Les classes moyennes en Afrique : quels impacts sur l’environnement socio-économique?

185298136Le FMI et la Banque Mondiale mettent en avant l’importance des classes moyennes dans la dynamique de croissance de l’Afrique. Comment peut-on définir la classe moyenne, dans un espace où plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ? Quelles sont ses caractéristiques et quel rôle joue-t-elle effectivement dans l’environnement économique du continent ? Cet article analyse le rôle de cette classe moyenne sur l’environnement socio-économique.

De l’avis de la Banque Mondiale, du FMI ou encore de la Banque Africaine de Développement, une révolution socio-économique serait en cours sur le continent, sous l’effet de l’émergence des classes moyennes. Un précédent article présentait les caractéristiques de ces classes moyennes. Selon les projections de la BAD repris dans le rapport 2011 sur les finances et le développement du FMI[1], elles représentent un peu plus du tiers de la population africaine, et devraient représenter plus de 40%  de la population d’ici 2060. Ainsi, elle est sensée contribuer considérablement aux performances économiques futures du continent. Selon la publication récente de la Banque Mondiale sur les perspectives économiques de 2014, la classe moyenne joue un rôle important. Elle formule une demande solvable de biens de consommation et de services publics de bonne qualité. Par ailleurs, on lui prête aussi un rôle crucial dans l’environnement politique.  Si de telles hypothèses permettent de présenter l’Afrique sous de bons hospices, la question relative à un réel changement structurel de l’environnement socio-économique du continent sur la base des performances économiques récentes reste entière.

Si la classe moyenne est considérée comme un moteur de développement c'est en partie parce qu’elle permet la formation d’un marché intérieur, qui deviendra le socle de la croissance. Des signes de la croissance de la demande intérieure en lien avec l’émergence des classes moyennes sur le continent sont déjà perceptibles, notamment dans le secteur des télécommunications et de l’automobile. Selon les données de la Banque Mondiale, 467 millions de personnes en Afrique subsaharienne avaient accès au téléphone portable en 2011 ; 1,8 millions avaient accès à internet en 2011 et près d’une vingtaine de millions disposaient d’une voiture particulière en 2007. Une étude de McKinsey[2] indique que d’ici 2015 le nombre de demandeurs de biens de base devrait augmenter de 221 millions personnes. Proparco renforce cette position du cabinet McKinsey en précisant qu’à l'horizon 2020, au moins 132 millions de ces consommateurs seraient solvables avec une dépense annuelle de 584 Mds USD.  En 2040, ce nombre sera porté à 243 millions sur une population de 1,2 Mds d’habitants, représentant un marché de 1 750 Mds USD. Ainsi d’ici 2040, la classe moyenne, que constituent ces consommateurs solvables, dépensera plus que les 300 millions de chinois connectés à internet et dont les dépenses actuelles atteignent 1 400 Mds USD par an. Cela justifie l’intérêt des multinationales étrangères qui définissent d’ores et déjà des stratégies pour se positionner en Afrique.  Certaines font déjà une bonne partie de leur chiffre d’affaires sur le marché africain. On peut citer dans ce registre Nestlé, Danonce, Bic, Corsair, Air France, Walmart. Les centres commerciaux pointent aussi leur tête. On en retrouve dans toutes les grandes capitales africaines (Dakar, Abidjan, Lagos, Cape Town). Un processus qui s’accompagne du développement du secteur bancaire. Les produits bancaires de plus en plus imaginatifs sont offerts, notamment pour soutenir la consommation.

L’autre aspect qui suscite un intérêt pour l’émergence des classe moyennes est sa supposée implication dans le processus de démocratisation. Il est considéré que ce groupe, porté par son éducation, demande plus de participations aux activités citoyennes et constitue un levier pouvant provoquer le changement. Une position qu’il convient de considérer avec prudence dans le cas africain dans la mesure où la classe moyenne africaine semble plutôt montrer une certaine apathie face au pouvoir politique, et trouverait plutôt son intérêt dans le statu quo. Devant la dévalorisation de l’Etat ou dans les situations conflictuelles, la classe moyenne en Afrique préfère jouer la carte de l’ignorance. De fait, ces classes intermédiaires aspirent à s’émanciper de la société traditionnelle africaine, sur fond de références empruntées au mode de vie occidental. C’est d’ailleurs cette émancipation qui incarne les valeurs d’une société orientée vers la compétitivité, la bonne gouvernance, les droits humains, l’éducation et plus généralement la recherche, et qui pourrait en faire un moteur induisant des changements structurels dans l’environnement socio-économique.

Ce processus apparaît plutôt complexe dans le contexte africain. Selon une étude de Marie A. (1997)[3], les membres de la classe moyenne africaine sont pris en tenaille entre leurs aspirations à la modernité urbaine, l’individualisme, d’une part, et la pression de leur communauté, régie par l’entraide et les obligations, d’autre part. Cette dernière pression est encore plus forte en période de crise d’autant plus que la solidarité est la seule forme de protection sociale et de redistribution des revenus, qui semble efficace dans les sociétés africaines. Pour ceux qui arrivent toutefois à créer une scission d’avec leur communauté, ils doivent se réfugier dans de nouvelles formes de solidarité (églises dites de réveil, les associations, etc.), qui permettent d’entretenir un réseau autour d’actions philanthropiques et de promotion individuelle mais comportent aussi leur part d’obligations. C’est dans l’approfondissement de ce processus d’émancipation que les membres de la classe moyenne pourraient donc procéder à des changements structurels de comportements et dans le développement. Ils pourraient, par exemple, refuser d’accueillir les migrants du village ou d’impliquer la famille dans l’entreprise. L’objectif serait de se déconnecter de ce système oppressant qui empêche l’individu de se constituer un patrimoine éducatif, financier ou culturel, nécessaire pour impulser un changement dans l’environnement socio-économique.

Il serait difficile de se prononcer en faveur d’un rôle décisif de la classe moyenne africaine telle que décrit dans un précédent article. Une chose évidente est qu’un cercle économique se met en place sur le continent : une société consumériste se forme, l’immobilier prend du poil de la bête et la bancarisation suit. Cela ne suffit pas cependant pour impulser des changements dans la mesure où cette classe d’individus cherche à se conforter et s’orienter vers les valeurs qui pourraient garantir pleinement son rôle en tant que facteur structurant. La classe moyenne africaine n’est à ce stade composée que d’individus qui cherchent à s’éloigner de la situation de précarité mais chargés d’aspirations, et est donc par voie de conséquence, porteuse de revendications.  Elle pourrait donc jouer un rôle décisif dans le processus de développement, à termes. Ceci passera tout d’abord par l’émancipation vis-à-vis de l’ordre traditionnel  puis s’attachera à la construction d’un Etat capable de compenser la perte de sécurité issue de la disparition des formes traditionnelles de protection sociale.

Foly Ananou

Sources :

Pierre Jacquemot (2012). Afrique contemporaine : les classes moyenne en Afrique.

Estearly W. (2001). The middle class consensus and economic development. Journal of Economic Growth VI.