Le Woelab: le Fablab qui dit « Fais-le »!

C’est à l’occasion d'une présentation de sept projets innovants, organisée à Lomé au quartier Djidjolé par le Woelab, un incubateur de technologies que nous avons rencontré l'un des promoteurs du lieu.

fablab togo 

Bonjour Dodji, merci de nous recevoir, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Woelab (Dodji H.) : Bonjour, tout le plaisir est pour moi. Je suis Dodji Honou, Manager exécutif du Woelab, le premier FabLab implanté au Togo.

Qu’est-ce qu’un FabLab et comment est né le Woelab ?

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Woelab (Dodji H.) : FabLab, pour « Fabrication Laboratory », est un espace où l’on retrouve des machines-outils, telles que des imprimantes 3D, des fraiseuses mises à la disposition de tout venant pour développer des projets. C’est un lieu de partage d’idées et surtout de travail collaboratif. A la base, le FabLab est un label décerné par le MIT (Massachussetts Institute of Technology). Pour l’obtenir, il faut respecter des conditions que nous jugeons par ailleurs contraignantes, telle que la mise à disposition de certaines machines coûteuses à acquérir.

Le Woelab a été initié par l’ « Africaine d’Architecture », une association créée par un jeune togolais, Sénamé Koffi Agbodjinou architecte et anthropologue de formation, dont l’ambition est de créer des hubCités ; c'est-à-dire des villes qui allient technologie et savoir faire local. Suite à un « Archicamp », évènement organisé à Lomé par cette association, est né le Woelab en août 2012. Le FabLab défend le concept de LowHighTech, la haute technologie à moindre coût et celui de l‘open source. L’exemple qui illustre le mieux cette philosophie est l’imprimante 3D fabriquée à partir d’objets de récupération.

La première imprimante 3D «made in Africa » sort en effet de votre FabLab ; comment est né ce projet et comment avez-vous financé sa fabrication ?

Woelab (Dodji H.) : La W.Afate, le nom de cette imprimante 3D, est une idée d’Afate Gnikou, un membre du Woelab, développée en collaboration avec une vingtaine de jeunes membres de la communauté. Il s’agit d’une machine conçue essentiellement à partir de débris informatiques tels que les UC, les imprimantes, les scanners etc. récupérés sur les dépotoirs et de quelques composants (introuvables sur place) achetés sur internet. Tout est parti de l’Archicamp de 2012 où un modèle d’imprimante 3D a été monté à partir d’un kit importé. Aujourd’hui ce projet dont la documentation en cours de finalisation et disponible en Open-source, rend possible la reproduction d’imprimantes 3D sans kit.

Il a été financé essentiellement par l’Africaine d’Architecture et par une levée de fonds via une plateforme de Crowdfunding (Ulule.com) ; l’objectif de départ était de lever 3500 Euros. Pour notre plus grande joie, le projet a rencontré l’adhésion d’un grand nombre de personnes de par le monde; ce qui a permis de finalement collecter exactement 4316 Euros.

La W.Afate reste un bel exemple de projet collaboratif, dont la vingtaine de jeunes y ayant participé peuvent être fiers.

Quelles sont les différentes activités menées au sein du Woelab ?

Woelab (Dodji H.) : Le Woelab est un espace de démocratie technologique au sein duquel sont menées plusieurs activités. L’objectif étant de rendre les nouvelles technologies accessibles à tous, des modules de formation ont été instaurés. Il s’agit d’un pan important des activités. Toute personne peut développer des projets technologiques ; il suffit d’y croire pour le faire, c’est cela le Woelab, « Woe » signifiant en langue Ewé « Fais-le ». La Woe-academy a ainsi été mise en place afin de coordonner l’organisation de cours hebdomadaires gratuits en programmation, en technologie libre, en impression 3D, en fabrication d’ordinateurs (projet Jerry) au sein de nos locaux. Aujourd’hui les participants à ces cours sont des jeunes dont la moyenne d’âge est de 19 ans. On intervient également dans les écoles afin d’initier les élèves à l’informatique, à l'impression 3D, et bientôt aux bases de la programmation, car l’analphabète de demain est celui qui ne saura pas écrire une ligne de code. L’incubation de startups est également un axe clef. Cinq startups ont été incubées à ce jour, dont l’une« TERRES » spécialisée sur les questions agro urbaines, a été primée lors de l’édition 2013 du Forum des jeunes entrepreneurs du Togo. Beaucoup de projets sont en cours ; mais le travail collaboratif reste au cœur de toutes les activités.

