Les enjeux de l’arachide au Sénégal

Le mot « arachide » provient de « arachidna » une plante originaire du Brésil et du Pérou. Pourtant c’est le terme « cacahuète » qui aurait été plus précis pour designer cette plante oléagineuse mesurant 75 cm au plus et dont le cycle végétatif dure 3 mois environ. L’arachide est la 4ème plante alimentaire mondiale après le riz, le maïs et le blé. Le 1er producteur mondial d’arachide est la Chine, suivi de l’Inde, de l’Argentine et des Etats-Unis. Le Nigéria est le 1er producteur d’arachide en Afrique. Le choix de la filière arachidière au Sénégal s’explique par sa spécificité tant dans son introduction au XIXe par les colonisateurs Français que par son essor et son importance dans l’économie du pays.

L’arachide est introduite au Sénégal vers la fin de la 1ère moitié du XIXe siècle. Son introduction s’explique principalement par des raisons économiques que sont l’abolition de la traite négrière et le déclin de l'exploitation de la gomme arabique. L’exploitation de l'arachide devient une économie de substitution pour les colons Français, qui l'appellent symboliquement « Or du Sénégal » pour la couleur jaune de sa fleur et la richesse qu’elle représente. En moins d’un siècle, la culture de l’arachide va profondément bouleverser l’organisation socio-économique de plus d’un tiers de la population du pays. Le Sénégal est entre autre qualifié de pays de monoculture extrême, au point qu’une autorité du pays laissait un jour entendre que lorsque l’arachide se porte bien tout va bien.

Les dangers de la monoculture

La monoculture entraîne une perte de la biodiversité. Or, cette dernière est fondamentale pour le système du Vivant et son équilibre. Sur 1m² de surface naturelle vivent normalement des bactéries, des insectes, des végétaux, etc. Toutefois, quand l’Homme y plante de l’arachide, par exemple, et traite les sols avec des intrants artificiels, cette bande de sol s’appauvrit à long terme et au final elle ne capte qu’une petite partie de l’ensemble des éléments chimiques qui devraient naturellement y être présents. Le sol s’appauvrit alors. De plus en Afrique, les sols sont qualifiés de « vieux » et se dégradent vite contrairement aux sols en Europe où le climat est tempéré et les terres « jeunes ». Malgré de possibles avantages économique en termes de faciliter d'exploitation et de commercialisation, la monoculture a pour conséquence d'appauvrir les sols, de baisser les rendements et donc d'atrophier les économies des pays africains qui la pratiquent depuis plus d'un siècle.

Les facteurs de crise de la filière arachide au Sénégal

Même si le pays de la Teranga (hospitalité en langue Wolof) ne figure pas parmi les premiers producteurs mondiaux d’arachide, il est tout de même le 1er producteur d’huile d’arachide. Le Sénégal n’en demeure pas moins importateur d’huile de tournesol. "En 2005, plus de 250.000 tonnes de graines récoltées ont été vendues aux industriels locaux qui ont produit plus de 80.000 tonnes d'huile. 95% de cette huile est exportée, ce qui place le Sénégal au rang de premier exportateur mondial d'huile brute et procure un revenu en devises de plus de USD 90 millions" (Site Suneor). Les principaux acteurs de cette filière sont essentiellement les producteurs, les distributeurs et les commerçants. Les transformateurs peuvent aussi être ajoutés, surtout avec la délocalisation au Sénégal de la transformation d'arachide par la firme Lesieur pendant la seconde guerre mondiale. Qu’ils soient paysans, propriétaires terriens, chefs religieux tout simplement saisonniers, les acteurs de la production ont été et demeurent aujourd’hui encore les acteurs les plus faibles de la filière. Victimes et quelquefois coupables, ils souffrent de la spéculation des acheteurs, des prix fixés sans leur consultation, de bons impayés, des fluctuations du marché intérieur et extérieure, des politiques libérales de l’Etat et des mesures prônées dans le cadre des plans d’ajustement structurel des institutions financières internationales : Banque Mondiale et Fond Monétaire Internationale.

