Comores : De l’art et des femmes puissantes

Marche des femmes dans la capitale pour les droits des femmes, 2014. Copyright RFI
Marche des femmes dans la capitale pour les droits des femmes, 2014. Copyright RFI

"Ce dont une femme a besoin, c'est d'une chambre à soi, et d'un peu d'argent", disait Virginia Woolf. En attendant la chambre, les femmes Comoriennes s'attaquent depuis longtemps aux fondements mêmes leur société, à travers l'art notamment, et parfois sans avoir conscience de leur impact sur les tabous qui les encerclent. Peut-être grâce au droit de cité que leur cède, bon an mal an, la structure matrilinéaire de leur société, elles posent les problématiques propres au pays : Education des enfants, condition féminine, vivre-ensemble dans un pays morcelé. Echo de ces voix qui s'expriment principalement par la musique, le cinéma et, plus récemment, la littérature.


Bora : Le chant-transmission

Comme un secret murmuré a l'oreille, le bora dévoile plus que ne le laisse soupçonner son.rythme entrainant. Le refrain de cette litanie poétique populaire, fréquente dans les mariages et les cérémonies,  se chante en chœur et accompagne une soliste qui, la plupart du temps, se sert des confidences quelle fait dans ses couplets pour sonder la société dans laquelle elle vit. Ainsi, dans ulindo mgu, on retrouve la problématique du mariage arrangé et de la déchéance programmée de la femme en tant que sujet de la société : mariée jeune, mère (trop) tôt, puis affublée par son époux d'une coépouse ou d'une maîtresse plus jeune, car flétrie avant l'âge. Le chant deplore la situation de cet être Éternellement défini selon une autre personne et jamais selon ce qu’il est. Debe, un autre chant, prend le parti de triompher de la vie malgré tout et de célébrer l' éternité dans l éphémère de la beauté féminine. Ce faisant, le chant érige la femme, perdante dans de nombreuses batailles, en gagnante de la guerre, car il lui reste finalement les mots et leur poésie :
 

" C'est le destin qui m' a donné cet homme, ô Tarora ; mais il n' a pas mon coeur
Et quand je me drape de mon hami, que je l' attache à ma hanche pour en faire un pli
Quiconque me voit ne baisse point les yeux, mais me fait du sourcil ! "


Côté nouvelle génération, on connaît surtout Imany et sa voix atypique.  Avant elle, les deux voix engagées du pays, Chamsia Sagaf et Zainaba Ahmed, ont assuré une transition entre les complaintes formulées a demi voix dans les bora et l'entrée dans la  musique contemporaine. Leurs chansons a messages démontrent une prise de position plus ferme dans tous les apsects qui touchent à la sociét, comorienne. Tantot Controversées, tantôt louangées, Zainana Ahmes, « la voix d’or », et Chamsia Sagaf, sa congénère, ont exhorté la femme d' aujourd'hui à sortir de son mutisme, à "rompre ses chaînes", à "se prendre en charge sans tarder" et à participer activement à l'avenir de l'humanité comme égale de l'homme. Aujourd'hui, les voix de Nawal et Mame, pour ne citer que celles-là,  font entendre l’héritage spirituel soufi de l’archipel, et continuent de percer la coquille.

 

L'identité et la maternité au cinéma

Le cinéma comorien est encore tout jeune, mais ce qu'il a de surprenant, c'est que les femmes en sont les pionnières. Dans une communauté réputée pour surprotéger ses femmes, la matrilinéarité, en faisant de la femme la gardienne des traditions, semble évoluer avec son temps et pousser, malgré les tabous sociaux, des femmes à libérer leur parole. Ces trois dernières années, deux des  héritières de cette parole  se sont distinguées par leurs productions : Sania Chanfi, réalisatrice d'Omnimum, et Hachimiya Ahamada, réalisatrice de L'ivresse d'une oasis. Les sujets abordés sont loin du plaidoyer pour le droit des femmes, et s'attaquent directement à des questionnements profondément universels. L'ivresse d'une oasis, deuxième œuvre de Hachimiya Ahamada, suit la réalisatrice dans son  parcours à travers un  pays-archipel morcelé par la mer, dont les habitants se ressemblent bien plus qu'ils ne se connaissent entre eux. Omnimum traite, avec transparence et délicatesse, des  méandres de la monoparentalité, situation d'extrême solitude dans une communauté où le mariage est une institution sacrée.