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Dans tous projets, se pose souvent la problématique du financement ; comment le Woelab finance-t-il ses besoins de fonctionnement ?

Woelab (Dodji H.) : Les besoins de fonctionnement (loyers des locaux, les charges courantes, les voyages pour assister aux différents concours et forums) sont financés pour l’essentiel par l’initiateur du projet, l’Africaine d’Architecture. Les revenus générés par les startups incubées au sein du FabLab contribuent également à amortir les charges. En gros, le Woelab tourne sur fonds propres.

Vos inventions ont elles déjà été commercialisées ?

Woelab (Dodji H.) : La plupart de nos inventions notamment l’imprimante 3D et l’UC Jerry sont fabriquées à partir de composants appartenant à des compagnies telles que Microsoft, IBM, etc. Ce qui  exposerait le Woelab à des poursuites judiciaires en cas de vente. Des solutions existent pour rendre disponibles ces machines au plus grand nombre, en réduisant ce risque. L'objectif serait d'avoir un partenariat avec des structures publiques et/ou ONG nationales ou internationales à travers un programme national social, afin de vulgariser leur utilisation. Dans la même logique, le Woelab prévoit de s’associer à des écoles pour toucher le plus grand nombre de jeunes. Le business model sera de se positionner comme consultant dans le cadre de ces partenariats, en offrant des services de formation et de maintenance.

Le Woelab s’est associé récemment à une école d’architecture au Mali (ESIAU) pour lancer un FabLab ; cette initiative s’inscrit-elle dans un programme de partenariat avec les instituts supérieurs africains ?

Woelab (Dodji H.) : Effectivement nous avons assisté l’école d’architecture ESIAU dans l’installation d’un FabLab. En fait le partenariat a été signé avec l’Africaine d’Architecture. Leurs  étudiants sont souvent invités à assister aux Archicamps. Les outils comme les imprimantes 3D sont essentielles pour l’élaboration de projets en architecture, ce qui rend utiles les FabLabs. Une des pionnières dans ce modèle est l’école d’architecture  IAAC de Barcelone. On espère que le modèle rencontrera l’adhésion des écoles africaines ; pas seulement les écoles d’architecture mais plus largement, de tous les instituts d’enseignement. Le Woelab s’investit à rendre accessibles les FabLabs partout en Afrique ; tout partenariat allant dans ce sens sera le bienvenu.

Vous avez remporté l’Award du “Best Exploration Mission Concept” de la NASA et plusieurs autres distinctions à l’international dont le prix de “Meilleure Innovation” à l’Africa Innovation Summit ; ces récompenses sont-elles une source de motivation supplémentaire ?

Woelab (Dodji H.) : C’est véritablement une grande source de motivation de remporter ces distinctions. De toutes ces récompenses, celle qui, je pense, a marqué le déclic est l’award du Best Exploration Mission de la NASA. Un concours préparé en très peu de temps, avec une connexion internet instable. Nous avons donc été d’autant plus surpris du succès de notre projet, « La W.AFATE to MARS ». Il s’agit concrètement d’un programme spatial écologique. Mais être lauréat du « Global Fab Awards » organisé en juillet dernier à Barcelone, parmi toutes les FabLabs du monde boost encore plus. Cela donne l’envie de poursuivre. Je pense qu’on peut réussir des choses extraordinaires à partir de rien, il suffit d’être motivé et rigoureux.

Pour terminer cet entretien,  quels sont vos projets d’avenir ?

Woelab (Dodji H.) : Au-delà de l’incubation de startups, le développement de l’impression 3D dans les systèmes scolaires représente le projet phare. A travers le programme « 3DprintAfricaEducative», on compte initier et amener les jeunes  à concevoir des programmes adaptés aux imprimantes 3D, afin de produire des objets qui leur seront utiles. Cela devra passer par la vulgarisation de ces imprimantes. Le président Barack Obama affirmait lors de son discours sur l’Etat de l’Union en 2013, que l’impression 3D révolutionnera la manière dont nous fabriquerons les choses. Il pense que quinze centres placeront les USA à l’avant-garde de cette nouvelle technologie et  a  ainsi annoncé dans la foulée le lancement de trois centres de fabrication, en plus de celui existant à Youngstown dans l’Ohio. Le Woelab a pour ambition de prendre le contre-pied du président Obama, en installant au Togo des imprimantes 3D  dans tous les cyber-cafés du pays. La phase de test débutera avec les cyber-cafés du quartier de Djidjolé de Lomé où se trouvent nos locaux. Le  mapping de ces cyber-cafés a déjà  été fait. Le projet est réalisable.

