« Case Départ » est un film que je n’avais pas du tout l’intention de voir, en cette période où un racisme pernicieux suinte de blagues pas drôles, mais qui reviennent de plus en plus souvent au nom de la liberté d’expression, et dont on doit rire de peur de se voir reprocher son manque d’humour. Je craignais que ce film ne reprenne tous les clichés du genre, avec des blagues grasses à chaque scène, ou, au contraire, avec de petites blagounettes consensuelles qui feraient glousser quelques esprits bien-pensants, sans réellement aller au fond du sujet. Je me disais qu’à la limite je le verrai sur TF1, quand il sera rediffusé pour la douzième fois un dimanche soir pluvieux, si je n’ai rien à faire. Mais quelques retours positifs sur le film me poussèrent à aller le voir. C’est ainsi donc que je me retrouvai dans une salle de cinéma, coincé entre un jeune couple et un trio de kékés qui ont passé tout le film à chahuter – ces cinq charmantes personnes réussiront d’ailleurs l’exploit de se battre entre eux en plein film, ce qui m’a coûté deux minutes de concentration à un moment important de l’intrigue… Tout ça pour dire que je m’attendais donc à voir un navet, mais ce fut un peu plus compliqué que ça.
« Case Départ », c’est l’histoire de deux frères antillais vivant en France, Joël et Régis, qui ne se sont pas vus depuis vingt ans et qui ont pris des chemins opposés dans la vie. Joël, interprété par Thomas Ngijol, est un jeune oisif fraîchement sorti de prison qui vit chez sa mère, passe son temps à pester contre un système dont il s’exclut au nom de la « cause noire », et rackette la meilleure amie de sa fille pour payer l’amende que lui ont collé les contrôleurs de bus. Régis – Fabrice Éboué, de son coté, est un conseiller municipal propre sur lui, qui se veut « assimilé », et qui pour le coup, n’hésite pas à déguster du cantal avec son pinard à table, rabroue les Africains qui viennent piquer le travail des français, rit des blagues douteuses du maire de sa commune, mettant ainsi son couple en péril, sa femme ne le reconnaissant plus. Les deux frères sont convoqués aux Antilles par leur vieux père mourant qui leur confie le trésor de la famille, la lettre d’affranchissement de leur ancêtre esclave. Dépité, les deux hommes déchirent la lettre et, frappés d’une malédiction, se retrouvent catapultés au XVIIIème siècle, confrontés à l’esclavage et aux réalités de l’époque…
Autant le dire tout de suite, le film m’a affreusement ennuyé pendant les trente premières minutes, lorsque les deux protagonistes sont encore en 2011. Les scènes censées animer mes exigeantes zygomatiques souffraient d’un terrible air de « déjà-vu » On n’assiste là qu’à une succession de poncifs habituels sur les jeunes des cités et les petits « nègres assimilés ». Par contre, dès lors qu’ils débarquent en 1780, le rythme du film change, les gags s’enchaînent ; ils ne sont pas toujours du meilleur goût, mais le décalage entre les deux personnages et l’époque reste hilarant !
Au-delà de l’humour et de certaines vannes à rallonge – notamment une scène immonde d’aide à la procréation à la sauce « XVIIIème siècle » – qui témoignent de l’inexpérience de l’équipe, le spectateur arrive à saisir les messages qui lui sont destinés ; Ngijol et Éboué prennent vite leur aise devant la caméra, et torpillent tous les poncifs qu’ils ont pourtant allègrement distillés au début du long-métrage, avec un sadisme parfois jouissif. À la fois acteurs, scénaristes et coréalisateurs du film, on leur pardonne alors plus aisément le jeu d’acteur parfois très cabotin, les gros plans redondants et les inutiles plans rapprochés façon blockbuster hollywoodien, les scènes ennuyeuses qui durent une éternité – l’agonie de leur père – et quelques incohérences qui témoignent d’un certain manque de rigueur dans l’écriture. La végétation cubaine – lieu du tournage– est magnifique, et fait bénéficier au film une certaine crédibilité. À cela s’ajoute une très belle bande originale. On aurait pu craindre le pire, car, à la réalisation, ils sont assistés par Lionel Steketee, qui en France aura travaillé sur des navets aussi innommables que Lucky Luke –avec Lambert Wilson, Fatal – avec Mickaël Youn… Mais finalement, le trio tire bien son épingle du jeu.
Le projet des deux anciens membres du Jamel Comedy Club était ambitieux, et ils s’en sortent plutôt pas mal. Bien sûr, « Case Départ » aura souffert de l’inexpérience de ses auteurs, mais ne trahit à leur réputation d’humoristes caustiques porteurs de message. Ngijol et Éboué font une entrée plutôt honorable dans le monde du cinéma, en espérant qu’ils restent sur la même lancée, tout en affinant leur jeu et leur écriture au fil du temps. Démentant la fameuse loi de la « première fois », l’expérience se révèle bien moins pénible, moins douloureuse que prévue – non, je vous vois venir, je n’ai pas participé au scénario du film…
Souleymane LY