Dakar a célébré, dans une ambiance festive, la première édition de la Journée Internationale du Jazz, mardi 30 avril 2013. Sous l’égide de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Education, les Sciences, et la Culture), cette journée était marquée par la présence de nombreux acteurs et fins connaisseurs du jazz au Sénégal. Elle a vu se produire de grands musiciens tels que Doudou Ndiaye Rose, Vieux Mac Faye, et Takeifa. Ces derniers ont égayé les amateurs réunis à Dakar par des rythmes mêlant sonorités africaines, américaines et européennes.
Ce fut d’ailleurs le thème de la table-ronde de la journée, centrée sur les sources africaines du jazz et les influences de celui-ci sur les musiques africaines. Lors d’un panel comme on en voudrait plus souvent sur ce thème, les essayistes Felwine Sarr et Ndiouga Adrien Benga ont présenté les interactions entre jazz et musique africaine, en compagnie du Cheikh Tidiane Tall. Le professeur Felwine Sarr a commencé par retracer les éléments historiques qui ont marqué le retour du jazz en Afrique, de même que la présence de l’Afrique dans le jazz. Il faut noter à ce titre que, selon lui, le concept de jazz a été souvent utilisé comme élément de lien entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique, depuis la naissance de cette musique avec les descendants d’esclaves qui y trouvaient une échappatoire et un moyen d'épancher leur soif de retrouvailles culturelles. Par exemple, Meiwy Black Boers mêle jazz et musique zouloue en Afrique du Sud, à l’image d’Adolphe Winkler et Manka qui faisaient de même en Afrique francophone. Pour leur part, Taj Mahal et Aly Farkha Touré font une incursion dans le blues.
A sa suite, le professeur Ndiouga Adrien Benga est revenu sur l’histoire du jazz au Sénégal. Il a dépeint un paysage musical sénégalais kaléidoscopique, dans lequel Amsata Niang et Oumar Ndiaye Barro consacrent la professionnalisation du jazz. Il a regretté cependant l’influence négative du milieu politique sur l’évolution du jazz au Sénégal, notamment avec le FESMAN (Festival Mondial des Arts Nègres) créé par le Président Senghor. Par ailleurs, il a précisé que les origines du jazz au Sénégal restent à identifier, du fait de la rareté de la documentation sur ce point, qui rend difficiles les recherches sur la mémoire de ce genre musical dans le pays. Cependant, il a fait noter qu’Européens et Américains ont rivalisé d’adresse à Saint-Louis, notamment sur la place Potet, dans la première moitié du XXe siècle. C’est ainsi que sont nés la Symphonie de Saint-Louis, le Club de Jazz à Dakar (avec le Mur Africain), et l’Orchestre d’Oumar Ndiaye qui a confirmé les interactions entre jazz et musique africaine, puisqu’il mêle meringue et high-life. Plus tard, la seconde moitié du XXe siècle verra le développement du Dakar Université Sextup emmené par Ousmane Sow Huchard. Ce dernier fut d’ailleurs pendant longtemps le Commissaire aux Expositions sénégalaises à l’étranger.
Dans un autre registre, Cheikh Tidiane Tall a fait remarquer que le Sénégal a été pendant longtemps une destination privilégiée pour de nombreux ténors du jazz. Ainsi, Curtis Jones et Ron Carter ont fait des tournées mémorables dans le pays, à l’image de Duke Ellington, Fromp Foster, Johnnie Rodgers, Chalto Evans ou Manu Dibango pour ne citer que ceux-là. De même, il est revenu sur le Festival de 1979 qui a réuni Polak et France Senghor. Cheikh T. Tall a fait remarquer que le Mbalax et la Samba sont deux genres musicaux très proches car ils ont tous deux le deuxième temps comme temps fort. Sur cette lancée, il a vivement invité l’assistance à accorder plus d’importance aux instrumentistes, qui sont souvent relégués au second plan au profit des leads vocaux. Concernant les interactions entre jazz et musique africaine, il a fait observer que le jazz comprend beaucoup de sonorités du swing de nos jours. Et que le Congo Square (en Louisiane) a intégré beaucoup d’influences de l’Afrique équatoriale, notamment de l’ancien Royaume Kongo où habitaient les Benga. Ainsi, toute la côte de l’Afrique équatoriale conserve une relation étroite avec le jazz joué aux Etats-Unis.
Enfin, la Journée Mondiale du Jazz a été l’occasion pour le Ministre de la Culture du Sénégal, Monsieur Abdou Aziz Mbaye, de tenir une conférence de presse en compagnie de Mme Katalin Bogyay, Présidente de la Conférence Générale de l’UNESCO. Durant ce point de presse, Monsieur Mbaye a rappelé que l’Afrique a beaucoup apporté au jazz, comme le jazz a beaucoup apporté à l’Afrique, avec des mutations de différentes couleurs. Ces influences mutuelles se retrouvent dans le fait que les racines du jazz sont nées en Afrique de l’Ouest. A l’île de Gorée (où ces personnalités ont effectué une visite juste avant la conférence), on peut se rendre compte de l’effet produit par le fait de quitter sa patrie. Le jazz, entre tambours et trompettes, est parti de là. Revenant sur le contexte de la création de la Journée Mondiale du Jazz, le Ministre de la Culture l’a décrite comme un espace de partage et de célébrations de ce que l’humanité a en commun. De même, Mme Bogyay s’est félicitée de la tenue de cette journée à Dakar, comme dans peu de capitales africaines, confirmant la célébration de la diversité des cultures à l’UNESCO. Selon elle, c’est donc dans ces fondements communs entre les différentes musiques, qu’on peut mieux détecter les ponts culturels qui sont jetés à travers le monde.