Quel serait l’impact de Boko Haram sur les prochaines élections au Nigéria?

imagesAu cours des dernières semaines, la bataille politique entre le People’s Democratic Party (PDP) et son rival de l'opposition, le All Progressives Congress (APC), a été largement reléguée au second plan au Nigeria. Au lieu de cela, tous les yeux sont fixés sur Boko Haram et la façon dont le gouvernement compte endiguer la menace.

Bien que le groupe militant islamiste n'ait pas réussi à attaquer des cibles de plus grande envergure depuis 2011 – quand il a bombardé le bâtiment des Nations Unies à Abuja et le siège de la Force de police du Nigeria – il a considérablement augmenté ses attaques sur des cibles moins sécurisés, en particulier sur des civils. Cette année seulement, Boko Haram aurait tué plus de 2.000 personnes; le mois dernier, il a bombardé une station de bus occupé sur les franges de la capitale; et il a toujours en otage plus de 200 écolières enlevées dans la ville de Chibok.

Boko Haram et les élections

Mis à part les conséquences profondément tragiques des activités violentes du groupe, les activités de Boko Haram pourraient également affecter l'environnement politique du Nigeria et le déroulement des prochaines élections en 2015 de diverses manières.

Pour commencer, la violence en cours dans le Nord-Est pourrait poser un risque grave pour la conduite même des élections générales. Beaucoup de personnes ont été déplacées, le conflit pourrait empêcher une population découragée d’aller voter, et l'instabilité pourrait tout simplement rendre logistiquement impossible pour les fonctionnaires électoraux d’accomplir leur travail. Il y a eu des appels en direction du gouvernement fédéral pour adopter une posture militariste et imposer l’état d'urgence ; mais pour l'instant le président Goodluck Jonathan a préféré prolonger l'état d'urgence de six mois.

Il peut avoir des raisons d'être prudent. Après tout, l'insécurité dans le Nord a également affecté la perception du président Jonathan parmi les électeurs. Son gouvernement a été sévèrement critiqué pour sa gestion de la situation sécuritaire et la côte de popularité du président est à un niveau historiquement bas de 49% . Ce mécontentement suggère qu'il pourrait faire face à des difficultés s’il envisage de se présenter à l’élection l'année prochaine ; une ambition qui le mettrait dans une situation précaire avec de nombreux personnages puissants des États du Nord. Déjà, sa décision de prolonger l’état d’urgence de six mois a été critiquée par certains leaders régionaux du fait que cette approche n’a produit aucun effet jusqu’à présent.

Plus généralement, les tensions régionales ont toujours été une partie inaliénable de la politique du Nigeria et ne va certainement pas disparaître à l'approche des élections. Au mieux, l'ethnicité et la religion feront tout simplement partie de la rhétorique dans les sables mouvants d'une année pré-électorale, et pourront en partie affecter le choix des électeurs. Au pire, cependant, les tensions religieuses et ethniques deviendront politisées et dégénéreront en violence, perturberont le processus électoral et de déstabiliseront l'équilibre politique et économique du pays.

En ce qui concerne l'économie, la localisation de l'insurrection dans le Nord-Est a largement épargnée l'économie nationale dans son ensemble. Certaines installations de télécommunications, et dans une moindre mesure des installations pétrolières et gazières, ont été attaquées dans le Nord, mais les plus grandes industries du Nigeria sont pour la plupart situées dans le sud. L'économie chancelante du Nord-Est se compose essentiellement de l'agriculture et des petites et moyennes entreprises qui ont effectivement subies les effets de l’insurrection. En outre, la nécessité d'augmenter les dépenses en matière de sécurité signifie qu'il y a encore moins de fonds publics disponibles pour l'exécution des projets d’infrastructure régionale et les programmes sociaux.

boko_haramLa lutte contre Boko Haram

Il est difficile de dire si le gouvernement nigérian pourra inverser la tendance de la violence avant les élections de 2015, prévues pour Février. Toutefois, le président Jonathan a déclaré aujourd'hui qu'il a ordonné une "guerre totale" contre Boko Haram et il a récemment accepté des offres d'assistance militaire des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de la Chine.

D'une part, il est généralement admis que la technologie et la connaissance des forces étrangères seront utiles, tandis que les troupes étrangères sont moins susceptibles d'être à risque d’une infiltration de Boko Haram. Mais dans le même temps, certains Nigérians craignent que l'aide occidentale ne viendrait pas sans un prix, et ce malaise a été accrue par le fait que certains partenaires aient annoncé que l’aide ne sera pas nécessairement limitée à la rescousse des filles Chibok enlevés. En outre, alors que l'intervention étrangère pourrait contribuer à certaines opérations, il reste à voir si elle sera capable d'inverser la tendance plus large de la violence et ses causes sous-jacentes.

En effet, il existe un réel besoin de solutions globales qui vont au-delà des offensives militaires. Étant donné que les opérations de l'armée ont souvent conduit à des pertes civiles, créant ainsi un sentiment d’insécurité de la part des populations face aux forces militaires, l’action militaire doit certainement être plus stratégique. Mais comme le conseiller à la sécurité nationale l’a souligné à juste titre, une approche plus souple est également nécessaire pour inverser le cours de la radicalisation. Typiquement, une réponse socio-économique à long terme qui s'attaque à la pauvreté, au chômage et les frustrations qui conduisent les groupes marginalisés à chercher des moyens violents est également cruciale.

Dans les prochains mois, alors que le pays se prépare pour les élections, la gestion de la menace Boko Haram sera déterminante. L'administration actuelle – les deux gouvernements et les gouvernements des États fédéraux – doit travailler avec l'opposition ainsi que des partenaires internationaux pour assurer que le processus démocratique ne soit pas entammé.

Un article de notre partenaire Think Africa Press, initialement paru en Anglais et traduit en Français par Georges Vivien Houngbonon

Au-delà de la « tyrannie des nombres » : Que retenir de la victoire d’Uhuru Kenyatta ?

uhuruL’homme le plus riche du Kenya a remporté les élections en s’appuyant sur une alliance ethnique. Que signifie ce vote pour la politique du pays et ses efforts de construction de paix ?

Alors que la poussière retombe sur les élections kenyanes il est important de se souvenir de Mohammed Abduba Dida, ancien professeur de littérature anglaise et de religion au camp de refugiés de Dabaad au Nord Est du Kenya et l’un des 8 candidats à la présidentielle. Expliquant les raisons l’ayant poussé à se présenter, l’homme de 39 ans avait répondu de façon candide : « J’ai été le témoin d’épisodes difficiles, jusqu’à ce que j’en ai assez. Chaque jour tout devenait plus dur jusqu’à ce que je me donne deux options : quitter le pays ou y rester et devenir un agent du changement. J’ai choisi la deuxième option."

L’histoire de Dida ne pouvait pas se distinguer plus de celle d’Uhuru Kenyatta, le nouveau président du Kenya. Celui-ci, en plus d’être l’homme le plus riche du pays dont la fortune est estimée à 500 Millions de dollars et un demi millions d’acres de terre, est aussi le fils du président et fondateur du pays Jomo Kenyatta, auquel voulait succéder l’ancien président Daniel arap Moi, et le filleul du président sortant Mwai Kibaki. D’une certaine mesure, l’histoire de Dida reflète les ressentis et expériences d’une majorité de Kenyans, tandis que Kenyatta symbolise les intérêts politiques et économiques ayant conduit à l’insatisfaction populaire. La victoire de Kenyatta ne signifie pas pour autant la fin du divisionnisme ethnique tel qu’il pourrait le paraitre , la même combinaison de conflits ethniques et de démagogie politique était présente lors des élections de 2007.