Sous le prisme des producteurs, le constat est effrayant : le secteur est en crise. Celle-ci ne date pas d’aujourd’hui. Les maux qui gangrène la filière remontent à ses débuts et pourtant perdurent. En 2001, l’Etat dissout la Sonagraine et libéralise la collecte, alors que l’histoire a déjà montré les limites de cette libéralisation. Bons impayés de la part des intermédiaires ou collecteurs, méfiance et spéculation, prix de la production bradés dans les loumas (marchés hebdomadaires) à des niveaux atteignant parfoit la moitié du prix fixé par l’Etat. La mauvaise gestion des semences et des récoltes des paysans les entraîne dans un cercle infernal de dettes. La culture de l’arachide épuise et appauvrit les sols, poussant les paysans à augmenter les surfaces cultivés. Les sols sont en danger et les terres sont bradées aux étrangers. La surproduction se couple au déficit ou à l'inadaptation des lieux de stockage. Enfin des politiques agricoles incohérentes, parfois soumises au diktat extérieur,  sans oublier la baisse du cours des matières premières depuis 1970, sont à ajouter aux facteurs de crise de la filière arachide au Sénégal. Face à ce constat, que faire ?

Les solutions de crise

L’Etat comme les producteurs doivent entamer la sortie de la monoculture de rente, valoriser et diversifier les utilisations de l’arachide, produit dont la  plante comme la coque et le fruit peuvent servir de nourriture à l’Homme ou aux bêtes de somme. De plus, il convient de renouer le dialogue social et la coopération entre les producteurs, les intermédiaires, l'Etat et les bailleurs sociaux internationaux. Cela passe par une meilleure protection des marchés locaux  est des revenus des producteurs. Toute solution devra passer par la mobilisation consentante des producteurs locaux. L’épanouissement à partir de la base, voilà le défi que l’Afrique, et l’humanité en général, doit relever pour son progrès, et aujourd’hui sa survie.

 

Enghoungban Séraphin Georges IVANHOE, article initialement paru chez notre partenaire Njaccar

Idrissa Seck, prétendant à la présidence de la République du Sénégal

Dès la création du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) en 1974, le jeune Idrissa Seck, alors âgé de 15 ans, devient militant aux côtés d’Abdoulaye Wade. Le jeune Seck gravit rapidement les échelons et devient le directeur de campagne du candidat Abdoulaye Wade lors des élections présidentielles de février 1988. Il sera d’ailleurs emprisonné à la maison d’arrêt de Reubeus au lendemain de ces élections émaillées de violences. Alors que plusieurs poids lourds du PDS (Ngom, Dias, Serigne Diop) quittent le parti dans les années 90, Seck en devient le seul vrai numéro deux derrière l’inusable Wade. A la faveur d’un accord consacrant l’entrée du PDS dans un gouvernement élargi, « Idy » -comme l’appellent ses compatriotes- devient Ministre du Commerce et de l’Industrialisation en mars 1995. Il quittera son poste en mars 1998, préparant le terrain pour une nouvelle candidature d’Abdoulaye Wade en vue des Présidentielles de 2000.

L’Homme de l’ombre (1999-2002) :

Alors que l’opposant Wade décide de s’offrir une préretraite en France après plus de 25 ans d’opposition, Idrissa Seck le convainc de (re)venir livrer un dernier combat politique. En effet, encouragé par les nombreuses fissures de l’édifice socialiste (défections de Moustapha Niasse et Djibo Kâ notamment) Idy est persuadé que l’heure du PDS et de son leader Wade est arrivée. Endossant le rôle de directeur de campagne pour son « père » comme il aime à appeler Wade , Seck initie avec son mentor les fameuses marches bleues lors de la campagne de 2000. Avec l’élection de Wade au second tour face au sortant Diouf, de nombreux observateurs s’attendaient à une entrée remarquée d’Idrissa Seck dans le premier gouvernement de l’alternance. Cependant, désireux de couver son bras droit, le Président Wade le garde à ses côtés en le nommant au poste peu médiatisé de directeur de cabinet. Cantonné au Palais Présidentiel mais bénéficiant également d’un portefeuille de ministre d’Etat (ce qui confère à son titulaire la capacité de traiter directement avec le Président de la République), Idrissa Seck n’en est pas moins un des poids lourds du régime. Il favorise l’ascension de jeunes cadres du PDS comme Macky Sall ou Awa Gueye Kébé et voit se succéder deux premiers ministres en à peine deux ans d’alternance, à savoir Moustapha Niasse dont les voix avaient été décisives dans la victoire de Wade en 2000 et Mame Madior Boye, la première femme à occuper le poste de Premier Ministre au Sénégal.

