Comment la ruée éthiopienne vers l’hydroélectricité a remis en question l’équilibre préétabli de sa région

Le-barrage-Grand-RenaissanceDurant l’Antiquité, l’historien Hérodote décrit que «L’Egypte est un don du Nil.» En effet, ce fleuve a joué un rôle majeur dans le développement de ce pays d’Afrique du Nord tant dans l’agriculture que le transport et a conditionné la vie de ses habitants dans les domaines sociaux et économiques. Au début du 20ème siècle, l’octroi par le tuteur britannique d’un Traité établissant un droit sur l’ensemble du Bassin du Nil, la reconnaissance, 10 ans plus tard par l’Italie, d’un droit supplémentaire sur le bassin du Nil éthiopien et la construction de grands barrages, comme à Assouan, lui ont permis de devenir la puissance régionale dans cette partie du monde. Toutefois, les récentes crises politiques intérieures, l’affaiblissement de son économie survenu après le printemps arabe, mais surtout, la ruée contemporaine vers l’électricité amorcée par certains pays voisins, notamment l’Ethiopie, remet en cause cette hégémonie.

Après une longue phase d’instabilité marquée par des guerres et des graves crises alimentaires, l’Ethiopie, d’où partent 80% des eaux du Nil, a connu un essor économique sans précédent dans son histoire. Actuellement classée par le Fonds monétaire international (FMI) parmi les cinq économies les plus dynamiques du monde, il a eu une croissance moyenne annuelle de 10,3% au cours de la dernière décennie et, celle-ci devrait se poursuivre en 2016. De plus, son gouvernement aspire, via de larges investissements publics, à devenir un pays à revenu intermédiaire, dont le Revenu national brut (RNB) par habitant se situerait entre 1 036 et 4 085 dollars, d’ici à 2025.

Dans ce contexte et afin de soutenir ce développement, les dirigeants du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) – parti au pouvoir depuis 1991 –   ont conçu un ambitieux plan d’électrification. Pour ce faire, ils ont misé sur l’énergie provenant de l’eau car il dispose d’un potentiel hydroélectrique parmi les plus importants d’Afrique (deuxième après la République démocratique du Congo) s’élevant à 40.000 MW et ont donc entrepris la construction de plusieurs barrages, dont le projet colossal du « barrage de la Renaissance », lancé en 2011 et qui aura une capacité de 6000 MW.  Toutefois, plusieurs obstacles légaux et politiques ont dû être surmontés.

En effet, le partage des eaux du Nil était défini par les termes d’un accord signés en 1959 entre le Soudan et l’Egypte. Celui-ci prévoyait une répartition de 55,5 et 18,5 milliards de mètres cubes d’eau en faveur du Caire et de Khartoum respectivement, sans prendre en compte les nations localisées en amont du fleuve. Face à cette situation, Addis-Abeba entreprit plusieurs actions diplomatiques afin de réunir les pays riverains du Nil et remettre en cause ce pacte issu de la guerre froide.  En 2010, un traité, le New Nile Cooperative Framework Agreement qui prévoit de nouvelles modalités dans la gestion du Nil et des projets de construction de barrages, est signé entre six nations (Burundi, Éthiopie, Kenya, Rwanda, Tanzanie et Ouganda). Libéré du droit de regard et du veto égyptien, il démarra la construction de plusieurs centrales hydroélectriques.

Grâce à ces dernières, il devrait disposer d’une capacité électrique de 25.000MW à l’horizon 2030, contre 2180 MW en 2013. De plus, il est aussi prévu de créer un réseau interconnecté régional dont le cœur sera l’Ethiopie. « La principale interconnexion reliera l’Éthiopie au Kenya sur 1 100 km, pour délivrer d’abord 400 MW et per­mettre le transport de 2 000 MW lorsque les autres pays seront raccordés. Ce réseau comprendra aussi une ligne Kenya-Tanzanie de 400 kV, une ligne de 500 kV reliant l’Éthiopie au Soudan et une ligne à partir des chutes de Rusumo, pour re­lier la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi. » À termes, cette nation de plus de 96 millions d’habitants devrait devenir le plus grand pourvoyeur d’énergie en Afrique de l’Est, lui permettant d’avoir d’énormes rentrées en devises pour assurer son développement et disposant d’un important levier politique pour maintenir sa puissance à travers la région. Mais, comment expliquer sa rapide expansion?