Dans une interview télévisée controversée, le politologue Muthi Ngunyi avait prédit la victoire de Kenyatta en se basant sur les sondages des deux blocs d’électeurs les plus importants du pays. La théorie de Ngunyi a été affublée du surnom provocateur de « Théorie des nombres ». Cette théorie avançait que Kenyata gagnerait en remportant de fortes majorités dans les deux plus grands groupes ethniques du pays : les Kikuyus et les Kalenjins, ainsi que leurs voisins respectifs dans les régions du Mont Kenya et de la vallée du rift. Ngunyi avait également ironisé sur la manière dont l’équipe du principal rival de Kenyatta , Raila Odinga avait "dormi pendant la révolution" en manquant d’inciter les résidents de ses bastions à s’inscrire pendant la campagne d'inscription aux listes électorales de décembre.

Le fait que les Kenyans votent en fonction des différentes lignes ethniques est bien connu. Cependant, les résultats des élections ont révélés bien plus que des chiffres. Voici certaines leçons à retenir de l’élection de 2013 et certains facteurs important à observer au cours de la présidence de Kenyatta.

L'importance stratégique des Kikuyus

Quiconque souhaite devenir le président du Kenya se doit d’être lui-même Kikuyu sinon trouver un moyen d’attirer ou de diviser le bloc d’électeurs que représente cette ethnie. Une coalition de partis est une méthode pour accomplir cet objectif, mais elle n’est pas la seule. L’ancien président Daniel arap Moi, par exemple, a réussi à maintenir le pouvoir notamment après un retour a une démocratie multipartite en veillant à supprimer la capacité des Kikuyus de voter en bloc. Dans cette optique, il a déployé des tactiques variées telles que du clientélisme en leur faveur ou une stratégie où l'Etat ignore ou attise les violences inter-ethniques. 

Musalia Mudavadi, autre challenger à la présidentielle de 2013, a lui aussi reconnu l’importance de gérer la question des Kikuyus et a de ce fait nommé un politicien Kikuyu, Jeremiah Kioni, en candidat à la Vice-Présidence. Les réseaux sociaux kenyans ont toutefois été assaillis de rumeurs avançant que Kioni aurait voté Kenyatta.

OdingaLes Odingas sont nés pour l'opposition

L’histoire politique de Raila Odinga, ainsi que celle de sa famille et par extension celle des autres communautés non Kikuyu semble être gravée dans le roc. Tout comme son père et les autres nationalistes tel que Tom Mboya, le principal rôle d'Odinga dans le pays a été l’opposition qu’il a mené contre un statut quo politico-ethnique.

Contre vents et marées, Odinga a pu gagner un important soutien à travers le pays, ce qui n’était pas une mince affaire si l’on considère la manière dont le pays était polarisé quelques années auparavant. Il faudra malgré tout demeuré patient avant que le Kenya puisse avoir un dirigeant non-Kikuyu ou non-Kalenjin.

S'unir contre les forces externes

L’unnité nationale contre l’ingérence étrangère demeure encore un slogan politique attractif. Kenyatta a axé sa campagne électorale sur les accusations de la Cour Internationale de Justice (CIJ) à son égard pour des crimes contre l’humanité. Indubitablement, le choix comme candidat à la vice-présidence de William Ruto était une stratégie pour appuyer sur ce point. En se posant en adversaires de la CIJ, symbole de l'impérialisme occidental fréquemment accusé d’un certain penchant contre l’Afrique, Kenyatta et Ruto se sont inscrits dans l'héritage d'un riche passé africain de résistance à l’oppression étrangère.

Il y a peu d’indications d'une autre raison que celle-ci pour expliquer leur alliance, et ce n'est pas du côté des succès politiques – ou de leur absence – de William Ruto qu'il faut chercher. Ces deux accusés, en menant la campagne de coalition Jubilee, ont mené une double stratégie de victimisation et de promotion de la souveraineté du Kenya. Cela leur a aussi permis de stigmatiser Odinga comme la source de tous leurs problèmes. Il est peut être facile de surestimer les raisons du succès de la coalition, mais la maigre marge de victoire ne montre aucune indication d’unité nationale ni d’un futur promettant l’unité entre Kikuyu et Kalenjin. Le résultat de cette élection en particulier, était la somme d’une situation unique, qui pourrait changer de façon aussi rapide et imprévisible que les éléments à son origine.

Le premier problème de Kenyatta, et peut le plus important, sera son vice-président William Ruto. Kenyata trouvera difficilement un rôle utile à Ruto, qui est plus un expert en missiles politiques qu’en administration. A l’échelle locale, la figure de Ruto est relativement entachée. Il a plusieurs affaires en instance, dont l’une ou une victime des violences ayant suivit l’élection 2007/2008 l’a accusé d’avoir réquisitionné une partie de ses terres après qu’elle ait fuit. Il a aussi été accusé de jouer un rôle dans le scandale de corruption qui a eu lieu lorsqu’il était à la tête du ministre de l’agriculture. De la même manière que Ruto s’est brouillé avec Odinga lors des élections précédentes, il y a suffisamment d'éléments qui suggèrent que le président élu désserrera les liens qui l'unissent à Ruto dès qu'ils n'auront plus besoin l'un de l'autre ou à la fin du premier mandat présidentiel.

Il serait trop tôt pour prononcer d’autres leçons de manière définitive. Les résultats seront mis à l’épreuve et des demandes seront remplies. Cependant, il ne fait aucun doute que le Kenya fonctionne mieux avec la nouvelle constitution mise en place il y a deux ans. Au-delà de la nécessité de faire des avancées politiques à court terme, cette constitution a montré un véritable potentiel pour unir le pays. On espère désormais que les hommes d’Etat et l’administration sauront l’appliquer avec justesse afin de donner aux Kenyans l’opportunité de continuer leurs efforts de construction de paix qui ont repris après les derniers épisodes de violences post- électorales. 

Agostine Ndung'u, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press,

traduction pour Terangaweb – l'Afrique des idées par Ndèye Diarra

Le fantasme du « capitalisme autoritaire » en Afrique

kagameLa croissance économique africaine est peut-être discutable et exagérée, mais il l’est tout autant de suggérer que l’Afrique devrait suivre aveuglément les traces des états émergents et autoritaires d’Asie.

Dans sa récente publication dans Foreign Policy, Rick Rowden affirme que le bas niveau d’industrialisation de l’Afrique laisse penser que le continent n’est pas « le miracle de croissance » que décrivent certains observateurs. Son article, qui est une réponse à une analyse très optimiste publiée par McKinsey, The Economist, et Time Magazine, entre autres, bat en brèche l’hypothèse d’une croissance économique en Afrique, la qualifiant de « mythe ». Selon lui, étant donné que l’Afrique ne participe qu’à une infime partie du commerce mondial, elle ne peut pas être mis au même niveau que les économies asiatiques.

Des exemples à suivre

Si Rowden a raison d’attirer l’attention sur l’exagération irrationnelle qui va souvent de pair avec l’évocation d’une « croissance économique africaine », son argumentation reste très affaiblie, du point de vue analytique et des solutions préconisées. Tout d’abord, Rowden présente une description très enjolivée de la « croissance miracle » des pays de l’Asie de l’Est. Il affirme que ce groupe – souvent désigné par l’expression « Tigres de l’Asie » et comprenant la Corée du Sud, Taïwan, et Singapour, avec la Chine en plus – a réussi à développer sa capacité de production, en créant en très peu de temps des emplois. Selon lui, étant donné que ces pays ont effectué « un très bon travail », les économies africaines devraient, logiquement, en faire de même.