De Premier Ministre à Premier Ennemi (2002-2007) :

Alors que Wade fait le vide autour de lui en écartant ses alliés de 2000, Seck devient tout naturellement le candidat désigné à la primature. Sa nomination à ce poste a lieu en Novembre 2002. En succedant à Mame Madior Boye, le Premier Ministre Idrissa Seck se positionne clairement en numéro deux de l’Etat et en potentiel successeur de Wade. Alors que ses ambitions politiques grandissent au fur à mesure qu’il s’installe dans son rôle, Seck est débarqué de son poste de premier ministre par Wade en Avril 2004, soit un an et demi après son arrivée à la primature. Fier de son bilan notamment en ce qui concerne les grabs de convergence et les infrastructures, Idrissa Seck se retire dans sa ville de Thies (il en est le maire) dont il avait piloté la rénovation en vue des festivités de l’Indépendance.

Ces travaux publics seront à l’origine de sa mise en accusation par l’Etat en Juillet 2005. Idrissa Seck est alors officiellement poursuivi pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » puis pour corruption et malversations financières dans l’affaire des « chantiers de Thiès » et la gestion des fonds politiques. Plongé dans la tourmente, Seck est exclu du PDS en août 2005 et passera un peu plus de 6 mois en prison, toujours à la maison d’arrêt de Reubeus. En janvier puis en février 2006, Idrissa Seck bénéficie tour à tour d’un non-lieu pour le délit d’atteinte à la sureté de l’Etat puis d’un autre pour la gestion des fonds secrets. Libéré dans la foulée de ces décisions, Idrissa Seck annonce , le 4 avril 2006, sa candidature pour la présidentielle de 2007. « Idy » crée ensuite son propre parti « Rewmi » (« le Pays » en Wolof) en Septembre 2006. Il se lance dans la course à la présidentielle tout en annonçant que son compagnonnage avec Wade est désormais derrière lui.

Idrissa Seck arrive second de l’élection présidentielle, remportée haut la main par le sortant Abdoulaye Wade (55% au 1er tour). Plusieurs analystes politiques estiment cependant qu’Idrissa Seck, qui se dit convaincu d’être le « 4eme Président de la République du Sénégal », a laissé passer sa chance avec cette élection, notamment à cause de ses retrouvailles à la veille des élections avec le président Wade. En effet, Wade accorde trois audiences à Seck en fin Janvier 2007, moins d’un mois avant le 1er tour de la présidentielle. Au sortir d’une de ces audiences, Abdoulaye Wade annonce qu’ « Idrissa Seck a accepté de réintégrer le Parti Démocratique Sénégalais ». Seck confirmera cette information le 1er Février 2007 tout en annonçant son intention de maintenir sa candidature pour la présidentielle.

Retrouvailles, tensions et ambitions présidentielles (2007-2011) :

Le jeu des tensions/retrouvailles ne s’arrête pas puisque le président Wade, fort de sa réélection, annonce en mars 2007 la réouverture des dossiers de corruption contre quelques leaders de l’opposition, en tête desquels se trouve Idrissa Seck. Cela n’empêchera pas Idy de féliciter le candidat victorieux Wade, dans une posture jugée à mi-chemin entre celle d’homme d’Etat et celle d’homme politique sous pression, notamment à cause des poursuites judiciaires dont il est l’objet. D’abord accusé par Wade d’avoir détourné 40 Milliards de FCFA (un peu plus de 60 millions d’euros), Seck se réconcilie avec son mentor en janvier 2009, malgré la forte opposition de plusieurs membres du PDS et la Génération du Concret, mouvement formé autour de Karim Wade.

Après une nouvelle victoire aux municipales de Thiès en mars 2009, Seck est totalement blanchi par la justice sénégalaise en mai 2009 à la faveur d’un « non lieu total » dixit ses avocats. Il dissout ensuite son parti Rewmi et réintègre officiellement le PDS, ce qui provoquera quelques levés de boucliers au sein de ses partisans rewmistes. Un temps pressenti pour redevenir premier ministre, voire vice-président (un poste dont il a été question de créer constitutionnellement avant que le projet soit abandonné), Idrissa Seck se contente d’être un membre du comité directeur du PDS, l’instance regroupant tous les poids lourds du parti au pouvoir. N’ayant pas délaissé son ambition de devenir le prochain Président de la République , Idrissa Seck change de stratégie par rapport à 2007 et tente de se présenter en tant que candidat du PDS, « sa famille naturelle » comme il aime à le rappeler.

