Les enjeux de l’arachide au Sénégal

Le mot « arachide » provient de « arachidna » une plante originaire du Brésil et du Pérou. Pourtant c’est le terme « cacahuète » qui aurait été plus précis pour designer cette plante oléagineuse mesurant 75 cm au plus et dont le cycle végétatif dure 3 mois environ. L’arachide est la 4ème plante alimentaire mondiale après le riz, le maïs et le blé. Le 1er producteur mondial d’arachide est la Chine, suivi de l’Inde, de l’Argentine et des Etats-Unis. Le Nigéria est le 1er producteur d’arachide en Afrique. Le choix de la filière arachidière au Sénégal s’explique par sa spécificité tant dans son introduction au XIXe par les colonisateurs Français que par son essor et son importance dans l’économie du pays.

L’arachide est introduite au Sénégal vers la fin de la 1ère moitié du XIXe siècle. Son introduction s’explique principalement par des raisons économiques que sont l’abolition de la traite négrière et le déclin de l'exploitation de la gomme arabique. L’exploitation de l'arachide devient une économie de substitution pour les colons Français, qui l'appellent symboliquement « Or du Sénégal » pour la couleur jaune de sa fleur et la richesse qu’elle représente. En moins d’un siècle, la culture de l’arachide va profondément bouleverser l’organisation socio-économique de plus d’un tiers de la population du pays. Le Sénégal est entre autre qualifié de pays de monoculture extrême, au point qu’une autorité du pays laissait un jour entendre que lorsque l’arachide se porte bien tout va bien.

Les dangers de la monoculture

La monoculture entraîne une perte de la biodiversité. Or, cette dernière est fondamentale pour le système du Vivant et son équilibre. Sur 1m² de surface naturelle vivent normalement des bactéries, des insectes, des végétaux, etc. Toutefois, quand l’Homme y plante de l’arachide, par exemple, et traite les sols avec des intrants artificiels, cette bande de sol s’appauvrit à long terme et au final elle ne capte qu’une petite partie de l’ensemble des éléments chimiques qui devraient naturellement y être présents. Le sol s’appauvrit alors. De plus en Afrique, les sols sont qualifiés de « vieux » et se dégradent vite contrairement aux sols en Europe où le climat est tempéré et les terres « jeunes ». Malgré de possibles avantages économique en termes de faciliter d'exploitation et de commercialisation, la monoculture a pour conséquence d'appauvrir les sols, de baisser les rendements et donc d'atrophier les économies des pays africains qui la pratiquent depuis plus d'un siècle.

Les facteurs de crise de la filière arachide au Sénégal

Même si le pays de la Teranga (hospitalité en langue Wolof) ne figure pas parmi les premiers producteurs mondiaux d’arachide, il est tout de même le 1er producteur d’huile d’arachide. Le Sénégal n’en demeure pas moins importateur d’huile de tournesol. "En 2005, plus de 250.000 tonnes de graines récoltées ont été vendues aux industriels locaux qui ont produit plus de 80.000 tonnes d'huile. 95% de cette huile est exportée, ce qui place le Sénégal au rang de premier exportateur mondial d'huile brute et procure un revenu en devises de plus de USD 90 millions" (Site Suneor). Les principaux acteurs de cette filière sont essentiellement les producteurs, les distributeurs et les commerçants. Les transformateurs peuvent aussi être ajoutés, surtout avec la délocalisation au Sénégal de la transformation d'arachide par la firme Lesieur pendant la seconde guerre mondiale. Qu’ils soient paysans, propriétaires terriens, chefs religieux tout simplement saisonniers, les acteurs de la production ont été et demeurent aujourd’hui encore les acteurs les plus faibles de la filière. Victimes et quelquefois coupables, ils souffrent de la spéculation des acheteurs, des prix fixés sans leur consultation, de bons impayés, des fluctuations du marché intérieur et extérieure, des politiques libérales de l’Etat et des mesures prônées dans le cadre des plans d’ajustement structurel des institutions financières internationales : Banque Mondiale et Fond Monétaire Internationale.

Sous le prisme des producteurs, le constat est effrayant : le secteur est en crise. Celle-ci ne date pas d’aujourd’hui. Les maux qui gangrène la filière remontent à ses débuts et pourtant perdurent. En 2001, l’Etat dissout la Sonagraine et libéralise la collecte, alors que l’histoire a déjà montré les limites de cette libéralisation. Bons impayés de la part des intermédiaires ou collecteurs, méfiance et spéculation, prix de la production bradés dans les loumas (marchés hebdomadaires) à des niveaux atteignant parfoit la moitié du prix fixé par l’Etat. La mauvaise gestion des semences et des récoltes des paysans les entraîne dans un cercle infernal de dettes. La culture de l’arachide épuise et appauvrit les sols, poussant les paysans à augmenter les surfaces cultivés. Les sols sont en danger et les terres sont bradées aux étrangers. La surproduction se couple au déficit ou à l'inadaptation des lieux de stockage. Enfin des politiques agricoles incohérentes, parfois soumises au diktat extérieur,  sans oublier la baisse du cours des matières premières depuis 1970, sont à ajouter aux facteurs de crise de la filière arachide au Sénégal. Face à ce constat, que faire ?

Les solutions de crise

L’Etat comme les producteurs doivent entamer la sortie de la monoculture de rente, valoriser et diversifier les utilisations de l’arachide, produit dont la  plante comme la coque et le fruit peuvent servir de nourriture à l’Homme ou aux bêtes de somme. De plus, il convient de renouer le dialogue social et la coopération entre les producteurs, les intermédiaires, l'Etat et les bailleurs sociaux internationaux. Cela passe par une meilleure protection des marchés locaux  est des revenus des producteurs. Toute solution devra passer par la mobilisation consentante des producteurs locaux. L’épanouissement à partir de la base, voilà le défi que l’Afrique, et l’humanité en général, doit relever pour son progrès, et aujourd’hui sa survie.

 

Enghoungban Séraphin Georges IVANHOE, article initialement paru chez notre partenaire Njaccar