Cependant, si les politiques industrielles asiatiques ont rapidement donné des résultats, elles ont aussi été appliquées par le biais de plans autoritaires et répressifs qui ont souvent mené à des violations manifestes des droits de l’homme. Ainsi, on entend souvent parler de technocrates bénévoles, de subventions généreusement allouées, de stratégies d’exportation intelligemment conçues, et de protectionnisme afin de favoriser l’industrie locale. En revanche, on entend beaucoup moins parler des règles quasi-martiales, de la répression dans le travail, des prêts accordés de façon opaque aux nababs, ou encore des manifestations violentes contre les changements constitutionnels non démocratiques ; tous ces points furent pourtant des parties intégrantes de ce « modèle de développement ».

Que dirait-on d’un Etat africain qui imposerait la loi martiale et maintiendrait les salaires bas au nom d’une « compétitivité internationale », un Etat qui marcherait sur les droits des travailleurs, où seraient arrêtés les responsables des syndicats ? Un Etat qui dans le même temps fermerait les yeux sur les activités des industriels corrompus, tant que les quotas d’exportation sont satisfaits ? Un Etat qui pourtant recevrait une aide importante des USA en échange des terres extirpées aux paysans locaux qui perdent ainsi leur principal gagne-pain ? Séduisantes méthodes, non ? Ceci est pourtant une description de la Corée du Sud lors de sa phase de croissance « miracle ». Et si le programme de réforme agraire coréen (initié, il faut le préciser, par l’armée américaine) a mené à une distribution plus équitable des terres, certains observateurs affirment que cela n’a pas amélioré la situation des paysans, qui devaient rembourser leurs dettes, sur une durée de cinq ans, à des taux usuraires, au gouvernement qui dans le même temps continuait à maintenir artificiellement les coûts de production à un bas niveau.

singapourMais malgré la répression et l’autoritarisme mis en place, des pays comme la Corée du Sud et Singapour n’ont pas réussi leur mutation en une seule décennie, ce qui représente les délais que se fixent les « afro-optimistes » dans leur analyse, et que Rowden rejette en déclarant qu’il n’y a pas encore eu de révolution structurelle pouvant le permettre. Mais nos réserves ne se portent pas seulement sur l’expérience est-asiatique. L’Angleterre a été prise par Rowden dans son article comme autre exemple (comme l’original, en réalité) de la doctrine du « développement par l’industrialisation ». Il faudrait rappeler les implications du processus « d’industrialisation » de l’Angleterre : l’asservissement et la colonisation de la moitié de la planète pour faciliter l’accès aux matières premières, l’exploitation de la classe ouvrière domestique en tant que main d’œuvre bon marché, et le cercle d’inclusion qui consistait en la privatisation d’une terre sous un prétexte agricole, poussant tous les habitants, à l’exception des propriétaires, vers le dénuement, et, par extension, les usines et les mines, où beaucoup d’entre eux périrent.

Des données peu fiables

Même en se basant sur des données strictement économiques, l’analyse de Rowden reste faible. Son point de vue sur le plan de la production semble être essentiellement basé sur deux rapports : un de l’ONU, et un autre de la Banque Africaine du Développement (BAD). Toute analyse de la BAD doit être prise avec des pincettes, car il s’agit quand même d’une institution qui a déclaré qu’il y avait 300 millions d’africains appartenant à la classe moyenne, considérant que tous ceux qui gagnaient entre 2 et 20 dollars appartenaient à cette catégorie. 60% de ce groupe gagnait entre 2 et 4 dollars par jour, franchissant à peine le seuil de pauvreté… La critique, basée sur de telles données, passe à côté des avancées qu’a connues le secteur de la production, sur le terrain. Des zones de traitement industriel émergent dans beaucoup de marchés locaux, d’Ethiopie au Ghana, participant à l’approvisionnement de plusieurs industries, autant à l’est qu'à l’ouest du continent, dans des secteurs aussi divers que le textile, les chaussures, le bois et les meubles, le cuir, l’automobile, et d’autres biens de grande consommation. L’application du Africa Growth and Opportunity Act, une loi américaine, a permis la multiplication par trois des importations – hors pétrole – américaines provenant de l’Afrique sur des produits tels que les textiles et vêtements, les produits agricoles manufacturés et les chaussures.

Ce choix de Rowden pose d’autres problèmes, en ce sens qu’il nourrit une vue simpliste qui présente les produits manufacturés comme de simples marchandises ; en considérant que les matières premières et les ressources naturelles sont de « mauvais » types d’exportation, et affirmant qu’une grande dépendance dans les produits basés sur ce type de ressources est l’indication d’un « bas niveau de diversification économique et d’une absence de progrès technologique ». Il s’agit là d’une très vieille idée reçue, émise par les économistes Raul Prebisch et Hans Singer. Mais les choses ne sont aussi simples : certains penseurs ont déjà fait remarquer qu’en se basant sur une réflexion aussi étriquée, un pays comptant beaucoup d’ateliers de pressurage à une échelle industrielle serait considéré comme « développé », nonobstant la qualité de vie de ses citoyens.

L’idée que les pays développés doivent passer des exportations de produits à base de ressources naturelles à celles des produits manufacturés est trop simpliste, surtout quand on considère le fonctionnement réel des marchés. Le profil commerçant de beaucoup des actuels pays riches et industrialisés du monde – le Canada, les USA, la Norvège, l’Australie et la Nouvelle-Zélande inclus – compte une grande part d’exportation de ressources et marchandises naturelles. Les marchés des puissances émergentes sont souvent dominés par des exportations de produits naturels aussi. L’agriculture, les combustibles et les produits miniers comptent pour 63% des exportations du Brésil, comparé aux 32,8% d’exportations de produits manufacturés – tout en important 72% de produits industriels. Il s’agit là d’un pays dont le commerce repose essentiellement sur ses ressources naturelles, et il s’agit aussi d’un pays qui, de par ses multiples initiatives sur le plan de la protection sociale, a, de façon historique, réduit les inégalités de façon plus drastique que quiconque, et a aussi capitalisé la plus grande évolution en terme de bien-être de ses habitants sur les cinq dernières années, d’après une étude du Boston Consulting Group.

Le Chili, aujourd’hui membre de l’OCDE, a une économie essentiellement dominée par l’exploitation de ressources naturelles, surtout le cuivre. Les éléments manufacturés constituent seulement 13% des exportations du pays. Et l’un des Etats en voie de développement les plus brillants en Afrique – et l’un des rares, globalement, à avoir un modèle solide de gouvernance démocratique – est le Botswana, grand pays exportateur de diamants. Rick Rowden semble considérer les exportations de produits naturels comme un indicateur de sous-développement, en notant qu’ils ont baissé « jusqu’à un niveau aussi bas que 13% en 2008 » en Asie et dans le Pacifique, constituant de toute évidence une avancée majeure : c’est tout simplement faux. Ces marchés ont des taux très bas d’exportations de ce type parce qu’ils n’ont pas plus de ressources naturelles que ce qu’ils consomment, ce qui en fait de faibles exportateurs. Il n’y a qu’à voir les efforts fébriles des compagnies de pétrole asiatiques en Afrique pour comprendre que leurs pays d’origine seraient très satisfaits si, grâce aux bienfaits de la géologie, ils avaient plus de ressources de ce genre dans leur sol.

petrole_afrique-300x210Ce qu’il faut noter, c’est que les pays ne « laissent pas tomber » leurs exportations de produits naturels dès lors qu’ils deviennent industrialisés, ou qu’ils sont en voie de le devenir, comme des enfants enlèveraient les petites roues de leurs vélos. En vue d’un développement réussi, ce qui importe, ce n’est pas qu’un pays choisisse de vendre des produits manufacturés ou le contraire : le succès repose sur des paramètres plus complexes, sur les institutions locales et les résultats obtenus.