L’apparition de nouveaux acteurs internationaux, avec en tête la Chine, a facilité l’apport de nouveaux moyens de financement tout en permettant, aux états africains, de se libérer des contraintes imposées – comme, par exemple, initier des réformes démocratiques ou l’obligation de trouver un accord avec tous les partis impliqués dans la négociation d’un traité –  par les institutions financières tels que le Fond monétaire internationale (FMI). Par exemple, alors que des partenaires se retiraient des projets éthiopiens d'énergie hydraulique en raison de préoccupations liées à l'environnement, les compagnies chinoises prenaient une part active finançant parfois plus de 80% de ceux-ci, comme c’est le cas pour les deux barrages sur la rivière Gebba à l’ouest du pays.

Au-delà du fait que sa ruée vers l’électrification a grandement contribué et contribue à son ascension régionale, le cas éthiopien pourrait inspirer d’autres pays africains.  Si la Guinée, qui représente à elle seule le quart du potentiel hydroélectrique de l’Afrique de l’Ouest, arrivait à exploiter ces 200 sites de production identifiés à travers son territoire,  elle pourrait devenir, tout comme l’Ethiopie, un « château d’eau » qui bouleverse l’équilibre des forces dans son environnement géographique.

Szymon Jagiello​

Références

Obama et la « Bande des quatre »

Jacques Foccart raconte dans ses mémoires que parlant des Chefs d’Etat africains, De Gaulle lui dit un jour ceci : « Foutez-moi la paix avec vos nègres ; je ne veux plus en voir d’ici deux mois, vous entendez ? Plus une audience avant deux mois. Ce n’est pas tellement en raison du temps que cela me prend, bien que ce soit déjà fort ennuyeux, mais cela fait très mauvais effet à l’extérieur : on ne voit que des nègres, tous les jours, à l’Élysée. Et puis je vous assure que c’est sans intérêt. »
 
Imaginer que de tels propos puissent sortir de la bouche de Barack Obama serait saugrenu. Pour la dernière phrase cependant, on nuancerait presque le propos. Une éternité après la saillie de Charles de Gaulle, en effet, on pourrait, avec un brin de témérité, se figurer le premier président afro-américain des Etats Unis, disant à Johnnie Carson, le monsieur Afrique de son administration, qui lui parlerait d’audiences à accorder aux leaders africains : « Je vous assure que c’est sans intérêt » avant de consentir à en recevoir quatre à la fois histoire de ne pas avoir l’impression de les voir, à la Maison Blanche, tous les jours.
 
Les présidents du Sénégal, de la Sierra Léone, celle du Malawi ainsi que le premier ministre du Cap-Vert ont été reçus, ce 29 mars, à la Maison Blanche afin d’être félicités pour les acquis démocratiques observés dans leurs pays.
 
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(crédits photos : Pete Souza – Official White House Photo)
 
A la sortie de son entrevue de quinze minutes avec Barack Obama, Macky Sall a confié aux journalistes avoir invité son homologue américain à lui rendre visite à Dakar.  Là,  on n’a pas pu s’empêcher de s’imaginer le président sénégalais inviter, dans le même temps, les présidents du Canada, du Mexique ainsi que celle du Brésil et les recevoir tous les quatre ensemble avant de leur accorder des tête-à-tête d’un quart d’heure, à tour de rôle. Pas sérieux tout ça. C’est en fait la preuve, par l’absurde, qu’en acceptant ce traitement, ces dirigeants ne forcent pas le respect. Ils se décrédibilisent en entrant à la queue leu leu dans le bureau ovale. De plus cette mise en scène triste ou comique – c’est selon – n’a concrètement, en terme de retombées sur leurs pays respectifs, aucun intérêt pour utiliser le bon mot de l’autre.
 