Un autre projet, qui n’est pas le moins important, est le développement de FabLabs aussi bien au Togo que dans les autres pays du continent. C’est dans cette optique que j’ai personnellement participé cette année au lancement d’un FabLab à Dakar, avec l’appui de l’OIF et de l’association « Ker Thiossane ». Nos objectifs sont clairs et nous savons où nous voulons aller.

Larisse Adewui

Financement à long terme des entreprises : un défi majeur

185236742Le financement des entreprises constitue pour les économies africaines un défi majeur. Le secteur privé africain est constitué pour l’essentiel de PME, qui ne contribuent que très faiblement à la création de richesse sur le continent. Une situation qui résulte notamment, des difficultés qu’elles ont à financer leurs investissements. Malgré l’amélioration ces dernières années des conditions de financement, du fait de la prise de conscience des différents acteurs du potentiel que représente ce segment, une problématique demeure : celle du financement des investissements à longs termes, nécessaire à une croissance soutenue du secteur privé. Selon certaines sources, les crédits à longs termes destinés au financement de l’investissement ne représentent  que 3.5% des crédits totaux.[1] L'ouverture du capital, qui constitue un autre moyen de financement productif pour les entreprises, est également très peu développée sur le continent. Or, seules ces deux options pourraient permettre de réaliser le plein potentiel du secteur privé. Cet article se propose de discuter les contraintes à l’efficacité de ces moyens de financement tout en envisageant des approches de solutions.

La théorie économique nous enseigne que c’est l’épargne qui finance l’investissement et les établissements (institutions de microfinance et banques), ne sont que des intermédiaires qui collectent auprès d’agents disposant de capacité de financement (soit l'épargne) et octroient des crédits à ceux ayant des besoins de financement (l'investissement). Cependant, le constat fait en Afrique est que l’essentiel des ressources collectées par les établissements financiers ne sont disponibles qu’à court terme et ne permettent pas de financer les besoins à longs termes des entreprises, au risque de faire entorse aux réglementations régissant le respect du ratio de liquidité fixées par les banques centrales. Ainsi, au-delà de  l’aversion au risque qui tient au fait que le risque de défaut croît en fonction de la durée d’amortissement du crédit ; la principale cause du faible taux de crédits à longs termes est le déficit d’épargne, et plus particulièrement de celle à longue durée. Le faible taux de bancarisation en Afrique  explique entre autres cette situation. En 2012 ce taux se situait en  moyenne à 24.1% en Afrique Sub-saharienne. Aujourd’hui, la collecte de l’épargne se fait essentiellement à partir des agences bancaires. Une stratégie qui a montré ses limites. Il est donc nécessaire de repenser le système de collecte de l’épargne. Des solutions innovantes sont déjà utilisées dans certains pays tel que le Kenya, avec le « Mobile Banking ». Pour attirer les personnes non bancarisées, la téléphonie mobile offre de véritables solutions aux établissements financiers. M-Pesa, un service lancé par l’entreprise dirigée par Bob Colymore, Safaricom, y a remporté un large succès en favorisant la dématérialisation du service bancaire. Cette innovation en a entrainé une seconde. Avec l’association entre Equity Bank et l’opérateur télécom a vu le jour M-Kesho. Un système qui permet de bénéficier d’un compte bancaire, avec les services qui y sont associés tel que la micro-épargne et le micro-crédit ; et grâce auquel la banque a multiplié le nombre de ses clients par six(6). La Nigériane First Bank et le groupe panafricain Ecobank se sont elles aussi associées respectivement à Etisalat et à Airtel, dans le but de développer le même type de produit.

D’autres innovations qui contribuent à démystifier la banque, en faisant des opérateurs économiques tels que – les pharmaciens, les boutiquiers de quartiers, etc.- de véritables intermédiaires bancaires sont également de nature à favoriser la collecte des ressources auprès d’une plus large population. Une fois cette épargne collectée, il s’agira de miser sur sa conservation.

En Afrique, les populations développent une appétence pour les placements immobiliers au dépend de placements liquides, réduisant de facto la part de l’épargne long terme. Il faudra donc encourager une épargne de longue durée en aidant au déploiement des projets. Un accent devra être mis sur les plans épargnes immobiliers-logements, achats de matériels agricoles, véhicules, etc.- Une autre solution consisterait à offrir des taux de rémunération croissants aux clients n’effectuant pas de retraits, afin de limiter les décaissements. Le levier fiscal pourra être un facteur stimulant sans pour autant être déterminant, car les rendements après impôt dépendent surtout des performances financières des produits.