Un optimisme mesuré

Certains observateurs trop optimistes concernant l’Afrique se sont peut-être laissés aller à une exubérance clairement irrationnelle, en ne considérant que les revenus à foison, les télévisions à écran plat, et la classe moyenne composée de 300 millions de personnes. Mais on ne peut pas simplement considérer la croissance en Afrique comme un mythe, surtout si on prend en compte les bases sur lesquelles Rowden s’appuie. Si les économistes sont prompts à présenter les Etats asiatiques comme les symboles et les modèles d’une industrialisation fulgurante, ils ne devraient pas passer sous silence les réalités socio-politiques de ces pays– les structures autoritaires inhérentes à une évolution capitaliste rapide. De plus, il est nécessaire d’effectuer plus de recherches sur le terrain afin d’établir avec exactitude la valeur qu’acquiert le marché africain ; à ce niveau, citer deux rapports ne suffit pas.

Les économies des pays africains ont, bien sûr, besoin de développer les secteurs requérant plus de main d’œuvre, couvrant la production industrielle d’assemblage, les services, et une gamme variée de produits manufacturés. En réalité, ce processus est déjà en cours, mais se manifeste d’une façon différente : l’évolution « rapide » n’est pas une considération neutre en terme de délais, et en la préconisant, il faut être prêt à accepter les plans politiques qui en sont à l’origine. Les défenseurs d’un « état de croissance » peuvent arguer que la douleur est le prix à payer pour la réussite économique, et que les générations futures en seraient les premiers bénéficiaires. Mais nous devons garder à l’esprit aussi bien les processus que les objectifs, sans omettre les réalités qui ont sous-tendu ces processus. En fin de compte, avant d’encourager certains modèles, nous devrions avoir cette maxime de Confucius en mémoire : « N’impose jamais aux autres ce que tu n’accepterais pas pour toi-même ».

 

Adam Robert Green, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press, traduit de l'anglais par Souleymane LY  

La démocratie kenyane face au danger de l’ethnicisation

Le conflit entre les communautés Orma et Pokomo, dans la région du delta kényan du Tana, a fait une centaine de morts en septembre dernier. La mise en place d’un couvre-feu, ainsi que le déploiement du General Service Unit et une intervention militaire semblent avoir mis fin aux affrontements. Malgré tout, la lenteur de la réaction du gouvernement a suscité de vives critiques ; et même si la violence a été endiguée et des interpellations effectuées, des centaines de villageois ont perdu leurs maisons, leurs bestiaux et leur champ. Ils sont en effet terrifiés à l’idée de retourner dans la zone, préférant rester dans les camps de fortune installés sur la côte kényane.

Malgré le démenti formel de la découverte de deux importants charniers près du village de Ozi, le mystère à ce sujet reste entier, et l’idée que les combats dans la zone étaient plus que des querelles liées à la terre et à l’eau commence à germer. Selon certains observateurs, les attaques subies par les villageois étaient remarquablement organisées et planifiées, ce qui pousse à croire que des forces politiques auraient en douce contribué aux massacres.

Motifs de violence

Comme l’a fait remarquer l’expert Paul Goldsmith, si le problème était réellement un désaccord à propos de l’accès à la terre et à l’eau –« un problème entre bergers et cultivateurs », les Orma et les Pokomo auraient facilement pu trouver un consensus comme l’ont fait les autres tribus de la région du Laikipia. L’information selon laquelle le gouvernement aurait été prévenu dès le mois de mai de l’imminence d’un conflit est encore plus inquiétante. À cette époque, les locaux s’étaient plaints auprès du pouvoir en place à propos des changements de frontières incessants, et ont accordé au gouvernement une période de trois mois d’observation, après laquelle ils résoudraient eux-mêmes le problème, et ce par tous les moyens nécessaires.

De plus, la guéguerre politique que se livrent le ministre de la sécurité intérieure Yusuf Haji et l’élu du district de Galole Dhadho Godhana accentue la rumeur qui fait état d’une origine politique des attaques ; chacun désignant son vis-à-vis comme coupable, et refusant de participer à des négociations, à cause de querelles personnelles. En effet, les média kényans semblent persuadés que ces violences ont une origine politique, affirmant qu’elles sont conséquentes « à la bagarre en vue de l’Élection Générale qui se tiendra l’année prochaine ».

Des politiciens sans réelle politique

Au Kenya, les scrutins sont rarement motivés par la conviction idéologique ou politique des votants. Il n’existe pas de réelle opposition entre une gauche et une droite, mais plutôt entre des candidats individuels, tant au niveau local que national. Cela transparaît encore plus, à chaque élection générale, depuis la défaite de la Kenya African National Union (KANU) pour la première fois de son histoire en 2002 ; depuis, les politiciens se disputant les meilleures places ont curieusement toujours été les mêmes, alors que les partis qu’ils représentent changent fréquemment.

Les populations ne votent pas pour des idées, mais plutôt pour ce qui les arrange les plus – ce qui, souvent, signifie le parti originaire de leur région, ou ayant un leader de leur groupe ethnique. La majorité des partis au Kenya ne servent que de tremplin pour un candidat spécifique, et ont presque tous essentiellement une forte racine ethnique, cet accent fort mis sur l’identité servant à mobiliser les troupes. Les partis politiques kényans sont seulement des prétextes pour les élections, et restent inactifs en période non-électorale ; le fait qu’il n’y ait que peu de sites web qui leur sont dédiés en est une preuve accablante. Par contre, il existe beaucoup de site internet dédiés à des personnalités tels que Uhuru Kenyatta, Kalonzo Musyoka, Raila Odinga ou encore William Ruto, tous candidats aux élections qui se tiendront dans l’année à venir. L’élite politique kényane peut donc être considérée comme une entité qui se bat pour atteindre les hautes fonctions en usant, quand il le faut, d’autres supports que l’idéologie politique pour gagner des votes.

Alliances ethniques

La place centrale de l’ethnicité dans la mobilisation politique au Kenya a été bien étudiée par chercheurs et journalistes kenyans et étrangers. L’ethnicité est le paramètre le plus facile à exploiter pendant les élections, et, par exemple, c’est un fait notable que le président Mwai Kibaki, de l’ethnie Kituyu, a remporté environ 97% des suffrages dans sa région d’origine, la Central Province, lors des élections de 2007. C’est un fait notoirement acquis que les Kenyans votent selon des considérations ethniques, et ce fait est dû, en partie, au lien fort existant entre les élites et leur communauté d’origine. On en conclut donc que si les votes d’une certaine communauté portent une personne au pouvoir, les gens de cette communauté pourraient en tirer des avantages. Il s’agit d’une attitude qui peut laisser croire que l’état est une récompense que l’on se partage au sein d’une communauté une fois qu’elle est acquise. Ceci est en parti un héritage du système politique kenyan qui existait à l’époque coloniale ; c’était une époque pendant laquelle les colons associaient souvent les figures politiques à leur ethnie d’origine, les réduisant ainsi à la représentation de celle-ci.

Les politiciens candidats à la présidence ont souvent tendance à former des alliances et coalitions avec les leaders d’autres groupes ethniques, toutes les communautés n’ayant pas la même importance démographique. C’est d’ailleurs ce que le chercheur Sebastien Elischer a désigné par le terme « coalition de circonstance ». La National Alliance Rainbow Coalition (NARC), qui a battu la KANU en 2002, est un très bon exemple. Kibaki et Raila étaient tous les deux membres de la NARC, qui finira aussi par éclater en deux groupes vers 2005 – le Party of National Unity (PNU) et le Orange Democratic Movement (ODM), qui s’affronteront pour l’élection générale de 2007.

