Le secteur privé, maillon fort de l’intégration économique du Maroc en Afrique

Les deux chefs d Etat, Mohammed VI et Macky Sall, président le lancement du Groupe d impulsion economique entre le Maroc et le Senegal, le 25 mai 2015.
Le Maroc « est déjà le deuxième investisseur du Continent, mais pour peu de temps encore, avec sa volonté affichée de devenir le premier » déclarait le Roi Mohammed VI dans son Message au 27ème Sommet de l’Union Africaine à Kigali, le 18 juillet 2016. En effet, plus d’1,5 milliard de dollars ont été investis par les entreprises marocaines entre 2003 et 2013 en Afrique de l’Ouest et Centrale, soit la moitié des investissements directs étrangers du Maroc réalisés ces dernières années.

Dès le début des années 2000, plusieurs entreprises marocaines privées sont allées s’installer en Afrique, couvrant un ensemble diversifié de secteurs. A titre d’illustration, l’implantation de filiales bancaires de la Banque Centrale Populaire, de BMCE Bank of Africa et d’Attijariwafa Bank dans une quinzaine de pays africains. Le holding d’assurance Saham est également présent dans une vingtaine de pays du continent, depuis le rachat de l’opérateur nigérian Continental Reinsurance en 2015. Dans les télécommunications, Maroc Télécom a renforcé son emprise dans le continent avec le rachat de 6 filiales africaines de son actionnaire émirati Etisalat. En outre, plusieurs holdings comme Ynna Holding et la Société Nationale d’Investissement (SNI), à travers sa filiale minière Managem interviennent en Afrique. Dans le secteur immobilier, Alliances Développement Immobilier a signé des accords de partenariat avec les gouvernements camerounais et ivoirien pour la construction de milliers de logements sociaux, Palmeraie Développement a lancé des projets de construction au Gabon, en Côte d’Ivoire et récemment au Rwanda. Le Groupe Addoha a également jeté son dévolu sur le continent via ces deux entreprises : Addoha et Ciments de l’Afrique (CIMAF), motivé par les importants investissements en infrastructures (autoroutes, ponts, ports, logements sociaux, universités, etc). Rejoint depuis peu par LafargeHolcim Maroc Afrique (LMHA), filiale détenue à parts égales par le cimentier LafargeHolcim et le holding royal SNI.

Ainsi, le secteur privé joue un rôle primordial dans l’intégration économique régionale. La mobilisation des investissements privés y est essentielle pour la création d’emploi, l’amélioration de la productivité et l’augmentation des exportations. L’intégration économique maroco-africaine dessinée par le Roi Mohammed VI appelle les opérateurs nationaux à partager leurs expériences et à raffermir leurs relations de partenariat avec les pays africains. Le secteur privé marocain aura alors pour rôle de transférer ses connaissances, tout en exploitant le potentiel de production, contribuant ainsi à l’amélioration de sa compétitivité à l’échelle internationale. Pour sa part, le commerce interrégional offre une occasion de dynamiser les échanges commerciaux – encore faibles – et de réduire le déficit structurel de la balance commerciale marocaine. Le potentiel économique étant important. La CEDEAO (Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest) et la CEMAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) comptent plus de 300 millions de consommateurs, soit un marché 9 fois supérieur à la population marocaine.

Rôle des Groupements d’impulsion économique dans le renforcement des relations économiques bilatérales

A chaque déplacement officiel de Mohammed VI, le Maroc conclut avec les autres pays africains des accords préférentiels prévoyant des facilités douanières et des avantages fiscaux afin de promouvoir les échanges commerciaux et développer les investissements intra-africains. Aujourd’hui, les relations économiques entre le Royaume et les autres pays africains sont régies par un cadre juridique de plus de 500 accords de coopération.

Ceci est tellement important que le Roi Mohammed VI a invité le Gouvernement – lors de la 1ère Conférence des ambassadeurs organisé en août 2013 – à œuvrer en coordination et en concertation avec les différents acteurs économiques des secteur public et privé en vue de saisir les opportunités d’investissements dans les pays à fortes potentialités économiques. Ainsi, les derniers périples royaux ont été marqués par la mise en place de Groupes d’impulsion économique (GIE) entre le Maroc et le Sénégal, d’une part, et le Maroc et la Côte d’Ivoire, d’autre part. Ces instruments, co-présidés par les ministres des Affaires étrangères et les présidents des patronats de chaque pays, visent à promouvoir le partenariat entre les secteurs privés et à booster les échanges commerciaux ainsi que les investissements[1].

