Quel serait l’impact de Boko Haram sur les prochaines élections au Nigéria?

imagesAu cours des dernières semaines, la bataille politique entre le People’s Democratic Party (PDP) et son rival de l'opposition, le All Progressives Congress (APC), a été largement reléguée au second plan au Nigeria. Au lieu de cela, tous les yeux sont fixés sur Boko Haram et la façon dont le gouvernement compte endiguer la menace.

Bien que le groupe militant islamiste n'ait pas réussi à attaquer des cibles de plus grande envergure depuis 2011 – quand il a bombardé le bâtiment des Nations Unies à Abuja et le siège de la Force de police du Nigeria – il a considérablement augmenté ses attaques sur des cibles moins sécurisés, en particulier sur des civils. Cette année seulement, Boko Haram aurait tué plus de 2.000 personnes; le mois dernier, il a bombardé une station de bus occupé sur les franges de la capitale; et il a toujours en otage plus de 200 écolières enlevées dans la ville de Chibok.

Boko Haram et les élections

Mis à part les conséquences profondément tragiques des activités violentes du groupe, les activités de Boko Haram pourraient également affecter l'environnement politique du Nigeria et le déroulement des prochaines élections en 2015 de diverses manières.

Pour commencer, la violence en cours dans le Nord-Est pourrait poser un risque grave pour la conduite même des élections générales. Beaucoup de personnes ont été déplacées, le conflit pourrait empêcher une population découragée d’aller voter, et l'instabilité pourrait tout simplement rendre logistiquement impossible pour les fonctionnaires électoraux d’accomplir leur travail. Il y a eu des appels en direction du gouvernement fédéral pour adopter une posture militariste et imposer l’état d'urgence ; mais pour l'instant le président Goodluck Jonathan a préféré prolonger l'état d'urgence de six mois.

Il peut avoir des raisons d'être prudent. Après tout, l'insécurité dans le Nord a également affecté la perception du président Jonathan parmi les électeurs. Son gouvernement a été sévèrement critiqué pour sa gestion de la situation sécuritaire et la côte de popularité du président est à un niveau historiquement bas de 49% . Ce mécontentement suggère qu'il pourrait faire face à des difficultés s’il envisage de se présenter à l’élection l'année prochaine ; une ambition qui le mettrait dans une situation précaire avec de nombreux personnages puissants des États du Nord. Déjà, sa décision de prolonger l’état d’urgence de six mois a été critiquée par certains leaders régionaux du fait que cette approche n’a produit aucun effet jusqu’à présent.

Plus généralement, les tensions régionales ont toujours été une partie inaliénable de la politique du Nigeria et ne va certainement pas disparaître à l'approche des élections. Au mieux, l'ethnicité et la religion feront tout simplement partie de la rhétorique dans les sables mouvants d'une année pré-électorale, et pourront en partie affecter le choix des électeurs. Au pire, cependant, les tensions religieuses et ethniques deviendront politisées et dégénéreront en violence, perturberont le processus électoral et de déstabiliseront l'équilibre politique et économique du pays.

En ce qui concerne l'économie, la localisation de l'insurrection dans le Nord-Est a largement épargnée l'économie nationale dans son ensemble. Certaines installations de télécommunications, et dans une moindre mesure des installations pétrolières et gazières, ont été attaquées dans le Nord, mais les plus grandes industries du Nigeria sont pour la plupart situées dans le sud. L'économie chancelante du Nord-Est se compose essentiellement de l'agriculture et des petites et moyennes entreprises qui ont effectivement subies les effets de l’insurrection. En outre, la nécessité d'augmenter les dépenses en matière de sécurité signifie qu'il y a encore moins de fonds publics disponibles pour l'exécution des projets d’infrastructure régionale et les programmes sociaux.

boko_haramLa lutte contre Boko Haram

Il est difficile de dire si le gouvernement nigérian pourra inverser la tendance de la violence avant les élections de 2015, prévues pour Février. Toutefois, le président Jonathan a déclaré aujourd'hui qu'il a ordonné une "guerre totale" contre Boko Haram et il a récemment accepté des offres d'assistance militaire des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de la Chine.

D'une part, il est généralement admis que la technologie et la connaissance des forces étrangères seront utiles, tandis que les troupes étrangères sont moins susceptibles d'être à risque d’une infiltration de Boko Haram. Mais dans le même temps, certains Nigérians craignent que l'aide occidentale ne viendrait pas sans un prix, et ce malaise a été accrue par le fait que certains partenaires aient annoncé que l’aide ne sera pas nécessairement limitée à la rescousse des filles Chibok enlevés. En outre, alors que l'intervention étrangère pourrait contribuer à certaines opérations, il reste à voir si elle sera capable d'inverser la tendance plus large de la violence et ses causes sous-jacentes.

En effet, il existe un réel besoin de solutions globales qui vont au-delà des offensives militaires. Étant donné que les opérations de l'armée ont souvent conduit à des pertes civiles, créant ainsi un sentiment d’insécurité de la part des populations face aux forces militaires, l’action militaire doit certainement être plus stratégique. Mais comme le conseiller à la sécurité nationale l’a souligné à juste titre, une approche plus souple est également nécessaire pour inverser le cours de la radicalisation. Typiquement, une réponse socio-économique à long terme qui s'attaque à la pauvreté, au chômage et les frustrations qui conduisent les groupes marginalisés à chercher des moyens violents est également cruciale.

Dans les prochains mois, alors que le pays se prépare pour les élections, la gestion de la menace Boko Haram sera déterminante. L'administration actuelle – les deux gouvernements et les gouvernements des États fédéraux – doit travailler avec l'opposition ainsi que des partenaires internationaux pour assurer que le processus démocratique ne soit pas entammé.

Un article de notre partenaire Think Africa Press, initialement paru en Anglais et traduit en Français par Georges Vivien Houngbonon

Bienvenue au Zamrock

Les bouleversements sociaux en Zambie dans les années 70 ont mené à une ère musicale flamboyante, fluorescente et funky connue sous le nom de Zamrock, ère qui s’est évanouie aussi vite qu’elle est apparue.


Ces dernières années, la scène musicale zambienne a gagné en importance, notamment grâce aux succès de chansons à caractère politique telles que « Bufi » ou « Donchi Kubeba », la chanson de Dandy Krazy à qui l'on attribue d'avoir changé le cours de la dernière élection en faveur de l'opposition.

La musique en tant que force politique en Zambie possède une longue histoire, en particulier quand on pense à l’âge d'or du Zamrock qui émergea lors des trouble sociaux qui marquèrent les années 70. Tout comme l'Afrique de l’Ouest, la Zambie a elle aussi traversée une période psychédélique caractérisée par des bouleversements sociaux, des pantalons pattes d’éléphants, des couleurs fluorescentes, des coupes de cheveux improbables, le fossé intergénérationnel et une musique puissante. 

Aujourd’hui, cette brillante période du Zamrock a tristement sombré dans l’oubli. Mais avec la réédition prochaine des plus beaux joyaux du Zamrock, on est en droit d’espérer que le mouvement va reprendre sa place dans l’histoire et que l’on s’en souviendra à nouveau.

On ne peut pas toujours avoir ce que l'on veut

Comme bien d’autres choses dans l’histoire de la Zambie moderne, l’histoire du Zamrock commence avec l’exploitation du minerai dans la zone de la Copperbelt. Pendant l’ère coloniale, alors que les royaumes précoloniaux de Zambie fusionnèrent en une seule entité politique centralisée, il y eut des changements politiques, économiques et sociaux qui firent trembler le pays et des migrations en masse vers les provinces richement minières de Zambie ; pour les musiciens, cela fut synonyme d’une soudaine ouverture à une multitude de styles musicaux différents. Aux instruments traditionnels : des percussions telles que la vimbuzza « parlante » à son aigu, aux instruments à cordes, comme le babatone, en passant par le kalimba (un piano portatif), s’ajoutèrent les instruments étrangers comme l’accordéon et la guitare, qui furent apportées dans le pays par les classes dominantes Britanniques.

Puis en 1964, à l’époque où le rock occidental, la musique psychédélique et la rumba congolaise (soukous) étaient populaires, la Zambie devint indépendante. Peu de temps après, la station de radio : Zambia Broadcasting Service (ZBS) était fondée.

Durant ces premiers jours de l’indépendance zambienne, la ZBS fit en sorte de mettre l’accent sur les talents musicaux nationaux et fit un effort concerté afin de recenser les musiques cérémonielles, festives et de travail de Zambie à l'échelle nationale. Le président Kenneth Kaunda, lui-même musicien à ses heures, passa une loi visant à ce qu’au moins 95% de la musique à la radio soit d’origine zambienne. Son intention était d’aider à développer une présence musicale intégralement zambienne. Ironiquement, au contraire, sa politique fut l’instrument de la création de l’une des plus intéressantes fusions de styles métissant l’Ouest et le Sud de l’époque.

Start-me up : et le Zamrock est né

​Le style musical qui vint à être connu sous le nom de Zamrock finit par incarner la détresse économique qui suivit la crise pétrolière des années 1973-74 et qui plongea la Zambie dans la récession et raviva une multitude de tensions sociales. Le thème de bien des classiques du Zamrock porte cette idée. Par exemple, « Working on the Wrong Thing », de Rikki Ililonga et Musi-O-Tunya parle d’être un travailleur partit bien loin de son village natal, alors que « I’ve Been Loosing », de Chrissy Zebby Tembo et Ngozi Family aborde les injustices quotidiennes.

Le Zamrock en général aborde aussi les bouleversements politiques globaux en Afrique et dans le monde. L’exemple le plus frappant en est « Black Power », de The Peace. La chanson est portée par une simple ligne de guitare wah-wah et est un titre anti pro-rock qui inclus les paroles suivantes : « des noirs d’Amérique, des Rhodésiens de Rhodésie, des Sud Africains en Afrique – 34 ans pour la terre qui est nôtre, nous sortirons toujours pour hurler : Black Power ! »

En prenant en compte le contexte dans lequel il est apparu, les sons, et la façon dont les musiciens du Zamrock se sont illustrés, il est facile de caractériser le genre comme agressif. Paul Dobson Nyirongo, membre fondateur du groupe Musi-O-Tunya – considéré par beaucoup comme l’un des tous premiers groupes de Zamrock- et membre du groupe Ngozi Family, prit le nom de scène de Paul Ngozi, signifiant « danger ». A la même époque, l’un des groupes les plus adulés s’appelait The W.I.T.C.H., un acronyme pour « We Intend to Cause Havoc » (La Sorcière – On va faire des ravages).

Cependant, bien que la dimension politique qui fonde le Zamrock soit incontestable, on doit aussi ne pas oublier que son style a aussi une valeur purement divertissante – on pense à la façon dont il poussait dangereusement à danser, en incluant des éléments de funk à la James Brown et des solos de guitares psychédéliques à la Hendrix. De bons exemples illustrant ceci sont « Like a Chiken », de The W.I.T.C.H., une chanson très tranquille portée sans peine par un rythme de guitare saccadé, et « Size Nine », de Paul Ngozi et the Ngozi Family, qui hypnotise avec sa guitare wah-wah entrainante et ses rythmes saccadés, à quoi s’ajoute la voix douce de Paul Ngozi qui murmure à une belle-mère d’arrêter d’interférer dans les affaires de sa fille.

 

Paul Ngozi est reconnu pour avoir créé le kalindula, un style bien distinct de Zamrock, qui se caractérise par une guitare électrique principale funky/fuzzy, une rythmique rock/rumba et un mélange de paroles en Anglais et en dialectes locaux. Ngozi était aussi connu pour ses frasques scéniques, tel que jouer de la guitare avec ses dents, et il était adoré par les audiophiles zambiens. Grâce à ses textes poignants et pertinents, il gagna de nombreuses récompenses. Il représenta la musique zambienne en Europe et aux Etats-Unis et partit même en une tournée controversée en Afrique du Sud au plus fort de l’ère de l’Apartheid.

Le chanteur charismatique de The W.I.T.C.H., Emmanuel Chanda, était connu sous le pseudonyme de « Jagari » (une africanisation du nom de Mike Jagger). En fusionnant les rythmiques rock des Rolling Stones, les douces guitares de Cream et les rythmes kalindula locaux, the W.I.T.C.H. fit une tournée dans toute l’Afrique de l’Est et du Sud, du Botwana au Kenya, en jouant face à des milliers de spectateurs dans des stades.

Content de te revoir

Beaucoup de groupes de Zamrock se séparèrent à la suite de la crise économique causée par la baisse du prix du cuivre à la fin des années 70, alors que l’inflation et le taux de chômage augmentèrent. Le déclin du Zamrock fut aussi précipité par les nouvelles stations de radio, de télévision et les clips propageant dans le pays des styles musicaux étrangers, comme le reggae, le ragga, le rythm and blues, le hip-hop et le gospel.