Par ailleurs, au-delà des stratégies de hausse de la bancarisation, les marchés financiers sont des moyens alternatifs de collecte de ressources longues. Les établissements de crédits doivent chercher à y lever des fonds, en émettant par exemple des obligations avec maturités longues. Elles peuvent également opter pour la cession de titres de participations comme l’ont déjà fait sept (7) filiales de groupes bancaires sur la BRVM (Bourse Régionale et des Valeurs Mobilières). Plus il y aura de solutions innovantes de collecte de ressources durables, plus les établissements de crédits pourront financer les investissements à longs termes des entreprises.

L’apport en fonds propres, la seconde  option qui s’offre aux entreprises, consiste à l’ouverture du capital. Dans ce cadre, elles font recours aux marchés financiers en s’y faisant coter ou  font appel aux  sociétés de private equity, qui manifestent de plus en plus un intérêt certain au continent, du fait des forts taux de croissance qui y sont enregistrés. Malheureusement ces solutions sont confrontées à des obstacles majeurs.

La gestion opaque des affaires par les entrepreneurs africains est le principal obstacle. En effet, la PME africaine a un système d’organisation du pouvoir presque toujours concentré dans les mains de l’entrepreneur, empêchant de ce fait l’ouverture du capital à d’autres actionnaires. Une revue du système de gouvernance s’impose. Il ne s’agit pas d’abandonner  totalement le système de management actuel. Mais de créer une synergie entre les bonnes pratiques du management traditionnel africain et celles du capitalisme moderne. Les recherches d’Hernandez (1997)[2] à la suite desquelles, il propose un modèle de management pour l’entreprise africaine utilisant  un troisième facteur appelé, « facteur C », est une bonne piste. En effet, il n’y a pas que le capital « k » et le travail « T » à prendre en compte comme facteurs économiques ; le  « facteur C » pour (Coopération, Communauté, Collaboration) est également générateur de productivité, car il facilite la bonne marche de l’organisation. Le management, acclimaté à l’Afrique, devrait s’approprier ce troisième facteur, afin d’y rendre réellement efficace l’approche du management du capitalisme moderne ; et par ricochet favoriser l’entrée d’investisseurs au capital des entreprises.

En plus de cet obstacle, qui est une faiblesse commune aux deux modes de financement identifiés liés à l’ouverture du capital ; il existe des contraintes spécifiques à chacune d’elles.

La cotation sur les marchés financiers, des PME africaines, est limitée car les conditions d’entrée sont très sélectives. S’ajoute aux critères tels que la présentation d’états financiers certifiés sur les dernières années, une exigence de capital minimum. Ce qui constitue une véritable barrière à l’entrée. Néanmoins des bourses de PME voient le jour sur le continent afin d’apporter des solutions ; ces dernières rencontrant des succès mitigés car très peu d’entreprises franchissent le pas. Le Ghana qui fait souvent figure d’exemple en Afrique, ne compte aucune entreprise cotée sur son compartiment des PME. Les réformes doivent donc être poursuivies en vue de rendre la bourse plus accessible aux entreprises africaines en s’inspirant notamment du modèle britannique, qui est le plus abouti à ce jour.

Concernant le private equity, s’ajoute à l’effet paradigme, un autre obstacle qui résulte du niveau trop élevé des tickets d’entrée des sociétés de private equity. Des montants pouvant atteindre 100 millions USD en décalage par rapport aux besoins réels, beaucoup plus modestes, des entreprises. Du coup, pour que les ressources énormes des fonds de private equity profitent au plus grand nombre, il faudrait que leurs tickets d’entrée soient revus à la baisse. Ce qui suggère une réorientation de leurs stratégies d’investissements, qui devront dans cette optique, être davantage axées PME.

Il résulte de cette analyse, que beaucoup reste à faire en vue d’améliorer l’accès aux ressources capables de financer les investissements en termes de production, de développement à l’international, etc. nécessaires à la croissance des entreprises. L’innovation ayant été identifié comme étant la clef dans la bataille à la collecte de ressources longues, les intermédiaires financiers devront développer des stratégies allant dans ce sens, en vue d’apporter des solutions adéquates aux entreprises. D’autres moyens de financement tel que le Crowdfunding[3], déjà très développé en occident pourrait être une alternative. Par ailleurs les initiatives comme celle du Fonds africain de garantie de la BAD, qui permet aux PME de bénéficier de prêts auprès des établissements de crédits à des durées de remboursement longues sont à multiplier. En définitif, la question du financement à long terme des entreprises requiert l’implication de tous les acteurs économiques. Cependant avant toute action, la problématique de la refonte de la gouvernance devra être résolue, sans quoi, les efforts seront vains.