Avec une population de près de 22 millions d’habitants, la Côte d’Ivoire est la 1ère économie de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine) et est également la 2e puissance économique de la CEDEAO. Et les opportunités d’investissements n’y manquent pas : l’industrie, les infrastructures et BTP, les mines, énergies, etc. Le Sénégal n’est d’ailleurs pas en reste. Il existe de nombreuses raisons qui encouragent les investissements dans le pays tels que la stabilité politique, l’ouverture économique et la modernité des infrastructures. La protection des investisseurs marocains est également assurée grâce notamment aux accords de promotion et de protection réciproque des investissements et des accords de non double imposition. Le protocole d’accord relatif à la création d’une joint-venture entre le groupe marocain « La Voie Express » et la société sénégalaise « Tex Courrier » signé le 9 novembre 2015 lors de la cérémonie de présentation des travaux du GIE maroco-sénégalais – présidé par le Roi Mohammed VI et le Président Macky Sall – témoigne à juste titre du rôle moteur joué par cet instrument pour la dynamisation du partenariat privé-privé[2].

Par ailleurs, les échanges entre le Royaume et le continent africain ont connu une nette augmentation durant la dernière décennie. Sur la période 2004-2014, les échanges globaux du Maroc avec le continent ont quadruplé, passant de 1 milliard de dollars à 4,4 milliards de dollars. L’étude ‘‘Structure des échanges entre le Maroc et l’Afrique : Une analyse de la spécialisation du commerce’’ réalisée par OCP Policy Center en juillet 2016 montre que l’Afrique de l’ouest reste la 1ère destination des exportations marocaines[3]. Cette région a notamment accueilli environ 50,08% de ces exportations en 2014, soit l’équivalent de 1,04 milliard de dollars[4]. Toutefois, l’analyse de la structure des exportations fait ressortir que les exportations marocaines vers le continent sont dominées par les biens intensifs en matières premières et ressources naturelles[5]. Un fort potentiel reste encore à développer pour dynamiser davantage les exportations marocaines. La Direction des études et des prévisions financières (DEPF), rattachée au Ministère de l’Economie et des Finances marocain, soulignait dans son étude ‘‘Relations Maroc-Afrique : l’ambition d’une nouvelle frontière’’ que « les entreprises marocaines, ciblant le marché africain, devraient privilégier une stratégie de pénétration basée sur des considérations de coûts à partir de choix sectoriels ciblés en fonction de l’évolution des besoins actuels et surtout futurs des populations africaines, l’essor démographique, la montée des classes moyennes et l’urbanisation rampante du continent sont autant de facteurs à prendre en considération pour anticiper la configuration ascendante de ces économies en voie d’émergence ». Dans ce sens, les entreprises exportatrices marocaines ont intérêt à anticiper les dynamiques de transformations économiques, sociales et culturelles qui se profilent à l’horizon en Afrique subsaharienne en mettant en place des stratégies d’adaptation afin de capter une part de marché supérieure et combler leur retard sur cette région dynamique.

L’action économique au cœur de la stratégie d’intégration du Maroc en Afrique

L'intégration économique est aussi importante pour le Maroc que pour le continent. La récente tournée royale effectuée au Rwanda, Tanzanie, Sénégal, Ethiopie, Madagascar et Nigéria a vocation à la renforcer. L’Afrique de l’est est la région africaine la plus dynamique. Et le potentiel économique y est encore inexploité. Ainsi, afin que le Maroc puisse renforcer davantage sa présence sur le continent africain, il convient d’explorer un certain nombre de pistes. Tout d’abord, encourager l'internationalisation des entreprises marocaines et leur investissement en terre africaine en mettant à leur disposition une véritable base de données sur les spécificités et le potentiel de chaque économie. Ensuite, favoriser les flux d’exportations vers les pays africains. Les acteurs publics et privés sont tous les deux concernés par la promotion des produits marocains. La nouvelle Agence marocaine de développement des investissements et des exportations mais également l’ASMEX (Association marocaine des exportateurs) devront conduire des missions commerciales dans différents gisements africains et offrir aux entreprises nationales l’accompagnement nécessaire pour développer leurs exportations et/ou réaliser leur projet de développement sur le continent. Enfin, renforcer l’intégration commerciale avec les différents pays africains. Le marché de consommation est en train de se constituer avec l’émergence d’une classe moyenne davantage tournée vers les produits manufacturés et à forte valeur ajoutée. La négociation de partenariats avancés avec la CEDEAO et la CEMAC incluant la mise en place de zones de libre-échange, constitue à son tour une porte d’entrée idéale sur ce grand marché de plus de 300 millions d’âmes.