Tractations

Cependant, attribuer tous les problèmes politiques du Kenya à l’ethnicité serait irresponsable et réducteur. La plupart du temps, après une défaite, les leaders de l’opposition s’allient simplement avec le parti au pouvoir ; il arrive même que, avant les élections, certains politiciens ou groupes d’intérêts s’empressent d’afficher leur soutien aux candidats dont l’importance augmente ; cela se voit actuellement avec The National Alliance (TNA), parti à la popularité grandissante nouvellement formé par Uhuru Kenyatta.

Plus récemment, pendant une marche politique à Ukambani, une zone essentiellement occupée par des Kambas, et en conséquence acquise à Kalonzo Musyoka, le premier ministre Raila Odinga, de l’ethnie Luo, a suggéré que Musyoka et lui devaient s’associer. Odinga a conseillé aux Kambas de « fuir » la politicaillerie ethnique et de voter pour lui, mais, en guise d’assurance, a quand même pris la peine d’inviter Kalonzo à le rejoindre. À mesure que les élections, prévues pour mars 2013, approcheront, il y aura de plus en plus de propositions de ce genre, et ce sera intéressant de voir quel candidat se désistera de la course aux postes les plus importants, en échange d’une position certes moindre, mais qui garantirait au moins une entrée dans le gouvernement.

Tout ceci met en évidence une situation regrettable : les membres de l’élite politique du Kenya utilisent les différences ethniques apparentes quand ça les arrange. En vue de leur victoire, les politiciens n’hésitent pas à creuser des fossés entre les communautés, s’assurant ainsi des gains sur un terme relativement court, alors que les dommages sont dévastateurs à long terme pour les malheureux groupes ethniques dont les représentants sortent perdants des élections.

Les Orma et les Pokomo sont deux tribus relativement petites qui, si on excepte quelques incidents isolés, ont toujours réussi à cohabiter en paix. Seulement, à l’approche des élections, leurs points de divergence semblent devenir de vrais problèmes – et ceci n’est pas seulement dû au hasard. Si les échos suggérant une incitation à la violence de la part des élus locaux du Delta Tana sont prouvés, on ne pourrait s’empêcher d’être inquiet à propos de plus importantes luttes de pouvoir qui vont se déclarer dans l’année à venir. Le problème, ce n’est pas que les Kényans aiment se battre ; comme on peut le lire dans les réseaux sociaux et dans les fora dédiés au Kenya, ceux qui sont contre la violence sont toujours plus nombreux que ceux qui sont pour. Le problème réside en une culture de la contestation politique basée sur un jeu à somme nulle, avec des divisions essentiellement ethniques alimentées par une élite politique qui veut profiter un maximum de la situation, tout en étant au minimum concernée par les dommages occasionnés. Pour le bien à long terme du Kenya, les politiciens devraient se montrer plus responsables – l’incitation à la violence ne devrait jamais constituer une option.

 

Nikita Bernardi, article initialement paru en anglais chez notre partenaire Think Africa Press, traduction pour Terangaweb par Souleymane LY

Combien coûte au Nigeria le vol de son pétrole ?

Le magazine The Economist a érigé le Nigéria en capitale mondiale du vol de pétrole. Toutefois, l’opacité sur le nombre de barils produits empêche le gouvernement de mesurer exactement l’ampleur des pertes. Les chiffres présentés par la ministre des finances nigériane Ngonzi Okonjo-Iweala, suggèrent que le montant des pertes approcherait les 400 000 barils par jour et aurait conduit à une baisse de 17% des ventes officielles en avril 2012. De son côté, Shell Petroleum Development Company fait une estimation plus modeste de ces vols, entre 150 000 et 180 000 barils par jour, soit près de 7% de la production.

Quoi qu’il en soit, d’un côté comme de l’autre, le coût des pertes est énorme. Si on se réfère aux chiffres officiels sur les pertes causées par ces vols, le Nigéria et ses partenaires du secteur pétrolier perdraient environ 40 million de dollars par jour (en supposant un prix fixe de 100 dollars par baril), l’équivalent d’environ 15 milliards de dollars de revenus par an. Les enjeux de ce problème s’éclaircissent d’autant plus en y ajoutant les pertes humaines et les dégâts environnementaux associés à de telles activités. 

Des voleurs habiles

Malgré toute la rhétorique politique sur l’importance de combattre le vol de pétrole, la menace, elle semble se complexifier au fil du temps. Les méthodes employées pour dérober le pétrole sont encore floues mais des experts suggèrent qu’elles vont de pratiques locales artisanales à une organisation hautement sophistiquée qui pensent-ils, prendrait place dans les terminaux d’exportation. Un tel niveau de technicité et de sophistication sous-entend une implication possible de personnalités influentes en arrière plan. Beaucoup affirment que des politiciens de haut niveau, des militaires, anciens et en exercice, des leaders et des employés de compagnies pétrolières pourraient être impliqués. De plus, vu leur inefficacité, certains suspectent également une connivence des agences de régulation. Les observateurs montrent également du doigt les cartels internationaux qui conduisent illégalement des bateaux transportant le brut pour le vendre sur les marchés.

Néanmoins, les multinationales basées dans le delta du Niger n’ont manifesté que récemment leur préoccupation face au vol de pétrole, surtout parce qu’elles ont jusque là réussi à gérer leurs pertes économiques. Cela est en partie dû au fait qu’en l’absence de données fiables sur le nombre de barils produits, les compagnies pétrolières paient des taxes et les royalties non pas en fonction de leur production, mais en fonction du nombre de barils exportés. Afin de combattre le fléau et de permettre un calcul plus juste du flux de pétrole, l’Initiative Nigériane pour la Transparence des Industries d’Extraction (INTIE) recommandait en 2011 l’installation d’une infrastructure servant de compteur fiable au niveau des stations d’extractions ainsi qu’aux terminaux, comme cela se fait à l’international. En installant des compteurs dans les stations d’extraction – et en instaurant une taxe pétrolière basée sur les taux de production plutôt que d’exportation – la perte de pétrole se ressentirait de façon plus importante sur les compagnies pétrolières. Avec les taux de royalties actuels (20% près du rivage et 18,85% en eaux superficielles au large) les compagnies paieraient environ 8 millions de dollars chaque année pour les 400 000 barils (estimation) perdus à cause des vols. Malheureusement, les recommandations de l’INTIE n'ont pas force de loi.

Boucher la fuite

Même si les compagnies pétrolières étaient forcées à trouver des solutions, le problème resterait difficile à solutionner tant il est profond et complexe. Tout d’abord, d’après certaines informations, des milliers de raffineries illégales s’éparpilleraient sur l’ensemble du territoire nigérian. Rien que pour le premier trimestre 2012, la Join Task Force (JFT), dans le Delta du Niger déclarait avoir détruit près de 4000 raffineries et saisi des centaines de barques, de bateaux, de pompes, de tanks et toute autre sorte d’équipements appartenant aux voleurs. Le gouverneur de la Banque Centrale Nigériane, Sanusi Lamido Sanusi a évoqué le bombardement des raffineries illégales, mais cela ne résoudrait pas le problème qui est plus profondément ancré. 