Littérature : Le corps censuré

Taboue dès la puberté, destinée au mariage et a la maternité, car  "femme avant tout" : Le corps de la femme comorienne serait il un prêt, dont elle ne peut se servir que comme support de sa tête en attendant que les propriétaires le récupèrent ? C'est en tout cas le message qui ressort dans les discussions féminines, et gare à celle qui oserait affirmer un peu trop fort son droit  de propriété sur son propre corps. Faiza Soulé Youssouf, auteure du roman Ghizza, (éditions Coelacanthe 2015, 12e), en a fait les frais : La présence d"une scène érotique dans son ouvrage, où il est question d'une jeune fille qui tente de reprendre le contrôle de son corps confisqué par la société, a soulevé le débat sur les réseaux sociaux. Une polémique qui dessine, à n'en pas douter, les contours du prochain grand thème artistique comorien : L'appropriation par la femme de son propre corps. A l’instar de Woolf, de Simone de Beauvoir ou de Sylvia Plath, on  peut compter sur les intéressées pour s'emparer de la question, avec ou sans une chambre à soi. 

Touhfat Mouhtare-Mahamadou

La musique africaine à l’ère du digital

Kora_Musique_Africaine_Ere_DigitalLa production de musique africaine n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui. Les artistes africains tiennent souvent le haut de l’estrade de nombre de festivals et ce depuis quelques années. Nombre d’entre eux sont récompensés lors des plus grandes cérémonies de remise prix à travers le monde. Le dernier exemple en date est la victoire de la béninoise Angélique Kidjo aux Grammy Award pour la troisième fois ! D’autres artistes, à l’image des nigérians de P-Square, collectionnent des succès importants aussi bien en Afrique qu’en dehors du continent. Malgré cette présence importante dans le paysage africain et dans le monde, l’industrie de la musique en Afrique, est toujours aussi moribonde, voire inexistante dans certains pays. Cependant, aujourd’hui le digital offre une chance inouïe de (ré)inventer l’industrie musicale en Afrique. C’est l’occasion pour le continent de rattraper son retard en matière de création, de production et distributions de SA musique. Dans le sillage de l’intérêt récent des majors (Sony Music, Universal Music), quelques startups (parmi lesquels on peut citer Spinlet, au Nigeria, Waabeh au Kenya ou encore BIGxGh, au Ghana) entendent relever les nouveaux défis du secteur.

L’état actuel de l’industrie musicale

Le manque de données statistiques sur la musique africaine ne permet de dresser un bilan précis. Cet état de fait est révélateur d’une industrie locale très peu structurée et d’une absence d’études et d’analyses. Et Lorsque l’on dispose de données, elles sont à prendre avec précautions car très souvent parcellaire ou résultant d’extrapolation. Les canaux de distributions de la musique sur le continent, très souvent informels, sont largement gangrenés par la piraterie. Donc par nature, leur quantification est très complexe. La production de données fiable est un des enjeux majeurs auxquels les professionnels du secteur (musiciens, entrepreneurs, producteurs etc.) doivent répondre afin de construire des modèles de développement pertinents. Cela permettra par exemple de chiffrer le mal considérable qu’occasionne la piraterie en Afrique. La piraterie, d’après les données publiées par l’UNESCO, représente plus 50% de la musique produite sur le continent (1). Dans certains pays, ce pourcentage dépasse les 60%. La musique piratée, souvent de très mauvaise qualité, prospère au su et au vu des autorités et à cause du manquent d’inventivité des acteurs de l’industrie musicale. Leur réaction (autorité & industrie musicale) face à ce fléau a été au mieux timide, au pire inexistante comme si le problème allait se résoudre de lui-même.

Souvent phagocytées par la piraterie sur le continent, les retombées des succès, profitent rarement à l’industrie locale. En effet, les plus grands artistes africains sont produits très largement en France et en Angleterre. De fait leurs succès n’entraînent pas un développement de ce secteur en Afrique. Quel business model pour l’industrie de la musique africaine.

Le digital est là pour changer la donne.

L’enthousiasme des startups et l’arrivée des majors promettent des lendemains qui chantent. Aujourd’hui, les revenus dûs au digital représentent 46% de l’ensemble des revenus musicale dans le monde (2). C’est un changement radical. En Afrique, nous ne sommes qu’au début de cette ascension irrésistible du digital avec des spécificités propres. Tout d’abord, l’Afrique est passé directement à l’ère des smartphones. On estime qu’en moyenne 40% des africains utilisent leur mobile pour écouter de la musique (3). C’est un comportement tout à fait normal eu égard à la démocratisation des téléphones mobiles en Afrique. En comparaison, l’ordinateur reste encore très peu répandu. Ainsi le mobile est un point de contact privilégiée, voire unique, pour atteindre le consommateur. La transformation digitale de l’industrie musicale en Afrique passe quasi exclusivement par le mobile contrairement à d’autres parties du monde. Cette prééminence du mobile rend incontournable les opérateurs mobiles. De plus ces derniers sont en première ligne concernant l’augmentation du taux de pénétration d’Internet, encore très faible (28,6 % contre 46,4% pour la moyenne mondiale) (4). Par ailleurs certains d’entre eux ont développé des services de monétisation, à l’instar d’Orange Money, qui sont très utiles dans la « distribution digitale ». C’est ainsi que Sony Music s’est associé en 2016 au groupe de télécommunications sud-africain MTN, très présent en Afrique. Universal Music, le plus grand major de musique au monde n’est pas en reste, et place également les opérateurs télécom au cœur de sa stratégie.

Les startups ne disposent pas, par définition, de la force de frappe des majors et ont moins l’occasion de conclure des partenariats avec les opérateurs télécoms. Toutefois quelques-unes réussissent à tirer leurs épingles du jeu en misant sur une connaissance profonde du marché local.

L’exemple de iRoking (Nigéria) est frappant à ce titre. Crée en 2010, il n’est pas uniquement un service dédié aux clients mais propose également la musique de ses artistes à des plateformes tiers comme Youtube, iTunes voire Spotify. Il joue en cela le rôle traditionnel des labels de musique. C’est aussi cela que les musiciens attendent de ces nouveaux acteurs.

Spinlet, une autre startup nigeriane, mise beaucoup plus une plateforme très intuitive et offre un service très qualitatif. Spinlet se différencie en proposant des prix par album très attractifs. A défaut de pouvoir proposer un service de monétisation largement répandu (en effet uniquement le paiement par carte bancaire est possible), Spinlet mise un rapport qualité prix irréprochable.

Dans la même lignée, Wabeeh mise également une interface très travaillée et s’efforce de simplifier le parcours client. Wabeeh, selon son fondateur, est une arme contre la piraterie et une aubaine pour les musiciens. La start up se vante d’offrir aux musiciens de sa plateforme de meilleurs revenus en comparaisons aux labels classiques. Ce modèle, qui place le musicien au cœur de la stratégie de développement de l’entreprise, est de plus en plus prisé. Beaucoup d’autres startups (Musikbi, mdundo etc.) entendent également participer à cette révolution digitale de l’industrie de la musique africaine. L’augmentation du taux de pénétration d’internet, des services de monétisation pertinents et une connaissance profonde du marché seront essentiels à ces nouvelles entreprises pour gagner leur pari.

Beydi Sangaré

http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001402/140253f.pdf

http://www.ifpi.org/facts-and-stats.php

https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/fpc/Documents/secteurs/consumer-business/deloitte_consommation-en-afrique_juin-2015.pdf

http://www.internetworldstats.com/

1ère journée internationale du jazz à Dakar (2013) : entre retrouvailles et ouvertures trans-continentales

inetrantional-jazz-dayDakar a célébré, dans une ambiance festive, la première édition de la Journée Internationale du Jazz, mardi 30 avril 2013. Sous l’égide de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Education, les Sciences, et la Culture), cette journée était marquée par la présence de nombreux acteurs et fins connaisseurs du jazz au Sénégal. Elle a vu se produire de grands musiciens tels que Doudou Ndiaye Rose, Vieux Mac Faye, et Takeifa. Ces derniers ont égayé les amateurs réunis à Dakar par des rythmes mêlant sonorités africaines, américaines et européennes.

Ce fut d’ailleurs le thème de la table-ronde de la journée, centrée sur les sources africaines du jazz et les influences de celui-ci sur les musiques africaines. Lors d’un panel comme on en voudrait plus souvent sur ce thème, les essayistes Felwine Sarr et Ndiouga Adrien Benga ont présenté les interactions entre jazz et musique africaine, en compagnie du Cheikh Tidiane Tall. Le professeur Felwine Sarr a commencé par retracer les éléments historiques qui ont marqué le retour du jazz en Afrique, de même que la présence de l’Afrique dans le jazz. Il faut noter à ce titre que, selon lui, le concept de jazz a été souvent utilisé comme élément de lien entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique, depuis la naissance de cette musique avec les descendants d’esclaves qui y trouvaient une échappatoire et un moyen d'épancher leur soif de retrouvailles culturelles. Par exemple, Meiwy Black Boers mêle jazz et musique zouloue en Afrique du Sud, à l’image d’Adolphe Winkler et Manka qui faisaient de même en Afrique francophone. Pour leur part, Taj Mahal et Aly Farkha Touré font une incursion dans le blues.