A l'ère de la mondialisation et de la concurrence internationale acharnée, la projection accrue des économies émergentes sur le continent africain est empreinte de rivalités : Chine, Inde, France, Japon ou encore l’Allemagne, tous ont dévoilé leurs ambitions africaines. Face à ce contexte international, la diplomatie marocaine se veut plus ambitieuse et agressive. Le Roi Mohammed VI déclarait à l’ouverture du Forum Maroco-Ivoirien du 24 février 2014 : « les relations diplomatiques sont au cœur de nos interactions. Mais, à la faveur des mutations profondes que connaît le monde, leurs mécanismes, leur portée ainsi que leur place même dans l'architecture des relations internationales, sont appelés à s'adapter aux nouvelles réalités. » Dans ce sillage, le Maroc gagnerait à organiser un sommet d’affaires maroco-africain. Ce dernier s’inscrirait dans la continuité de l’Africa Action Summit et porterait sur le potentiel de développement économique du continent. Le Sommet réunirait, ensemble, les gouvernements et entreprises, les secteurs public et privé, autour du développement économique, social, et humain de l’Afrique. L’enjeu étant de réaffirmer la stratégie d’influence du Maroc sur le continent.

Hamza Alami


[1] Les groupements d’impulsion économiques comprennent 10 secteurs d’activités identifiés comme prioritaires : il s’agit des commissions Banque-finances-assurance, agri-business-pêche, immobilier-infrastructures, tourisme, énergie-énergie renouvelables, transport-logistique, industrie-distribution, économie numérique, économie sociale et solidaire-artisanat, capital humain-formation et entreprenariat

[2] Christophe Sidiguitiebe, Quatre nouveaux accords signés entre le Maroc et le Sénégal, Telquel.ma, le 10.11.2016 : www.telquel.ma/2016/11/10/quatre-nouveaux-accords-signes-maroc-senegal_1523082

[3] Quatre des cinq principaux partenaires commerciaux africains (Algérie, Mauritanie, Sénégal, Côte d’Ivoire et Nigéria) font partie de l’Afrique de l’ouest.

[4] En ce qui concerne les importations, le poids de l’Afrique du nord a constitué la source de près de la totalité des importations marocaines, avec une part de 82% en 2014 contre 53% en 2004, en important principalement du gaz naturel, du gaz manufacturé, du pétrole et produits dérivés.

[5] Les exportations marocaines sont constituées essentiellement de produits alimentaires et animaux vivants (25%), les machines et matériels de transport (18,5%), les produits chimiques et produits connexes (18,1%), les articles manufacturés (15,9%) et les combustibles minéraux, lubrifiants et produits connexes (11,7%).

Renforcer la sécurité fiscale pour contribuer au développement des PME africaines

fiscaliteLa mondialisation des économies rend les entrepreneurs toujours plus demandeurs de sécurité juridique. La capacité à maîtriser le risque et l’incertitude liés au traitement fiscal applicable aux affaires projetées  est un déterminant essentiel dans la décision d’investir dans un Etat et ce, surtout pour les petits et moyens entrepreneurs dont les coûts d’entrée sur un marché et les coûts irrécupérables sont plus élevés. Primordiale, la sécurité fiscale agit donc comme un gage de prévisibilité et ravive la confiance des investisseurs dans des Etats où l’instabilité politique est l’une des causes majeurs de sous-développement.

