Variations sur une urgence

“I'll be everywhere. Wherever you can look – wherever there's a fight, so hungry people can eat, I’ll be there. Wherever there's a cop beatin' up a guy, i'll be there. I'll be in the way guys yell when they're mad.”

John Steinbeck, The Grapes of Wrath

Appelons ça la « division interrégionale des malheurs » : Afrique occidentale (guerres civiles à caractère ethnique), Afrique centrale (génocides interethniques à caractère économique), Afrique Australe (corruption et Sida), Afrique du Nord (menaces islamistes), Afrique de l’est (famine). C’est simple, facile à ranger, facile à penser. Le journal s’ouvre sur « crise au Malawi », on sait à peu près autour de quoi ça va tourner ou « affrontements sanglants en Guinée », on complète la phrase « Peulhs contre malinkés – ou l’inverse.» Mais dans cette sinistre classification, admettons que la Corne de l’Afrique se distingue par sa « persévérance » : ça fait vingt ans que des gens y meurent ou s’apprêtent à y mourir de faim. Au bout d’un moment… On s’en fiche un peu.

 

Savons-nous encore ce que signifie un million de morts ? Je ne parle pas d’un millions d’exécutés ou de gazés. Un million de gens qui meurent patiemment, sans cris et sans larmes (le corps se protège et retient toute l’eau qu’il peut). Des hommes qui tombent et ne se relèveront plus ? En 1984-85, un millions de gens moururent en Éthiopie. Il a fallu ça pour décider le « monde » à réagir, en commençant par une chansonnette et des concerts. Au fond, la famine en Afrique de l’est, c’est ça : un refrain.

 

Douze millions de gens, en Éthiopie (encore ?), au Kenya et surtout en Somalie sont menacés, depuis début juillet par la plus sévère sécheresse connue sur le continent, depuis soixante ans. Quatre millions d’entre elles sont en situation de détresse alimentaire grave. 750.000 risquent, à très court terme de mourir. Seuls 40% des enfants dans les camps de réfugiés pourraient survivre (j’adore le « pourraient » – vous mesurez le risque quand même ? Ils « risquent » de survivre !!). L’aide arrive, « molo molo » comme ils disent à Abidjan (piano piano). Ils ont trouvé un joli mot pour décrire le phénomène : « aid fatigue » (je traduirais par « la lassitude du cœur).

 

Quelques dizaines de milliers d’hommes avaient péri avant que l’alerte ne fut lancée. Trois mois déjà. Les dons se font attendre. Certains donateurs (États-Unis en tête) attendent un signal (le demi million de morts ?) avant de débourser les aides promises. Le Royaume Uni a débloqué 59 millions d’euros, la Norvège 50, l’Espagne 25, la France… 10 ! (Vous vous souvenez de « l’homme Africain » etc. ? Bah, c’est la seconde partie du discours, coupée au montage, qu’on nous livre maintenant).

 

La Somalie ne m’empêche pas de dormir. Vous non plus d’ailleurs. Ce n’est pas grave. Quand il faudra ensevelir un million de corps desséchés, on trouvera toujours de quoi payer bulldozers et pelles géantes. Et sur les fosses communes, en guise d’épitaphe, on pourra toujours apposer « désolé, j’avais donné pour Haïti !»

Pour ceux qui veulent agir (ça coûte moins qu’un paquet de cigarettes), il y a encore :

https://fr.wfp.org/donate/dons/cornedelafrique

https://dons.actioncontrelafaim.org/don-urgence?codemailing=11PI39

et d’autres liens ici : http://www.europe1.fr/International/Famine-en-Somalie-a-qui-donner-644461/

Joël Té-Léssia