A sa suite, le professeur Ndiouga Adrien Benga est revenu sur l’histoire du jazz au Sénégal. Il a dépeint un paysage musical sénégalais kaléidoscopique, dans lequel Amsata Niang et Oumar Ndiaye Barro consacrent la professionnalisation du jazz. Il a regretté cependant l’influence négative du milieu politique sur l’évolution du jazz au Sénégal, notamment avec le FESMAN (Festival Mondial des Arts Nègres) créé par le Président Senghor. Par ailleurs, il a précisé que les origines du jazz au Sénégal restent à identifier, du fait de la rareté de la documentation sur ce point, qui rend difficiles les recherches sur la mémoire de ce genre musical dans le pays. Cependant, il a fait noter qu’Européens et Américains ont rivalisé d’adresse à Saint-Louis, notamment sur la place Potet, dans la première moitié du XXe siècle. C’est ainsi que sont nés la Symphonie de Saint-Louis, le Club de Jazz à Dakar (avec le Mur Africain), et l’Orchestre d’Oumar Ndiaye qui a confirmé les interactions entre jazz et musique africaine, puisqu’il mêle meringue et high-life. Plus tard, la seconde moitié du XXe siècle verra le développement du Dakar Université Sextup emmené par Ousmane Sow Huchard. Ce dernier fut d’ailleurs pendant longtemps le Commissaire aux Expositions sénégalaises à l’étranger.

Dans un autre registre, Cheikh Tidiane Tall a fait remarquer que le Sénégal a été pendant longtemps une destination privilégiée pour de nombreux ténors du jazz. Ainsi, Curtis Jones et Ron Carter ont fait des tournées mémorables dans le pays, à l’image de Duke Ellington, Fromp Foster, Johnnie Rodgers, Chalto Evans ou Manu Dibango pour ne citer que ceux-là. De même, il est revenu sur le Festival de 1979 qui a réuni Polak et France Senghor. Cheikh T. Tall a fait remarquer que le Mbalax et la Samba sont deux genres musicaux très proches car ils ont tous deux le deuxième temps comme temps fort. Sur cette lancée, il a vivement invité l’assistance à accorder plus d’importance aux instrumentistes, qui sont souvent relégués au second plan au profit des leads vocaux. Concernant les interactions entre jazz et musique africaine, il a fait observer que le jazz comprend beaucoup de sonorités du swing de nos jours. Et que le Congo Square (en Louisiane) a intégré beaucoup d’influences de l’Afrique équatoriale, notamment de l’ancien Royaume Kongo où habitaient les Benga. Ainsi, toute la côte de l’Afrique équatoriale conserve une relation étroite avec le jazz joué aux Etats-Unis.

Enfin, la Journée Mondiale du Jazz a été l’occasion pour le Ministre de la Culture du Sénégal, Monsieur Abdou Aziz Mbaye, de tenir une conférence de presse en compagnie de Mme Katalin Bogyay, Présidente de la Conférence Générale de l’UNESCO. Durant ce point de presse, Monsieur Mbaye a rappelé que l’Afrique a beaucoup apporté au jazz, comme le jazz a beaucoup apporté à l’Afrique, avec des mutations  de différentes couleurs. Ces influences mutuelles se retrouvent dans le fait que les racines du jazz sont nées en Afrique de l’Ouest. A l’île de Gorée (où ces personnalités ont effectué une visite juste avant la conférence), on peut se rendre compte de l’effet produit par le fait de quitter sa patrie. Le jazz, entre tambours et trompettes, est parti de là. Revenant sur le contexte de la création de la Journée Mondiale du Jazz, le Ministre de la Culture l’a décrite comme un espace de partage et de célébrations de ce que l’humanité a en commun. De même, Mme Bogyay s’est félicitée de la tenue de cette journée à Dakar, comme dans peu de capitales africaines, confirmant la célébration de la diversité des cultures à l’UNESCO. Selon elle, c’est donc dans ces fondements communs entre les différentes musiques, qu’on peut mieux détecter les ponts culturels qui sont jetés à travers le monde.

Ave Mayra!

GF12_MayraAndrade1_640

 

Maintenant que pour être artiste ou pour être amante, il est indispensable d’avoir moins de 30 kilos et 30 points de QI, Mayra Andrade réussit la prouesse, assez rare pour être saluée, d’être une femme de son temps, sans être prisonnière des absurdités de notre âge.