WITCH-introduction-620x620Le piratage musical frappa durement le Zamrock, car en absence de garde-fous, les fraudeurs des pays voisins furent en mesure de faire des profits en vendant et en copiant la musique des artistes zambiens. Bien des groupes de cette ère durent donc quitter leurs activités musicales professionnelles pour se tourner vers d’autres métiers afin de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Jagari, par exemple, devint professeur puis un mineur.

Mais cela ne signifia pas pour autant la mort définitive du Zamrock. Il survécut en marge et tenta parfois d’essayer de revenir au grand jour et à l’attention des amoureux de musique.

Le dernier exemple en date fut quand Now Again Records réédita quelques uns des plus grands tubes de Zamrock. Cela commença avec le brillant album Africa, le seul enregistrement d’Amanaz, qui fut suivit par l’album Lazy Bones !, de the W.I.T.C.H. et par Dark Sunrise, une anthologie des chansons de Rikki Ililonga et Musi-O-Tunya. La dernière parution est une anthologie de toutes les chansons de the W.I.T.C.H., de 1972 à 1977, en 4 Cds, et plus d’albums de Zamrock sont encore attendus pour fin 2013.

Le Zamrock mérite d’être bien mieux considéré qu’il ne l’est aujourd’hui au regard de l’histoire musicale africaine. Par le biais des rééditions, plus de gens seront heureusement en mesure de découvrir le brio des pairs de 5 Revolutions, avec des morceaux tel que « You don’t know me », et Chrissy « Zebby » Tembo, avec des chansons brillantes telle que « Lovely Nights », dans laquelle la guitare torturée s’associe à la triste voix pleurant la perte d’un être cher. Pendant des décennies, le bien aimé Zamrock a été largement oublié, mais il y a maintenant l’espoir que l’on ait plus à pleurer sa disparition. Les enregistrements ont survécus et le Zamrock est de retour. Permettez-moi d’être le premier à le dire : Content de te revoir !

 HENNING GORANSON SANDBERG, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press

Traduction pour Terangaweb par Gabriel Leroueil

Nouvelle coalition politique au Nigéria : l’opposition a-t-elle (enfin) une chance?

Alors que le PDP (Parti Démocratique Populaire, People Democratic Party) au pouvoir au Nigéria fait face à de sérieux problèmes internes et externes, quatre partis de l’opposition ont fusionné pour devenir le All Progressive Congress (Congrès progressiste – ACP).

Depuis le passage de pouvoir du régime militaire au multipartisme au Nigéria en 1999, le candidat représentant le Partie Démocratique Populaire a gagné systématiquement toutes les élections présidentielles. Jamais les candidats de l’opposition n’ont vraiment semblé en mesure de pouvoir mettre fin à cette domination du PDP.

Cependant, pour les élections à venir en 2015, l’opposition nigériane pourrait bien avoir ses meilleures chances. En février dernier, quatre des partis de l’opposition se sont réunis pour former l’ACP. Pendant ce temps, bien des interrogations sont soulevées quant à l’aptitude du gouvernement à faire face à des défis économiques, sociaux et sécuritaires exceptionnels, alors que le PDP est considéré comme étant en proie aux luttes intestines et aux rivalités entre personnalités.

L’ACP annoncerait-il une nouvelle ère pour la politique nigériane ?

Un appel au changement

chief-tom-speaking@UNLors du discours d’inauguration de la nouvelle coalition, Tom Ikimi, le président du « comité de fusion » de l’ACP, a proclamé : « Un changement radical n’a jamais été aussi urgent dans la vie de notre pays… Nous, les partis suivants – respectivement le ACN (Le congrès d’action du Nigéria), l’ANPP (Le Parti de tout le peuple nigérian), l’APGA (La Grande Alliance Progressiste) et le CPC (Le Congrès pour le Changement Progressiste) – avons décidé de fusionner sur le champ pour devenir l’ACP afin d’offrir à notre peuple assiégé une recette de paix et de prospérité. »

A chaque élection depuis 1999 des fusions de partis d’opposition ont été proposées, mais jusqu’à présent, les conflits d’intérêts personnels, le chauvinisme ethnique et même des opérations de sabotage ont compromis ces efforts. L’exemple le plus récent est l’alliance formée à l’approche de l’élection présidentielle de 2011, lorsque le CPC et l’ACN proposèrent une coalition ; les deux parties échouèrent à aplanir leurs différences et à trouver un terrain d’entente, ce qui aboutit à une victoire confortable du PDP.

Avant la fusion de l’ACP, les partis d’opposition étaient perçus comme des partis régionaux représentant seulement des groupes ethniques, ce qui contrastait avec l’appel du PDP qui en apparence était un parti d’échelle nationale. Cette nouvelle coalition rassemble, cette fois, plusieurs groupes ethniques majeurs et a notablement comblé le fossé séparant le Sud et le Nord, en unifiant : le CPC à majorité Hausa-Fulani et qui a récolté 31.8% des votes de l’élection présidentielle de 2011 ; l’ANC à majorité Yoruba, qui contrôle actuellement 6 des 36 états de la Fédération, y compris Lagos, la capitale commerciale du Nigéria; L’APGA centralisé autour des Igbo, qui contrôle un Etat fédéré ; et l’ANPP qui contrôle les Etats de Borno et Yobe.

« L’évolution vers un système à deux partis pourrait créer une opposition plus crédible, forte et mobilisée », a expliqué Adigun Agbaje, Professeur de Science Politique à l’Université d’Ibadan. Au même moment, s’adressant à la Think Africa Press, l’ancien ministre du PDP Femi Fani-Kayode est allé jusqu’à dire : « Si la situation ne change pas et que l’administration actuelle n’est pas défaite aux élections, alors le Nigéria finira comme la République du Zaïre – un état déchu sans espoir d’un futur décent. »

Les difficultés du PDP

Ces dernières années, la domination totale du PDP a semblé sur le déclin. Le Président Goodluck Jonathan a reçu 57 % des votes aux élections de 2011, ce qui est en dessous des 70% récoltés par son prédécesseur Umaru Yar’Adua en 2007. Le PDP contrôle 56% des sièges dans la Chambre des Représentants, alors qu’il en contrôlait 73% en 2007. Sur la même période, sa présence au Sénat est passée de 81% à 65%.

De surcroit, alors que l’opposition se réunit, il y a des signes que les divisions au sein du PDP s’aggravent. Il semble y avoir des désaccords continuels, par exemple, entre les gouverneurs et le Comité National du Travail dirigé par Bamanga Tukur ; ses divisions ont été révélées lorsque la majorité des gouverneurs a décidé de boycotter la récente tournée de « réconciliation » effectuée par Tukur dans plusieurs Etats contrôlés par le PDP.

Une autre source de querelles est le déclin physique d’Olusegun Obasanjo, un ancien dirigeant militaire qui avait gagné les élections présidentielles de 1999 et 2003, qui continue d’être une figure influente du PDP ainsi d’une figure internationale respectée. Au cours de forums locaux et internationaux, Obasanjo n’a pas manqué de critiquer la manière dont le gouvernement gère la question du groupe islamiste du Nord, mené par Boko Haram, ou encore le fort taux de chômage. Le renvoi d’un proche d’Obasanjo du conseil exécutif du PDP souligne encore plus l’existence d’un désaccord au sein du parti. Désaccord qui pourrait jouer en faveur de l’ACP s’il n’est pas résolu.

Les défis à venir pour l’ACP

En réponse à l’inauguration de l’APC, le PDP a diffusé une déclaration signée par son secrétaire national en charge de la communication publique, Olisa Metuh, indiquant : « Les Nigérians sont ici confrontés à une ironie. C’est l’ironie d’un parti politique, qui, en l’absence d’un programme adéquat et d’un rythme de travail solide, désire cependant se voir confier la tâche de porter le destin de plus de 160 millions de Nigérians sur ses faibles et tremblantes épaules. (…) la nation, notre peuple et notre démocratie seraient tous mis en péril s’ils se voyaient confiés le pouvoir. »

Quoique clairement partisane, la déclaration met pourtant en lumière le fait l’APC est elle-confrontée à de nombreux défis.

« Si le nouveau parti parvient à se consolider et commence à agir comme une seule entité, les élections de 2015 seront alors sûrement plus compétitives », explique Samir Gadio, un expert en Marchés Emergeants pour la Standard Bank, « mais la durabilité de cette fusion n’est pas sans risque. »

« La nomination du candidat présidentiel avant la lutte de 2015 pourrait toujours diviser la nouvelle organisation. De plus, le PDP contrôle toujours la plupart des Etats et a accès aux ressources administratives, ce qui est un avantage comparatif clé », continue-t-il.

Similairement, Ayo Dunmoye, professeur de Science Politique et doyen des sciences sociales de l’Université Ahmadu Bello à Zaria, insiste sur le fait que l’APC devrait « débattre des problèmes et non des personnalités », adopter la démocratie interne et permettre à des candidats d’émerger lors des primaires libres du parti – « sans quoi la fusion sera mort-né », prévient-il.

buhariEn effet, les deux protagonistes majeurs de l’APC – Muhammadu Buhari, ancien officier de l'armée, et chef d'état du Nigéria entre 1983 et 1985 (à l'issue d'un coup d'état), aujourd'hui chef du CPC, et Bola Tinubu, ancien gouverneur de Lagos et leader de l’ACN – auront très vraisemblablement leur propre programme pour la course aux élections 2015, et le choix du candidat présidentiel pourrait être un vrai test pour la coalition. Après tout, nombre des membres de l’APC semblent être intéressés par cette élection, Buhari lui-même, mais aussi Nasir El Rufai, l’ancien ministre du Capital Fédéral et le gouverneur de Lagos, Batanunde Fashola.

Un nouveau territoire politique ?

Une opposition forte et viable est un élément essentiel dans tout processus électoral et l’ACP pourrait bien apporter un surcroit de compétition dans la vie politique nigériane. Mais cela ne garantit pas en soi, que les citoyens nigérians s’en trouveraient mieux. En effet, par le passé les querelles politiques n’ont pas vraiment profité au nigérian moyen, et les problèmes liés à la non-régulation de l’argent en politique, au patrimonialisme et à la corruption des partis seront sûrement aussi rencontrés par l’ACP.

En dépit de tout cela, le professeur Adigun Agbaje, de l’Université d’Ibadan, fait confiance au peuple nigérian. « La détermination du peuple, sa vitalité, son mépris total de l’autoritarisme et sa soif de liberté, de justice et d’équité promettent de toujours contribuer à la sécurité future de la démocratie, du développement et de la paix », dit-il.

Que ces idéaux servent la cause du PDP au pouvoir ou de l’APC récemment formé, cela reste à voir, mais si la nouvelle coalition parvient à se maintenir jusqu’en 2015, les élections seront les plus serrées de l’histoire de la Quatrième République nigériane.


Lagun AKINLOYE, article initialement publié sur Think Africa Press, traduit en français par Gabriel LEROUEIL.

 

Au-delà de la « tyrannie des nombres » : Que retenir de la victoire d’Uhuru Kenyatta ?

uhuruL’homme le plus riche du Kenya a remporté les élections en s’appuyant sur une alliance ethnique. Que signifie ce vote pour la politique du pays et ses efforts de construction de paix ?

Alors que la poussière retombe sur les élections kenyanes il est important de se souvenir de Mohammed Abduba Dida, ancien professeur de littérature anglaise et de religion au camp de refugiés de Dabaad au Nord Est du Kenya et l’un des 8 candidats à la présidentielle. Expliquant les raisons l’ayant poussé à se présenter, l’homme de 39 ans avait répondu de façon candide : « J’ai été le témoin d’épisodes difficiles, jusqu’à ce que j’en ai assez. Chaque jour tout devenait plus dur jusqu’à ce que je me donne deux options : quitter le pays ou y rester et devenir un agent du changement. J’ai choisi la deuxième option."

L’histoire de Dida ne pouvait pas se distinguer plus de celle d’Uhuru Kenyatta, le nouveau président du Kenya. Celui-ci, en plus d’être l’homme le plus riche du pays dont la fortune est estimée à 500 Millions de dollars et un demi millions d’acres de terre, est aussi le fils du président et fondateur du pays Jomo Kenyatta, auquel voulait succéder l’ancien président Daniel arap Moi, et le filleul du président sortant Mwai Kibaki. D’une certaine mesure, l’histoire de Dida reflète les ressentis et expériences d’une majorité de Kenyans, tandis que Kenyatta symbolise les intérêts politiques et économiques ayant conduit à l’insatisfaction populaire. La victoire de Kenyatta ne signifie pas pour autant la fin du divisionnisme ethnique tel qu’il pourrait le paraitre , la même combinaison de conflits ethniques et de démagogie politique était présente lors des élections de 2007.