Une grande partie des jeunes hommes impliqués dans ce trafic sont des anciens militants voire des anciens employés de l’industrie pétrolière en manque d’alternatives. Il faudrait de fait des solutions immédiates telles que le retrait des raffineries illégales et à long terme, créer des solutions durables pour l’emploi des jeunes. De plus, les ressources pour nettoyer le delta du Niger et ses alentours, estimées à 1 milliard de dollars par l’ONU, doivent également servir à créer d’autres opportunités dans la vie des jeunes. Repenser le système de sécurité dans le delta du Niger afin d’assurer la surveillance des eaux costales et des pipelines par des agences fiables ainsi que de réelles poursuites en justice contre les accusés apparaît également comme une étape cruciale pour réduire les vols de pétrole. Par le passé, les procès ont été empêchés ce qui a emmené certains à accuser la mainmise de personnes influentes sur les dossiers. Enfin, le stockage illégal pourrait être réduit grâce à l’usage de nouvelles technologies capables de « relever les empreintes » du pétrole brut afin d’identifier son origine.

Une nécessité à long terme

Bien qu’il sera difficile de mettre fin au détournement, à terme, boucher les fuites dans la production de pétrole apportera plus d’argent à la collectivité et aux entreprises privées. Platform, un centre de recherches britannique, a rapporté que Shell a dépensé près de 383 millions de dollars dans des tiers pour protéger ses installations dans le Delta du Niger entre 2007 et 2009. Depuis la déclaration du programme d’amnistie de milliers d’activistes du delta du Niger en 2009, le problème sécuritaire a baissé et cet argent pourrait désormais être utilisé pour financer un compteur fiable dans les stations de production. Cela mettrait fin à l’incertitude autour du nombre de barils produits dans le pays et augmenterait la responsabilité. Néanmoins, rien ne sert d’accuser uniquement les compagnies pétrolières pour les vols. Les compagnies pétrolières, les agences de sécurité, l’Etat et tous les autres intervenants doivent travailler ensemble.

Sans doute le président Goodluck Jonathan, en tant qu’originaire du Delta du Niger a une responsabilité morale et personnelle particulière d’arrêter ces actes criminels antipatriotiques. 

 

Uche Igwe, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press, traduction pour Terangaweb par Claudia Muna Soppo

Conflit dans la région du Kivu : vers la seconde guerre mondiale africaine ?

A en croire les dernières déclarations et apparitions médiatiques, l'ensemble de la communauté internationale est fermement engagée dans la défense du processus de paix en République Démocratique du Congo (RDC). Paul Kagamé, Président du Rwanda, a laissé entendre que l'implication du Rwanda pour la résolution du conflit Congolais était sans égale et le gouvernement ougandais de son côté, s'est empressé de se positionner en négociateur pacifique. Se méfiant de l'implication d'Etats voisins dans le conflit, les contributeurs du Congo se sont investis sur la question comme jamais depuis près de 10 ans. Pourtant, il faut se défaire de l’image d'une poignée d'Etats s'unissant pour combattre des rebellions malveillantes afin de comprendre les véritables enjeux politiques enfouis derrière cette question.

Depuis quelques mois, une nouvelle rébellion se faisant appeler M23 a agrandi le groupe de factions rebelles actives dans la zone du Nord-Sud Kivu, deux provinces dans l'Est du Congo. Grâce aux liens entre le M23 et les forces supportées par le Rwanda au sein du FARDC, la force militaire congolaise, des lignes de batailles ont immédiatement été dressées entre Kinshassa et Kigali. Depuis, un torrent d'accusations et ripostes inonde la diplomatie africaine. Heureusement on est loin de voir surgir un immense conflit interétatique tel une seconde guerre du Congo – également nommée « la Guerre Mondiale Africaine » (1998 à 2003). La raison en est tout simplement que des acteurs externes au conflit n'auraient pas grand intérêt à y intervenir. En réalité, il semblerait que l'indifférence de la communauté internationale aura pour seule conséquence la stagnation du conflit. Nul ne doute que des pertes humaines sont à prévoir, seulement, elles ne seront pas causées par un nouvel incendie sur le continent.

Soulèvement dans l'Est

Le Rwanda, pays voisin du Congo et puissance militaire régionale est déterminé à mettre de l'huile sur le feu afin de servir ses intérêts stratégiques. En dépit de l'apparition récente du Président Kagamé sur la BBC dans laquelle ce dernier niait tout support aux insurgés du M23, des preuves accablantes montrent que l'Etat rwandais subventionne les rebelles. Le groupe d'experts envoyé par l'ONU a découvert des armes en provenance du Rwanda, intercepté des communications officielles, parlé avec des témoins, interviewé près de 80 déserteurs de la rébellion (dont 31 Rwandais), et parlé à des membres actifs du M23 et des autres chefs militaires. Cela prouve de façon inquiétante que le Rwanda a aidé le M23 à se positionner parmi d'autres "forces néfastes" telles que Raja Mutombi, ajouté à d'autres parasites politiques et militaires, tels que les Force de Défense du Congo et Nduma Défense Congo. Encore plus surprenant, le groupe d'expert a trouvé des preuves montrant que le gouvernement rwandais a remobilisé des anciens membres de la FDLR- ennemis jurés du régime de Kigali-, accusés de génocide afin de rejoindre le groupe de rebelles. 

En réponses à ces accusations, le gouvernement rwandais a qualifié le report de "biaisé et dénué d'intégrité". Cependant, le démenti est peu consistant. Les preuves contraires qu’il apporte sont essentiellement des déclarations et extraits de réunions officielles montés de toute pièce par l'élite politique et militaire. Par ailleurs, le gouvernement réfute les accusations selon lesquelles le secrétaire permanent du ministère de la défense aurait financièrement et logistiquement soutenu les rebelles en affirmant qu'il est simplement trop occupé pour s'embêter à aider les rebelles. De l'autre côté, le document officiel de l'ONU confirme toutes les conclusions avec cinq sources différentes et indépendantes, et même s'il contient très certainement des erreurs, le poids des preuves donne sans aucun doute raison au groupe d'experts; le soutien du Rwanda est crucial dans la lente marche du M23 vers Goma.

Une "guerre froide"

Pourtant, même si des milliers de civils sont déjà affectés par cette situation, il existe de bonnes raisons de penser que les combats ne déborderont pas vers un autre conflit intercontinental. D’une part le fait que les facteurs structurels qui ont déclenché la guerre en 1990, la décadence de l’Etat Congolais- à l’époque Zaïre- l’effondrement des zones d’influence de la Guerre Froide, l’augmentation du niveau de démocratie, sont désormais obsolètes.  

Par ailleurs, quand le nouveau gouvernement de Paul Kagamé s’est immiscé pour la première fois dans la région à la fin de l’année 1995 (autant qu’il le fait aujourd’hui) des millions de réfugiés rwandais, génocidaires réarmés se trouvaient esseulés dans les camps. Aujourd’hui, cette menace n’existe plus. Contrairement à 1995, l’impressionnante augmentation de l’implication du Rwanda en République Démocratique du Congo est certainement motivée par un ensemble hétérogène d’intérêts. Le gouvernement est véritablement préoccupé par les différents groupes de rebelles, mais il cherche également à étendre son contrôle sur les ressources du nord et du Sud du Kivu et accomplir ses ambitions régionales en mettant en place une zone d’influence plus large, entre autres. Il suffirait, afin de satisfaire ses intérêts, que le Rwanda étende son protectorat dans les provinces de l’Est avec le but ultime que le Kivu parvienne à faire sécession de la RDC. Mais quand bien même, cela ne supposerait pas un changement de régime à Kinshasa ; si les rebelles prennent Goma (tel qu’ils menacent actuellement de le faire) il n’est pas à exclure que Kagamé recule en chemin. Ayant gagné l’espace nécessaire pour la libre circulation de ses troupes, récupéré les revenus miniers et assis son influence par delà ses frontières, il se pourrait que le Rwanda préfère éviter les problèmes diplomatiques liés à la violation de la souveraineté de la RDC.