Les spécialistes affirment que depuis l’élection de Barack Obama en novembre 2008, les investissements de l’Amérique vers l’Afrique ont diminué. Georges Bush, notamment dans le financement des programmes anti sida, a fait mieux dans ce domaine que son successeur dit-on. Après l’euphorie ayant entouré son élection, Obama a tôt fait de rappeler à tout le monde que l’Afrique, c’est moins de 5% du commerce extérieur américain. Il y a juste eu un certain regain d’intérêt en matière de sécurité, d’influence géostratégique et de lutte contre le terrorisme.
 
Quand, voyant la Chine étendre son influence à coup de milliards de dollars (entre 2001 et 2011, le commerce entre le géant asiatique et le continent est passé de 20 à 120 milliards de dollars), certains conseillers ont commencé à insister sur l’urgence de contrer la Chine en Afrique, sans en faire une véritable priorité, le président a laissé sa secrétaire d’Etat d’alors, Hillary Clinton, s’occuper de la gestion de ce dossier.
 
Que Barack Obama ne porte pas beaucoup de considération à une région dont il juge l’impact sur le maintient de l’influence de son pays dans le monde insignifiante est somme toute normale (certains disent que dans le même ordre d’idées, il a un peu délaissé la vieille Europe pour les nouvelles opportunités offertes par l’Asie). Les américains l’ont élu et réélu pour qu’il s’occupe de leurs problèmes, et il fait de son mieux pour mériter leur confiance. Ce qui gêne en revanche, c’est l’attitude de ses homologues africains qui semblent considérer une réunion et quelques petites minutes d’aparté avec lui comme un succs diplomatique sans autre égal ou une merveilleuse consécration politique.
 
Au lendemain de son élection, beaucoup d’Africains se sont mis à rêver d’un nouvel allié sur la scène internationale lorsqu’il s’agirait, par exemple, de prendre position sur des questions à grands enjeux telles que la redéfinition des règles du commerce mondial ou l’obtention pour l’Afrique d’un siège au Conseil de Sécurité de l’ONU. Les plus réalistes avaient pourtant prévenu qu’il éviterait au contraire de renvoyer à son électorat un tropisme africain, qu’il serait, sur le fond, un président américain comme un autre, ne bousculant donc en rien les règles établies, même si sur la forme il s’efforcerait à renvoyer une image plus reluisante que celle de son prédécesseur. Cependant, l’obamania ambiant ne laissait pas beaucoup de place au retentissement d’un tel son de cloche.  
 
En juillet 2009, lors de sa première visite sur le continent, Obama prononçait, à Accra, un de ces discours dont il a le secret. « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais de fortes institutions » martelait-il devant un auditoire conquis. Aurait-il eu besoin de nous en administrer la preuve, qu’il n’aurait pas fait autre chose qu’obliger nos « hommes forts » à se mettre en quatre littéralement pour pouvoir entrer dans le saint des saints.
En août 2010, il accueillait, à la Maison blanche, plus d’une centaine de jeunes africains pour discuter de leur « vision de l’Afrique pour les 50 ans à venir ». Recevoir leurs représentants de la même manière que ces groupes de touristes qu’il croise de temps à autre dans son palais ne faisait certainement pas partie des idées de l’avenir qu’ils lui ont exposées.
 
Macky Sall raconte qu’en réponse à son invitation, Obama lui a assuré qu’il étudierait, lors de sa prochaine visite en terre africaine, la possibilité de passer par Dakar. Comme pour dire : je ne me déplace généralement pas pour visiter spécialement un pays africain, je choisis un créneau libre dans mes quatre ans de mandat et je visite, à coup de vent, les pays où je peux me rendre à ce moment là. Vous aurez peut être la chance d’en faire partie.
 
Au moins, il a un langage qui sied à sa fonction. Toujours correct et charmant même lorsqu’il vous envoie un peu promener…