Dans une interview télévisée controversée, le politologue Muthi Ngunyi avait prédit la victoire de Kenyatta en se basant sur les sondages des deux blocs d’électeurs les plus importants du pays. La théorie de Ngunyi a été affublée du surnom provocateur de « Théorie des nombres ». Cette théorie avançait que Kenyata gagnerait en remportant de fortes majorités dans les deux plus grands groupes ethniques du pays : les Kikuyus et les Kalenjins, ainsi que leurs voisins respectifs dans les régions du Mont Kenya et de la vallée du rift. Ngunyi avait également ironisé sur la manière dont l’équipe du principal rival de Kenyatta , Raila Odinga avait "dormi pendant la révolution" en manquant d’inciter les résidents de ses bastions à s’inscrire pendant la campagne d'inscription aux listes électorales de décembre.

Le fait que les Kenyans votent en fonction des différentes lignes ethniques est bien connu. Cependant, les résultats des élections ont révélés bien plus que des chiffres. Voici certaines leçons à retenir de l’élection de 2013 et certains facteurs important à observer au cours de la présidence de Kenyatta.

L'importance stratégique des Kikuyus

Quiconque souhaite devenir le président du Kenya se doit d’être lui-même Kikuyu sinon trouver un moyen d’attirer ou de diviser le bloc d’électeurs que représente cette ethnie. Une coalition de partis est une méthode pour accomplir cet objectif, mais elle n’est pas la seule. L’ancien président Daniel arap Moi, par exemple, a réussi à maintenir le pouvoir notamment après un retour a une démocratie multipartite en veillant à supprimer la capacité des Kikuyus de voter en bloc. Dans cette optique, il a déployé des tactiques variées telles que du clientélisme en leur faveur ou une stratégie où l'Etat ignore ou attise les violences inter-ethniques. 

Musalia Mudavadi, autre challenger à la présidentielle de 2013, a lui aussi reconnu l’importance de gérer la question des Kikuyus et a de ce fait nommé un politicien Kikuyu, Jeremiah Kioni, en candidat à la Vice-Présidence. Les réseaux sociaux kenyans ont toutefois été assaillis de rumeurs avançant que Kioni aurait voté Kenyatta.

OdingaLes Odingas sont nés pour l'opposition

L’histoire politique de Raila Odinga, ainsi que celle de sa famille et par extension celle des autres communautés non Kikuyu semble être gravée dans le roc. Tout comme son père et les autres nationalistes tel que Tom Mboya, le principal rôle d'Odinga dans le pays a été l’opposition qu’il a mené contre un statut quo politico-ethnique.

Contre vents et marées, Odinga a pu gagner un important soutien à travers le pays, ce qui n’était pas une mince affaire si l’on considère la manière dont le pays était polarisé quelques années auparavant. Il faudra malgré tout demeuré patient avant que le Kenya puisse avoir un dirigeant non-Kikuyu ou non-Kalenjin.

S'unir contre les forces externes

L’unnité nationale contre l’ingérence étrangère demeure encore un slogan politique attractif. Kenyatta a axé sa campagne électorale sur les accusations de la Cour Internationale de Justice (CIJ) à son égard pour des crimes contre l’humanité. Indubitablement, le choix comme candidat à la vice-présidence de William Ruto était une stratégie pour appuyer sur ce point. En se posant en adversaires de la CIJ, symbole de l'impérialisme occidental fréquemment accusé d’un certain penchant contre l’Afrique, Kenyatta et Ruto se sont inscrits dans l'héritage d'un riche passé africain de résistance à l’oppression étrangère.

Il y a peu d’indications d'une autre raison que celle-ci pour expliquer leur alliance, et ce n'est pas du côté des succès politiques – ou de leur absence – de William Ruto qu'il faut chercher. Ces deux accusés, en menant la campagne de coalition Jubilee, ont mené une double stratégie de victimisation et de promotion de la souveraineté du Kenya. Cela leur a aussi permis de stigmatiser Odinga comme la source de tous leurs problèmes. Il est peut être facile de surestimer les raisons du succès de la coalition, mais la maigre marge de victoire ne montre aucune indication d’unité nationale ni d’un futur promettant l’unité entre Kikuyu et Kalenjin. Le résultat de cette élection en particulier, était la somme d’une situation unique, qui pourrait changer de façon aussi rapide et imprévisible que les éléments à son origine.

Le premier problème de Kenyatta, et peut le plus important, sera son vice-président William Ruto. Kenyata trouvera difficilement un rôle utile à Ruto, qui est plus un expert en missiles politiques qu’en administration. A l’échelle locale, la figure de Ruto est relativement entachée. Il a plusieurs affaires en instance, dont l’une ou une victime des violences ayant suivit l’élection 2007/2008 l’a accusé d’avoir réquisitionné une partie de ses terres après qu’elle ait fuit. Il a aussi été accusé de jouer un rôle dans le scandale de corruption qui a eu lieu lorsqu’il était à la tête du ministre de l’agriculture. De la même manière que Ruto s’est brouillé avec Odinga lors des élections précédentes, il y a suffisamment d'éléments qui suggèrent que le président élu désserrera les liens qui l'unissent à Ruto dès qu'ils n'auront plus besoin l'un de l'autre ou à la fin du premier mandat présidentiel.

Il serait trop tôt pour prononcer d’autres leçons de manière définitive. Les résultats seront mis à l’épreuve et des demandes seront remplies. Cependant, il ne fait aucun doute que le Kenya fonctionne mieux avec la nouvelle constitution mise en place il y a deux ans. Au-delà de la nécessité de faire des avancées politiques à court terme, cette constitution a montré un véritable potentiel pour unir le pays. On espère désormais que les hommes d’Etat et l’administration sauront l’appliquer avec justesse afin de donner aux Kenyans l’opportunité de continuer leurs efforts de construction de paix qui ont repris après les derniers épisodes de violences post- électorales. 

Agostine Ndung'u, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press,

traduction pour Terangaweb – l'Afrique des idées par Ndèye Diarra

La nouvelle constitution du Zimbabwe : par les politiciens et pour les politciens?

MugabeLe 15 Septembre 2008, le président Robert Mugabe a été contraint à une union politique avec son principal adversaire politique :  Morgan Tsvangirai du Mouvement pour le changement démocratique (MDC-T). Cette démarche a abouti à l'Accord Politique Global (GPA) et à la fondation de l'actuel gouvernement de coalition de la ZANU-PF, le MDC-T et le MDC-M, faction au sein du MDC. Ce mariage politique compliqué a été négocié par la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et faisait suite aux sanglantes élections présidentielles de 2008 desquelles Tsvangirai – après avoir remporté le premier tour – avait été contraint de se retirer, du fait des violences perpétrées contre ses partisans.

En plus de rétablir la situation économique du pays, le gouvernement de coalition avait été chargé de rédiger une nouvelle constitution. Et si l’Accord politique global a permis de stabiliser une économie à la ruine, on ne peut pas en dire autant de son efficacité en ce qui concerne la rédaction de la nouvelle constitution. Le processus a traîné en longueur pendant plus de quatre ans et a été caractérisé par des querelles, un financement insuffisant et la faiblesse des mécanismes d’information et de sensibilisation de la population.

L'ingérence politique 

Le processus a également été caractérisé par des ingérences politiques.

Le « Constitution du Zimbabwe Select Committee » (COPAC)  devait en principe assurer la rédaction de la constitution. Mais en réalité, tout se joua parmi les responsables politiques. Fait révélateur, ce sont les chefs des trois principaux partis politiques – Mugabe, Tsvangirai et Ncube – et non le comité,  qui ont annoncé l'achèvement du projet de constitution en janvier dernier.

Le premier assaut porté contre le COPAC par les politiciens fut donné très tôt, lorsque les responsables des trois partis de la coalition établirent, en dehors du COPAC, au moins deux autres comités chargé de résoudre les points litigieux liés à la rédaction de la nouvelle constitution. Non seulement la direction de la réforme constitutionnelle par le COPAC était remise en question, mais plus encore : ces comités ainsi formés n'avaient pas l'expertise nécessaire pour l’accomplissement de leur travail de médiation, mais ses membres ne daignaient même pas participer aux réunions de travail. Résultat de cet échec : les responsables politiques, avec à leur tête Robert Mugabe, décidèrent de reprendre en charge la résolution de leurs différends. , échouant à accomplir les tâches pour, et même ne pas se présenter aux sessions programmées. En conséquence, les dirigeants politiques, ostensiblement dirigée par le président Mugabe, ont pris sur eux pour résoudre les désaccords. 

En outre, lorsqu’un premier projet de constitution fut publié en Juillet 2012, elle et son processus de modification furent très rapidement politisés. Si les deux factions du MDC l’approuvèrent rapidement, le président Mugabe, dans le style typique du ZANU-PF, remis le processus à zéro en introduisant plusieurs amendements qu’il savait d’avance inacceptables pour l’opposition : notamment en ce qui concerne les dispositions sur la décentralisation, le scrutin présidentielle, la création d'une cour constitutionnelle, l’autorisation de procureurs soustraits à l’autorité du ministère, le  droit foncier, le mariage pour les homosexuels, et le financement étranger des partis politiques. Pour corser l’addition, la ZANU-PF a aussi insisté pour toute une classe de nouvelles clauses soient introduites dans la constitution comme la restauration des pouvoirs présidentiels et l'introduction d’un « black empowerment ».  Tsvangirai a refusé le projet proposé ZANU-PF qui à ses yeux n'était pas "un amendement au projet mais un nouveau document, complètement réécrit". En fin de compte cependant, la plupart des trente amendements de la ZANU-PF – ont été acceptés.  La nouvelle constitution a été adoptée par le parlement, et les principaux partis politiques ont encouragés les Zimbabwéens à voter «oui» lors du prochain référendum du 16 Mars. Ce qu’ils ont fait, à une écrasante majorité.

« Se débarrasser de la créature à trois têtes »

Il est dès lors peu surprenant de constater que cette nouvelle constitution a été accueillie froidement par bien des acteurs de la société civile ; d’abord du fait de sa rédaction conduite presque sous la supervision des acteurs politiques, bafoua l’autorité de la commission indépendante et se fit sans l’implication ni la consultation des acteurs de la société civile. Ensuite parce que les dispositions qu’elle contient accordent encore un pouvoir extrêmement fort au président de la république qui peut encore déployer des troupes dans le pays sans l'approbation préalable du Parlement. Cela signifie que les évènements tels que l'Opération Murambatsvina, où les soldats avaient été déployés dans et autour de Harare en 2005 pour cibler les électeurs de l'opposition, pourraient être répétés.

Au milieu de toute cette fureur, il est facile d'oublier que le Zimbabwe a déjà une constitution – elle-même modifié à plusieurs reprises. La Constitution actuelle, encore en vigueur en attendant l’implémentation de la nouvelle constitution, contient par exemples des dispositions pour un président exécutif, deux vice-présidents, un Premier ministre, deux vice-premiers ministres, et un sénat de type américain – aucune de ces dispositions n’étaient contenues dans la constitution adoptée à l’indépendance du pays. Pour cette raison, s’il y a une chose que les Zimbabwéens devraient avoir appris depuis 1980, c’est qu’une constitution est toujours à la merci de ceux qui détiennent le pouvoir. 

Dans un communiqué disant, par exemple, le président Mugabe a rassuré les chefs traditionnels dans la province de Masvingo (sud-est) du fait que son parti allait apporter des modifications au texte constitutionnel, peu après les élections qu'il était confiant de remporter: « Nous avons convenu de cette nouvelle constitution, mais n’avons obtenu tout ce que nous voulions. C'était un compromis", a déclaré M. Mugabe. "Après les élections, nous allons modifier la constitution pour l'adapter à certains de vos points de vue. Actuellement, nous devons nous débarrasser de cette créature à trois têtes."

 

Article de Simukai Tinhu, publié initialement chez nos partenaires Think Africa Press. Traduction d'AJTL

Le fantasme du « capitalisme autoritaire » en Afrique

kagameLa croissance économique africaine est peut-être discutable et exagérée, mais il l’est tout autant de suggérer que l’Afrique devrait suivre aveuglément les traces des états émergents et autoritaires d’Asie.