Après tout, c’est précisément ce goût de la démesure qui a coupé court aux ambitions du Rwanda entre 1999 et 2005. Responsable du déclin de Mobutu, le Rwanda a par la suite ré-envahi la RDC afin d’installer un candidat de son choix à Kinshasa, dans l’unique but de voir l’Angola et le Zimbabwe se précipiter à la rescousse de leur voisin congolais. L’offensive a stagné, la guerre s’est étendue, la considérable bienveillance mondiale s’est progressivement estompée, et finalement il ne restait pour se réjouir, que les mêmes problèmes auxquels l’administration de Kagamé est encore confrontée aujourd’hui. Il est donc peu probable que les stratèges rwandais commettent à nouveau la même erreur.

Ni aide, ni obstacle 

Cette logique s’effondre si les Etats voisins du Congo s’alignent derrière le Rwanda afin de l’aider à renverser le gouvernement de Kabila et se tailler une part du lion. Une hypothèse néanmoins très peu probable. Alors que de nombreux gouvernement prétextaient des guerres dans les années 1990 pour combattre leur ennemis régionaux, de telles manigances ne sont plus d’actualité. Le Soudan est beaucoup trop occupé avec ses propres conflits internes, par exemple, et pour ce qui est de l’Angola, ses intérêts sécuritaires au Congo ont disparu en 2002 avec la mort de Jonas Savimbi, l’ancien et tristement célèbre chef de l’Union Nationale pour l’Indépendance totale de l’Angola.

Certaines de ces dynamiques se manifestent dans l’échec de la RDC à rallier des supporters aux réunions de la Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs, un conseil régional représentant 11 pays. Auparavant, le groupe a déployé l’ancien président Tanzanien Benjamin Mkapa ainsi que l’ancien président Nigérian Olusegun Obansajo en tant qu’envoyés spéciaux pour enquêter sur les insurrections. Mais leurs efforts pour convaincre les Etats membres d’ajouter leurs troupes à une force de contrôle ou même d’apporter un support rhétorique contre l’attitude du Rwanda sont tombés dans des oreilles sourdes. Personne ne veut se mêler à ce conflit.

Le gouvernement ougandais continue d'harceler le Président Yoweri Musevini. Etant donné que dernièrement les choses se sont arrangées avec Kagamé, les deux présidents pourraient collaborer sur la question du M23 à leur avantage commun – tel qu'ils l'ont fait sur de multiples rebellions sponsorisées conjointement dans les années 1990. Cependant, l'ADF semble d'avantage ennuyer que menacer véritablement Musevini, d'autant plus que ses troupes sont déjà engagées dans des conflits en Somali, au Sud Soudan et ailleurs. Ajouté à ce déploiement excessif, il faut également prendre en compte le fait que Musevini utilise une partie de ses troupes pour protéger les nouvelles découvertes pétrolières ougandaises. Et quand bien même il désirerait envoyer des troupes au Congo, son pays est confronté à une crise budgétaire généralisée, exacerbée par les récentes catastrophes humaines. Un scénario simpliste serait d'imaginer Musevini impliquer son pays dans le but de se faire une place dans la "mine d'or" Congolaise. Toutefois, au moment où l’Ouganda et d’autres Etats (le Zimbabwe notamment) convoitaient les minéraux en 1999, ils étaient prêts à être cueillis et étaient plus faciles à exporter vers les marchés mondiaux : aujourd’hui, ils sont inaccessibles car capturés par le commerce rwandais développé dans la province du Kivu.

Moulinets dans le vent à New York 

Ironiquement, l'attention récemment portée au conflit provient des Etats qui se trouvent avoir le moins d'influence sur le terrain: les contributeurs occidentaux. La communauté humanitaire et diplomatique essaie d'élever les enjeux de l'ingérence Rwandaise, mais ces efforts ne parviennent pas à empiéter les plans de Kigali. Il semblerait que l'occident ne puisse pas faire grand chose pour calmer cette affaire. Les donneurs se focalisent sur le processus de pacification en signant des pactes temporaires entre seigneurs de guerre ennemis. De tels actes en réalité résultent souvent en l’affaiblissement de l’armée congolaise et lui créent davantage de rébellions à combattre au Kivu. De plus, comme le défend Séverine Autessere, les négociations entre élites ont très peu d’effet dans la résolution des milliers de conflits localisés qui nourrissent le conflit global. 

Une solution d’ordre financier se présente également. L’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont récemment interrompu les flux d’aides financière cruciaux pour le Rwanda. Néanmoins, même si ces décisions marquent un changement d’attitude majeur, les Etats occidentaux soutiennent toujours fermement le régime de Kagamé, se rattachant à son image de reformeur à succès pour leur défense. Quand bien même les réticences américaines disparaitraient et les pays occidentaux décideraient d’entreprendre des actions concrètes contre le Rwanda, l’influence des chinois et des Russes empêcherait très certainement de punir Kigali à travers le conseil de sécurité de l’ONU (au-delà de quelques signaux d’alarmes). D’autre part, outre l’usage d’armes à feu contre les rebelles du M23, la tentative des forces congolaises d’étendre le mandat de MONUSCO, la mission des Nations Unies Pour le Maintien de la paix dans la région, est peu fructueuse. Enfin, une action unilatérale d’une puissance occidentale est presque inimaginable. Tout ce qu’il reste sont donc des paroles fermes et des sanctions inoffensives.

Malgré toute sa bonne volonté – dont les 17 000 forces de Monusco- la communauté internationale restera en dehors de l’équation Kivutienne. Il se peut qu’un des voisins de Kabila voit une opportunité dans ce conflit et s’y engage mais cela est assez improbable. Bien que le Rwanda est en mesure de changer la situation en s’avançant dans la capture de Kinshasa, une telle option entraverait ses intérêts stratégiques. Il semble que les combats persisteront pour un moment, toutefois ce sera sans compter la participation des autres acteurs régionaux. Les restes de la Guerre Mondiale Africaine motivent encore les déploiements politiques dans la région des Grands Lacs Africains mais il y a très peu de chances qu’ils y apportent une suite. Il se pourrait que le vent tourne en la faveur de Kigali, mais Kinshasa n’est pas prête de tomber.

 

Zach Warner, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press

Traduction pour Terangaweb par Claudia Soppo

La croissance africaine est-elle condamnée à ne pas générer d’emplois ?

À l’heure où l’économie chinoise ralentit et que les principales puissances économiques peinent à croître durablement, les pays africains se placent en tête de la liste des pays ayant la plus forte croissance économique en 2012. Ainsi, la Zambie, avec une croissance de 7,38%, est le douzième pays de la liste, tandis que la Mozambique occupe la dixième place, l’Éthiopie la huitième, le Liberia la quatrième ; l’Angola, avec 10,5% occupe la troisième place, et le Niger connaît la plus forte croissance économique à l’échelle mondiale, à hauteur de 15,4%.

Un optimisme exagéré ?
Si la croissance économique dans les pays africains est une source indubitable d’espoir, dans la plupart des cas, elle n’implique pas pour autant une réduction significative de la pauvreté. En effet, croissance n’est pas nécessairement synonyme de meilleure distribution de richesses, tandis que la transparence reste de l’ordre du fantasme. De fait, lors du récent Forum Africain pour le Développement qui s’est tenu à l’École d’Études Africaines et Orientales de l’Université de Londres, le Docteur Patricia Daley, professeur de géographie humaine à l’Université d’Oxford, s’est posée la question de savoir qui, réellement, bénéficiait de la croissance économique en Afrique. Bien que cette croissance soit dynamique, les secteurs qui la favorisent demandent, en général, plus de capitaux que de main-d’œuvre ; l’investissement provenant de l’étranger étant directement injecté dans les zones les plus développées. Cette croissance n’impacte donc que très peu les sans-emplois et ceux qui survivent dans la précarité et les emplois informels, sans disposer de protection sociale. Ainsi, selon le Docteur Daley, « en dépit de la croissance, il n’y a pas de transfert des ressources du haut vers le bas. La croissance reste concentrée dans la production et l’extraction de matières premières, ce qui ne permet pas de créer beaucoup d’emplois ».