Barré par Wade qui a annoncé sa candidature des 2009, mais aussi par de nombreux cadres du PDS qui ne souhaitent pas son retour aux affaires, Seck se radicalise et engage un débat interne sur la recevabilité de la candidature du « pape du Sopi » c’est-à-dire d’Abdoulaye Wade. Après plusieurs mois de joutes verbales par presse interposée, Seck et ses adversaires au sein du PDS finissent par solder leurs comptes lors d’un comité directeur où l’exclusion définitive d’Idrissa Seck est votée. Confirmée en avril 2011, l’exclusion d’Idrissa Seck du parti au pouvoir l’a poussé à annoncer sa candidature pour l’élection présidentielle de 2012. Si la candidature d’Abdoulaye Wade est validée par le Conseil Constitutionnel, Idrissa Seck fera donc à nouveau face à son « père » lors d’une élection présidentielle.

Idrissa Seck en 2012

Points forts : Une figure connue des Sénégalais, une grande expérience politique malgré sa relative jeunesse (53 ans), un bastion électoral d’envergure (la ville de Thies), une bonne image à l’international, un bon communicant, une frange du PDS lui est encore acquise.

Points faibles : Ses multiples allers-retours auprès du Président Wade, la suspicion populaire sur ses moyens de campagne et l’argent des fonds politiques, la grogne de ses administrés thiessois, son non-positionnement dans un des deux grands blocs (Benno Siggil Sénégal (Opposition) et PDS/AST (Pouvoir), son statut d’ancien du PDS à l’heure où le parti au pouvoir est en perte de vitesse.

Affinités politiques et alliances probables : Idrissa Seck est un libéral : il l’a toujours dit et répété. Même du temps de son grand froid avec Wade, il n’était pas réellement l’allié des opposants phares que sont le PS, l’AFP, le FSD/BJ. Sa tentative avortée de retour au PDS montre bien qu’Idrissa Seck se méfie de l’opposition comme celle-ci se méfie de lui. Il pourrait cependant retrouver dans celle-ci son ancien camarade de parti Macky Sall, lui aussi ancien premier ministre PDS déchu. D’autres personnages comme Cheikh Tidiane Gadio (Ministre des Affaires Etrangères de 2000 à 2009) et Aminata Tall (ancienne responsable nationale des femmes du PDS et Secrétaire générale de la Présidence) pourraient venir gonfler cette alliance. Plus récemment le nom d’Ibrahima Fall, ancien Ministre socialiste et haut fonctionnaire des Nations-Unies, lui aussi candidat en 2012, a été évoqué en vue d’une probable alliance avec Seck. Enfin, l’hypothèse d’un nouveau retour au PDS n’est pas à exclure, notamment si la candidature de Wade est invalide, comme Seck l’affirme.

Article de notre partenaire Njaccar

Tous droits réservés. Ce dossier ainsi que l’ensemble des dossiers de la série « Qui voter en 2012 » sont l’exclusive propriété de l’Association Njaccaar VisionnaireAfricain. La reproduction et la diffusion sont permises à condition d’en citer expressément la source. La Cellule Economique et Politique de Njàccaar VisionnaireAfricain vous remercie. A bientôt pour un nouveau dossier « Qui voter en 2012 ? ».

Quelle maîtrise de la hausse mondiale des prix alimentaires en Afrique de l’Ouest ?

La réaction des autorités gouvernementales en Afrique de l'Ouest suite à la flambée des prix alimentaires mondiaux en 2007-08, a été prompte et immédiate du fait des manifestations de mécontentement des consommateurs urbains. Les décideurs de la sous-région ont apporté des réponses variées dans le court terme, en mettant en œuvre des mesures d’urgence comme la suspension des droits de douane et/ou de la TVA, la fixation et le contrôle des prix de produits de première nécessité, les subventions à la consommation, ou l’interdiction d’exporter des denrées alimentaires.

Cet article examine ces mesures, analyse leur répercussion sur les marchés intérieurs et évalue leur efficacité par rapport aux objectifs qui leur ont été assignés. Il s’inscrit dans le cadre d’une étude réalisée par les systèmes d’information sur les marchés (SIMs),sous la supervision technique de PROMISAM/Michigan State University, réalisée en janvier 2010 avec le financement de « la Fondation Syngenta pour une Agriculture Durable ». L’étude a couvert le Burkina, la Guinée-Conakry, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger et le Sénégal. Ces pays sont pour la plupart très dépendants des importations de riz.