Dans sa récente publication dans Foreign Policy, Rick Rowden affirme que le bas niveau d’industrialisation de l’Afrique laisse penser que le continent n’est pas « le miracle de croissance » que décrivent certains observateurs. Son article, qui est une réponse à une analyse très optimiste publiée par McKinsey, The Economist, et Time Magazine, entre autres, bat en brèche l’hypothèse d’une croissance économique en Afrique, la qualifiant de « mythe ». Selon lui, étant donné que l’Afrique ne participe qu’à une infime partie du commerce mondial, elle ne peut pas être mis au même niveau que les économies asiatiques.

Des exemples à suivre

Si Rowden a raison d’attirer l’attention sur l’exagération irrationnelle qui va souvent de pair avec l’évocation d’une « croissance économique africaine », son argumentation reste très affaiblie, du point de vue analytique et des solutions préconisées. Tout d’abord, Rowden présente une description très enjolivée de la « croissance miracle » des pays de l’Asie de l’Est. Il affirme que ce groupe – souvent désigné par l’expression « Tigres de l’Asie » et comprenant la Corée du Sud, Taïwan, et Singapour, avec la Chine en plus – a réussi à développer sa capacité de production, en créant en très peu de temps des emplois. Selon lui, étant donné que ces pays ont effectué « un très bon travail », les économies africaines devraient, logiquement, en faire de même.

Cependant, si les politiques industrielles asiatiques ont rapidement donné des résultats, elles ont aussi été appliquées par le biais de plans autoritaires et répressifs qui ont souvent mené à des violations manifestes des droits de l’homme. Ainsi, on entend souvent parler de technocrates bénévoles, de subventions généreusement allouées, de stratégies d’exportation intelligemment conçues, et de protectionnisme afin de favoriser l’industrie locale. En revanche, on entend beaucoup moins parler des règles quasi-martiales, de la répression dans le travail, des prêts accordés de façon opaque aux nababs, ou encore des manifestations violentes contre les changements constitutionnels non démocratiques ; tous ces points furent pourtant des parties intégrantes de ce « modèle de développement ».

Que dirait-on d’un Etat africain qui imposerait la loi martiale et maintiendrait les salaires bas au nom d’une « compétitivité internationale », un Etat qui marcherait sur les droits des travailleurs, où seraient arrêtés les responsables des syndicats ? Un Etat qui dans le même temps fermerait les yeux sur les activités des industriels corrompus, tant que les quotas d’exportation sont satisfaits ? Un Etat qui pourtant recevrait une aide importante des USA en échange des terres extirpées aux paysans locaux qui perdent ainsi leur principal gagne-pain ? Séduisantes méthodes, non ? Ceci est pourtant une description de la Corée du Sud lors de sa phase de croissance « miracle ». Et si le programme de réforme agraire coréen (initié, il faut le préciser, par l’armée américaine) a mené à une distribution plus équitable des terres, certains observateurs affirment que cela n’a pas amélioré la situation des paysans, qui devaient rembourser leurs dettes, sur une durée de cinq ans, à des taux usuraires, au gouvernement qui dans le même temps continuait à maintenir artificiellement les coûts de production à un bas niveau.

singapourMais malgré la répression et l’autoritarisme mis en place, des pays comme la Corée du Sud et Singapour n’ont pas réussi leur mutation en une seule décennie, ce qui représente les délais que se fixent les « afro-optimistes » dans leur analyse, et que Rowden rejette en déclarant qu’il n’y a pas encore eu de révolution structurelle pouvant le permettre. Mais nos réserves ne se portent pas seulement sur l’expérience est-asiatique. L’Angleterre a été prise par Rowden dans son article comme autre exemple (comme l’original, en réalité) de la doctrine du « développement par l’industrialisation ». Il faudrait rappeler les implications du processus « d’industrialisation » de l’Angleterre : l’asservissement et la colonisation de la moitié de la planète pour faciliter l’accès aux matières premières, l’exploitation de la classe ouvrière domestique en tant que main d’œuvre bon marché, et le cercle d’inclusion qui consistait en la privatisation d’une terre sous un prétexte agricole, poussant tous les habitants, à l’exception des propriétaires, vers le dénuement, et, par extension, les usines et les mines, où beaucoup d’entre eux périrent.

Des données peu fiables

Même en se basant sur des données strictement économiques, l’analyse de Rowden reste faible. Son point de vue sur le plan de la production semble être essentiellement basé sur deux rapports : un de l’ONU, et un autre de la Banque Africaine du Développement (BAD). Toute analyse de la BAD doit être prise avec des pincettes, car il s’agit quand même d’une institution qui a déclaré qu’il y avait 300 millions d’africains appartenant à la classe moyenne, considérant que tous ceux qui gagnaient entre 2 et 20 dollars appartenaient à cette catégorie. 60% de ce groupe gagnait entre 2 et 4 dollars par jour, franchissant à peine le seuil de pauvreté… La critique, basée sur de telles données, passe à côté des avancées qu’a connues le secteur de la production, sur le terrain. Des zones de traitement industriel émergent dans beaucoup de marchés locaux, d’Ethiopie au Ghana, participant à l’approvisionnement de plusieurs industries, autant à l’est qu'à l’ouest du continent, dans des secteurs aussi divers que le textile, les chaussures, le bois et les meubles, le cuir, l’automobile, et d’autres biens de grande consommation. L’application du Africa Growth and Opportunity Act, une loi américaine, a permis la multiplication par trois des importations – hors pétrole – américaines provenant de l’Afrique sur des produits tels que les textiles et vêtements, les produits agricoles manufacturés et les chaussures.

Ce choix de Rowden pose d’autres problèmes, en ce sens qu’il nourrit une vue simpliste qui présente les produits manufacturés comme de simples marchandises ; en considérant que les matières premières et les ressources naturelles sont de « mauvais » types d’exportation, et affirmant qu’une grande dépendance dans les produits basés sur ce type de ressources est l’indication d’un « bas niveau de diversification économique et d’une absence de progrès technologique ». Il s’agit là d’une très vieille idée reçue, émise par les économistes Raul Prebisch et Hans Singer. Mais les choses ne sont aussi simples : certains penseurs ont déjà fait remarquer qu’en se basant sur une réflexion aussi étriquée, un pays comptant beaucoup d’ateliers de pressurage à une échelle industrielle serait considéré comme « développé », nonobstant la qualité de vie de ses citoyens.

L’idée que les pays développés doivent passer des exportations de produits à base de ressources naturelles à celles des produits manufacturés est trop simpliste, surtout quand on considère le fonctionnement réel des marchés. Le profil commerçant de beaucoup des actuels pays riches et industrialisés du monde – le Canada, les USA, la Norvège, l’Australie et la Nouvelle-Zélande inclus – compte une grande part d’exportation de ressources et marchandises naturelles. Les marchés des puissances émergentes sont souvent dominés par des exportations de produits naturels aussi. L’agriculture, les combustibles et les produits miniers comptent pour 63% des exportations du Brésil, comparé aux 32,8% d’exportations de produits manufacturés – tout en important 72% de produits industriels. Il s’agit là d’un pays dont le commerce repose essentiellement sur ses ressources naturelles, et il s’agit aussi d’un pays qui, de par ses multiples initiatives sur le plan de la protection sociale, a, de façon historique, réduit les inégalités de façon plus drastique que quiconque, et a aussi capitalisé la plus grande évolution en terme de bien-être de ses habitants sur les cinq dernières années, d’après une étude du Boston Consulting Group.

Le Chili, aujourd’hui membre de l’OCDE, a une économie essentiellement dominée par l’exploitation de ressources naturelles, surtout le cuivre. Les éléments manufacturés constituent seulement 13% des exportations du pays. Et l’un des Etats en voie de développement les plus brillants en Afrique – et l’un des rares, globalement, à avoir un modèle solide de gouvernance démocratique – est le Botswana, grand pays exportateur de diamants. Rick Rowden semble considérer les exportations de produits naturels comme un indicateur de sous-développement, en notant qu’ils ont baissé « jusqu’à un niveau aussi bas que 13% en 2008 » en Asie et dans le Pacifique, constituant de toute évidence une avancée majeure : c’est tout simplement faux. Ces marchés ont des taux très bas d’exportations de ce type parce qu’ils n’ont pas plus de ressources naturelles que ce qu’ils consomment, ce qui en fait de faibles exportateurs. Il n’y a qu’à voir les efforts fébriles des compagnies de pétrole asiatiques en Afrique pour comprendre que leurs pays d’origine seraient très satisfaits si, grâce aux bienfaits de la géologie, ils avaient plus de ressources de ce genre dans leur sol.

petrole_afrique-300x210Ce qu’il faut noter, c’est que les pays ne « laissent pas tomber » leurs exportations de produits naturels dès lors qu’ils deviennent industrialisés, ou qu’ils sont en voie de le devenir, comme des enfants enlèveraient les petites roues de leurs vélos. En vue d’un développement réussi, ce qui importe, ce n’est pas qu’un pays choisisse de vendre des produits manufacturés ou le contraire : le succès repose sur des paramètres plus complexes, sur les institutions locales et les résultats obtenus.

Un optimisme mesuré

Certains observateurs trop optimistes concernant l’Afrique se sont peut-être laissés aller à une exubérance clairement irrationnelle, en ne considérant que les revenus à foison, les télévisions à écran plat, et la classe moyenne composée de 300 millions de personnes. Mais on ne peut pas simplement considérer la croissance en Afrique comme un mythe, surtout si on prend en compte les bases sur lesquelles Rowden s’appuie. Si les économistes sont prompts à présenter les Etats asiatiques comme les symboles et les modèles d’une industrialisation fulgurante, ils ne devraient pas passer sous silence les réalités socio-politiques de ces pays– les structures autoritaires inhérentes à une évolution capitaliste rapide. De plus, il est nécessaire d’effectuer plus de recherches sur le terrain afin d’établir avec exactitude la valeur qu’acquiert le marché africain ; à ce niveau, citer deux rapports ne suffit pas.

Les économies des pays africains ont, bien sûr, besoin de développer les secteurs requérant plus de main d’œuvre, couvrant la production industrielle d’assemblage, les services, et une gamme variée de produits manufacturés. En réalité, ce processus est déjà en cours, mais se manifeste d’une façon différente : l’évolution « rapide » n’est pas une considération neutre en terme de délais, et en la préconisant, il faut être prêt à accepter les plans politiques qui en sont à l’origine. Les défenseurs d’un « état de croissance » peuvent arguer que la douleur est le prix à payer pour la réussite économique, et que les générations futures en seraient les premiers bénéficiaires. Mais nous devons garder à l’esprit aussi bien les processus que les objectifs, sans omettre les réalités qui ont sous-tendu ces processus. En fin de compte, avant d’encourager certains modèles, nous devrions avoir cette maxime de Confucius en mémoire : « N’impose jamais aux autres ce que tu n’accepterais pas pour toi-même ».

 

Adam Robert Green, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press, traduit de l'anglais par Souleymane LY  

Le journalisme citoyen change l’image des bidonvilles de Nairobi

Nairobi, Kenya:

ghetto-mirror-nairobiLe rédacteur en chef, Vincent Achuka n'était pas dans les temps. Le numéro du mois de novembre de son journal  The Ghetto Mirror  est sorti avec une semaine de retard. Il avait seulement une heure pour décider des sujets du numéro suivant et pour les attribuer à ses rédacteurs. Ensuite, accompagné de son équipe, Achuka devait descendre dans les rues de Kibéra (le plus grand bidonville de Nairobi) afin de distribuer une centaine d'exemplaires gratuits. Dans la vie d'un « slum journalist » (journaliste de bidonville), il s'agissait d'un samedi matin comme les autres.

Le Ghetto Mirror d'Achuka est l'un des journaux les plus lus de Kibéra et fait partie du mouvement de médias communautaires de Nairobi. C'est armé de smartphones, et de petits caméscopes que les jeunes « slum journalists » réalisent la plupart de leurs reportages qui sont ensuite diffusés sur Youtube ou retranscrits en Version papier. Leur objectif: donner une voix aux communautés marginalisées et lutter contre les clichés dressés envers les bidonvilles. Malgré les harcèlements de la police et le manque de formation, ces jeunes reporters sont devenus d'importantes sources d'informations.

Nous n'avons que deux semaines,” dit Achuka à ses reporters en répartissant les sujets et thèmes du prochain numéro. “Finissons  bien l'année.”

Des débuts modestes

Achuka a repris The Mirror en Août 2011. En Octobre 2012, le  journal alors âgé de deux ans, a vu sa circulation doublée, passant d'un tirage de 1000 copies à 2500.  La raison principale de cette augmentation est due au changement du nom du journal. En effet, à sa création, le journal  était seulement focalisé sur l'actualité de Kibera et portait le nom de « Kibera Mirror ». Parce que les fondateurs souhaitaient désormais parler de ce qui se passe dans l'ensemble des bidonvilles de Nairobi, « Kibera Mirror » est devenu plus généralement «The Ghetto Mirror.»