Une croissance qui ne génère pas d'emplois
Suite aux annonces de hausse du chômage en Afrique, un rapport de l’African Economic Outlook a rappelé que la stabilité politique et sociale du continent noir serait déterminée par la capacité des pays à utiliser leur plus précieuse ressource : la jeunesse de sa population, qui est amenée à doubler vers 2045. De nos jours, 60% des chômeurs africains ont entre 15 et 24 ans. Il est crucial que des politiques soient menées afin de former les jeunes, et qu’ils puissent ainsi intégrer le marché africain du travail, un marché dont l’étendue devrait dépasser celle des marchés de l’Inde et de la Chine à l’horizon 2040.

Les politiques gouvernementales devraient s’appliquer à rendre les programmes d’éducation plus pertinents, en accord avec les demandes du marché du travail. À l’heure où beaucoup d’entreprises recherchent des profils techniques, l’Afrique détient le record d’étudiants inscrits en sciences sociales, et beaucoup d’entre eux finissent sans emploi. Traditionnellement, les systèmes éducatifs ont été bâtis pour répondre aux besoins de la fonction publique ; mais les universitaires devraient garder un œil sur le marché africain, faisant ainsi progresser l’initiation des jeunes à des formations techniques et à l’agriculture. Selon une étude de l’African Economic Outlook, mettre en adéquation l’éducation aux besoins du marché du travail sera crucial dans les prochaines années car 54 % des chercheurs d’emploi ont de hautes qualifications, mais qui ne répondent pas aux besoins des entreprises.

Cependant, il sera aussi crucial d’étudier l'offre d’emplois afin de transformer la croissance en développement. La jeunesse africaine a certes été bien instruite grâce à des politiques de développement qui se sont appuyées sur l’éducation, mais elle manque tout de même d’opportunités d’emplois, ce qui conduit à ce que 72% de la jeune population du continent vivant avec moins de 2 dollars par jours. Sur 200 millions de personnes âgées de 15 à 24 ans, seules 21 millions sont considérées comme dotées d’un emploi « salarié » – paramètre permettant de mettre en évidence les emplois « sérieux » – tandis que 53 millions ont des emplois précaires qu’ils sont obligés d’accepter du fait de leur pauvreté. Selon Jan Rielaender, économiste au centre du Développement de l’OCDE, « L’Organisation Internationale du Travail estime qu’entre 2000 et 2007, la population active a vu ses rangs gonfler de 96 millions d’individus, alors que le nombre d’emplois créés était juste de 63 millions. Avec 10 à 12 millions de jeunes intégrant le marché du travail africain chaque année, les jeunes qui ne travaillent ou n’étudient pas constituent un gaspillage des ressources de leur pays ».

Il est aussi nécessaire d’indiquer que cette croissance économique, comme on peut s’en douter, impacte de façon différente les populations en fonction de leur sexe. Les femmes sont particulièrement désavantagées dans l’accès à un travail de bonne qualité, à cause de facteurs tels que l’accès limité à l’éducation. Ce fait pousse beaucoup d’entre elles à s’activer dans des secteurs économiques informels et à basse valeur ajoutée, où elles sont sujettes aux petits salaires, à la précarité, et se rendent vulnérables à l’exploitation. De ce fait, il s’avère très important de faciliter leur accès à des emplois décents afin d’améliorer leur revenus et leur bien-être.

Pour une croissance inclusive

Les gouvernements sont aujourd’hui incapables de créer assez d’emplois chaque année pour réduire le chômage de façon significative, le secteur public ayant des moyens limités dans beaucoup de pays d’Afrique – un héritage des Programmes d’Ajustement Structurel de la Banque Mondiale. Le secteur privé est appelé à combler ce déficit, mais son assiette reste limitée. Les espérances portées sur le secteur privé pour qu'il génère les emplois nécessaires pour répondre à la croissance démographique et intégrer les nouveaux entrants sur le marché du travail semblent démesurément optimistes. Par exemple, 100 000 étudiants diplômés intègrent le marché du travail du Sénégal chaque année, se disputant moins de 30 000 emplois formellement recensés.

Augmenter la productivité et les revenus dans les emplois industriels nécessitant le plus de main d’œuvre dans les petites et moyennes entreprises serait une solution plus viable. Le rapport de l’AEO stipule d’ailleurs que « étant donnée la taille immense du secteur informel dans la majorité des pays africains, et le fait qu’il naisse d’une absence d’alternatives, il doit être vu comme une partie de la solution, et non comme le problème ».
Pour y parvenir, l’attitude des gouvernements africains à propos de l’économie informelle doit changer. L’histoire de Mohamed BOUAZIZI, vendeur clandestin de légumes qui s’est immolé par le feu dans les rues de la Tunisie pour protester contre la répression constante qu’il subissait de la part des autorités locales, déclenchant une réaction en chaîne qui mena à la révolution, devrait suffire comme exemple aux gouvernements.

Une option plus crédible consisterait à augmenter la productivité et les revenus dans les secteurs plus intensifs en main d'oeuvre, notamment au niveau des petites et moyennes entreprises et du secteur informel. Le rapport de l’AEO stipule d’ailleurs que « étant donnée la taille immense du secteur informel dans la majorité des pays africains, et le fait qu’il naisse d’une absence d’alternatives, il doit être vu comme une partie de la solution, et non comme le problème ». Pour y parvenir, l’attitude des gouvernements africains vis-à-vis de l’économie informelle doit changer.

Un optimisme mesuré

Si une opinion plus positive de l’Afrique représente une alternative providentielle à l’image classique d’un continent miné par les maladies, les gouvernements véreux et la pauvreté, l’assimilation de la croissance économique à un hypothétique développement mènera inévitablement à de la déception. Une croissance non supportée par des investissements à long terme dans les infrastructures locales et l’éducation ne produira pas les transformations structurelles nécessaires au développement. Pour que l’aide extérieure serve d'instrument effectif sur le chemin du développement économique et la réduction de la pauvreté, il est nécessaire qu’il y ait un équilibre entre la diligence à accueillir des investisseurs étrangers et le respect des droits des populations destinées à intégrer le marché du travail.

Le Docteur Daley soutient que « L’Africa Youth Charter et l’Africa Women Protocol doivent être pris en considération dans le développement de programmes visant à faire bénéficier les femmes et les jeunes de la croissance économique. Au final, orienter des politiques pérennes vers les défis que rencontrent les femmes et les jeunes face au marché du travail est la seule solution pour que la croissance africaine devienne, un jour, plus inclusive. Une telle action permettrait d’avoir un socle plus solide pour l’afro-optimisme ».

 

Kiran Madzimbamuto-Ray, article intialement paru chez notre partenaire Think Africa Press

Traduction de l'anglais au français réalisée par Souleymane LY, pour le compte de TerangaWeb – l'Afrique des idées

 

Pour aller plus loin :

Emploi des jeunes : Que faire ? par Georges-Vivien Houngbonon

Pour une croissance inclusive en Afrique par Nicolas Simel

Quelle politique de l’emploi au Sénégal dans un contexte d’accroissement démographique ? par Khadim Bamba

Algérie : la bataille de l’emploi au pays des méga-contrats chinois par Leïla Morghad