Impact des exonérations de taxes sur les importations

Au Mali, les exonérations de taxes sur les importations ont porté sur le riz avec la suppression de la TVA et des droits de douanes en 2008 et 2009. Ces mesures ont eu un effet sur les prix à la consommation du riz importé, peu d’impact sur celui du riz local et un effet stabilisateur sur le prix à la consommation des céréales sèches (Cf. Efficacité des politiques de stabilisation des prix alimentaires en Afrique de l’ouest, Galtier, 2009). Au Niger, la détaxation sur le riz et le sucre s’est soldée par un manque à gagner d’environ 12 milliards de Fcfa en 2008, sans grand effet sur le niveau des prix. Au Burkina, de février à mars 2008, le gouvernement a pris des mesures de suspension des droits de douane à l’importation du riz, du sel, des produits à base de lait ainsi que la suspension de la TVA sur le blé dur. Mais l’inflation générale n’a pas été combattue pour autant. En Côte d'Ivoire, des allègements fiscaux significatifs ont été consentis sur le riz, la viande, le lait, l’huile de palme raffinée, la tomate, le sucre, la farine et le poisson. Au Sénégal, la suspension des droits de douane de 10 % sur le prix du riz à partir de 2007 a été insignifiante pour juguler une hausse de prix de 60% et a engendré un manque à gagner de l’ordre de 30 milliards de Fcfa sur la période allant de juillet 2007 à mars 2008. En Guinée, ce sont environ 22 milliards de FG de manque à gagner enregistrés sur les droits de douane sur les importations de riz.

En résumé, bien qu’adaptées à la situation d’inflation «importée », les exonérations sur les importations ont eu peu d'impact sur le niveau des prix domestiques. De plus, la charge a pesé lourdement sur les finances publiques. Ces résultats militent en faveur de la mise en place de filets de sécurité ciblés dont l’objectif est d’apporter une réponse pérenne à l’instabilité des prix alimentaires.

Impact des prohibitions des exportations

La prohibition systématique des exportations a été une politique assez couramment utilisée en Afrique dans les situations de crise alimentaire. Bien que plusieurs pays de la sous-région aient eu recours formellement ou informellement à cette forme de restriction, peu de pays ont en réalité réussi à réduire les prix domestiques et à garantir un accès aisé aux denrées de première nécessité à leurs populations. Au Mali, un des pays ayant officiellement reconnu avoir utilisé cette politique, l’effet de la prohibition a eu un effet mitigé sur le prix à la consommation du riz et des céréales sèches. En effet, cette mesure a été contournée par certains opérateurs et des taxes informelles ont été perçues au détriment des caisses de l’Etat. De même, les périodes de prohibition de juillet à septembre 2007 et de janvier à novembre 2008 n’ont pas empêché les prix à la consommation en général de grimper au niveau de la plupart des marchés transfrontaliers avec un effet dépressif sur les prix à la production.

Selon Diarra et Dembélé [Cf. Reconnaissance rapide sur l’impact des restrictions à l’exportation des céréales en 2008 au Mali, 2008), cette mesure a entrainé une hausse des stocks de l’ordre de 10000 tonnes de maïs à Sikasso et Koutiala et 200 tonnes de mil à Niono en partance pour la Mauritanie. Paradoxalement, la mesure n’a également pas empêché un accroissement des transactions de céréales entre le Mali et le Niger d’une part et le Mali et le Sénégal d’autre part. Les flux de maïs du Mali et de la Côte d’Ivoire sont passés de 8384 tonnes à 10810 tonnes. Selon la plupart des analystes, les restrictions aux exportations n’empêchent pas en réalité la sortie de céréales aussi longtemps que les écarts de prix entre pays voisins incitent au commerce. L’expérience vécue au Mali en est une parfaite illustration.

