« Au Burkina, la pauvreté et le chômage s’accroissent alors que les immeubles poussent et les belles voitures circulent ».

  Interview avec Ismaël Compaoré, étudiant à l’université de Ouagadougou, écrivain en herbe et futur journaliste d’investigation.

Bonjour Ismaël, pourrais-tu te présenter aux lecteurs de Terangaweb ?

Je me nomme Ismaël Compaoré, je suis étudiant en deuxième année d’études  philosophiques à l’université de Ouagadougou .Je suis également écrivain en herbe. J’ai vingt-trois ans et j’habite à Ouagadougou. Je suis par ailleurs militant dans une association de la société civile Burkinabé  dénommée le « Mouvement des Sans Voix – Burkina Faso ».

Pourrais-tu nous parler plus précisément de cette association ?

Le Mouvement des Sans Voix est une association de lutte de base qui mène concrètement des luttes sur le terrain pour l’émancipation des masses et surtout des laissés-pour-compte au Burkina. Avec comme devise «  Rien que les droits des peuples », le MSV-BF repose sur quatre principes fondamentaux :

 Informer et former les citoyens sur leurs droits et devoirs pour une prise de conscience collective et participative ;

 Défendre et faire réaliser les droits légitimes du citoyen ;

 Dénoncer et combattre les pratiques antihumanistes de la mondialisation, de la globalisation, du capital financier international et du néocolonialisme ;

 Contribuer au développement socio-économique national à travers des actions concrètes et visibles.

Concernant nos activités concrètes, on peut citer entre autre les thés-débats, les ciné-débats sur des thèmes engagés et participatifs du genre « jeunesse et militantisme », «  quelles stratégies de luttes contre le capitalisme et l’impérialisme? », etc. Nous organisons également des conférences de presse et publiques, des marches et des meetings, etc. Nous travaillons aussi sur l’œuvre historique des résistants et des  martyrs Africains et de la diaspora tels que Thomas Sankara, Patrice Lumumba, Samory Touré, Babemba Traoré, Martin Luther King, etc… et leur  héritage que nous essayons de faire connaître. Nous avons en outre organisé un colloque international en  2009 et un forum en 2010 et il ya la participation du MSV-BF à plusieurs forums nationaux, sous-régionaux et internationaux dont le plus récent fut le forum social mondial de Dakar.

Est-ce que tu pourrais nous parler de la vie étudiante à Ouagadougou ?

La vie de l’étudiant burkinabé n’est pas facile et est surtout parsemée d’obstacles. Mais on se débrouille tant bien que mal pour pouvoir joindre les deux bouts et survivre normalement. Nous faisons face à beaucoup de problèmes : il y a l’instabilité et la durée de l’année académique, le manque et/ou la saturation des amphithéâtres… et on caresse le secret espoir de voir l’université de Ouaga2 – actuellement en construction – s’ouvrir et  recevoir ses premiers étudiants et d’autres universités ouvertes dans d’autres régions du pays pour désengorger ceux déjà existant. Concernant les  allocations de l’Etat, les étudiants sont classés par catégories et par âge. Il ya les boursiers et les non-boursiers. Les bacheliers boursiers de moins de 24 ans bénéficient d’une aide de L’Etat de 150 000 mille francs CFA l’année. Les frais d’inscriptions à l’université s’élèvent à 15 000 francs CFA et il est très difficile pour les étudiants qui n’ont pas accès à cette aide de s’en sortir financièrement, et même pour ceux qui en reçoivent mais qui n’ont plus le soutien des parents. Il y a également des prêts de 200.000 FCFA l’année qui sont octroyés aux étudiants de plus de 24 ans.

Qu’est ce que tu aimerais faire plus tard ?