 Achuka est diplômé en relations publiques et communication de masse. Dans l'équipe, il est le seul à avoir poursuivi des études supérieures, les 22 autres reporters viennent des bidonvilles et ont appris le métier sur le tas. Ils s'occupent tous ensemble de la rédaction, des photographies ainsi que des mises en pages.

Mais dans les bidonvilles de Nairobi, d'autres médias existent. Il s'agit par exemple du trimestriel le Kibera Journal, du populaire Kibera News Network (KNN), de la chaine Youtube ainsi que de la radio Pamoja FM.  KNN travaille très souvent  avec Mapkibera qui utilise la renommée plateforme Ushaidi pour nourrir ses articles. Il y'a enfin Voice of Kibera qui retranscrit les informations que les habitants envoient par messages SMS.

Plus de 100 000 personnes habitent à Kibera, et comme l'ensemble de la population de Nairobi, ces personnes vivent sans les infrastructures vitales de bases qui leur permettraient par exemple d'avoir accès à l'eau, aux sanitaires et à l'électricité. Josphat Pala, réside dans un bidonville. Il est vendeur de légumes et lit les journaux locaux et nationaux. Selon lui, les personnes vivant dans les quartiers pauvres de Nairobi sont sous représentées dans les médias dits « mainstream ».

«[Les médias mainstream] couvrent l'ensemble de l'actualité politique sans jamais raconter ce qui se passe dans les bidonvilles » dit Pala. C'est la raison pour laquelle, les « slum media » (médias de bidonvilles)  émergent. Collins Odhiambo a 24 ans. Il est coiffeur et aussi éditeur du Kibera Journal. Il déplore  le fait que les médias généralistes abordent le sujet des bidonvilles Kenyan en y soustrayant tout aspect positif, notamment en se focalisant uniquement sur la violence et en ignorant la brutalité policière que les habitants subissent. Comme d'autres « slum journalists », Odhiambo est autodidacte et travaille en étant peu ou pas payé. «C'est un appel de la communauté. Je dois le faire » dit-il. «Nous pouvons changer les négatives idées reçues sur les bidonvilles, et donner un autre visage à Kibéra. »

Le combat contre les stéréotypes constitue le cœur des objectifs des slum média. «Avant il y avait un certain décalage entre les articles qui portaient sur Kibéra et la réalité» commente Steve Oduor, 28 ans, éditeur audiovisuel pour KNN. KNN débute en 2010 grâce à un don de six caméscopes qui leur avait été fait. À l'époque, Oduor s'était déscolarisé et travaillait comme coiffeur. Il fait partie du projet depuis le début. « Nous voulons raconter le positif tout comme le négatif de notre quotidien », explique t-il. C'est  pour cela que les sujets récents de KNN portaient par exemple sur le recensement des électeurs, sur la visite d'un musicien Jamaïcain à Kibéra ainsi que sur la mort d'un chauffeur de minibus.

Des thèmes sur le sport, la jeunesse, aux interviews musicaux, en passant par des portraits d'hommes d'affaires pour montrer que les bidonvilles contiennent bien plus que la pauvreté et la violence, The Ghetto Mirror  couvre ainsi une variété de sujets.  Sylvia Nekesa a 20 ans  et couvre l'actualité relative au secteur de la santé. « J'écris sur le cancer du col de l'utérus. Très peu de femmes savaient que des dépistages pouvaient être faits. Maintenant elles vont en clinique pour se faire dépister.» dit-elle.  

Un projet grandissant

Les habitants de Kibéra se regroupaient tous autour d'Achuka et de son équipe pendant que ces derniers distribuaient des exemplaires gratuits du Ghetto Mirror. Les journalistes essayaient d'en distribuer dans les cafés, les salons de coiffure, mais certains habitants comme Gordon Odiambo, qui vient de finir le lycée voulaient aussi avoir leurs propres copies. « The Ghetto Mirror s'immisce dans la vie des locaux, » dit Odiambo, « il délivre une immersion dans la vie dans les bidonvilles.»

Quand Odiambo était encore au pensionnat, il demandait à son père de lui envoyer cinq exemplaires du journal tous les mois pour qu'il les lise avec ses amis, désireux eux aussi d'avoir des nouvelles de chez eux. The Mirror a aussi créé une page Facebook, sur laquelle sont publiées les informations majeures, et ce même si la plupart des résidents n'ont pas accès à internet. En outre, la chaîne KNN diffuse ses reportages gratuitement, tous les samedi entre deux émissions.

Les slum media vivent notamment grâce à des journalistes passionnés et ambitieux. Mais ces derniers ont néanmoins besoin du soutien des pays étrangers pour faire exister leurs médias. Certains pays   leur fournissent  en effet les fonds nécessaires et dispensent aussi des cours de journalisme. C'est par exemple l'organisation ActionAid qui finance le Kibera journal , Map Kibera dépend des fonds de KNN, et l'organisation Shining Hope for communities finance The Mirror.[En échange, les rédacteurs du Mirror, font du bénévolat une fois par semaine à l'école primaire de Shining Hope.]  Néanmoins, selon les éditeurs, le financement  par cette organisation n'influence aucunement le contenu du journal.

Donner la parole aux sans voix

Cependant, ces journaux sont bien plus que des projets d'ONG. En Mars, The Kibera Journal réalisait un reportage sur une école qui avait reçu 3 million de shillings kenyan ($35 000) pour rénover ses toilettes, mais qui ne l'a jamais fait. Deux jours après, la commission Anti-Corruption Kenyane demandait à l'école de lui rendre des comptes.

De même, The Mirror publiait plus tôt une enquête sur de nouvelles maisons somptueuses construites  au beau milieu des quartiers pauvres et qui étaient vendues à des personnes aisées et extérieures à Kibéra. Cet article avait été repris par la plupart des agences de médias Kenyan. C'est aussi  après avoir regardé un reportage sur KNN portant sur l'accès à l'eau, qu'une compagnie des eaux débarquait à Kibéra pour réparer robinets et pompes usés.

Les journaux comptent sur les informations que les habitants leur envoient par SMS, et ces derniers attendent bien évidemment des retours. « Si la communauté nous appelle et que nous ne venons pas, ils seront mécontents» dit Odhiambo. « Ils nous font confiance pour agir. » Néanmoins, certains reporters ratent parfois la couverture de certains sujets, notamment quand ils se perdent au milieu des cabanes, ou quand ils sont confrontés à des personnes timides devant la caméra ou qui veulent être payés pour les interviews. Avec peu de formation, il arrive souvent que les journalistes ne soient pas dans les temps et nécessitent d'une rallonge de délai et de plus de conseils pour boucler leurs sujets.

Ces mêmes journalistes doivent aussi souvent faire face aux harcèlements de la police. Un photographe a par exemple été arrêté deux semaines après que The Mirror ait publié un article sur une compagnie qui pratiquait le brassage illicite d'alcool. Selon les rumeurs, cette compagnie serait sous la protection des politiciens locaux. « Quand les policiers  m'ont vu il ont déclaré, « ce mec travaille pour The Mirror. Tu écris sur les bières ! » raconte Ombedha. Il rajoute qu'ils l'ont menotté, frappé au visage, et lui ont réclamé de l'argent et ce même s'il n'était pas impliqué dans cet article en particulier. Ce sera finalement un officier d'un grade supérieur qui relâchera Omdheba. Oduor quant à lui confie à Think Africa Press que la police a arrêté un cameraman de KNN parce qu'il avait réussi à les filmer en train de battre  un voleur. Selon lui, cette même police força KNN a effacer les images. Ils l'ont ensuite retenu trois heures avant que le directeur d'une ONG n'intervienne pour qu'ils le libèrent.  

Face au succès des slum medias, certaines agences de presse Kenyanes veulent maintenant que  KNN et The Mirror les aident à réaliser plus de sujets d'actualités sur les bidonvilles. Plus récemment, un article publié en ligne par The Mirror sur la « misère du tourisme » dans les bidonvilles, a eu beaucoup d'écho à l'international.

Mais les slum medias ne perdent pas de vue leur premier objectif : servir les lecteurs locaux en montrant les aspects positifs sur les habitats informels ( ou insalubres ) de Nairobi tout en disant la vérité aux pouvoirs dirigeants. «  Si tu es originaire de Kibera, ils pensent à tort que tu es un inculte, un criminel ou un voyou,» dit Odhiambo. « Cela n'a rien à voir avec la réalité. »
 

Article de Jason Patinkin initialement publié par notre Partenaire Think Africa Press :  http://thinkafricapress.com/kenya/read-all-about-it-citizen-journalists-give-new-face-nairobi-slums-kibera

Traduction par Yacine S.

 

 

 

 

 

 

 

 

La démocratie kenyane face au danger de l’ethnicisation

Le conflit entre les communautés Orma et Pokomo, dans la région du delta kényan du Tana, a fait une centaine de morts en septembre dernier. La mise en place d’un couvre-feu, ainsi que le déploiement du General Service Unit et une intervention militaire semblent avoir mis fin aux affrontements. Malgré tout, la lenteur de la réaction du gouvernement a suscité de vives critiques ; et même si la violence a été endiguée et des interpellations effectuées, des centaines de villageois ont perdu leurs maisons, leurs bestiaux et leur champ. Ils sont en effet terrifiés à l’idée de retourner dans la zone, préférant rester dans les camps de fortune installés sur la côte kényane.

Malgré le démenti formel de la découverte de deux importants charniers près du village de Ozi, le mystère à ce sujet reste entier, et l’idée que les combats dans la zone étaient plus que des querelles liées à la terre et à l’eau commence à germer. Selon certains observateurs, les attaques subies par les villageois étaient remarquablement organisées et planifiées, ce qui pousse à croire que des forces politiques auraient en douce contribué aux massacres.

Motifs de violence

Comme l’a fait remarquer l’expert Paul Goldsmith, si le problème était réellement un désaccord à propos de l’accès à la terre et à l’eau –« un problème entre bergers et cultivateurs », les Orma et les Pokomo auraient facilement pu trouver un consensus comme l’ont fait les autres tribus de la région du Laikipia. L’information selon laquelle le gouvernement aurait été prévenu dès le mois de mai de l’imminence d’un conflit est encore plus inquiétante. À cette époque, les locaux s’étaient plaints auprès du pouvoir en place à propos des changements de frontières incessants, et ont accordé au gouvernement une période de trois mois d’observation, après laquelle ils résoudraient eux-mêmes le problème, et ce par tous les moyens nécessaires.

De plus, la guéguerre politique que se livrent le ministre de la sécurité intérieure Yusuf Haji et l’élu du district de Galole Dhadho Godhana accentue la rumeur qui fait état d’une origine politique des attaques ; chacun désignant son vis-à-vis comme coupable, et refusant de participer à des négociations, à cause de querelles personnelles. En effet, les média kényans semblent persuadés que ces violences ont une origine politique, affirmant qu’elles sont conséquentes « à la bagarre en vue de l’Élection Générale qui se tiendra l’année prochaine ».

Des politiciens sans réelle politique

Au Kenya, les scrutins sont rarement motivés par la conviction idéologique ou politique des votants. Il n’existe pas de réelle opposition entre une gauche et une droite, mais plutôt entre des candidats individuels, tant au niveau local que national. Cela transparaît encore plus, à chaque élection générale, depuis la défaite de la Kenya African National Union (KANU) pour la première fois de son histoire en 2002 ; depuis, les politiciens se disputant les meilleures places ont curieusement toujours été les mêmes, alors que les partis qu’ils représentent changent fréquemment.

Les populations ne votent pas pour des idées, mais plutôt pour ce qui les arrange les plus – ce qui, souvent, signifie le parti originaire de leur région, ou ayant un leader de leur groupe ethnique. La majorité des partis au Kenya ne servent que de tremplin pour un candidat spécifique, et ont presque tous essentiellement une forte racine ethnique, cet accent fort mis sur l’identité servant à mobiliser les troupes. Les partis politiques kényans sont seulement des prétextes pour les élections, et restent inactifs en période non-électorale ; le fait qu’il n’y ait que peu de sites web qui leur sont dédiés en est une preuve accablante. Par contre, il existe beaucoup de site internet dédiés à des personnalités tels que Uhuru Kenyatta, Kalonzo Musyoka, Raila Odinga ou encore William Ruto, tous candidats aux élections qui se tiendront dans l’année à venir. L’élite politique kényane peut donc être considérée comme une entité qui se bat pour atteindre les hautes fonctions en usant, quand il le faut, d’autres supports que l’idéologie politique pour gagner des votes.