Or les Etats africains, qui auraient précisément besoin d’un cadre fiscal stable sont depuis peu caractérisés par une véritable inflation des normes fiscales qui conduit à un manque d’efficacité de l’administration fiscale et à une fuite des capitaux.  La Banque Mondiale a publié, en novembre 2013, en partenariat avec le cabinet PwC (Paying Taxes 2014 : The global picture),  un rapport révélant le phénomène de « surfiscalité » dont souffre de nombreux opérateurs économiques en Afrique. Les petites et moyennes entreprises africaines présentaient, en effet, un record en matière de normes et du taux d’imposition global qui s’élève à 52,9% contre 43,1% pour la moyenne mondiale en 2013. En février 2013, c’est le rapport Sweet Nothings de l’ONG ActionAid qui dénonçait la concurrence fiscale déloyale à laquelle se livrerait l’île Maurice depuis le milieu des années 2000. Paradis fiscal insulaire, l’île priverait ainsi l’Afrique continentale d’une partie de ses recettes fiscales en attirant les placements des grandes firmes capables de contourner les administrations fiscales trop complexes du continent en ayant recours à des montages fiscaux agressifs et optimisateurs. Pour faire face à ces multiples menaces, les Etats africains pris dans un cercle vicieux, accélèrent considérablement depuis deux ans leur train de réformes fiscales, au risque de négliger parfois le principe de sécurité fiscale et de nuire au développement des PME qui se trouvent dépassées par l’inflation législative en matière d’impôt des sociétés.

La situation de ces PME rappelle le fait que l’attractivité d’un territoire ne dépend pas uniquement de la mise en place d’une « fiscalité minimale ou zéro » mais également de la stabilité des lois qui l’encadrent.  Le présent article vise à s’interroger sur les moyens dont disposent les économies africaines pour concilier une politique fiscale efficace et attractive avec la nécessaire stabilisation de l’environnement juridique des PME.

Un train de réformes fiscales soutenu : opportunité ou danger ?

Le rapport annuel Doing Business[1] publié par la Banque Mondiale en 2015 a salué l’Afrique pour son volontarisme et ses efforts en matière de réformes en faveur du développement des affaires et notamment via le levier fiscal. « Nos données montrent que l'Afrique subsaharienne a enregistré le plus grand nombre de réformes sur 2013/14 ayant facilité le climat des affaires, avec 75 réformes sur les 230 recensées à travers le monde » souligne Melissa Johns, spécialiste des indicateurs mondiaux à la Banque mondiale, dans un communiqué de l’organisation.

Le Bénin, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, le Sénégal et le Togo font partie des pays ayant les plus progressé dans le monde l’an passé en matière de facilitation des affaires. Force est de constater que ces pays se sont engagés dans une frénésie de réformes fiscales depuis 2014 et que la tendance devrait se confirmer en 2015. La Côte d’Ivoire avait ainsi mis en place une Commission de la réforme fiscale en septembre 2014, qui vient de remettre au premier ministre un rapport intitulé « Réformer le système fiscal et douanier pour soutenir le développement de la Côte d’Ivoire ». Dans le même temps, en marge du dévoilement de l’édition 2015 du rapport Doing Business, le sénégalais Mamadou Lamine Bâ, ex-directeur de l’environnement des affaires et de l’Agence pour la promotion des investissements et des grands travaux  (APIX) se félicitait  du fait qu’une quarantaine de mesures fiscales destinées à améliorer l’environnement des affaires au Sénégal soit devenue effective sur la période 2013-2015. Si ces avancées sont louables, bien souvent ces mesures sont prises par décret et hors du cadre de la loi de finance annuelle ce qui conduit à un enchevêtrement des normes fiscales et à un problème de stabilité du cadre juridique qui varie au gré des intérêts économiques des champions nationaux.

Une réforme de la fiscalité des entreprises à deux vitesses : le cas récent du Cameroun

Les Etats africains, désireux de voir se développer leurs grandes entreprises redessinent parfois la fiscalité des sociétés dans la précipitation,sans tenir compte des intérêts des PME. Le cas du Cameroun est à ce titre éloquent. Dans ce pays, la loi de finances pour l’année 2015 a été marquée par une réduction de cinq points du taux de l’impôt sur les sociétés, le faisant ainsi passer de 35 à 30%. Lors des débats parlementaires, les partisans de cette réforme – principalement la grande chambre syndicale Groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM) –  estimaient que la baisse de ce taux d’imposition se traduirait par une hausse des investissements et une libération de la croissance nationale. Pourtant, force est de constater que la mesure a obtenu un accueil mitigé de la part des directeurs de petites et moyennes entreprises. Ces derniers craignaient, à raison que cette mesure coûteuse ait pour corollaire la hausse inopinée du taux d’acompte qui permet aux entreprises en difficulté voire déficitaires d’alléger leur charge fiscale en s’acquittant de l’impôt sur les sociétés par acomptes de 1% du chiffre d’affaires mensuel. Ce dispositif qui concernait jusqu’ici  70% des entreprises camerounaises est désormais considéré comme une « source d’évasion fiscale » selon le ministère des Finances.

