Financement à long terme des entreprises : un défi majeur

185236742Le financement des entreprises constitue pour les économies africaines un défi majeur. Le secteur privé africain est constitué pour l’essentiel de PME, qui ne contribuent que très faiblement à la création de richesse sur le continent. Une situation qui résulte notamment, des difficultés qu’elles ont à financer leurs investissements. Malgré l’amélioration ces dernières années des conditions de financement, du fait de la prise de conscience des différents acteurs du potentiel que représente ce segment, une problématique demeure : celle du financement des investissements à longs termes, nécessaire à une croissance soutenue du secteur privé. Selon certaines sources, les crédits à longs termes destinés au financement de l’investissement ne représentent  que 3.5% des crédits totaux.[1] L'ouverture du capital, qui constitue un autre moyen de financement productif pour les entreprises, est également très peu développée sur le continent. Or, seules ces deux options pourraient permettre de réaliser le plein potentiel du secteur privé. Cet article se propose de discuter les contraintes à l’efficacité de ces moyens de financement tout en envisageant des approches de solutions.

La théorie économique nous enseigne que c’est l’épargne qui finance l’investissement et les établissements (institutions de microfinance et banques), ne sont que des intermédiaires qui collectent auprès d’agents disposant de capacité de financement (soit l'épargne) et octroient des crédits à ceux ayant des besoins de financement (l'investissement). Cependant, le constat fait en Afrique est que l’essentiel des ressources collectées par les établissements financiers ne sont disponibles qu’à court terme et ne permettent pas de financer les besoins à longs termes des entreprises, au risque de faire entorse aux réglementations régissant le respect du ratio de liquidité fixées par les banques centrales. Ainsi, au-delà de  l’aversion au risque qui tient au fait que le risque de défaut croît en fonction de la durée d’amortissement du crédit ; la principale cause du faible taux de crédits à longs termes est le déficit d’épargne, et plus particulièrement de celle à longue durée. Le faible taux de bancarisation en Afrique  explique entre autres cette situation. En 2012 ce taux se situait en  moyenne à 24.1% en Afrique Sub-saharienne. Aujourd’hui, la collecte de l’épargne se fait essentiellement à partir des agences bancaires. Une stratégie qui a montré ses limites. Il est donc nécessaire de repenser le système de collecte de l’épargne. Des solutions innovantes sont déjà utilisées dans certains pays tel que le Kenya, avec le « Mobile Banking ». Pour attirer les personnes non bancarisées, la téléphonie mobile offre de véritables solutions aux établissements financiers. M-Pesa, un service lancé par l’entreprise dirigée par Bob Colymore, Safaricom, y a remporté un large succès en favorisant la dématérialisation du service bancaire. Cette innovation en a entrainé une seconde. Avec l’association entre Equity Bank et l’opérateur télécom a vu le jour M-Kesho. Un système qui permet de bénéficier d’un compte bancaire, avec les services qui y sont associés tel que la micro-épargne et le micro-crédit ; et grâce auquel la banque a multiplié le nombre de ses clients par six(6). La Nigériane First Bank et le groupe panafricain Ecobank se sont elles aussi associées respectivement à Etisalat et à Airtel, dans le but de développer le même type de produit.

D’autres innovations qui contribuent à démystifier la banque, en faisant des opérateurs économiques tels que – les pharmaciens, les boutiquiers de quartiers, etc.- de véritables intermédiaires bancaires sont également de nature à favoriser la collecte des ressources auprès d’une plus large population. Une fois cette épargne collectée, il s’agira de miser sur sa conservation.

En Afrique, les populations développent une appétence pour les placements immobiliers au dépend de placements liquides, réduisant de facto la part de l’épargne long terme. Il faudra donc encourager une épargne de longue durée en aidant au déploiement des projets. Un accent devra être mis sur les plans épargnes immobiliers-logements, achats de matériels agricoles, véhicules, etc.- Une autre solution consisterait à offrir des taux de rémunération croissants aux clients n’effectuant pas de retraits, afin de limiter les décaissements. Le levier fiscal pourra être un facteur stimulant sans pour autant être déterminant, car les rendements après impôt dépendent surtout des performances financières des produits.

Par ailleurs, au-delà des stratégies de hausse de la bancarisation, les marchés financiers sont des moyens alternatifs de collecte de ressources longues. Les établissements de crédits doivent chercher à y lever des fonds, en émettant par exemple des obligations avec maturités longues. Elles peuvent également opter pour la cession de titres de participations comme l’ont déjà fait sept (7) filiales de groupes bancaires sur la BRVM (Bourse Régionale et des Valeurs Mobilières). Plus il y aura de solutions innovantes de collecte de ressources durables, plus les établissements de crédits pourront financer les investissements à longs termes des entreprises.