Une femme comme on n’en fait plus. Avec un vrai corps de femme, présent et ferme, souple et tendu. Plein de formes et de nuances. La promesse d’une compagnie – les nuits cap-verdiennes sont froides, Marie ; si froides tu sais ?  Une voix. Qui sait être calme et rassurante comme dans « Morena, menina linda » ; vent d’ouest, doux et léger, qui souffle « femme, du haut de tes vingt et un ans, je sais ta soif d’être libre. Et je viens te rendre ton enfance.» Voix sereine de femme-mère qui éveille l’écho de notre enfance.

Ou la voix rieuse, espiègle, allègre qui dans « Lapidu Na Bo », « Turbulensa » ou dans « Dimokransa » annonce plutôt qu’elle n’accompagne le rythme fou des instruments. Voix désespérée et nostalgique, presque coléreuse qui fait de « Dispidida » un chef-d’œuvre de la musique africaine des cinquante dernières années. A ranger peut-être une étagère en dessous de la version de « Malaika » par Angélique Kidjo.

Voix tragique qui appelle tous ces termes anglais que notre pauvre langue française ne sait pas traduire : blues, woe, longing. Voix qui dit la souffrance et l’espérance comme seule l’imminence de la mort les enseigne aux hommes. Voix qui dès les premières notes de « Juana » me replonge quinze ans en arrière. C’est un autre soir de deuil. Les pleureuses se succèdent au centre de la cour. Et je n’arrive pas à être triste. Tétanisé comme je ne l’ai plus jamais été.

Voix pleine, voix virtuose qui tient de bout en bout ces merveilles que sont sa reprise de « Tunuca » et « Nha Nobréza » , passant sans anicroche du plus moderne des funanas à la plus suave des mornas. Et « Lua »…

Camarade Soum, artiste

"Et puis vers la fin
Allez-vous gouverner des ossements?
'vive la République" sous dix cadavres
l'Assemblée Nationale au cimetière
Plus d'opposition -[ça c'est bon]
Il n'y aura plus de marches
Prenez tout 
Prenez tout
Gardez tout
Gardez tout
Allez-y volez tout
Au nom de la démocratie
Tuez-nous donc Messieurs,
Puisque c'est votre métier"
Soum Bill, 'République de Présidents"
 
En Côte d’Ivoire les artistes sont au pouvoir. Ou plutôt : il y a les artistes du pouvoir et ceux de l’opposition. Ceux qui applaudirent la rébellion, puis Alassane Ouattara et ceux qui soutinrent Laurent Gbagbo. Musiciens, chanteurs, écrivains – toute velléité artistique oubliée – se rangèrent dans des cases politiques, par conviction, affinité ou clientélisme. Tiken Jah Fakoli d’un côté, Gadji Celi de l’autre; Maurice Bandaman devenu ministre, Bernard Dadié momie déconsidérée.

Et l’on s’étonne que cette décennie ait été la moins créative de l’histoire de ce pays. Oh, ce n'est pas tant qu’ils n’aient « créé » de nouveaux « concepts ». Sagacité, Décaler-couper, Boboraba et autres ont remplacé le Zouglou (si riche, si jeune), le Zoblazo (si puissant, si physique) ou le Mapouka (si sensuel). Des mouvements de gymnastique sont présentés comme nouveaux « pas de danse » : "senvollement, senvollement, petit-vélo, petit-vélo". Borborygmes et onomatopées ont remplacé les paroles : "zoing zoing, grougroulougou, Tchoin, tchoin, tchoin" et j'en passe.

D'ailleurs, à quoi bon s’intéresser au "style" quand il suffit de gueuler « la grippe aviaire est vaincue en Côte d’Ivoire », trois cent fois d’affilée pour faire un tube ? Pourquoi s’échiner à composer une mélodie si un bon synthé suffit à faire d’une nullité comme « Douk Saga » un « artiste ». Quand je pense que des convois entiers de jeunes ivoiriens ont suivi le cercueil de ce moins-que-rien…

Il y avait encore, dans les années 90, des chansons ivoiriennes dont les paroles étaient en Ebrié, en Baoulé, en Dioula, en Bété ou d'autres langues locales. Désormais, tout le monde prétend chanter en "lingala" : "Episangana, Eh bissé maman hein" — je défie quiconque de trouver une traduction à de telles âneries. Autre signe des temps, si on trouva longtemps des groupes tels que "Poussins chocs", "Espoir 2000", "Les salopards", "Les garagistes", tout artiste ivoirien se doit dorénavant d'avoir un pseudonyme qui dise "egomaniaque" en toutes lettres : "DJ Arafat très très fort", "Roland le binguiste", "Tiesco le Sultan", "Erickson le Zoulou" …

Dans le domaine purement "littéraire" Venance Konan est désormais considéré comme un écrivain… Je veux bien! Même si je crois que victime d’un AVC, ivre-mort, la main gauche plâtrée, mon corps ligoté à un trampoline, j'écrirais malgré tout, mieux que lui. Isaïe Biton Coulibaly, continue de vendre ses bouquins comme des petits pains – j'ai renoncé à trouver une "explication" à son succès. On a les lecteurs qu'on mérite.