                                                                                                                                                      Larisse Adewui

[1] « Les financements institutionnels » du trimestriel A24 magazine N°14

[2] M. HERNANDEZ (1997). Le management des entreprises Africaines : essai de management du développement, Paris, L’Harmattan.

[3] Le Crowdfunding ou financement participatif est une expression décrivant tous les outils et méthodes de transactions financières, qui font appel à un grand nombre de personnes pour financer un projet. L'émergence des plates-formes de financement participatif a été permise grâce à internet et aux réseaux sociaux. Il est dit désintermédié, car se faisant sans l’aide des acteurs traditionnels du financement.

 
 

Pourquoi les banques africaines s’intéressent-elles désormais aux PME ?

africa-business-7Les PME du continent ont du mal à se financer auprès du système bancaire. Ces difficultés que rencontrent les PME du continent quant à l’accès au financement bancaire, constituent un frein à leur développement et empêchent dans une certaine mesure une croissance inclusive des économies, en limitant entre autres, la création d'emplois, problématique fondamentale de nos Etats. La crise financière de 2008-2009 a par ailleurs, accentuée cette aversion des banques aux PME. Toutefois, ces dernières années, on constate une volonté manifeste des banques à financer ces entreprises, qui représentent en moyenne 90% du secteur privé africain. En effet, le ratio crédit au secteur privé sur PIB a sensiblement évolué, en passant de 10% en moyenne dans les années 1990 à 47.2% en 2012 dans des pays comme la Namibie (sources : Banque Mondiale). Même si ce taux demeure encore faible dans certains pays, la tendance haussière constatée devrait se confirmer dans les années à venir, du fait d’importantes évolutions dans le secteur bancaire africain. Cet article se propose d’analyser ces facteurs qui pourraient contribuer à cette hausse.

La concurrence accrue dans le secteur bancaire

 La démocratisation du secteur bancaire africain, qui pendant longtemps était la chasse gardée de grands groupes bancaires occidentaux, couplée à l’émergence de marchés régionaux a favorisé le développement de banques africaines à statures régionales, avec un large réseau de filiales. En veut pour preuve, l’augmentation du nombre de banques dans l’UEMOA. En effet dans cette partie du continent, 106 banques ont été recensées en 2012 contre 64 en 2000, selon la Commission bancaire de l’UEMOA. Ces filiales des grands groupes qui se multiplient, se livrent sur leur marché local une concurrence acharnée. Ce qui oblige les protagonistes, que sont ces banques, à élaborer des stratégies de développement reposant en particulier sur la diversification de leur clientèle. Pour se développer, elles sont contraintes de pénétrer des marchés plus risqués, tel que celui des PME, qui constituent de véritable relais de croissance. Au Mali par exemple, la BOA a institué un département spécialisé dans le traitement des dossiers de crédits des PME, d’autres banques lui ont par la suite emboité le pas. Ceci, dénote de l’intérêt croissant pour ce segment. Un intérêt qui se justifie. En effet, les PME représentent un fort potentiel, du fait de leur prédominance dans le paysage économique africain, et du fort niveau de rentabilité lié à leur nature risquée. In fine, plus il y aura de concurrence dans le secteur bancaire plus les PME seront gagnantes.

