Comment conquérir 1 milliard de consommateurs africains ?

Ils seront 1,3 milliards en 2030. Dans un contexte économique mondial morose, difficile d’ignorer le formidable relais de croissance représenté par les consommateurs africains. Le marché est énorme, mais encore faut-il que les entreprises comprennent le profil de ces consommateurs, qui ne correspondent pas aux catégories socioprofessionnelles type, et la diversité de leurs besoins.

Explorer les poches de croissance du continent

L’explosion de la démographie en Afrique est un sujet connu : 1 milliard d’habitants en 2010, près de 2 milliards en 2050, selon les estimations des Nations Unis. Face à cette démographie plus que favorable, d’autres facteurs permettent de penser que l’Afrique représente le nouvel eldorado des entreprises commerciales : amélioration du pouvoir d’achat, urbanisation rapide et hausse du taux d’activité des femmes encouragent l’avènement d’une société de consommation africaine, qui permettrait de stimuler encore davantage la croissance du continent.

Cibler les attentes des consommateurs africains

Pour ces entreprises, l’enjeu réside d’abord dans le fait de bien cibler les attentes des consommateurs selon leurs revenus. Parmi les tentatives assez convaincantes pour définir une typologie du consommateur africain, on peut citer l’étude d’Accenture, The Dynamic African Market : Exploring growth opportunities in Sub-Saharan Africa, qui dessine 5 profils types :
(i) le « Basic Survivor » : revenu inférieur à 100 dollars par mois (50 275 FCFA), qui s’approvisionne dans les échoppes et les marchés pour ses achats de base : nourriture, vêtements et petites dépenses (cigarettes, alcool, crédit téléphone, transport)

(ii) la « Working Family » : revenu qui varie entre 100 et 250 dollars (125 700 FCFA) par mois. La différence de revenu avec le Basic Survivor s’explique par le fait qu’au moins deux adultes de la famille travaillent, ce qui permet de financer les dépenses liées aux enfants et à leur éducation

(iii) les « Rising Strivers » : cette catégorie correspond aux deux profils précédents ayant acquis une compétence recherchée sur le marché du travail, ou qui ont accès au crédit. Ce groupe représente 10 à 16% de la population sub-saharienne actuelle. Les familles disposent d’un revenu qui oscille entre 250 et 750 dollars (377 000 FCFA) par mois, ce qui leur permet d’acheter des produits non essentiels.

(iv)  les « Cosmopolitan professionals » disposent eux d’un revenu qui varie entre 700 et 1000 dollars (502 750 FCFA) par mois, qu’ils dépensent aux supermarchés et dans les centres commerciaux, et de plus en plus en ayant recours à des services bancaires. Ils représentent 2 à 3%  de la population sub-saharienne actuelle.

(v) les « Affluent », à savoir la classe aisée qui disposent d’un revenu supérieur à 1200 dollars (603 00 FCFA) par mois, qu’ils dépensent notamment dans des produits de luxe et des voyages.

Bien que cette catégorisation puisse être considérée comme simpliste, elle a le mérite de faire apparaître la spécificité africaine dans la typologie des consommateurs et de souligner le potentiel de croissance représenté par certains groupes (Working families et Rising Strivers), qu’il s’agira pour les marques d’exploiter.

Affiner les stratégies de vente

Suite à l’échec de l’uniformisation des campagnes marketing, les entreprises ont vite compris que le consommateur africain avait des besoins spécifiques, et se sont adaptées en conséquent. Revue de quelques stratégies marketing à succès.

Conditionnement : Le contexte africain (irrégularité des revenus pour la plupart des personnes actives, coupures d’électricité, consommateurs peu habitués à stocker des produits) a poussé les marques à proposer les produits en conditionnement réduit, ce qui permet de pousser le consommateur à l’acte d’achat, le prix initial étant attractif par rapport aux conditionnements classiques
Vente à l’unité : en s’inspirant du modèle indien, la plupart des multinationales proposent des produits vendus à l’unité pour les biens de consommation considérés comme non essentiel (yaourts, friandises, lessive). Le groupe Unilever vend ainsi sa lessive à l’unité (lingots), de même pour Danone, qui permet la vente de yaourts à l’unité.
Captation du revenu journalier : en prenant en compte la fluctuation des revenus et l’absence d’épargne de la plupart des consommateurs africains, les multinationales misent sur la petite monnaie dont chacun dispose au quotidien. En Egypte, la chaîne de fast-foods Mc Donalds a lancé ses populaires Menus « Fekka » (petite monnaie, en arabe) à bas prix, et les opérateurs de téléphonie proposent de recharger les téléphones en prépayé pour moins d’un euro.
Instaurer de nouvelles habitudes alimentaires : dans l’objectif de pousser progressivement les consommateurs vers l’alimentation industrielle, aux marges bien plus élevées que les produits de base, les multinationales ont créé de nouveaux réflexes alimentaires, jusque là quasi inexistants, comme le petit déjeuner « à l’occidentale », à grands renforts de céréales raffinées et de produits sucrés. La pratique du snacking, inexistante a elle été vantée dans des publicités diffusées quotidiennement, afin de développer une consommation instantanée et impulsive.
Vendre des produits jusque là gratuits : l’eau, jusqu’alors considérée comme un bien public mondial accessible à tous librement est dorénavant commercialisée comme n’importe quel autre bien marchand. Le marché de l’eau en bouteille a connu une forte progression ces dernières années sur le continent africain, les marques (Nestlé, Coca Cola, Pepsi) profitant de la mauvaise qualité du réseau de distribution d’eau public pour capter la ressource et la revendre à des prix élevés compte tenu du niveau de vie local.
Développer des stratégies de vente multicanal : face à la taille du secteur informel en Afrique et à son poids financier, les entreprises commerciales ne distribuent pas leurs produits uniquement en supermarché, peu accessibles pour l’ensemble de la population, et ont multiplié les points de ventes. Dans les régions rurales, les revendeurs parcourent ainsi les villages à mobylette pour distribuer leurs produits.

L’Afrique représente donc un formidable relais de croissance pour les entreprises multinationales, et peut-être le dernier marché restant à conquérir. C’est pourtant le continent où il est le moins facile pour les marques de s’implanter, en raison d’une insuffisance au niveau des infrastructures, et du poids de l’économie informelle. Pourtant l’amélioration du climat des affaires et une tendance à la stabilisation politique de la plupart des pays africains favorisent l’installation durable d'entreprises commerciales performantes, qu'il s'agisse d'entreprises locales ou de multinationales, avec à la clé des créations d’emploi et une amélioration de la qualité de vie, même si à l’évidence tous n’en profiteront pas.

 

Leïla Morghad