Passionné d’écriture, j’aimerai un jour en faire un métier. J’ai actuellement à mon actif deux manuscrits, un recueil de poèmes et un recueil de nouvelles, toujours en quête d’édition. Après mes études philosophiques, si tout va bien, j’aimerai faire des études en journalisme et plus particulièrement en journalisme d’investigation. Je pense qu’il y a  plein de dessous-de-table à faire apparaître au grand jour, pour que les vérités cachées soient enfin divulguées afin que la justice sociale ne soit plus un rêve. C’est cela qui m’inspire surtout dans le journalisme : tenter de rendre justice à travers les écrits, rendre le coupable coupable afin que chacun réponde à la hauteur de ses actes et apprenne à s’assumer. J’ai de l’estime et surtout beaucoup de considération pour un journaliste d’investigation Burkinabé très connu de part son engagement, sa dignité et son intégrité, assassiné le 13 décembre 1998 pour ce qu’il écrivait. J’ai nommé Norbert Zongo, qui disait dans une de ses phrases restée célèbre : « quand on a le courage de dire : tuer le ! Ayez le courage de dire : c’est moi qui ai dit de le tuer. »

Comment analyses-tu la situation de ton pays aujourd’hui ?

Concernant la situation politique au Burkina Faso, on a un vrai problème d’alternance politique. La pauvreté et le chômage s’accroissent alors que les immeubles poussent et les belles voitures circulent. Et pourtant,  le développement d’une nation doit se mesurer tant  au niveau social  qu’au niveau infrastructurel. S’il y a plus d’infrastructures luxueuses et que la population à la base dispose encore moins du minimum vital, tellement leur pouvoir d’achat est faible, on ne peut pas parler de développement. Le Burkina Faso figure parmi les pays les plus pauvres et les plus endettés de la planète. Mais des alternatives existent pour changer cet ordre des choses s’il ya une volonté politique. J’ai foi en ce que cela puisse changer un jour pour l’épanouissement et le bonheur  de tous. La situation de l’emploi est très compliquée, même si des efforts sont en train d’être faits et on espère que cela va continuer. Actuellement, pour un Burkinabé et surtout pour un jeune Burkinabé, il n’est pas chose facile de décrocher un emploi. La majorité des diplômés se focalise sur les concours de la fonction publique puisque c’est ce secteur qui recrute le plus. Mais avec les fraudes constatées presque chaque année lors du déroulement de ces concours et l’arrestation de quelques malfaiteurs, cela nous amène à nous poser de plus en plus de questions sur l’avenir de la jeunesse et sur l’emploi particulièrement. Le secteur privé comme dans la majorité des pays africains, recrute peu et le plus souvent on a des difficultés d’accès à l’information.  Le favoritisme existe aussi dans ce secteur, ce qui complique encore la tâche aux diplômés méritants.

Est-ce que tu es confiant en l’avenir ; ton avenir personnel et celui de ton pays ?

Ce dont je suis sûr, c’est que je ne peux plus vivre des situations psychologiques pires que les précédentes, car je pense avoir acquis une certaine maturité. Je suis un optimiste convaincu et je suis certain que l’avenir nous réserve plein de surprises agréables, si on sait bien sûr les distinguer et les saisir. Surtout si on fait usage de l’intégrité, du courage et de la détermination dont dispose chaque homme, on pourra déplacer des montagnes pour un développement exemplaire.

Quelles seraient tes solutions ou tes propositions pour le développement de l’Afrique ?

L’Afrique a besoin de gouvernements et de sociétés civiles intègres, dignes et responsables. Elle souffre surtout d’une  ingérence étrangère et de la balkanisation de ses frontières. Un affranchissement mental et une responsabilité collective sont donc nécessaires. L’Afrique doit savoir prendre le développement à sa source en commençant par  la mise en valeur du secteur agricole. On doit apprendre à exploiter nos marchés et pour les exploiter on doit encourager et subventionner les agriculteurs locaux, construire des usines pour favoriser la transformation sur place et enfin consommer ce que nous produisons. Comme le disait si bien Thomas Sankara «  produisons ce que nous consommons et consommons ce que nous produisons  ». L’exploitation des ressources naturelles africaines doit être assurée par des Africains pour que chacun puissent bénéficier d’une manière ou d’une autre de ces richesses. Il faut aussi favoriser l’émergence d’un marché africain et d’une Union africaine véritable. Cette  union naîtra des cendres de la désunion actuelles. L’Afrique reprendra sa  place tant attendue et pourra bercer à nouveau ses enfants et reprendre véritablement sa place de mère de l’humanité.

 Interview réalisée par Emmanuel Leroueil