Impact du soutien à la production

L’idée du soutien à la production repose sur l’hypothèse qu’un meilleur accès aux intrants augmentera la production qui à son tour fera baisser les prix. Pour faire face à la crise alimentaire mondiale, la plupart des pays ont invoqué l'objectif d’autosuffisance alimentaire afin de réduire leur dépendance aux importations. Au Sénégal, la grande offensive pour la nourriture et l’abondance (GOANA) a visé la production de 2 millions de tonnes de maïs, 3 millions de manioc, 500000 tonnes de riz, 2 millions de céréales sèches… pour un coût estimé à environ 344 milliards Fcfa. Au Mali, le gouvernement a fixé un objectif de production de 1 million de tonnes de riz marchand pour un coût évalué à environ 42, 6 milliards Fcfa pour rendre disponible à des coûts abordables les intrants (vente d'engrais à crédit, semences subventionnées à 60%) et les équipements agricoles. Au Burkina, durant la campagne 2009-2010, environ 100000 ha de riz ont été emblavés pour une production estimée de 300000 tonnes, soit 20% de hausse par rapport à l’année précédente. L’objectif est de faire baisser les prix au consommateur tout en évitant une trop forte baisse des prix au producteur.

Mais, l’expérience a souvent démontré que cette politique s’avère difficile à mettre en œuvre (retard dans l’approvisionnement, qualité des intrants, faible accompagnement par la vulgarisation). Au Mali, l’initiative riz a entrainé une augmentation significative de la production et de l’offre de riz sur les marchés mais malgré cette offensive, les prix à la consommation du riz, du mil et du sorgho ont connu une relative hausse entre mai et septembre 2009. Seul le prix du maïs a connu une certaine stabilité durant la période. Au niveau de la plupart des pays étudiés, la politique des subventions aux intrants a été coûteuse et les technologies utilisées peu performantes. Dans certains cas, les problèmes de gouvernance dans la fourniture des intrants ont plutôt servi à entretenir des réseaux clientélistes (Galtier, 2009) au détriment des effets de stabilisation recherchés.

Effets des stocks publics et privés

Les stocks publics consistent à gérer les excédents et les déficits. Une bonne récolte ou succession de bonnes récoltes génère des excédents, qui font chuter les prix et si on veut empêcher ceux-ci de descendre trop bas, il est nécessaire de retirer des excédents du marché. Réciproquement, en cas de mauvaises récoltes, il sera nécessaire d’alimenter le marché pour empêcher les prix de monter trop haut. Suite à la flambée des prix, la plupart des pays ont réagi en relevant les prix minimum afin de reconstituer les stocks publics et stabiliser en temps opportun les prix intérieurs. Le niveau des stocks nationaux de sécurité alimentaire (SNS) de 50000, 35000, 45000 tonnes respectivement au Niger, Mali et Burkina, n’ont hélas pas toujours permis de réduire significativement la vulnérabilité des populations ou d’éviter les pics de prix pendant les périodes de soudure dus à la faiblesse des stockages interannuels. Dans la réalité, ce sont les stocks privés plutôt que les stocks publics qui, en année normale, amortissent la saisonnalité des prix à la consommation des céréales.

La forte saisonnalité des prix à la production est en général expliquée par la faiblesse des stocks-producteurs. Bien que les stocks publics se soient avérés utiles, leur achat et leur entreposage imposent inévitablement d’importants coûts budgétaires et leur efficacité est limité dans le temps. Cependant, leur influence est réelle par les effets d’annonce. Pour résumer, les effets des stocks publics sont importants mais la régulation de l’offre ne peut se faire sans une intensification des échanges internes, sans l’amélioration des conditions du stockage privé et sans le recours au marché international (Galtier, 2009).

 

Boubacar Diallo, Nango Dembélé, John Staatz, article initialement paru sur Njaccar

 


Thiat, rappeur et porte-parole du mouvement « Y en a marre »

Notre nouveau partenaire, Njàccaar, est allé à la rencontre de Thiat du groupe de rap Keurgui, les initiateurs du mouvement « Y’en a marre ». Ce mouvement a réussi à catalyser la contestation de la jeunesse sénégalaise face aux difficultés de la vie quotidienne et des dérives du pouvoir du président Abdoulaye Wade.

Parlez-nous de la naissance du groupe KEUR GUI.

Thiat : Le groupe a été créé pendant l’année scolaire 96-97. C’était l’année scolaire où il y avait une grève générale et où nous sommes restés 3, voire 4 mois, sans pratiquement faire cours. J’ai été gréviste, je faisais partie du noyau dur. Au temps, nous faisions sortir les écoles privées. J’étais dans une école privée, j’avais rien demandé, comme ceux qui étaient dans le public. Donc, je me suis dit que c’était pas normal que nous qui étions dans le privé fassions cours tout simplement parce que nos parents avaient les moyens alors que les autres étaient sacrifiés, c’était pas juste. C’est pour ça que je faisais partie du noyau dur. Kilifa et moi, on a toujours habité le même quartier. Lui-même était gréviste et on faisait ensemble les plateformes de revendication et autres; ça nous a plus rapprochés et à un moment donné, nous nous sommes dit : « pourquoi ne pas élargir notre champ, parler à une échelle supérieure? ». On a commencé à écrire les textes, et la seule musique qui collait, c’était le rap. Voilà un peu la genèse de Keur gui !