Alliances ethniques

La place centrale de l’ethnicité dans la mobilisation politique au Kenya a été bien étudiée par chercheurs et journalistes kenyans et étrangers. L’ethnicité est le paramètre le plus facile à exploiter pendant les élections, et, par exemple, c’est un fait notable que le président Mwai Kibaki, de l’ethnie Kituyu, a remporté environ 97% des suffrages dans sa région d’origine, la Central Province, lors des élections de 2007. C’est un fait notoirement acquis que les Kenyans votent selon des considérations ethniques, et ce fait est dû, en partie, au lien fort existant entre les élites et leur communauté d’origine. On en conclut donc que si les votes d’une certaine communauté portent une personne au pouvoir, les gens de cette communauté pourraient en tirer des avantages. Il s’agit d’une attitude qui peut laisser croire que l’état est une récompense que l’on se partage au sein d’une communauté une fois qu’elle est acquise. Ceci est en parti un héritage du système politique kenyan qui existait à l’époque coloniale ; c’était une époque pendant laquelle les colons associaient souvent les figures politiques à leur ethnie d’origine, les réduisant ainsi à la représentation de celle-ci.

Les politiciens candidats à la présidence ont souvent tendance à former des alliances et coalitions avec les leaders d’autres groupes ethniques, toutes les communautés n’ayant pas la même importance démographique. C’est d’ailleurs ce que le chercheur Sebastien Elischer a désigné par le terme « coalition de circonstance ». La National Alliance Rainbow Coalition (NARC), qui a battu la KANU en 2002, est un très bon exemple. Kibaki et Raila étaient tous les deux membres de la NARC, qui finira aussi par éclater en deux groupes vers 2005 – le Party of National Unity (PNU) et le Orange Democratic Movement (ODM), qui s’affronteront pour l’élection générale de 2007.

Tractations

Cependant, attribuer tous les problèmes politiques du Kenya à l’ethnicité serait irresponsable et réducteur. La plupart du temps, après une défaite, les leaders de l’opposition s’allient simplement avec le parti au pouvoir ; il arrive même que, avant les élections, certains politiciens ou groupes d’intérêts s’empressent d’afficher leur soutien aux candidats dont l’importance augmente ; cela se voit actuellement avec The National Alliance (TNA), parti à la popularité grandissante nouvellement formé par Uhuru Kenyatta.

Plus récemment, pendant une marche politique à Ukambani, une zone essentiellement occupée par des Kambas, et en conséquence acquise à Kalonzo Musyoka, le premier ministre Raila Odinga, de l’ethnie Luo, a suggéré que Musyoka et lui devaient s’associer. Odinga a conseillé aux Kambas de « fuir » la politicaillerie ethnique et de voter pour lui, mais, en guise d’assurance, a quand même pris la peine d’inviter Kalonzo à le rejoindre. À mesure que les élections, prévues pour mars 2013, approcheront, il y aura de plus en plus de propositions de ce genre, et ce sera intéressant de voir quel candidat se désistera de la course aux postes les plus importants, en échange d’une position certes moindre, mais qui garantirait au moins une entrée dans le gouvernement.

Tout ceci met en évidence une situation regrettable : les membres de l’élite politique du Kenya utilisent les différences ethniques apparentes quand ça les arrange. En vue de leur victoire, les politiciens n’hésitent pas à creuser des fossés entre les communautés, s’assurant ainsi des gains sur un terme relativement court, alors que les dommages sont dévastateurs à long terme pour les malheureux groupes ethniques dont les représentants sortent perdants des élections.

Les Orma et les Pokomo sont deux tribus relativement petites qui, si on excepte quelques incidents isolés, ont toujours réussi à cohabiter en paix. Seulement, à l’approche des élections, leurs points de divergence semblent devenir de vrais problèmes – et ceci n’est pas seulement dû au hasard. Si les échos suggérant une incitation à la violence de la part des élus locaux du Delta Tana sont prouvés, on ne pourrait s’empêcher d’être inquiet à propos de plus importantes luttes de pouvoir qui vont se déclarer dans l’année à venir. Le problème, ce n’est pas que les Kényans aiment se battre ; comme on peut le lire dans les réseaux sociaux et dans les fora dédiés au Kenya, ceux qui sont contre la violence sont toujours plus nombreux que ceux qui sont pour. Le problème réside en une culture de la contestation politique basée sur un jeu à somme nulle, avec des divisions essentiellement ethniques alimentées par une élite politique qui veut profiter un maximum de la situation, tout en étant au minimum concernée par les dommages occasionnés. Pour le bien à long terme du Kenya, les politiciens devraient se montrer plus responsables – l’incitation à la violence ne devrait jamais constituer une option.

 

Nikita Bernardi, article initialement paru en anglais chez notre partenaire Think Africa Press, traduction pour Terangaweb par Souleymane LY

Combien coûte au Nigeria le vol de son pétrole ?

Le magazine The Economist a érigé le Nigéria en capitale mondiale du vol de pétrole. Toutefois, l’opacité sur le nombre de barils produits empêche le gouvernement de mesurer exactement l’ampleur des pertes. Les chiffres présentés par la ministre des finances nigériane Ngonzi Okonjo-Iweala, suggèrent que le montant des pertes approcherait les 400 000 barils par jour et aurait conduit à une baisse de 17% des ventes officielles en avril 2012. De son côté, Shell Petroleum Development Company fait une estimation plus modeste de ces vols, entre 150 000 et 180 000 barils par jour, soit près de 7% de la production.

Quoi qu’il en soit, d’un côté comme de l’autre, le coût des pertes est énorme. Si on se réfère aux chiffres officiels sur les pertes causées par ces vols, le Nigéria et ses partenaires du secteur pétrolier perdraient environ 40 million de dollars par jour (en supposant un prix fixe de 100 dollars par baril), l’équivalent d’environ 15 milliards de dollars de revenus par an. Les enjeux de ce problème s’éclaircissent d’autant plus en y ajoutant les pertes humaines et les dégâts environnementaux associés à de telles activités. 

Des voleurs habiles

Malgré toute la rhétorique politique sur l’importance de combattre le vol de pétrole, la menace, elle semble se complexifier au fil du temps. Les méthodes employées pour dérober le pétrole sont encore floues mais des experts suggèrent qu’elles vont de pratiques locales artisanales à une organisation hautement sophistiquée qui pensent-ils, prendrait place dans les terminaux d’exportation. Un tel niveau de technicité et de sophistication sous-entend une implication possible de personnalités influentes en arrière plan. Beaucoup affirment que des politiciens de haut niveau, des militaires, anciens et en exercice, des leaders et des employés de compagnies pétrolières pourraient être impliqués. De plus, vu leur inefficacité, certains suspectent également une connivence des agences de régulation. Les observateurs montrent également du doigt les cartels internationaux qui conduisent illégalement des bateaux transportant le brut pour le vendre sur les marchés.

Néanmoins, les multinationales basées dans le delta du Niger n’ont manifesté que récemment leur préoccupation face au vol de pétrole, surtout parce qu’elles ont jusque là réussi à gérer leurs pertes économiques. Cela est en partie dû au fait qu’en l’absence de données fiables sur le nombre de barils produits, les compagnies pétrolières paient des taxes et les royalties non pas en fonction de leur production, mais en fonction du nombre de barils exportés. Afin de combattre le fléau et de permettre un calcul plus juste du flux de pétrole, l’Initiative Nigériane pour la Transparence des Industries d’Extraction (INTIE) recommandait en 2011 l’installation d’une infrastructure servant de compteur fiable au niveau des stations d’extractions ainsi qu’aux terminaux, comme cela se fait à l’international. En installant des compteurs dans les stations d’extraction – et en instaurant une taxe pétrolière basée sur les taux de production plutôt que d’exportation – la perte de pétrole se ressentirait de façon plus importante sur les compagnies pétrolières. Avec les taux de royalties actuels (20% près du rivage et 18,85% en eaux superficielles au large) les compagnies paieraient environ 8 millions de dollars chaque année pour les 400 000 barils (estimation) perdus à cause des vols. Malheureusement, les recommandations de l’INTIE n'ont pas force de loi.

Boucher la fuite

Même si les compagnies pétrolières étaient forcées à trouver des solutions, le problème resterait difficile à solutionner tant il est profond et complexe. Tout d’abord, d’après certaines informations, des milliers de raffineries illégales s’éparpilleraient sur l’ensemble du territoire nigérian. Rien que pour le premier trimestre 2012, la Join Task Force (JFT), dans le Delta du Niger déclarait avoir détruit près de 4000 raffineries et saisi des centaines de barques, de bateaux, de pompes, de tanks et toute autre sorte d’équipements appartenant aux voleurs. Le gouverneur de la Banque Centrale Nigériane, Sanusi Lamido Sanusi a évoqué le bombardement des raffineries illégales, mais cela ne résoudrait pas le problème qui est plus profondément ancré. 

Une grande partie des jeunes hommes impliqués dans ce trafic sont des anciens militants voire des anciens employés de l’industrie pétrolière en manque d’alternatives. Il faudrait de fait des solutions immédiates telles que le retrait des raffineries illégales et à long terme, créer des solutions durables pour l’emploi des jeunes. De plus, les ressources pour nettoyer le delta du Niger et ses alentours, estimées à 1 milliard de dollars par l’ONU, doivent également servir à créer d’autres opportunités dans la vie des jeunes. Repenser le système de sécurité dans le delta du Niger afin d’assurer la surveillance des eaux costales et des pipelines par des agences fiables ainsi que de réelles poursuites en justice contre les accusés apparaît également comme une étape cruciale pour réduire les vols de pétrole. Par le passé, les procès ont été empêchés ce qui a emmené certains à accuser la mainmise de personnes influentes sur les dossiers. Enfin, le stockage illégal pourrait être réduit grâce à l’usage de nouvelles technologies capables de « relever les empreintes » du pétrole brut afin d’identifier son origine.

Une nécessité à long terme

Bien qu’il sera difficile de mettre fin au détournement, à terme, boucher les fuites dans la production de pétrole apportera plus d’argent à la collectivité et aux entreprises privées. Platform, un centre de recherches britannique, a rapporté que Shell a dépensé près de 383 millions de dollars dans des tiers pour protéger ses installations dans le Delta du Niger entre 2007 et 2009. Depuis la déclaration du programme d’amnistie de milliers d’activistes du delta du Niger en 2009, le problème sécuritaire a baissé et cet argent pourrait désormais être utilisé pour financer un compteur fiable dans les stations de production. Cela mettrait fin à l’incertitude autour du nombre de barils produits dans le pays et augmenterait la responsabilité. Néanmoins, rien ne sert d’accuser uniquement les compagnies pétrolières pour les vols. Les compagnies pétrolières, les agences de sécurité, l’Etat et tous les autres intervenants doivent travailler ensemble.

Sans doute le président Goodluck Jonathan, en tant qu’originaire du Delta du Niger a une responsabilité morale et personnelle particulière d’arrêter ces actes criminels antipatriotiques. 

 

Uche Igwe, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press, traduction pour Terangaweb par Claudia Muna Soppo

Meles Zenawi : un visionnaire implacable

Si parfois il usa de la répression et restreint les libertés publiques, Meles Zenawi était un leader brillant et déterminé, et il se passera sûrement de longues années avant que l’Ethiopie et la Corne de l’Afrique ne voient monter au créneau un leader de sa trempe. Meles Zenawi, Premier Ministre défunt de la nation Ethiopienne, manquera beaucoup à son pays dont la croissance démographique fulgurante (85 millions aujourd’hui et probablement 120 millions en 2025) représente autant un enjeu qu’une promesse pour le futur. Meles était l’un des chefs de gouvernement les plus intelligents d’Afrique Subsaharienne. Contrairement à la plupart de ses confrères, il avait une vision claire et à long-terme du chemin que l’Ethiopie devrait suivre pour surmonter les défis de la pauvreté et du faible niveau d’éducation.

Meles savait aussi que l’Ethiopie n’était pas encore un Etat-nation, mais seulement un regroupement de peuples unis successivement par la monarchie Amharique, le despotisme des communistes Amhariques et désormais conquis par Meles lui-même et sa communauté du Tigré. A cause de la multitude de ses peuples et religions, l’Ethiopie courait toujours le risque de voir s’affirmer des mouvements séparatistes. Meles comprit très tôt qu’il avait pour mission de travailler à la centralisation de l’autorité politique, au moyen même de la répression des dissidents, cela tout en réformant le secteur éducatif et en dynamisant l’économie nationale afin d’assurer la pérennité de son projet.

Ainsi, c’est stratégiquement qu’il accueillit et fit l’éloge des investissements venant de la Chine. Il fit appel aux géants du BTP chinois pour construire des barrages géants sur la rivière Omo, faisait fi de l’opposition ferme que manifestèrent les populations locales et de la communauté internationale, inquiétés par les risques environnementaux. Conscient des manques criants au niveau de l’approvisionnement en énergie, il était aussi déterminé à interrompre le cours du Nil avec un « Grand Barrage de la Renaissance », cela malgré les troubles que cette idée suscitait en Egypte et au Soudan. Depuis son décès, il n’est pas encore su si ces prédécesseurs comptent poursuivre le projet.

L'après Mélès

Sans Meles et son dynamisme, le « Grand Barrage de la Renaissance » et nombre d’autres projets risquent d’être abandonnés à cause d’un manque de fonds ou de vision. En outre, personne sauf Meles n’aurait pu répondre avec tant d’efficacité quand les Etats-Unis et l’ONU demandèrent le support de troupes afin d’éviter le risque d’accrochages entre le Soudan et le Sud Soudan. Les troupes éthiopiennes jouent aussi un rôle essentiel dans la lutte contre les terroristes d’Al-Shabab en Somalie, notamment en 2006 et 2007, quand celles-ci intervinrent à la demande des Etats-Unis. Il faudra un homme fort après Meles, et aussi motivé que lui pour conserver la paix dans Corne de l’Afrique, sans quoi les militants d’Al-Shabab ou leurs antagonistes en Erythrée pourraient prendre confiance et relancer leurs offensives.

Sur la scène politique nationale, la disparition de Meles pourrait bien faciliter l’émergence d’une scène démocratique ouverte, longtemps restreinte par Meles, qui notamment trafiqua deux élections et réprima durement ses opposants et les non-Tigréens qui refusaient la ligne politique officielle. Mais cette possibilité pourrait être réduite à néant par les généraux Tigréens qui supportèrent Meles contre les Amhara marxistes avant 1991 si ces derniers assistent à une dissipation de leur influence. Il se pourrait aussi que les successeurs au poste de Premier Ministre s’opposent à l’expression des intérêts des Oromo, Somali ou des musulmans qui aspirant à être entendus dans l’Ethiopie post-Meles.

Un autocrate intelligent

l y a quelques années de cela, j’eus une conversation de plusieurs heures avec Meles, dans son bureau à la maison d’Etat où il me parut beaucoup plus accessible que les autres autocrates d’Afrique que j’avais interviewé auparavant. Il répondait avec aplomb aux questions hostiles que je lui posais. Il tenta par exemple de rationaliser la falsification des élections générales de 2005 ainsi que l’emprisonnement de presque tous ses opposants. Sa communication était beaucoup plus efficace que celle de ses paires autocrates.  

Meles comprenait aussi que quelqu’un comme moi avait un intérêt justifié pour certaines infractions terribles qu’il avait fait à son peuple et à ceux qui croyaient dans le processus démocratique. Pourtant il ne s'irrita pas, et n’interrompit pas non plus la discussion. Il n’essaya pas non plus, – ainsi que d’autres auraient pu le faire – de rediriger la discussion sur ses succès incontestés, comme la croissance économique accélérée de l’Ethiopie. Au contraire, il tenta, avec succès d’ailleurs, de m’impressionner par son intelligence, sa capacité à diriger, son alerte permanente face aux forces menaçant la paix dans la Corne de l’Afrique et son positionnement habile entre la Chine et les Etats-Unis au service de son régime et de son pays.

Beaucoup d’eau coulera sous les ponts avant qu’il ne naisse un autre Meles.

Robert Rotberg, Président émerite de la World Peace Foundation.

Article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press

Traduction pour Terangaweb par Babacar Seck

L’élite blanche Sud-Africaine: une puissance silencieuse.

EliteEn 1994, le rideau est tombé sur l’Apartheid d’une façon qu’aucun des acteurs-clés n’avait anticipée. Autant l’African National Confress (ANC) que l’opposition, le parti suprématiste blanc National Party ont été surpris par le fait qu’ils aient pu déboucher sur un accord par le dialogue et la négociation, plutôt que par la force. Suite aux discussions qui ont suivi la libération de Nelson Mandela, ainsi que la légalisation de l’ANC, les parties ont conclu un accord tacite : le pouvoir politique reviendrait à la majorité noire, tandis que le pouvoir économique resterait entre les mains d'une élite blanche ; il n’y aurait pas de saisie sur les biens des populations blanches, bien qu’il existât, évidemment, des plans pour parvenir à un partage plus équitable des richesses.

Black Economic Empowerment ? [Réhabilitation du pouvoir économique noir ?]

En réalité, plusieurs plans ont été mis en œuvre pour rendre le pouvoir économique à l’ANC. Les magnats blancs locaux avaient d’ailleurs commencé à transférer les avoirs financiers aux mains des noirs, afin d’incorporer ces derniers dans les sommets du nouvel ordre politique : cette initiative fut baptisée Black Economic Empowerment (BEE). Selon Thabo MBEKI, « La BEE est un concept inventé, en réalité, par les oligarques de l’économie sud-africaine, consistant en une poignée d’hommes d’affaire blancs et leur famille qui contrôlent les plus importants rouages de l’économie du pays, à savoir les ressources minières et leurs dérivés, l’industrie mécanique et la finance ». Thabo MBEKI attire aussi l’attention sur la politique adoptée bien avant l’arrivée de l’ANC au pouvoir. En 1992, la pierre angulaire de l’économie Afrikaner, Sanlam Limited, aida à la création du fer de lance de la BEE, la compagnie New African Investments Limited, qui est dirigée par l’ancien médecin personnel de Nelson Mandela, Nthato Motlana. D’autres transactions du même type suivirent, et la nouvelle élite BEE fut rapidement bien établie.

À première vue, cette politique a été couronnée de succès. Un partage plus équitable des profits découlant du développement économique s'est produit, donnant naissance à une nouvelle bourgeoisie noire. Dans le même temps, l’ANC abandonna ses réformes économiques les plus radicales, permettant ainsi aux riches familles blanches de continuer à mener un très agréable train de vie. Une considérable proportion des biens sud-africains fut transférée à l’élite BEE. Cependant, les plus gros transferts furent, en réalité, beaucoup moins importants qu’ils n’y paraissaient. Comme l’indique [mon collègue] Paul Holden, la valeur totale des transactions de la BEE tournaient autour de 250 milliards de rands (30 milliards de dollars), ce qui ne constitue qu’une goutte d’eau dans l’océan, comparée à la valeur totale des ressources du secteur privé qui s’élève à 6 trillions de rands. (700 milliards de dollars).

Pire encore, les transferts impliquant les BEE étaient faits sous forme de prêts, et non de dons. Les compagnies devaient dégager des profits, et ces profits devaient servir à rembourser les dettes préalablement contractées… En théorie. En réalité, la plupart des membres de cette nouvelle élite noire n’avait que peu ou pas du tout d’expérience du monde des affaires, et bientôt, une bonne partie des compagnies de la BEE dut faire face à des difficultés. Le gouvernement local a d’ailleurs une mené une étude des problèmes rencontrés par la BEE, qui souligne justement que cette situation a mené à des cas où des personnes ne disposant pas de ressources suffisantes ont contracté malgré tout des prêts. L’étude conclut que « cette situation a encouragé des transactions sous-tendues par des emprunts. Cela ne pouvait fonctionner qu’à condition que le marché ne crût rapidement et que la rentabilité des compagnies ne se développât de façon significative ».

Elite noirePatrice Motsope, symbole de la Black Economic Empowerment

L’élite nouvellement conçue se précipita pour trouver une solution à ce problème, et ainsi fut élaborée un plan pour nationaliser les mines. L’Etat pouvait se permettre de les racheter à un prix intéressant, ce qui aurait soulagé la BEE d’une partie importante des difficultés rencontrées, les laissant sous la responsabilité de l’état. C’est là qu’ils rencontrèrent un obstacle majeur : les alliés de gauche de l’ANC, tels les unions du COSATU et le parti communiste sud-africain, s’opposèrent à cette solution. Le parti communiste attaqua ouvertement les responsables des appels à la nationalisation. Les membres du parti déclarèrent qu’ils avaient préalablement souligné les dangers liés à l’usage des finances publiques pour renflouer les caisses des nouveaux riches, et s’opposèrent fermement au « détournement de milliards de rands des fonds publics afin de servir les intérêts d’un petit cercle de capitalistes noirs (et blancs).

Toujours selon les communistes, « ce n’était pas qu’une question de renflouage des comptes d’une élite surendettée ». Ils rapportèrent que les responsables du syndicat des mineurs avaient été secrètement approchés par des membres de la nouvelle élite noire leur demandant de l’aide en ces termes : « Pourquoi ne cautionneriez-vous pas la nationalisation des mines ? Si le gouvernement réussit à les confisquer, ils nous [les noirs] en confieront la gestion. ». Le parti communiste accusa donc l’aile droite de l’ANC de se laisser séduire par une classe capitaliste noire émergente.

L'élite blanche

Alors que l’élite noire se trouvait dans une position relativement précaire, la bourgeoisie blanche s’est, elle, échinée à protéger ses privilèges. Pour commencer, ils se sont rendus discrets, et ont exécuté leurs plans en coulisse. Par exemple, Business South Africa, qui est contrôlé par des blancs, a fusionné avec le Black Business Council en octobre 2003 pour former le Business Unity South Africa. Ce changement n’a pas été accepté par toutes les entreprises noires, et certaines d’entre elles se séparèrent de la structure ainsi créée en 2009. Malgré tout, la communauté des hommes d’affaire blancs trouva la planque idéale pour leurs activités, planque à partir de laquelle ils pouvaient aisément faire pression sur le gouvernement de l’ANC. D’autres au sein de l’élite blanche allèrent beaucoup plus loin, rejoignant le Progressive Business Forum de l’ANC ; officiellement, afin d’établir des liens directs avec le parti au pouvoir. Durant l’année de sa création, le forum fut présenté par la presse comme un moyen « de s’offrir des rencontres avec les ministres et autres hommes forts de l’état ». À cela l’ANC répondit vivement qu’il n’y avait « absolument rien de fâcheux dans ces adhésions ».

De nos jours, il est clair que le Progressive Business Forum représente un puissant outil de collecte de fonds pour le parti. Lors du banquet tenu à Johannesburg en juin 2012, un siège à la table du président Zuma ne coûtait pas moins de 500 000 rands (60 000 dollars). Et ceci n’est pas la seule façon que l’ANC a trouvée pour amasser des fonds de la part des hommes d’affaire. Une enquête menée en 2006 par l’Institute of Security Studies révéla l’existence d’un groupe de compagnies contrôlé par une firme appelée Chancellor House. Cette firme avait secrètement intégré le capital d’entreprises minières, industrielles, logistiques ou encore d’information. Le parti a ainsi trouvé une importante manne financière, et il en a résulté un conflit d’intérêt difficilement évitable. Le rapport résultant de l’enquête affirme que : « Souvent, ces marchés ont été tenus à la discrétion du gouvernement – que ce soient les appels d’offre, les droits miniers, etc. L’ANC, en tant que parti au pouvoir, a été à la fois juge et parti ».

« Il en a toujours été ainsi »

Près de deux décennies après l’arrivée de l’ANC au pouvoir, la classe moyenne noire a été à la fois puissante – de par sa grande influence au sein de l’ANC – mais aussi dépendante du parti par sa position. Elle n’est pas assez nantie financièrement pour revendiquer son indépendance, du fait des contrats publics et à la législation sur la BEE auxquels elle a été soumise. Par contre, l’élite blanche a été beaucoup plus éclairée, et beaucoup mieux nantie financièrement. Certains membres de cette élite ont préféré devenir des consultants plutôt que d’obtenir des postes formels dans les entreprises locales. D’autres ont choisi de déplacer une partie ou la totalité de leur fortune à l’étranger, emboîtant le pas à des compagnies anciennement installées en Afrique du Sud, telles que la Old Mutual, ou encore l’Anglo-American, qui sont aujourd’hui inscrites dans le marché boursier londonien. Dans le même temps, les hommes d’affaire blancs ont appris à vivre avec l’ANC au pouvoir, choisissant de travailler en coulisse plutôt que de s’afficher en public.

Le président Jacob Zuma a plutôt intelligemment résumé la situation lorsqu’il a pris la parole lors de la conférence de politique générale de l’ANC, qui s’est tenue le 26 juin 2012. « Beaucoup d’objectifs ont été atteints de puis l’accession de pouvoir en 1994, a-t-il déclaré, mais il reste encore beaucoup à faire ». Le président a poursuivi en exposant brièvement les problèmes majeurs auxquels il fallait s’attaquer – notamment les rapports de forces économiques qui sont essentiellement restés inchangés. Toujours selon le président, à la fin de l’Apartheid, « [Nous] devions faire preuve d’une grande prudence à propos de la restructuration économique, afin de maintenir la stabilité et la confiance qui régnaient à l’époque. Ainsi, le rapport de forces économique qui prédominait sous l’Apartheid est resté le même. L’économie reste essentiellement sous l’emprise d’hommes blancs, et il en a toujours été ainsi ».