Le développement de stratégies innovantes de gestion des risques de crédits

Qui dit crédit, dit implicitement risque de défaut de paiement. Selon DID (2005), ce risque est le risque de pertes financières, résultant de l'incapacité de l'emprunteur pour quelque raison que ce soit, de s'acquitter entièrement de ses obligations financières à l'endroit de l'institution prêteuse. La sécurisation des crédits est donc un point essentiel, dans le développement de l’offre de prêts aux PME. Les banques africaines l’ont comprise, et ne se limitent plus à évaluer simplement le crédit et à le laisser s’amortir. Elles mettent dorénavant en place des outils de suivi permanent de ce risque de crédit, et de son impact dans le cadre de leur politique de gestion en introduisant des systèmes de contrôle, qui réduisent le risque de perte. A partir de reportings périodiques de l’état des engagements, elles arrivent à tirer la sonnette d’alarme, en cas d’impayés répétés. Mécanisme qui dans bien des cas, leur permettent d’élaborer des plans afin d’éviter ces impayés à répétition, qui conduisent à terme au déclassement en créances douteuses des crédits, la hantise des banquiers. Il est par ailleurs admis que, le partage de l’information permet de réduire les risques. La vulgarisation des outils tels que la centralisation de risques, permet donc de lutter contre l’asymétrie informationnelle et de réduire sensiblement l’aversion aux PME. Au Bénin par exemple, une entreprise en collaboration avec l’association des banques a créé dernièrement un système facilitant le partage de l’information.
Quant à la question des « collateral », c'est-à-dire des garanties, des solutions simples tels que les cautions personnelles ou les reconnaissances de dettes (billets à ordre) sont de véritables alternatives au recueil de garanties réelles, plus difficiles à fournir par les PME.
Des innovations sont également à noter, dans le processus d’octroie de crédit. Grâce à la maîtrise démontrée de leurs marchés locaux, les banques obtiennent de leur maison mère des pouvoirs étendus de validation. Ce qui favorise une sélection des contreparties basée sur la connaissance du potentiel des entreprises, en l’occurrence les PME.

Le développement de critères d’analyse de risques tenant compte des spécificités des PME

Les critères classiques d’analyse du risque de crédits sont : la solvabilité, la capacité de remboursement (qui se mesure par les flux de trésorerie générés par les entreprises), la liquidité, la rentabilité. Ces ratios s’obtiennent à partir des états financiers fournis par les entreprises. Il s’avère que, très peu de PME disposent d’Etats financiers certifiés. Face à cette situation, les banques ont développées des critères de mesure de risque que d’aucun peuvent juger subjectifs, mais qui s’avèrent être efficaces.
Ces critères prennent davantage en compte l’activité des entreprises et les règlements attendus par ces derniers, que les critères précités et communément admis par la chaire des analystes. Par ailleurs les relations qu’entretiennent les banques avec ces PME, dans la durée, créent un climat de confiance qui favorise généralement l’octroi des crédits. Un client qui a pris l’habitude de respecter ses engagements, obtiendra plus facilement un crédit de son banquier, même s’il ne remplit pas les critères orthodoxes de mesure du risque. La relation établie dans la durée se révèle donc être un outil efficace de mesure du risque de la contrepartie PME.

Le partage du risque avec d’autres institutions spécialisées

Des fonds spécialisés ont vu le jour en Afrique, avec pour objectif de faciliter l’accès au financement bancaire des PME ; Il s’agit des fonds de garantie. Ils se sont multipliés ces dernières années ; les majors du secteur sont, le FAGACE, le fonds GARI en Afrique de l’Ouest, l’African Guarantee Fund ou de la garantie ARIZ (une garantie spécifique aux zones d’intervention de l’AFD). Ces fonds de garantie sont donc amenés, à signer des partenariats avec des banques africaines. La dernière en date est la signature par la Banque Atlantique et l’African Guarantee Fund (AGF), d’un partenariat portant sur une ligne de 15 millions de dollars destinée à garantir le financement des PME, dans les différents pays africains où opère la Banque Atlantique.
La garantie offerte par ces fonds permet aux banques, de se couvrir du risque de perte à hauteur parfois de 50% de l’encours de crédit. Il existe deux types de garanties, la garantie individuelle et la garantie de portefeuille. Dans le premier cas de figure, les dossiers sont soumis par les banques aux fonds de garantie qui les étudient au cas par cas. Cette forme de garantie est peu favorable aux PME, ne respectant pas les critères minima requis par ces fonds de garantie et demeure donc très sélective. Le deuxième cas de figure consiste à utiliser des lignes de garantie de portefeuille ; accordées pour un montant donné, elles peuvent être affectées à des PME librement choisies par les banques. Ici donc, les banques disposent du libre arbitre quant à la décision d’octroi des crédits, ce qui présente un avantage certain pour les PME à forts risques apparents, mais à forts potentiels.

