Obama et la « Bande des quatre »

Jacques Foccart raconte dans ses mémoires que parlant des Chefs d’Etat africains, De Gaulle lui dit un jour ceci : « Foutez-moi la paix avec vos nègres ; je ne veux plus en voir d’ici deux mois, vous entendez ? Plus une audience avant deux mois. Ce n’est pas tellement en raison du temps que cela me prend, bien que ce soit déjà fort ennuyeux, mais cela fait très mauvais effet à l’extérieur : on ne voit que des nègres, tous les jours, à l’Élysée. Et puis je vous assure que c’est sans intérêt. »
 
Imaginer que de tels propos puissent sortir de la bouche de Barack Obama serait saugrenu. Pour la dernière phrase cependant, on nuancerait presque le propos. Une éternité après la saillie de Charles de Gaulle, en effet, on pourrait, avec un brin de témérité, se figurer le premier président afro-américain des Etats Unis, disant à Johnnie Carson, le monsieur Afrique de son administration, qui lui parlerait d’audiences à accorder aux leaders africains : « Je vous assure que c’est sans intérêt » avant de consentir à en recevoir quatre à la fois histoire de ne pas avoir l’impression de les voir, à la Maison Blanche, tous les jours.
 
Les présidents du Sénégal, de la Sierra Léone, celle du Malawi ainsi que le premier ministre du Cap-Vert ont été reçus, ce 29 mars, à la Maison Blanche afin d’être félicités pour les acquis démocratiques observés dans leurs pays.
 
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(crédits photos : Pete Souza – Official White House Photo)
 
A la sortie de son entrevue de quinze minutes avec Barack Obama, Macky Sall a confié aux journalistes avoir invité son homologue américain à lui rendre visite à Dakar.  Là,  on n’a pas pu s’empêcher de s’imaginer le président sénégalais inviter, dans le même temps, les présidents du Canada, du Mexique ainsi que celle du Brésil et les recevoir tous les quatre ensemble avant de leur accorder des tête-à-tête d’un quart d’heure, à tour de rôle. Pas sérieux tout ça. C’est en fait la preuve, par l’absurde, qu’en acceptant ce traitement, ces dirigeants ne forcent pas le respect. Ils se décrédibilisent en entrant à la queue leu leu dans le bureau ovale. De plus cette mise en scène triste ou comique – c’est selon – n’a concrètement, en terme de retombées sur leurs pays respectifs, aucun intérêt pour utiliser le bon mot de l’autre.
 
Les spécialistes affirment que depuis l’élection de Barack Obama en novembre 2008, les investissements de l’Amérique vers l’Afrique ont diminué. Georges Bush, notamment dans le financement des programmes anti sida, a fait mieux dans ce domaine que son successeur dit-on. Après l’euphorie ayant entouré son élection, Obama a tôt fait de rappeler à tout le monde que l’Afrique, c’est moins de 5% du commerce extérieur américain. Il y a juste eu un certain regain d’intérêt en matière de sécurité, d’influence géostratégique et de lutte contre le terrorisme.
 
Quand, voyant la Chine étendre son influence à coup de milliards de dollars (entre 2001 et 2011, le commerce entre le géant asiatique et le continent est passé de 20 à 120 milliards de dollars), certains conseillers ont commencé à insister sur l’urgence de contrer la Chine en Afrique, sans en faire une véritable priorité, le président a laissé sa secrétaire d’Etat d’alors, Hillary Clinton, s’occuper de la gestion de ce dossier.
 
Que Barack Obama ne porte pas beaucoup de considération à une région dont il juge l’impact sur le maintient de l’influence de son pays dans le monde insignifiante est somme toute normale (certains disent que dans le même ordre d’idées, il a un peu délaissé la vieille Europe pour les nouvelles opportunités offertes par l’Asie). Les américains l’ont élu et réélu pour qu’il s’occupe de leurs problèmes, et il fait de son mieux pour mériter leur confiance. Ce qui gêne en revanche, c’est l’attitude de ses homologues africains qui semblent considérer une réunion et quelques petites minutes d’aparté avec lui comme un succs diplomatique sans autre égal ou une merveilleuse consécration politique.
 
Au lendemain de son élection, beaucoup d’Africains se sont mis à rêver d’un nouvel allié sur la scène internationale lorsqu’il s’agirait, par exemple, de prendre position sur des questions à grands enjeux telles que la redéfinition des règles du commerce mondial ou l’obtention pour l’Afrique d’un siège au Conseil de Sécurité de l’ONU. Les plus réalistes avaient pourtant prévenu qu’il éviterait au contraire de renvoyer à son électorat un tropisme africain, qu’il serait, sur le fond, un président américain comme un autre, ne bousculant donc en rien les règles établies, même si sur la forme il s’efforcerait à renvoyer une image plus reluisante que celle de son prédécesseur. Cependant, l’obamania ambiant ne laissait pas beaucoup de place au retentissement d’un tel son de cloche.  
 
En juillet 2009, lors de sa première visite sur le continent, Obama prononçait, à Accra, un de ces discours dont il a le secret. « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais de fortes institutions » martelait-il devant un auditoire conquis. Aurait-il eu besoin de nous en administrer la preuve, qu’il n’aurait pas fait autre chose qu’obliger nos « hommes forts » à se mettre en quatre littéralement pour pouvoir entrer dans le saint des saints.
En août 2010, il accueillait, à la Maison blanche, plus d’une centaine de jeunes africains pour discuter de leur « vision de l’Afrique pour les 50 ans à venir ». Recevoir leurs représentants de la même manière que ces groupes de touristes qu’il croise de temps à autre dans son palais ne faisait certainement pas partie des idées de l’avenir qu’ils lui ont exposées.
 
Macky Sall raconte qu’en réponse à son invitation, Obama lui a assuré qu’il étudierait, lors de sa prochaine visite en terre africaine, la possibilité de passer par Dakar. Comme pour dire : je ne me déplace généralement pas pour visiter spécialement un pays africain, je choisis un créneau libre dans mes quatre ans de mandat et je visite, à coup de vent, les pays où je peux me rendre à ce moment là. Vous aurez peut être la chance d’en faire partie.
 
Au moins, il a un langage qui sied à sa fonction. Toujours correct et charmant même lorsqu’il vous envoie un peu promener…