Hormis les plus anciens (Meiway et Alpha Blondy, essentiellement), seuls « Magic System » et… Soum Bill ont échappé à l’abrutissement général. Les premiers ont fini par avoir ce qu’ils méritaient : devenir des caricatures d'Africains en France (et des alliés objectifs de la Droite nationaliste), pensez aux titres de leurs albums : Cessa kié la vérité (2005) · Ki dit mié (2007) · Toutè Kalé (2011)

Soum Bill seul, loin devant, continue d’écrire des chansons d’amour, d’humour et d’humeur, qui n’ont pas leur pareil. Pensez à la simplicité poignante, désabusée de "L'ingrat que je suis" dans l'album "Zambakro" : "On voit des images partout/ à la télé, dans les journaux/ 'Des bandits tués'/ On veut nettoyer ce qu'on a versé/ Ces bandits…/ C'est tout ce que le système a fait de meilleur". Et ceci au plus fort du régime Guéï, le "châtieur châtié", quand les autres appelaient à l'apaisement. Sur le même album, l'équilibre, la souplesse, la puissance que sa voix atteint dans "le changement" est un joyau unique, parfait, épuré – on dirait du Ismaël Lô. L'ironie aussi, dans "Unité" : "Quand tu pars à l'hôpital/ Le docteur te dit 'repose en paix'"
 
Artiste. Il n’y a rien à jeter, que ce soit dans Zambakro, Terre des hommes ou Que la Lumière Soit ! De petites merveilles d’homme blessé et en colère, exilé volontaire au plus profond de lui-même.

Les Etats-Unis d’Afrique, au-delà du hip-hop

Le message politique au-delà du Hip Hop, voilà ce que le canadien Yannick Létourneau a voulu illustrer dans son long métrage documentaire Les Etats-Unis d’Afrique. Le film retrace le périple du rappeur sénégalais Didier Awadi pour l’enregistrement d’un album en hommage aux pères de l’indépendance des pays africains et à quelques penseurs de la diaspora. 

Awadi souhaite porter son engagement « au-delà du Hip Hop» (sous-titre du documentaire), et cela se traduit par une tentative de conscientisation des masses. Pour cela le MC des Positive Black Soul, (groupe de rap sénégalais des années 1990) met en musique les discours d’hommes politiques africains et penseurs de la diaspora. Nkrumah, Lumumba, Senghor, Césaire, Malcom X, Sankara, Nasser, Nyerere, Mandela, Cabral, toutes ces figures qui avaient une vision et un idéal d’une Afrique indépendante, unie et développée. Mais au-delà de ces discours de grandes figures portées en musique, le réalisateur montre un autre visage du continent à travers le projet musical de rappeurs contemporains, celui d’une Afrique engagée et militante. Avec pas moins de quarante pays parcourus, Awadi collabore à chaque étape avec un ou deux artistes locaux. Le but de cet album est de redonner à la jeunesse africaine une fierté nouvelle, de lui permettre de se réapproprier son histoire et d’entrevoir un futur plus prometteur dont elle serait l’actrice.

L’enregistrement commence à Ouagadougou avec le rappeur burkinabé Smokey, également très engagé. Leur collaboration est fondée sur les discours de Thomas Sankara, ancien président burkinabé. Les discours de Sankara sont utilisés dans trois morceaux, une manière pour Awadi de revaloriser l’héritage de ce leader politique auprès des jeunes générations. Awadi répond aussi au discours de Nicolas Sarkozy, prononcé à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, par le biais d’un discours de Frantz Fanon. Ensuite c’est à New York que se poursuit l’enregistrement avec M-1, rappeur activiste politique du groupe américain Dead Preaz. Il profite de son passage aux Etats-Unis pour assister à la prestation de serment de Barack Obama qu’il considère comme un exemple de réussite pour les jeunes Africains.

Le film-reportage est également l'occasion pour le rappeur sénégalais de pointer du doigt les difficultés socio-économiques des pays visités. Que ce soit au Burkina où la classe politique satisfait de moins en moins les besoins des populations, ou au Sénégal où le climat politique et social est tendu avec l’approche des élections, Awadi et ses confrères rappeurs déplorent le désengagement des dirigeants africains. Dans les rues de Johannesburg, c’est le jeune rappeur Zuluboy qui dénonce les manquements de l’African National Congress, parti au pouvoir depuis 1994, dans une Afrique du Sud où les inégalités ne cessent de se creuser.