 La loi de finances pour l’année 2015 prévoit donc d’instaurer un taux flottant variant entre 2 et  3% par décret pendant une période transitoire. Cette décision – en plus d’instaurer un cadre juridique fragile – a d’ores et déjà pesé sur les PME camerounaises concernées qui voient pour certaines leur charge fiscale doubler voire tripler tandis que d’autres, ne pouvant faire face à ces coûts sont désormais en litige avec l’administration fiscale, comme le rapporte le Président du syndicat patronal Entreprise du Cameroun, Protais Ayangma Amang[2].

Le rescrit fiscal[3] : un outil de contractualisation nécessitant confiance et contrôle.

Pour faire face à ces défis, plusieurs Etats africains se sont dotés du précieux outil que constitue le rescrit fiscal depuis le début des années 2000. Ce dispositif permet à tout investisseur de solliciter préalablement auprès de l’administration, un avis au sujet du régime fiscal applicable aux opérations qu’il prévoit de réaliser. L’investisseur peut donc opposer en cas de contrôle fiscal ou de litige, la réponse, fournie en amont par l’administration fiscale. Le Cameroun a ainsi institué le rescrit dans le cadre de la loi de finances pour l’exercice 2008. En Algérie, le rescrit fiscal est introduit en loi fiscale, plus précisément au sein d’un nouveau titre, inséré au code des procédures fiscales par la loi de finances 2012. De même les trois grands pays de l’Afrique anglophone que sont le Nigeria, le Ghana et le Kenya s’en sont également emparés.

Pourtant, la généralisation du rescrit fiscal en Afrique ne saurait se passer d’un contrôle strict des procédures. En effet s’il est un levier puissant de sécurité juridique importé du droit fiscal européen, le rescrit fiscal peut également être un outil de fraude active lorsque l’administration fiscale ne se contente pas de donner un avis sur une opération mais conclut un accord fiscal secret avec une entreprise, comme l’affaire LuxLeaks l’a révélé en Europe à la fin de l’année 2014. A ce titre, le rescrit s’il n’est pas encadré, pourrait avoir des effets dévastateurs en Afrique et tendre à accentuer encore plus l’écart existant entre les firmes multinationales capables de conclure des accords avantageux avec les administrations fiscales locales et les PME moins informées et lésées.

Le rescrit fiscal demeure – à la condition sine qua non d’être étroitement contrôlé  une chance pour les PME africaines qui contrairement aux grandes entreprises n’ont pas les moyens de consulter un cabinet de conseil ou un avocat fiscaliste : il leur permettra d’évoluer dans un environnement fiscal plus transparent et de communiquer de façon apaisée avec l’administration fiscale.

Les Etats africains ne peuvent pas faire l’économie de l’instauration d’un régime fiscal stable et relativement prévisible. L’enjeu pour le continent est de concilier l’objectif de facilitation du climat des affaires encouragé par les organisations internationales et le respect du principe de sécurité fiscale, notamment pour les PME. Ces-dernières sont actuellement parmi les plus imposées du monde et leur environnement instable a tendance à s’aggraver avec l’essor actuelle des réformes dans les pays africains. Des règles de bonne conduite des réformes fiscales pourraient permettre d’assurer la stabilité nécessaire au développement équitable de l’activité économique : monopole de la loi de finances annuelle en matière de législation fiscale, généralisation et encadrement du rescrit fiscal, mise en place d’un observatoire national de la réforme fiscale associant représentant des grandes entreprises et des PME, etc.

Daphnée Sétondji


[1]Doing Business Report, World Bank 2015

[2]  Interview accordée au magazine Jeune Afrique le 5 décembre 2014.

[3] Demande d’avis à l’administration fiscal avant la réalisation d’une opération

Financement à long terme des entreprises : un défi majeur

185236742Le financement des entreprises constitue pour les économies africaines un défi majeur. Le secteur privé africain est constitué pour l’essentiel de PME, qui ne contribuent que très faiblement à la création de richesse sur le continent. Une situation qui résulte notamment, des difficultés qu’elles ont à financer leurs investissements. Malgré l’amélioration ces dernières années des conditions de financement, du fait de la prise de conscience des différents acteurs du potentiel que représente ce segment, une problématique demeure : celle du financement des investissements à longs termes, nécessaire à une croissance soutenue du secteur privé. Selon certaines sources, les crédits à longs termes destinés au financement de l’investissement ne représentent  que 3.5% des crédits totaux.[1] L'ouverture du capital, qui constitue un autre moyen de financement productif pour les entreprises, est également très peu développée sur le continent. Or, seules ces deux options pourraient permettre de réaliser le plein potentiel du secteur privé. Cet article se propose de discuter les contraintes à l’efficacité de ces moyens de financement tout en envisageant des approches de solutions.

La théorie économique nous enseigne que c’est l’épargne qui finance l’investissement et les établissements (institutions de microfinance et banques), ne sont que des intermédiaires qui collectent auprès d’agents disposant de capacité de financement (soit l'épargne) et octroient des crédits à ceux ayant des besoins de financement (l'investissement). Cependant, le constat fait en Afrique est que l’essentiel des ressources collectées par les établissements financiers ne sont disponibles qu’à court terme et ne permettent pas de financer les besoins à longs termes des entreprises, au risque de faire entorse aux réglementations régissant le respect du ratio de liquidité fixées par les banques centrales. Ainsi, au-delà de  l’aversion au risque qui tient au fait que le risque de défaut croît en fonction de la durée d’amortissement du crédit ; la principale cause du faible taux de crédits à longs termes est le déficit d’épargne, et plus particulièrement de celle à longue durée. Le faible taux de bancarisation en Afrique  explique entre autres cette situation. En 2012 ce taux se situait en  moyenne à 24.1% en Afrique Sub-saharienne. Aujourd’hui, la collecte de l’épargne se fait essentiellement à partir des agences bancaires. Une stratégie qui a montré ses limites. Il est donc nécessaire de repenser le système de collecte de l’épargne. Des solutions innovantes sont déjà utilisées dans certains pays tel que le Kenya, avec le « Mobile Banking ». Pour attirer les personnes non bancarisées, la téléphonie mobile offre de véritables solutions aux établissements financiers. M-Pesa, un service lancé par l’entreprise dirigée par Bob Colymore, Safaricom, y a remporté un large succès en favorisant la dématérialisation du service bancaire. Cette innovation en a entrainé une seconde. Avec l’association entre Equity Bank et l’opérateur télécom a vu le jour M-Kesho. Un système qui permet de bénéficier d’un compte bancaire, avec les services qui y sont associés tel que la micro-épargne et le micro-crédit ; et grâce auquel la banque a multiplié le nombre de ses clients par six(6). La Nigériane First Bank et le groupe panafricain Ecobank se sont elles aussi associées respectivement à Etisalat et à Airtel, dans le but de développer le même type de produit.

D’autres innovations qui contribuent à démystifier la banque, en faisant des opérateurs économiques tels que – les pharmaciens, les boutiquiers de quartiers, etc.- de véritables intermédiaires bancaires sont également de nature à favoriser la collecte des ressources auprès d’une plus large population. Une fois cette épargne collectée, il s’agira de miser sur sa conservation.

En Afrique, les populations développent une appétence pour les placements immobiliers au dépend de placements liquides, réduisant de facto la part de l’épargne long terme. Il faudra donc encourager une épargne de longue durée en aidant au déploiement des projets. Un accent devra être mis sur les plans épargnes immobiliers-logements, achats de matériels agricoles, véhicules, etc.- Une autre solution consisterait à offrir des taux de rémunération croissants aux clients n’effectuant pas de retraits, afin de limiter les décaissements. Le levier fiscal pourra être un facteur stimulant sans pour autant être déterminant, car les rendements après impôt dépendent surtout des performances financières des produits.

Par ailleurs, au-delà des stratégies de hausse de la bancarisation, les marchés financiers sont des moyens alternatifs de collecte de ressources longues. Les établissements de crédits doivent chercher à y lever des fonds, en émettant par exemple des obligations avec maturités longues. Elles peuvent également opter pour la cession de titres de participations comme l’ont déjà fait sept (7) filiales de groupes bancaires sur la BRVM (Bourse Régionale et des Valeurs Mobilières). Plus il y aura de solutions innovantes de collecte de ressources durables, plus les établissements de crédits pourront financer les investissements à longs termes des entreprises.

L’apport en fonds propres, la seconde  option qui s’offre aux entreprises, consiste à l’ouverture du capital. Dans ce cadre, elles font recours aux marchés financiers en s’y faisant coter ou  font appel aux  sociétés de private equity, qui manifestent de plus en plus un intérêt certain au continent, du fait des forts taux de croissance qui y sont enregistrés. Malheureusement ces solutions sont confrontées à des obstacles majeurs.