Parlez-nous du parcours du groupe.

Thiat : Nous avons commencé en 98. Nous avons eu des problèmes avec le maire de l’époque, Abdoulaye DIACK, qui nous a fait mettre en prison, qui nous a fait tabasser, sans compter les nombreuses tentatives de corruption qui n’ont pas marché, évidemment. En 99, nous avons failli sortir notre premier album après qu’on ait gagné la "semaine de la jeunesse" à Dakar, mais l’album a été censuré : 4 morceaux ont fait l’objet d’une motion de censure, donc l’album n’a pas vu le jour. C’est seulement en 2002 que nous avons sorti notre album intitulé « Ken bouguoul » (personne n’en veut). C’était quand même un album plutôt régional qui parlait plus des problèmes de Kaolack. En 2004, nous avons sorti « Li rame » c’est l’album qui nous a vraiment lancés sur le plan national. En 2008, nous avons sorti « Nos Connes Doléances ». Et de 2008 jusqu’à ce jour, il s’est passé beaucoup de choses.

Comment s'est fait le choix de vos noms ?

Thiat : Dans les années 90, les noms des rappeurs commençaient toujours par « DJ » , « MC », avec des noms américains ou français en sus. Mais comme nous, déjà, nous étions une famille, il fallait rester dans le même contexte avec des noms qui nous parlaient et nous correspondaient, d’où le nom du groupe « Keur gui » qui signifie "la maison", Kilifa qui signifie "le chef de famille", il y avait « Taw » qui est l’aîné de la maison et « Thiat » qui est le cadet de la maison. La maison, c’est la société en miniature. Tout sort de la maison : le bon et le mauvais; c’est le monde en échelle réduite, le principe de la macro/micro.

Vous êtes les précurseurs du mouvement « Y EN A MARRE ». Quelles sont les motivations de ce mouvement et pourquoi l'avoir lancé  ?

Thiat : L'idée initiale est née d'un mécontentement après une énième coupure d'électricité, alors qu'on savait que les factures allaient être encore plus lourdes que les précédentes et qu'il faudrait les payer. Des amis journalistes, notamment Fadel Barro et Alioune Sané, nous ont dit : « Mais vous êtes trop laxistes ! Vous vous dites engagés et tout, mais il faut faire quelque chose ». Cela était d'autant plus vrai que les imams avaient déjà appelé la société sénégalaise à boycotter les factures d'électricité pour protester contre les coupures. C’est une honte de voir que même le 3e âge s’y met plus que nous, les jeunes. On s’est dit que le rap est bien un moyen de communiquer, un instrument pour conscientiser l’opinion publique, mais qu'au point où en sont les choses, le rap ne serait pas suffisant puisque tout le monde ne l’écoute pas. Donc, nos amis avaient bien raison de nous rappeler que c’est lâche, en tant que jeunes, de ne rien faire dans la situation où nous sommes. Ecrire des textes engagés, dénoncer, c’est bien ! Mais ça ne suffisait plus. Alors, nous avons longuement discuté pour pouvoir mettre en place quelque chose. Au début, nous nous sommes dit qu’il fallait lancer un slogan, mais avec un concept tout de même derrière. Nous avons commencé par « ras-le-bol », «ça suffit », « une goutte de trop » et finalement nous avons opté pour « Y EN A MARRE » car le peuple en a vraiment marre.

Quels sont les objectifs du mouvement ?

