur avantage commun – tel qu'ils l'ont fait sur de multiples rebellions sponsorisées conjointement dans les années 1990. Cependant, l'ADF semble d'avantage ennuyer que menacer véritablement Musevini, d'autant plus que ses troupes sont déjà engagées dans des conflits en Somali, au Sud Soudan et ailleurs. Ajouté à ce déploiement excessif, il faut également prendre en compte le fait que Musevini utilise une partie de ses troupes pour protéger les nouvelles découvertes pétrolières ougandaises. Et quand bien même il désirerait envoyer des troupes au Congo, son pays est confronté à une crise budgétaire généralisée, exacerbée par les récentes catastrophes humaines. Un scénario simpliste serait d'imaginer Musevini impliquer son pays dans le but de se faire une place dans la "mine d'or" Congolaise. Toutefois, au moment où l’Ouganda et d’autres Etats (le Zimbabwe notamment) convoitaient les minéraux en 1999, ils étaient prêts à être cueillis et étaient plus faciles à exporter vers les marchés mondiaux : aujourd’hui, ils sont inaccessibles car capturés par le commerce rwandais développé dans la province du Kivu.

Moulinets dans le vent à New York 

Ironiquement, l'attention récemment portée au conflit provient des Etats qui se trouvent avoir le moins d'influence sur le terrain: les contributeurs occidentaux. La communauté humanitaire et diplomatique essaie d'élever les enjeux de l'ingérence Rwandaise, mais ces efforts ne parviennent pas à empiéter les plans de Kigali. Il semblerait que l'occident ne puisse pas faire grand chose pour calmer cette affaire. Les donneurs se focalisent sur le processus de pacification en signant des pactes temporaires entre seigneurs de guerre ennemis. De tels actes en réalité résultent souvent en l’affaiblissement de l’armée congolaise et lui créent davantage de rébellions à combattre au Kivu. De plus, comme le défend Séverine Autessere, les négociations entre élites ont très peu d’effet dans la résolution des milliers de conflits localisés qui nourrissent le conflit global. 

Une solution d’ordre financier se présente également. L’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont récemment interrompu les flux d’aides financière cruciaux pour le Rwanda. Néanmoins, même si ces décisions marquent un changement d’attitude majeur, les Etats occidentaux soutiennent toujours fermement le régime de Kagamé, se rattachant à son image de reformeur à succès pour leur défense. Quand bien même les réticences américaines disparaitraient et les pays occidentaux décideraient d’entreprendre des actions concrètes contre le Rwanda, l’influence des chinois et des Russes empêcherait très certainement de punir Kigali à travers le conseil de sécurité de l’ONU (au-delà de quelques signaux d’alarmes). D’autre part, outre l’usage d’armes à feu contre les rebelles du M23, la tentative des forces congolaises d’étendre le mandat de MONUSCO, la mission des Nations Unies Pour le Maintien de la paix dans la région, est peu fructueuse. Enfin, une action unilatérale d’une puissance occidentale est presque inimaginable. Tout ce qu’il reste sont donc des paroles fermes et des sanctions inoffensives.

Malgré toute sa bonne volonté – dont les 17 000 forces de Monusco- la communauté internationale restera en dehors de l’équation Kivutienne. Il se peut qu’un des voisins de Kabila voit une opportunité dans ce conflit et s’y engage mais cela est assez improbable. Bien que le Rwanda est en mesure de changer la situation en s’avançant dans la capture de Kinshasa, une telle option entraverait ses intérêts stratégiques. Il semble que les combats persisteront pour un moment, toutefois ce sera sans compter la participation des autres acteurs régionaux. Les restes de la Guerre Mondiale Africaine motivent encore les déploiements politiques dans la région des Grands Lacs Africains mais il y a très peu de chances qu’ils y apportent une suite. Il se pourrait que le vent tourne en la faveur de Kigali, mais Kinshasa n’est pas prête de tomber.

 

Zach Warner, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press

Traduction pour Terangaweb par Claudia Soppo