L’action des pouvoirs publics en faveur des PME

Les PME prennent une place de plus en plus importante, dans les politiques publiques des Etats africains. En effet l’émergence tant voulue ne pourra être atteinte, sans la prise en compte des préoccupations de ces entreprises. En vue donc d’améliorer l’environnement de l’entreprise dans les différents pays, des Guichets uniques ont été créé. C’est le cas au Gabon ou au Sénégal ; pays dans lequel le Guichet unique du Bureau d’Appui à la Création d’Entreprise (BCE) a permis de ramener le délai de création d’une entreprise de 58 jours à 48 heures , un délai qui est réduit à seulement 6h au Rwanda. Au Sénégal, l’Etat a créé récemment une banque, la BNDE (Banque Nationale pour le Développement Economique), dont la vocation première est de financer les PME. Par ailleurs, les nouvelles dispositions de l’Acte uniforme révisé de  l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) et adoptées par déjà quatre pays dont le Togo, où, une SARL pourra être créée par acte notarié ou par acte sous seing privé avec un capital social de 100.000 FCFA contre 1 000.000 de FCFA auparavant, sont de nature à réduire le nombre de PME du secteur informel et par ricochet augmenter le volume de PME éligibles au financement bancaire.
Néanmoins malgré ces avancées notables, des efforts supplémentaires restent à faire pour améliorer l’environnement des affaires, notamment en ce qui concerne la question du foncier. En effet, l’obtention d’un titre foncier dans la plupart des pays relève toujours d’un exploit.

Au regard de la place qu’occupent les PME dans le paysage économique africain, il ne fait aucun doute que l’accès au financement, plus précisément  bancaire, des PME s’améliorera. En effet, malgré le risque pesant sur ce segment, des solutions de plus en plus  innovantes voient le jour, afin de faciliter leurs accès au crédit. Des institutions naissent par ailleurs, pour être de véritables alternatives aux banques : c’est le cas de Cofina, l’institution du banquier reconverti Jean Luc Konan, qui a récemment lancé ses activités au Sénégal et en Guinée Conakry. Cependant le défi à venir pour ces institutions au premier rang desquels les banques, qui demeurent les principaux intermédiaires financiers en Afrique, sera celui de l’octroie de ressources longues à ces PME. Ce dont ont besoin les PME, ce ne sont pas simplement de crédits mais surtout de crédits longs, c'est-à-dire des montants relativement conséquents et amortissables sur des périodes suffisamment longues, pour ne pas affecter leur pérennité. Pour cela, tous les acteurs à savoir ; les banques, les PME et les pouvoirs publics devront fortement s’impliquer, en vue de résoudre de manière efficace cette problématique de l’accès au crédit bancaire des PME, afin que ces dernières puissent pleinement jouer le rôle qui est le leur dans la croissance des économies africaines.

Larisse Adewui

Le financement des PME : En quoi la phase de « participation active » des fonds de private equity peut- elle être un frein ?

incentivesCes dernières années, on constate un engouement des fonds de private equity  pour l’Afrique. Des millions de dollars sont ainsi levés pour être injectés dans les économies des pays du continent.  En 2013, ces fonds ont investis plus de 1,6 milliard de dollars en Afrique subsaharienne, montant record des cinq dernières années, selon une étude de l'Association du capital-investissement pour les marchés émergents (Emerging Markets Private Equity Association/ EMPEA). Malheureusement, très peu d’entreprises en réalité bénéficient de ces ressources. En effet les fonds choisissent d’investir dans les grandes entreprises à forte notoriété, au détriment des PME, qui sont porteurs de croissance du fait qu’ils représentent l’essentiel du tissu économique des pays africains.

Le private equity est défini comme étant un investissement en fonds propres dans les entreprises récentes ou plus âgées, mais amorçant une nouvelle étape significative de croissance, de préférence dans les secteurs où les perspectives de développement sont importantes. Le but de cette opération étant la réalisation d’une plus-value, dans un cadre de collaboration active. Cette définition du private equity implique des interventions en amont et en aval. Elle se caractérise donc par : une participation au capital social, l’apport d’une valeur ajoutée au capital investi par une participation active et l’orientation à long terme variant entre cinq (5) et dix(10) ans ; ceci  afin que l’investissement fournisse un rendement suffisant.

UntitledIl trouve ses fondements aux Etats Unis, où il est apparu au lendemain de la seconde guerre mondiale avec la création du premier fonds d’investissement « American Research & Development Corporation» (ARD) en 1946. Des sociétés telles que Microsoft, Macintosh, Intel, Yahoo et Amazon pour ne citer que ceux-là étaient soutenues dès leur démarrage par des sociétés de private equity. Les premières initiatives dans ce domaine en Afrique datent des années 90 avec la création de FIARO (Financière d’investissement ARO)  à Madagascar ainsi que de la SPPI (Société de Participation et de Promotion des Investissements) en Tunisie. Depuis lors, le private equity a connu une croissance mitigée. En effet si d’aucun saluent l’engouement actuel des fonds de private equity pour l’Afrique, une situation qui se justifie en partie par les forts taux de croissance actuels enregistrés par les économies du continent ; il est  évident que le niveau d’investissement dans les PME, véritable moteur de croissance des économies africaines, et qui à l’ origine étaient les principales cibles de ce mode de financement, demeure toujours très faible.