Les Etats Unis d’Afrique donne un aperçu du rap africain qui voit son audience s'agrandir de plus en plus auprès de la jeunesse africaine. D’où l’idée des artistes engagés tels que Awadi, Smokey, entre autres, d’en faire un moyen de conscientisation des masses, le levain de la contestation des insuffisances des systèmes actuels et de la lutte pour un meilleur avenir. 

 

Mariétou Seck

Le tout puissant Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou

Malgré l’engouement suscité à l’échelle nationale et régionale, rares sont les musiques africaines qui se retrouvent dans les classements internationaux. Non pas qu’elles ne soient pas exportables, mais bien souvent par faute de moyens de communication et de soutien marketing efficace. C’est pour pallier à cette situation que j’ai décidé de rédiger ce billet sur Le tout puissant Orchestre Polyrythmo de Cotonou, qui a œuvré à faire du Bénin le Quartier Latin de l’Afrique, jadis. C’est l’un des secrets les mieux gardés de l'Afrique, qui aurait pu disparaitre sans avoir fait goûter au monde l’intensité de ses mélodies.

L’histoire de ce groupe est celle d'un pari sur le temps d’une quinzaine d’amis. Créé dans les années 60, l’orchestre a évolué avec les soubresauts sociaux, culturels et politiques des pays africains à l’heure des indépendances et de l’éveil d’une certaine identité panafricaine. Bercé par les rythmes mythiques de James Brown en passant par Salut les Copains et les Yéyés, Polyrythmo a su créer un rythme inspiré des hits de l’époque et des percussions locales proches de la culture vodoo. C’est la naissance de mélodies qui se définiront plus tard comme l’afro beat. C’est l’époque de Bailly Spinto en Côte d’Ivoire, de GG Vickey entre Paris et Cotonou, sans oublier les Golden Sounds du Cameroon, auteurs de l’intemporel Zangalewa récemment repris par la chanteuse colombienne Shakira pour la Coupe du Monde 2010.

Les hits s’enchainent alors au fil des bals poussières de l'époque. Le succès est au rendez-vous, car L’Orchestre Polyrythmo de Cotonou, c’est avant tout un panel de rythmes s’étalant du cubain à la pop rock et réglés au clapet des pas africains. Le célèbre magazine portugais Publico le qualifia dans un article de « musique dure à définir, ni africaine, ni occidentale, ni du passé, ni du présent, mais tout simplement immortelle ». Pour le New York Times, il s’agit tout simplement « d’un des meilleurs groupes de Funk au monde ». Malgré l’engouement suscité et les multiples collaborations régionales avec des artistes en vogue tels que Fela Kuti, Manu Dibango, Myriam Makeba, Angelique Kidjo ; Polyrythmo n’est jamais sorti d’Afrique pour faire connaître son talent et sa musiquequi ne se définit d’aucun genre, car elle n’appartient pas à un registre donné ni même à l’ère du temps. Gnonas Pedro, du groupe Africando, chantait en son temps « La musique ne nourrit pas son homme ». Le Polyrythmo a ainsi failli périr dans l’oubli sans ne plus jamais reprendre la voie des studios.

Il aura fallu une interview à Cotonou d’Élodie Maillot de Radio France en 2007 pour réaliser le rêve du groupe : signer une tournée internationale. En 2010, le groupe se produit de Cotonou à New York en passant par l’Écosse et le pays de la samba. L’expérience a été si positive que de juin à aout 2012, une douzaine de dates sont de nouveau arrêtées dans une trentaine de capitales occidentales après la sortie de leur dernier album « Cotonou Club ». Un jeune et célèbre groupe de rock écossais les a même sollicité pour l’enregistrement d’un hit sur ces mélodies incantatrices (vidéo ci-jointe). Malgré la ferveur des musiques ivoiriennes et européennes accentuée par la substitution des disc jockeys au live, la nostalgie de la belle époque demeure toujours intacte dans le cœur des béninois qui réitèrent à chaque occasion leur passion pour ces musiques qui ont traversé plusieurs générations et qui nous titillent l’ouïe à chaque écoute.