La gestion opaque des affaires par les entrepreneurs africains est le principal obstacle. En effet, la PME africaine a un système d’organisation du pouvoir presque toujours concentré dans les mains de l’entrepreneur, empêchant de ce fait l’ouverture du capital à d’autres actionnaires. Une revue du système de gouvernance s’impose. Il ne s’agit pas d’abandonner  totalement le système de management actuel. Mais de créer une synergie entre les bonnes pratiques du management traditionnel africain et celles du capitalisme moderne. Les recherches d’Hernandez (1997)[2] à la suite desquelles, il propose un modèle de management pour l’entreprise africaine utilisant  un troisième facteur appelé, « facteur C », est une bonne piste. En effet, il n’y a pas que le capital « k » et le travail « T » à prendre en compte comme facteurs économiques ; le  « facteur C » pour (Coopération, Communauté, Collaboration) est également générateur de productivité, car il facilite la bonne marche de l’organisation. Le management, acclimaté à l’Afrique, devrait s’approprier ce troisième facteur, afin d’y rendre réellement efficace l’approche du management du capitalisme moderne ; et par ricochet favoriser l’entrée d’investisseurs au capital des entreprises.

En plus de cet obstacle, qui est une faiblesse commune aux deux modes de financement identifiés liés à l’ouverture du capital ; il existe des contraintes spécifiques à chacune d’elles.

La cotation sur les marchés financiers, des PME africaines, est limitée car les conditions d’entrée sont très sélectives. S’ajoute aux critères tels que la présentation d’états financiers certifiés sur les dernières années, une exigence de capital minimum. Ce qui constitue une véritable barrière à l’entrée. Néanmoins des bourses de PME voient le jour sur le continent afin d’apporter des solutions ; ces dernières rencontrant des succès mitigés car très peu d’entreprises franchissent le pas. Le Ghana qui fait souvent figure d’exemple en Afrique, ne compte aucune entreprise cotée sur son compartiment des PME. Les réformes doivent donc être poursuivies en vue de rendre la bourse plus accessible aux entreprises africaines en s’inspirant notamment du modèle britannique, qui est le plus abouti à ce jour.

Concernant le private equity, s’ajoute à l’effet paradigme, un autre obstacle qui résulte du niveau trop élevé des tickets d’entrée des sociétés de private equity. Des montants pouvant atteindre 100 millions USD en décalage par rapport aux besoins réels, beaucoup plus modestes, des entreprises. Du coup, pour que les ressources énormes des fonds de private equity profitent au plus grand nombre, il faudrait que leurs tickets d’entrée soient revus à la baisse. Ce qui suggère une réorientation de leurs stratégies d’investissements, qui devront dans cette optique, être davantage axées PME.

Il résulte de cette analyse, que beaucoup reste à faire en vue d’améliorer l’accès aux ressources capables de financer les investissements en termes de production, de développement à l’international, etc. nécessaires à la croissance des entreprises. L’innovation ayant été identifié comme étant la clef dans la bataille à la collecte de ressources longues, les intermédiaires financiers devront développer des stratégies allant dans ce sens, en vue d’apporter des solutions adéquates aux entreprises. D’autres moyens de financement tel que le Crowdfunding[3], déjà très développé en occident pourrait être une alternative. Par ailleurs les initiatives comme celle du Fonds africain de garantie de la BAD, qui permet aux PME de bénéficier de prêts auprès des établissements de crédits à des durées de remboursement longues sont à multiplier. En définitif, la question du financement à long terme des entreprises requiert l’implication de tous les acteurs économiques. Cependant avant toute action, la problématique de la refonte de la gouvernance devra être résolue, sans quoi, les efforts seront vains.

                                                                                                                                                      Larisse Adewui

[1] « Les financements institutionnels » du trimestriel A24 magazine N°14

[2] M. HERNANDEZ (1997). Le management des entreprises Africaines : essai de management du développement, Paris, L’Harmattan.

[3] Le Crowdfunding ou financement participatif est une expression décrivant tous les outils et méthodes de transactions financières, qui font appel à un grand nombre de personnes pour financer un projet. L'émergence des plates-formes de financement participatif a été permise grâce à internet et aux réseaux sociaux. Il est dit désintermédié, car se faisant sans l’aide des acteurs traditionnels du financement.