Le continent Africain ne figure certainement pas dans les priorités de la politique internationale des Etats-Unis. Il n’en demeure pas moins que les différents locataires de la maison blanche ont mené, sur le continent, des remarquables politiques durant leur mandat. Ces actions, – de nature différente en fonction des choix de la majorité présidentielle – ont impacté d’une manière considérable les pays du continent.
Durant la dernière présidence démocrate, le président Obama par le biais de son symbolique discours d'Accra, a axé sa politique africaine sur la culture démocratique et la bonne gouvernance. Il a appelé de ses vœux un changement de paradigme des dirigeants africains, en les exhortant à refuser le maintien indéfini au pouvoir.
La politique africaine de la nouvelle administration américaine reste quant à elle une énigme. La vision protectionniste du président Trump qui a fait campagne sur un désengagement progressif des Etats-Unis dans les dossiers internationaux, explique en partie cette difficulté à anticiper les rapports qu’il voudrait entretenir avec le continent.
Cependant, une récente décision de cette administration pourrait avoir de dommageables conséquences sur le continent Africain en général et dans la région des grands lacs en particulier. Il s’agit de la signature par le président des USA d’un executive order datant du 03 Février 2017 dont l’objet est l’analyse et une éventuelle refonte de la Loi Dodd Frank de 2008 relative à la régulation du secteur bancaire. De quelle manière la modification d’une loi qui ne concerne à première vue que le monde de la finance américaine pourrait-elle impacter le continent Africain ?
Que dit la loi Dodd Frank ?
L’année 2008 a été marquée par la grave crise économique déclenchée aux Etats-Unis par celle des subprimes. A l’époque, l’absence de régulation du secteur bancaire a permis aux banquiers de consentir des prêts à des ménages qui ne présentaient aucune garantie de solvabilité. Cette crise s’est ensuite internationalisée et a constitué la plus grave crise économique depuis celle de 1929.
La loi Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act promulguée en 2010 (dite « loi Dodd-Frank») [1] sera votée pour éviter une telle crise à l’avenir. Son ambition est non seulement de stabiliser le marché financier américain mais également d’améliorer la transparence et de fournir aux citoyens ainsi qu’aux investisseurs des outils destinés à responsabiliser les entreprises.[2]
C’est sur ce dernier point que cette loi a un lien direct avec la région des grands lacs. La loi Dodd franck s’applique à toutes les entreprises étatsuniennes proposant des minerais dans leurs produits. Ces entreprises doivent garantir que les minerais achetés ne financent pas les conflits dans les zones d’extraction notamment dans la région des grands lacs. En effet, l’article 1502 relatif « aux minéraux de conflits » ainsi que l’article 1504 relatif aux paiements versés aux gouvernements locaux par les émetteurs d’extraction de ressources, sont directement inspirés du conflit militaire en République Démocratique du Congo. Au cours de la guerre, des entreprises internationales ont généré un business florissant d’achats de minerais provenant des zones de guerre, en ayant pourtant pleinement conscience que cet argent finançait le conflit armé ayant causé des centaines de milliers de victimes. Le commerce des « minerais de sang » comme on les nomme, a exacerbé les relations entre le Rwanda et la RDC. Cette dernière accusant à maintes reprises son voisin de financer des groupes rebelles (notamment le M23) via la vente des minerais de sang. Un rapport de l’ONU datant de 2011 conforte la thèse des autorités congolaises.
La désintégration de cette loi, signera fort probablement le retour dans cette région de cette macabre foire d’hommes d’affaires véreux et sans aucun scrupule.
La loi Dodd Franck a eu des effets concrets dans les zones de conflit. D’après Ambeyi Ligabo, directeur du programme « Démocratie et bonne gouvernance » de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs ( CIRGL), cette loi « avec le travail de la CIRGL avait réussi à neutraliser les groupes armés qui contrôlaient certains sites miniers. » Il donne l’exemple des groupes tels que le M23 ou les Mai mai qui « n’ont plus de forces faute de pouvoir commercialiser les minerais »[3].
La peur d’une recrudescence des conflits dans les zones à risque est réelle et suscite déjà les inquiétudes des spécialistes du sujet.
Make America great again and Africa worst ever?
Si l’administration Trump souhaite réviser cette loi, c’est parce qu’elle considère que la loi nuit à la compétitivité des sociétés américaines. Le président est lui-même issu du milieu des affaires. C’est un secret de polichinelle que le milieu des affaires est averse à la régulation. Wall street a d’ailleurs salué la vision économique de l’actuel président en tablant déjà sur des chiffres de croissance qui proviendraient de la dérégulation promise par le Candidat Trump.
La compétitivité des entreprises américaines aura-t-elle raison de la stabilité de la région des grands lacs ? Avec un nouveau président américain qui ne jure que par la bonne santé économique des Etats-Unis, des inquiétudes peuvent légitimement être soulevées. Le suspense est très anxiogène pour les dirigeants de cette région, déjà en proie à des difficultés économiques endémiques.
L’inquiétude suscitée par cet état de fait soulève certaines problématiques liées à la souveraineté sécuritaire de l’Afrique. Que la stabilité d’une si grande région dépende en partie d’une législation étrangère, témoigne de la faiblesse des politiques sécuritaires locales mais également de l’effet pervers de la mondialisation dans les régions les plus pauvres. La CIRGL a cependant anticipé les conséquences d’une révision de la loi Dodd Franck avec la mise en place d’un système de traçabilité des minerais dans la sous-région indépendante de la loi américaine[4]. Les efforts déployés par cet organe sont louables mais restent insuffisants. Une véritable politique transnationale doit être mise en place pour combattre ce macabre fléau. La semaine derrière un article de Thierry Santime pour l’Afrique Des Idées dénonçait l’absence d’une intégration régionale réussie au sein du continent. Une véritable coopération régionale est nécessaire dans cette sous-région pour assurer la sécurité des personnes et des biens.
Bien que la région des grands lacs en soit épargnée pour le moment, la menace terroriste grandissante sur le continent est une menace réelle qui pourrait se matérialiser si la sécurité de la région n’est pas renforcée. C’est la florissante économie du Rwanda, ou encore la RDC en pleine sortie de crise qui verraient les efforts consentis depuis des décennies réduits à néant.
Le mandat du président Obama avait débuté par un vent d’espoir sur le continent Africain. Un vent d’espoir conforté par les discours volontaristes de l’ancien président au sujet de la démocratie en Afrique. Quant à son remplaçant, les mots peur, inquiétude et incertitude peuvent résumer son début de mandature vis à vis du monde et de l’Afrique en particulier.
Giani GNASSOUNOU
[1] United States Government Publishing Office, Public Law 111–203, 21 juillet 2010, disponible sur : https://www.gpo.gov/
[2] http://www.mirova.com/Content/Documents/Mirova/publications/VF/Focus/MIROVA_FOCUS_%20Loi%20Dodd-Frank%20Act%20et%20responsabilit%C3%A9%20sociale%20des%20entreprises%20(1).pdf
[3] http://www.jeuneafrique.com/403913/economie/conference-grands-lacs-ambeyi-ligabo/?utm_source=Facebook&utm_medium=JAEco&utm_campaign=++PostFBJAEco_16022017