Thiat : C’est un mouvement apolitique, pacifique, qui n’a aucune appartenance politique ni religieuse, mais qui reste au milieu et qui joue le rôle de sentinelle. Nous l’avons créé le 16 janvier et lancé le 18 janvier 2011. Le mouvement catalyse des réflexions, des perspectives, et des idées que nous voulons apporter pour le développement socio-culturel et politique. Nous avons remarqué que les jeunes ne s’intéressent pas trop à la politique, ce qui est très dangereux car les affaires politiques sont les affaires de tout le monde, les affaires de tout le monde sont des affaires politiques. La politique, c’est l’art de gérer la société et de toute façon, quand on s’occupe pas de la politique, c’est elle qui s’occupe de nous. Alors, il faut que les jeunes ne se laissent pas enfermer dans les caricatures du genre « la politique, c’est l’affaires des plus âgés ». " Y en a marre ", c’est une façon de faire ce qu’on appelle l’éveil des consciences, l’éveil des masses populaires, c’est faire savoir aux jeunes que le pouvoir c’est le peuple et redonner ainsi au peuple sa voix car y en a marre de voir que plus rien n’est pour le peuple, ni fait par le peuple, alors qu’on prétend être une démocratie. La devise du Sénégal qui était « un peuple-un but-une foi » est devenue aujourd’hui « une famille-un but-s’enrichir ».

Dans notre pays, nous avons deux forces : l’élite politique et l’élite religieuse. Et, il faut le dire, ces deux élites se sont alliées contre le peuple. Il faut donc une autre force pour les contrer, une force qui appartienne à la société civile. C’est vrai que le forum social est là, mais il faut reconnaitre qu’il n’accroche pas trop. Ce sont des hommes en costard qui se permettent de parler un français académicien en oubliant que ce n’est pas à la portée de tout le monde et qu‘ils sont en Afrique.

« Yen a marre » a un discours très clair qui accroche tout simplement parce qu’il correspond aux attentes des populations : « Nous avons faim, nous voulons manger ! Nous payons cher nos factures d’électricité, donc nous voulons qu‘elle nous soit fournie dans nos foyers en quantité suffisante ! Je suis un bachelier, je suis pas orienté alors que je veux étudier ! Je suis étudiant, il me faut une chambre ! Je suis une maman, je vais au marché et mon panier est de plus en plus vide car tout est devenu cher ! Je suis un parent qui trime dur pour l’éducation de mes enfants et qui les voient toujours revenir à la maison à 9h car étant en grève, j’exige que mes enfants étudient normalement comme tous les autres enfants qui sont dans les institutions privées ! Je suis marchand ambulant, je veux avoir un endroit abrité à moi pour gagner ma vie honnêtement sans qu’on me persécute ! Je suis malade, je réclame les soins les plus élémentaires en allant à l’hôpital…» Juste des revendications légitimes ! Nous n’avons plus besoin de personnes qui sont là à jouer les grands intellectuels, qui sont là à réciter des livres ou faire de grandes citations. Le peuple est là avec ses problèmes ! Pas besoin de faire de grands discours !

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Thiat : Depuis que le mouvement est créé, nous ne passons que par des difficultés, des interdictions de rassemblement, des intimidations. Certains nous appellent pour nous dire : « Vous voulez la guerre, vous allez voir de quel bois on se chauffe ! » Mais ce qui me choque le plus, ce sont les tentatives de corruption. J’aurais jamais pensé que des gens pouvaient être indignes au point de proposer des centaines de millions à des jeunes qui demandent juste à leur concitoyens de prendre conscience sur ce qui se passe. Je vais pas donner des noms, mais je peux t’assurer que l’argent que nous proposent ces renards, je peux te dire qu’il peut régler un certain nombre de problèmes des Sénégalais. C’est une autre preuve que ces gens-là n’ont aucune volonté de s’occuper des problèmes du peuple, ils veulent juste se la couler douce sur le dos du peuple sans se faire déranger.

Comment faites-vous pour faire face aux pressions ?

Thiat : Nous avons des convictions. Un être humain doit avant tout être intègre, digne, savoir qui il est, ce qu’il veut, où il va…Si on était achetable, Keurgui serait une histoire ancienne depuis longtemps car ce n’est pas la première fois que ces crétins essaient de nous acheter. Les intimidations, nous avons l’habitude d’en recevoir. Alors, ils perdent leur temps ! Nous avons une ligne directrice et nous allons la suivre. Nous nous sommes engagés sur un chemin et quelque soit alpha, nous allons le mener jusqu’au bout. Il y a une chose qu’ils ne comprennent pas, ce n’est pas le combat de Thiat ou de Kilifa ou de Fadel … mais celui du peuple, et le peuple n’a pas de prix, il n’est pas achetable. On ne peut monnayer le combat d’un peuple.

 

Interview réalisée par Fatou Niang Sow