Les banques africaines à l’ère des règles prudentielles de Bâle III

La crise financière de 2007-2009 a mis en lumière les défaillances du système financier. En réponse, le Comité de Bâle pour la supervision du système financier a proposé un ensemble de mesures pour renforcer le dispositif de supervision du système financier. Ces mesures dites de Bâle III sont en cours de mise à œuvre à l’échelle mondiale, depuis 2015.

Spécifiquement, il est demandé aux banques de détenir plus de fonds propres qu’avant et suffisamment de liquidité pour être en mesure de répondre aux demandes liquidité en cas de crise sur une période d’au moins un mois ; et de limiter le risque de transformation. Bien que les pays africains de la zone Franc n’aient pas été touchés par la crise et qu’ils n’aient pas contribué activement à la conception de ces mesures[1], ils ont aussi pris le parti de les adopter. Toutefois, l’opportunité d’une telle démarche reste discutable. 

Que dit le nouveau Bâle III?

Le cadre prudentiel défini par les mesures de Bâle III vise à prévenir de nouvelles crises financières et à renforcer la résilience des banques vis-à-vis de potentielles futures crises. L’objectif est donc de maîtriser au mieux la prise de risques par les banques. Or, les banques de la zone Franc apparaissent, en majorité, saines et liquides. En UEMOA, par exemple, le ratio de solvabilité (fonds propres sur risques) se situe à environ 13%, un niveau largement supérieur à la norme de 8% qui était requise pour chaque établissement dans le dispositif prudentiel. Le coefficient de liquidité ressort à 75% contre 25 à 35% dans d’autres régions d’Afrique. Ce résultat tient de l’application stricte du dispositif prudentiel par les autorités bancaires, toujours hantées par les crises généralisées de liquidité et de solvabilité qui ont frappé les banques africaines jusqu’au milieu des années 1990. Cela pousse les banques à une grande prudence dans la conduite de leurs activités, préférant des placements sûrs et lucratifs comme les titres publics aux projets privés. Ainsi ne contribuent-elles pas suffisamment au financement de l’activité économique. En UEMOA, par exemple, le ratio crédit intérieur fourni par le secteur bancaire sur PIB s’établit à environ 25% dans la sous-région contre 78% en Afrique sub-saharienne et même 30% en moyenne parmi les PMA. Les crédits de court-terme, destinés à financer les besoins de trésorerie des entreprises, en constitue la majorité.

Dans ce contexte, un durcissement de la réglementation bancaire n’apparait pas forcément nécessaire. En effet, globalement, les banques de la zone ne montrent aucun signe de fébrilité, qui pourrait justifier ces nouvelles exigences. Leur mise en place pourrait potentiellement limiter la contribution des banques à l’économie à la mesure où une plus grande prudence est exigée des banques. Néanmoins, il convient de préciser que l’occurrence d’une telle situation tient aussi de l’environnement économique. Les travaux réalisés par les chercheurs spécialisés sur le secteur bancaire sur des pays fortement bancarisés et avec une contribution significative des banques au financement de l’activité, concluent que la mise en place de Bâle III ne devrait pas affecter significativement les crédits bancaires[2]. Ainsi, le risque de voir les crédits intérieurs à l’économie se réduire apparait substantiel car les économies de la zone sont marquées par une faible bancarisation et les banques estiment que les demandes de crédits pour des projets privés sont peu rentables et très risqués. Un approfondissement des mesures visant à renforcer l’inclusion financière et à favoriser le financement de l’activité économique par les banques devraient donc nécessairement accompagner ce processus de mise à niveau du dispositif prudentiel.

Une démarche utile

Cette évolution du cadre de supervision bancaire vient d’ailleurs servir ce dernier objectif. D’abord, parce qu’il permettra de redéfinir l’architecture du système bancaire dans la zone. Une réduction du nombre des acteurs est quasi-inévitable dans la mesure où tous les établissements ne pourront pas respecter les nouvelles normes, notamment celles portant sur les fonds propres. Finactu dans un rapport récent estimait à 1000 milliards les ressources que devront mobiliser les banques de la zone pour respecter les normes de solvabilité de Bâle, et indiquait que cela pourrait entrainer une disparition de certains acteurs du système bancaire dans les pays de la zone.

Les pays africains de la zone Franc concentrent 179 banques, soit 6 banques pour 1 million de personnes en CEMAC et 5 en UEMOA, sans que cela n’affecte les taux d’intérêt ou ne favorise la transmission effective de la politique monétaire et complexifie la supervision du système bancaire dans son ensemble. Un paysage bancaire plus concentré, bien que dommageable, serait néanmoins plus opportun dans le contexte des pays de la zone Franc où seulement une partie de la population a accès aux services bancaires. Cela permettrait d’assurer un meilleur contrôle et une mise en œuvre plus efficace de la politique monétaire par une raffermissement de la collaboration entre les Banques Centrales et les banques commerciales.

Ensuite, parce qu’en encourageant les banques à participer activement au financement de l’économie, notamment les PME, ces dernières s’exposent à des risques nouveaux que le dispositif prudentiel actuel ne suffirait pas à contenir. Dannon et Lobez (2014)[3] ont montré, pour le cas de l’UEMOA, que si les banques de cette zone, apparaissent aujourd’hui globalement saines, elles prennent de plus en plus des participations sur des actifs risqués qui pourraient à terme entraîner une crise financière sévère pour la zone. Dans un tel contexte, le passage aux normes de Bâle III pour la supervision des banques dans les pays de la zone Franc constitue une démarche qui va approfondir et garantir la stabilité et la solvabilité du système bancaire dans la zone. 

Somme toute, l’évolution du dispositif prudentiel dans les pays de la zone Franc n’apparait pas nécessaire. Cependant, elle est utile. Elle va permettre d’assurer une meilleure supervision du système bancaire aussi bien en ce qui concerne son développement (expansion) que sur ses activités[4]. Toutefois, il est nécessaire d’accompagner ce processus par un approfondissement des politiques visant le développement de l’inclusion financière et à accroître la contribution des banques à l’économie.


[1] Seul l’Afrique du Sud est membre du Comité de Bale

[2] