Élection présidentielle en Guinée-Bissau : Enfin le bout du tunnel ?

JPG_GuinéeBissau290514Le second tour de l’élection présidentielle en République de Guinée-Bissau, tenu le 18 mai dernier, a livré son verdict. Avec 62% des suffrages, José Mario Vaz a remporté face à Nuno Gomes Nabiam (38%) un scrutin qui vient couronner un énième processus de normalisation de la tumultueuse vie politique locale.

La République de Guinée Bissau a accédé à l’indépendance en 1973. Elle a connu une instabilité chronique, particulièrement depuis l’instauration du multipartisme au début des années 1990 : coups d’État et assassinats politiques ont rythmé sa marche vers la démocratie au cours des deux dernières décennies. Dans ce pays, en effet, aucun président élu n’a pu jusqu’ici terminer son mandat.

Le printemps démocratique que nombre de pays africains ont connu entre la fin des années 1980 et le début des années 1990 a pourtant aussi été ressenti dans cette ancienne colonie portugaise. En effet João Bernardo Vieira, arrivé à la tête du pays en 1980 à la faveur d’un putsch, décide en 1989 d’opérer des réformes pour consacrer de plus grandes libertés au plan politique. Elles aboutiront, dès 1991, à l’adoption d’une nouvelle Constitution. Les premières élections présidentielles et législatives sont organisées en 1994. Vieira bat au second tour l’universitaire et philosophe Kumba Yalà et devient le premier Président démocratiquement élu de Guinée Bissau. Il dirige le pays dans une relative stabilité pendant quatre ans avant d’être, en 1998, la cible d’une tentative de coup d’État qui plonge le pays dans une brève mais sanglante guerre civile.

L’armée sénégalaise interviendra pour barrer la route aux rebelles dirigés par le général Ansumane Mané par crainte de voir leur alliance avec les indépendantistes du Mouvement des Forces démocratiques de Casamance (MFDC) renforcer ces derniers qui tentent de faire sécession au sud du Sénégal. En mai 1999, les éléments de Mané finissent par prendre le pouvoir après que les militaires sénégalais se soient retirés. Vieira part en exil au Portugal. De nouvelles élections sont organisées par un pouvoir intérimaire et Kumba Yalà les remporte haut la main. Mais il est à son tour renversé en 2003. Après une transition de deux ans, le scrutin présidentiel de 2005 consacre le retour de Vieira au pouvoir. Il gouvernera encore le pays pendant quatre ans.

Le 1e mars 2009, le Chef d’état-major général de l’armée, Baptista Tagme Na Waie, est assassiné à la suite d’un attentat à la bombe. En représailles, des soldats se rendent, le lendemain, à la résidence officielle du Président Vieira et l’exécutent sans autre forme de procès. La présidentielle organisée la même année est remportée par Malam Bacai Sanhà qui décède au début de 2012, des suites d’une longue maladie provoquant du même coup une nouvelle période d’instabilité. Carlos Gomes Junior arrive en tête au premier tour des joutes électorales suivantes, tenues en mars 2012. Il est suivi de Kumba Yalà. Toutefois, les deux hommes n’auront pas l’occasion de s’affronter au second. Le coup d’Etat mené dans l’entre-deux tours, par le général Amadu Ture Kuruma, coupe court au dénouement de leur duel.

Pays classé au rang de narco-Etat

Autre phénomène qui ternit l’image de la Guinée Bissau, outre ces putschs à répétition, concerne le trafic international de stupéfiants. Depuis de nombreuses années, le pays est présenté comme une plaque tournante utilisée par les narcotrafiquants sud-américains pour faciliter l’acheminement de grandes cargaisons de drogues vers l’Europe et les Etats Unis.  Plusieurs sources attribuent d’ailleurs l’assassinat de Vieira à un règlement de compte organisé par des narcotrafiquants colombiens. Le contre-amiral Bubo Na Tchuto, ex-chef de la marine, considéré comme l’une des pièces maitresses de ce trafic, a été arrêté en avril 2013 avec six autres personnes dont deux Latino-Américains, puis envoyé dans une prison américaine. Il attend d’être jugé pour son rôle de premier plan dans ce réseau international.

Dans son rapport 2013 sur la criminalité transnationale organisée,  l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) révèle que la Guinée-Bissau fait partie d’un groupe de pays dont la valeur de la drogue qui transite sur le territoire est supérieure au budget militaire. Les experts de l’ONU affirment que cette situation favorise l’instabilité du pays, ternit son image et décourage les investisseurs. Son potentiel économique (un sous-sol riche en bauxite, phosphate et pétrole notamment) est ainsi largement sous-exploité.

Le scrutin de la rédemption

Après avoir vécu toutes ces péripéties, les Bissau-guinéens espèrent ouvrir un chapitre plus reluisant de leur histoire. Dans tout le pays on veut croire que le second tour du 18 mai marque une nouvelle ère plus apaisée pour qu’enfin la classe politique et les forces vives de la nation puissent se consacrer aux défis qui les attendent. Ces défis ont pour noms : une pauvreté endémique, un taux de chômage très élevé, un déficit énergétique qui plombe l’activité économique, la nécessité d’une réforme agraire, le manque d’infrastructures et de services sociaux de base, la corruption, la fragilité des institutions etc.

José Mario Vaz, 57 ans, était le candidat du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC). Ancien ministre des Finances, il a joué sur le registre de l’expérience. Sa connaissance des rouages de l’administration et ses compétences présumées en matière d’économie ont été mises en avant tout le long de la campagne pour convaincre l’électorat de sa capacité à pouvoir redresser le pays.

Il devra conduire ses concitoyens au redressement tant souhaité, et le taux de participation très élevé (80%) donne une idée de l’étendue des attentes. Seulement, il est porté au pouvoir par l’institution qui, avec l’armée, a le plus incarné la « malédiction » de ces vingt dernières années : le PAIGC, l’ancien parti unique. Sa capacité à se libérer des entraves de cet appareil gangrené par les luttes d’influence et souvent suspecté de corruption sera déterminante  pour la réussite de son action à la tête du l’État en termes de ruptures.

Ce scrutin de tous les espoirs, sécurisé par 4 200 soldats nationaux et ouest-africains, n’était en fait que le premier pas vers la normalisation. L’histoire a en effet montré qu’en Guinée-Bissau, le plus dur n’est pas d’organiser une élection dans des limites acceptables de transparence mais de donner la possibilité au vainqueur d’étaler les axes de son programme sur un mandat entier.

Nuno Gomes Nabiam, le candidat malheureux, était soutenu par l’armée. Leur champion défait, les militaires adopteront-ils cette fois une posture républicaine ? Laisseront-ils au Président élu les coudées franches ? Une interrogation largement partagée mais à laquelle il est difficile de répondre par l’affirmative même si l’actuel homme fort de cette grande muette turbulente, le général Antonio Indjai, a tenu à donner des gages à la communauté internationale. Les plus sceptiques rappellent toutefois qu’au lendemain du scrutin de 2009, il avait pris des engagements similaires avant de tenter et de réussir un coup de force moins d’un an plus tard.

Racine Assane Demba