 

Martin Plaut, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press, traduction pour Terangaweb de Souleymane LY

 

Lectures complémentaires : la critique par Think Africa Press de l'essai : « Who rules South Africa ? », suivie d’une interview des auteurs Martin Plaut et Paul Holden.

L'article sur Terangaweb de Vincent Rouget  « 34 morts à Marikana : la fin du compromis sud-africain ? »


Conflit dans la région du Kivu : vers la seconde guerre mondiale africaine ?

A en croire les dernières déclarations et apparitions médiatiques, l'ensemble de la communauté internationale est fermement engagée dans la défense du processus de paix en République Démocratique du Congo (RDC). Paul Kagamé, Président du Rwanda, a laissé entendre que l'implication du Rwanda pour la résolution du conflit Congolais était sans égale et le gouvernement ougandais de son côté, s'est empressé de se positionner en négociateur pacifique. Se méfiant de l'implication d'Etats voisins dans le conflit, les contributeurs du Congo se sont investis sur la question comme jamais depuis près de 10 ans. Pourtant, il faut se défaire de l’image d'une poignée d'Etats s'unissant pour combattre des rebellions malveillantes afin de comprendre les véritables enjeux politiques enfouis derrière cette question.

Depuis quelques mois, une nouvelle rébellion se faisant appeler M23 a agrandi le groupe de factions rebelles actives dans la zone du Nord-Sud Kivu, deux provinces dans l'Est du Congo. Grâce aux liens entre le M23 et les forces supportées par le Rwanda au sein du FARDC, la force militaire congolaise, des lignes de batailles ont immédiatement été dressées entre Kinshassa et Kigali. Depuis, un torrent d'accusations et ripostes inonde la diplomatie africaine. Heureusement on est loin de voir surgir un immense conflit interétatique tel une seconde guerre du Congo – également nommée « la Guerre Mondiale Africaine » (1998 à 2003). La raison en est tout simplement que des acteurs externes au conflit n'auraient pas grand intérêt à y intervenir. En réalité, il semblerait que l'indifférence de la communauté internationale aura pour seule conséquence la stagnation du conflit. Nul ne doute que des pertes humaines sont à prévoir, seulement, elles ne seront pas causées par un nouvel incendie sur le continent.

Soulèvement dans l'Est

Le Rwanda, pays voisin du Congo et puissance militaire régionale est déterminé à mettre de l'huile sur le feu afin de servir ses intérêts stratégiques. En dépit de l'apparition récente du Président Kagamé sur la BBC dans laquelle ce dernier niait tout support aux insurgés du M23, des preuves accablantes montrent que l'Etat rwandais subventionne les rebelles. Le groupe d'experts envoyé par l'ONU a découvert des armes en provenance du Rwanda, intercepté des communications officielles, parlé avec des témoins, interviewé près de 80 déserteurs de la rébellion (dont 31 Rwandais), et parlé à des membres actifs du M23 et des autres chefs militaires. Cela prouve de façon inquiétante que le Rwanda a aidé le M23 à se positionner parmi d'autres "forces néfastes" telles que Raja Mutombi, ajouté à d'autres parasites politiques et militaires, tels que les Force de Défense du Congo et Nduma Défense Congo. Encore plus surprenant, le groupe d'expert a trouvé des preuves montrant que le gouvernement rwandais a remobilisé des anciens membres de la FDLR- ennemis jurés du régime de Kigali-, accusés de génocide afin de rejoindre le groupe de rebelles. 

En réponses à ces accusations, le gouvernement rwandais a qualifié le report de "biaisé et dénué d'intégrité". Cependant, le démenti est peu consistant. Les preuves contraires qu’il apporte sont essentiellement des déclarations et extraits de réunions officielles montés de toute pièce par l'élite politique et militaire. Par ailleurs, le gouvernement réfute les accusations selon lesquelles le secrétaire permanent du ministère de la défense aurait financièrement et logistiquement soutenu les rebelles en affirmant qu'il est simplement trop occupé pour s'embêter à aider les rebelles. De l'autre côté, le document officiel de l'ONU confirme toutes les conclusions avec cinq sources différentes et indépendantes, et même s'il contient très certainement des erreurs, le poids des preuves donne sans aucun doute raison au groupe d'experts; le soutien du Rwanda est crucial dans la lente marche du M23 vers Goma.

Une "guerre froide"

Pourtant, même si des milliers de civils sont déjà affectés par cette situation, il existe de bonnes raisons de penser que les combats ne déborderont pas vers un autre conflit intercontinental. D’une part le fait que les facteurs structurels qui ont déclenché la guerre en 1990, la décadence de l’Etat Congolais- à l’époque Zaïre- l’effondrement des zones d’influence de la Guerre Froide, l’augmentation du niveau de démocratie, sont désormais obsolètes.  

Par ailleurs, quand le nouveau gouvernement de Paul Kagamé s’est immiscé pour la première fois dans la région à la fin de l’année 1995 (autant qu’il le fait aujourd’hui) des millions de réfugiés rwandais, génocidaires réarmés se trouvaient esseulés dans les camps. Aujourd’hui, cette menace n’existe plus. Contrairement à 1995, l’impressionnante augmentation de l’implication du Rwanda en République Démocratique du Congo est certainement motivée par un ensemble hétérogène d’intérêts. Le gouvernement est véritablement préoccupé par les différents groupes de rebelles, mais il cherche également à étendre son contrôle sur les ressources du nord et du Sud du Kivu et accomplir ses ambitions régionales en mettant en place une zone d’influence plus large, entre autres. Il suffirait, afin de satisfaire ses intérêts, que le Rwanda étende son protectorat dans les provinces de l’Est avec le but ultime que le Kivu parvienne à faire sécession de la RDC. Mais quand bien même, cela ne supposerait pas un changement de régime à Kinshasa ; si les rebelles prennent Goma (tel qu’ils menacent actuellement de le faire) il n’est pas à exclure que Kagamé recule en chemin. Ayant gagné l’espace nécessaire pour la libre circulation de ses troupes, récupéré les revenus miniers et assis son influence par delà ses frontières, il se pourrait que le Rwanda préfère éviter les problèmes diplomatiques liés à la violation de la souveraineté de la RDC.

Après tout, c’est précisément ce goût de la démesure qui a coupé court aux ambitions du Rwanda entre 1999 et 2005. Responsable du déclin de Mobutu, le Rwanda a par la suite ré-envahi la RDC afin d’installer un candidat de son choix à Kinshasa, dans l’unique but de voir l’Angola et le Zimbabwe se précipiter à la rescousse de leur voisin congolais. L’offensive a stagné, la guerre s’est étendue, la considérable bienveillance mondiale s’est progressivement estompée, et finalement il ne restait pour se réjouir, que les mêmes problèmes auxquels l’administration de Kagamé est encore confrontée aujourd’hui. Il est donc peu probable que les stratèges rwandais commettent à nouveau la même erreur.

Ni aide, ni obstacle 

Cette logique s’effondre si les Etats voisins du Congo s’alignent derrière le Rwanda afin de l’aider à renverser le gouvernement de Kabila et se tailler une part du lion. Une hypothèse néanmoins très peu probable. Alors que de nombreux gouvernement prétextaient des guerres dans les années 1990 pour combattre leur ennemis régionaux, de telles manigances ne sont plus d’actualité. Le Soudan est beaucoup trop occupé avec ses propres conflits internes, par exemple, et pour ce qui est de l’Angola, ses intérêts sécuritaires au Congo ont disparu en 2002 avec la mort de Jonas Savimbi, l’ancien et tristement célèbre chef de l’Union Nationale pour l’Indépendance totale de l’Angola.

Certaines de ces dynamiques se manifestent dans l’échec de la RDC à rallier des supporters aux réunions de la Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs, un conseil régional représentant 11 pays. Auparavant, le groupe a déployé l’ancien président Tanzanien Benjamin Mkapa ainsi que l’ancien président Nigérian Olusegun Obansajo en tant qu’envoyés spéciaux pour enquêter sur les insurrections. Mais leurs efforts pour convaincre les Etats membres d’ajouter leurs troupes à une force de contrôle ou même d’apporter un support rhétorique contre l’attitude du Rwanda sont tombés dans des oreilles sourdes. Personne ne veut se mêler à ce conflit.

Le gouvernement ougandais continue d'harceler le Président Yoweri Musevini. Etant donné que dernièrement les choses se sont arrangées avec Kagamé, les deux présidents pourraient collaborer sur la question du M23 à leur avantage commun – tel qu'ils l'ont fait sur de multiples rebellions sponsorisées conjointement dans les années 1990. Cependant, l'ADF semble d'avantage ennuyer que menacer véritablement Musevini, d'autant plus que ses troupes sont déjà engagées dans des conflits en Somali, au Sud Soudan et ailleurs. Ajouté à ce déploiement excessif, il faut également prendre en compte le fait que Musevini utilise une partie de ses troupes pour protéger les nouvelles découvertes pétrolières ougandaises. Et quand bien même il désirerait envoyer des troupes au Congo, son pays est confronté à une crise budgétaire généralisée, exacerbée par les récentes catastrophes humaines. Un scénario simpliste serait d'imaginer Musevini impliquer son pays dans le but de se faire une place dans la "mine d'or" Congolaise. Toutefois, au moment où l’Ouganda et d’autres Etats (le Zimbabwe notamment) convoitaient les minéraux en 1999, ils étaient prêts à être cueillis et étaient plus faciles à exporter vers les marchés mondiaux : aujourd’hui, ils sont inaccessibles car capturés par le commerce rwandais développé dans la province du Kivu.

Moulinets dans le vent à New York 

Ironiquement, l'attention récemment portée au conflit provient des Etats qui se trouvent avoir le moins d'influence sur le terrain: les contributeurs occidentaux. La communauté humanitaire et diplomatique essaie d'élever les enjeux de l'ingérence Rwandaise, mais ces efforts ne parviennent pas à empiéter les plans de Kigali. Il semblerait que l'occident ne puisse pas faire grand chose pour calmer cette affaire. Les donneurs se focalisent sur le processus de pacification en signant des pactes temporaires entre seigneurs de guerre ennemis. De tels actes en réalité résultent souvent en l’affaiblissement de l’armée congolaise et lui créent davantage de rébellions à combattre au Kivu. De plus, comme le défend Séverine Autessere, les négociations entre élites ont très peu d’effet dans la résolution des milliers de conflits localisés qui nourrissent le conflit global. 

Une solution d’ordre financier se présente également. L’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont récemment interrompu les flux d’aides financière cruciaux pour le Rwanda. Néanmoins, même si ces décisions marquent un changement d’attitude majeur, les Etats occidentaux soutiennent toujours fermement le régime de Kagamé, se rattachant à son image de reformeur à succès pour leur défense. Quand bien même les réticences américaines disparaitraient et les pays occidentaux décideraient d’entreprendre des actions concrètes contre le Rwanda, l’influence des chinois et des Russes empêcherait très certainement de punir Kigali à travers le conseil de sécurité de l’ONU (au-delà de quelques signaux d’alarmes). D’autre part, outre l’usage d’armes à feu contre les rebelles du M23, la tentative des forces congolaises d’étendre le mandat de MONUSCO, la mission des Nations Unies Pour le Maintien de la paix dans la région, est peu fructueuse. Enfin, une action unilatérale d’une puissance occidentale est presque inimaginable. Tout ce qu’il reste sont donc des paroles fermes et des sanctions inoffensives.

Malgré toute sa bonne volonté – dont les 17 000 forces de Monusco- la communauté internationale restera en dehors de l’équation Kivutienne. Il se peut qu’un des voisins de Kabila voit une opportunité dans ce conflit et s’y engage mais cela est assez improbable. Bien que le Rwanda est en mesure de changer la situation en s’avançant dans la capture de Kinshasa, une telle option entraverait ses intérêts stratégiques. Il semble que les combats persisteront pour un moment, toutefois ce sera sans compter la participation des autres acteurs régionaux. Les restes de la Guerre Mondiale Africaine motivent encore les déploiements politiques dans la région des Grands Lacs Africains mais il y a très peu de chances qu’ils y apportent une suite. Il se pourrait que le vent tourne en la faveur de Kigali, mais Kinshasa n’est pas prête de tomber.

 

Zach Warner, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press

Traduction pour Terangaweb par Claudia Soppo