L’apport en fonds propres, la seconde  option qui s’offre aux entreprises, consiste à l’ouverture du capital. Dans ce cadre, elles font recours aux marchés financiers en s’y faisant coter ou  font appel aux  sociétés de private equity, qui manifestent de plus en plus un intérêt certain au continent, du fait des forts taux de croissance qui y sont enregistrés. Malheureusement ces solutions sont confrontées à des obstacles majeurs.

La gestion opaque des affaires par les entrepreneurs africains est le principal obstacle. En effet, la PME africaine a un système d’organisation du pouvoir presque toujours concentré dans les mains de l’entrepreneur, empêchant de ce fait l’ouverture du capital à d’autres actionnaires. Une revue du système de gouvernance s’impose. Il ne s’agit pas d’abandonner  totalement le système de management actuel. Mais de créer une synergie entre les bonnes pratiques du management traditionnel africain et celles du capitalisme moderne. Les recherches d’Hernandez (1997)[2] à la suite desquelles, il propose un modèle de management pour l’entreprise africaine utilisant  un troisième facteur appelé, « facteur C », est une bonne piste. En effet, il n’y a pas que le capital « k » et le travail « T » à prendre en compte comme facteurs économiques ; le  « facteur C » pour (Coopération, Communauté, Collaboration) est également générateur de productivité, car il facilite la bonne marche de l’organisation. Le management, acclimaté à l’Afrique, devrait s’approprier ce troisième facteur, afin d’y rendre réellement efficace l’approche du management du capitalisme moderne ; et par ricochet favoriser l’entrée d’investisseurs au capital des entreprises.

En plus de cet obstacle, qui est une faiblesse commune aux deux modes de financement identifiés liés à l’ouverture du capital ; il existe des contraintes spécifiques à chacune d’elles.

La cotation sur les marchés financiers, des PME africaines, est limitée car les conditions d’entrée sont très sélectives. S’ajoute aux critères tels que la présentation d’états financiers certifiés sur les dernières années, une exigence de capital minimum. Ce qui constitue une véritable barrière à l’entrée. Néanmoins des bourses de PME voient le jour sur le continent afin d’apporter des solutions ; ces dernières rencontrant des succès mitigés car très peu d’entreprises franchissent le pas. Le Ghana qui fait souvent figure d’exemple en Afrique, ne compte aucune entreprise cotée sur son compartiment des PME. Les réformes doivent donc être poursuivies en vue de rendre la bourse plus accessible aux entreprises africaines en s’inspirant notamment du modèle britannique, qui est le plus abouti à ce jour.

Concernant le private equity, s’ajoute à l’effet paradigme, un autre obstacle qui résulte du niveau trop élevé des tickets d’entrée des sociétés de private equity. Des montants pouvant atteindre 100 millions USD en décalage par rapport aux besoins réels, beaucoup plus modestes, des entreprises. Du coup, pour que les ressources énormes des fonds de private equity profitent au plus grand nombre, il faudrait que leurs tickets d’entrée soient revus à la baisse. Ce qui suggère une réorientation de leurs stratégies d’investissements, qui devront dans cette optique, être davantage axées PME.

Il résulte de cette analyse, que beaucoup reste à faire en vue d’améliorer l’accès aux ressources capables de financer les investissements en termes de production, de développement à l’international, etc. nécessaires à la croissance des entreprises. L’innovation ayant été identifié comme étant la clef dans la bataille à la collecte de ressources longues, les intermédiaires financiers devront développer des stratégies allant dans ce sens, en vue d’apporter des solutions adéquates aux entreprises. D’autres moyens de financement tel que le Crowdfunding[3], déjà très développé en occident pourrait être une alternative. Par ailleurs les initiatives comme celle du Fonds africain de garantie de la BAD, qui permet aux PME de bénéficier de prêts auprès des établissements de crédits à des durées de remboursement longues sont à multiplier. En définitif, la question du financement à long terme des entreprises requiert l’implication de tous les acteurs économiques. Cependant avant toute action, la problématique de la refonte de la gouvernance devra être résolue, sans quoi, les efforts seront vains.

                                                                                                                                                      Larisse Adewui

[1] « Les financements institutionnels » du trimestriel A24 magazine N°14

[2] M. HERNANDEZ (1997). Le management des entreprises Africaines : essai de management du développement, Paris, L’Harmattan.

[3] Le Crowdfunding ou financement participatif est une expression décrivant tous les outils et méthodes de transactions financières, qui font appel à un grand nombre de personnes pour financer un projet. L'émergence des plates-formes de financement participatif a été permise grâce à internet et aux réseaux sociaux. Il est dit désintermédié, car se faisant sans l’aide des acteurs traditionnels du financement.