À l’heure des MP3 et d'Internet, Polytrythmo se fait une nouvelle jeunesse, au regard de l’engouement suscité et du nombre de clips postés et « likés » sur les réseaux sociaux. Un nouveau site internet d’une ergonomie très simple permet de mesurer l’ampleur du phénomène et l’héritage qui aurait pu être qualifié de vestige. Élodie Maillot a créé un label ; « Son d’ailleurs » afin de promouvoir ces musiques de lointains horizons qui méritent aussi d’avoir leur chance sur les ondes radiophoniques occidentales.

En résumé, Le Tout Puissant Orchestre Polyrtyhmo de Cotonou, ce ne sont plus que 10 copains encore en vie, 42 ans de musique et près de 500 morceaux. L’histoire de ce groupe a suivi par bien des aspects l'histoire de notre continent. Celles des valeurs et cultes qui finissent par imploser fautes de perspectives. Un gisement de talents, bien souvent identifiés localement, mais qui s’atrophient par le temps et l’absence de politiques culturelles fortes. Mais c’est aussi celle d’hommes et de femmes, bien loin de l’éblouissement des projecteurs ; qui ne perdent pas la foi ni la joie de vivre. Et loin des gigantesques budgets des maisons de production internationales, il suffirait d’une bonne volonté pour tout simplement les faire renaitre à l’âge de la retraite ; afin de faire miroiter aux plus jeunes talents l’espoir d’une issue à ce tunnel sombre, dans lequel persiste et survit en bruit de fond ; le silence de ces mélodies que sont nos secrets d’Afrique…

Et si ces mots ne suffisent toujours pas, faites donc un tour dans la rubrique médias de leur portail web.

Léomick Sinsin

Souvenirs de Césaria

C’était du vin chaud un soir de décembre. Des notes abordées comme les élisions d’une faena, avec souplesse et vivacité. Un bout de pied calleux et obstiné. Un petit pays mélancolique et bravache. Des galets immuables, polis et insolents. Une mer inachevée. Une espèce de ciel d’orage. C’était la voix de Cesária Évora. Elle ne s’élèvera plus.
 
Jalouse, l’Afrique noire n’a laissé s’échapper que deux lignées de chanteuses : les grandes voix, fortes, superbes et virevoltantes à la Angélique Kidjo, Dobet Gnahoré, Busi Mhlongo ou Nayanka Bell et les élans contenus de mezzo-sopranes dilettantes et distinguées, la race des Aïcha Koné, Khadia Nin et Cesária Évora qui disent l’amour qui s’est tu, les plaisir interrompus, l’aube qu’on a attendue en vain.
 
On ne sait à peu près rien de la vie de cette femme. Orpheline de père. Six frères et sœurs. Placée en orphelinat. Gosse de Mindelo, la Claire, deuxième ville du Cap-Vert, archipel d’îles au vent, éparpillées au large de Dakar,  délaissées, asséchées. Mère de deux enfants. Jamais mariée. Elle avait débutée comme chanteuse pour marins qu’on payait au verre de Cognac. Elle fumait. Beaucoup. Mais ne buvait plus depuis 18 ans maintenant – l’âge de la majorité. Elle popularisa la Morna – que des imbéciles ont pris pour du blues, alors qu’il n’est qu’un fado à peine plus tiède (morno en portugais) aux légers accents de rumba lasse. On sait seulement qu’elle chantait la nostalgie, la perte et l’amour déçu avec des douceurs de vieille maîtresse. Pieds nus : comme on pénètre une chambre nuptiale.
 
Il faut suivre la cadence satanique de « Ponta de Fi », « Angola » ou « Sangue de Beirona ». Il faut la voir guider Ismaël Lô dans « Africa Nossa ». Il faut se laisser envoûter par la maîtrise, la grâce qu’elle atteint dans le superbe « Yamore » avec Salif Kéïta ! Il faut l’écouter chanter « Negue » de Maria Bethânia et l’entendre murmurer “Diga que já não me quer/ Negue que me pertenceu/ Que eu mostro a boca molhada/Ainda marcada pelo beijo seu” (Dis que tu ne m’aimes plus/ Nie encore m’avoir appartenu/ Et je montrerai mes lèvres mouillées/ Encore marquées par ton baiser.)
 
Le désespoir amoureux est rarement aussi épuré, sensible, d’une si splendide économie de moyens que dans les chansons de Cesária Évora. Elle avait quelque chose de Piaf et de Billie Holiday. Avec en surplus la modestie qui manquait à la seconde et la sérénité que Piaf ne trouva qu’à la toute fin.
 
Cesária Évora est morte, hier soir. Son cœur s’est arrêté. Le mien aussi.
 
Disques recommandés :
Voz d'Amor – 2003
São Vicente di Longe – 2001
En vente sur Deezer.com