Cet état de fait  pourrait se justifier par les implications de la deuxième étape de ce mode de financement, à savoir « la participation active à la gestion de l’entreprise ». Pour les investisseurs en private equity, leur métier consiste en une combinaison entre « Financement et assistance au management », ils mettent ainsi en avant l’expression de partenaire actif de l’entreprise. Avec leur savoir-faire, les investisseurs en private equity assistent les entreprises financées dans la détermination de la politique à long terme, dans l’évaluation financière, dans le recrutement du personnel, etc. C’est de cette manière qu’ils ajoutent de la valeur à leurs investissements. Cette ingérence dans la gestion de l’entreprise peut poser problème, notamment quand il s’agit des PME africaines, car le mode de gouvernance de la plupart de ces sociétés contraste avec celui plus orthodoxe des fonds de private equity.

En effet  le  capitalisme moderne, qui est l’essence du private equity, articule sa démarche autour du modèle de « la gouvernance d’entreprise ». Ce modèle se défini comme,  l’ensemble des mécanismes qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui gouvernent leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire (Charreaux, 1997). Or la PME africaine étant extrêmement personnalisée, on  assimile cette dernière à la personne même du chef d’entreprise. Cette personnification s’inscrit dans une interaction spécifique, entre le pouvoir de gestion et la propriété du capital. En effet, la PME africaine peut être considérée comme un système d’organisation du pouvoir presque toujours concentré dans les mains d’une seule personne: le chef d’entreprise. Celui-ci exerce son pouvoir de gestion et de contrôle, de sorte que les objectifs de l’entreprise sont fortement déterminés par ses objectifs personnels. Ce dernier demeure la clef de voûte de tout le système stratégique. Dans le fonctionnement, il est avant tout celui qui imagine, développe, et réalise sa vision. A cette personnification, s’ajoute une gestion opaque des affaires ; la plupart ne disposant pas d’états financiers fiables et sincères.

SanstitreL’opposition entre ces deux modèles de gouvernance crée un « effet paradigme », à l’origine du faible niveau d’investissement des fonds de private equity dans les PME du continent. Néanmoins, malgré cet effet paradigme certains fonds ont fait le pari d’investir, avec succès, dans les PME africaines. Il s’agit notamment de l’investisseur I&P, actif en Afrique Subsaharienne et qui a choisi d’investir exclusivement dans les PME de cette partie du continent. Ce fonds accompagne donc avec brio, des PME gérées par des entrepreneurs locaux ; les entreprises Biotropical au Cameroun et la Laiterie du Berger (Dolima) au Sénégal sont des exemples concrets de sa réussite. D’autres, tel que XSML à partir de son véhicule dédié aux PME d’Afrique centrale, « Central Africa SME Fund » se positionne également sur ce segment. Ces fonds ont donc su s’adapter aux difficultés apparentes, qu’il y a à investir dans les PME du continent et sont ainsi récompensés par des taux de rentabilité forts intéressants.

En définitive, il apparait que le modèle actuel du private equity tel qu’il est mis en œuvre par la plupart des fonds présents sur le continent, n’est pas adapté au fonctionnement des PME. Cependant, certains exemples de réussite prouvent que le risque pesant sur les PME du continent, du fait de leur personnification et de leur opacité peut être jugulé, si l’on élabore des stratégies adéquates. Il faudrait donc penser à un modèle qui intègrerait une quatrième phase en amont des trois phases identifiées ; que l’on pourrait appeler « phase de réorganisation ». L’objectif de cette phase serait principalement, de faciliter une réorganisation de la PME dans tous ses aspects et aboutirait à la signature d’un pacte d’actionnaires, qui sera dans ce cadre plus un contrat de gré à gré qu’un contrat d’adhésion, comme s’est généralement le cas. Ce modèle « acclimaté », tenant compte des réalités des PME africaines ; devrait ainsi permettre à un plus grand nombre de PME de bénéficier des ressources énormes des fonds de private equity et de ce fait générer par leur performances, une croissance inclusive des économies du continent.

                                                                                                                                                   Larisse M. Adewui           

Sources :

STEVENOT Anne (2006). L’influence des Capital Investisseurs sur la gestion des ressources humaines des entreprises financées : dimensions, enjeux et limites, FARGO – Centre de recherche en Finance, Architecture et Gouvernance des Organisations.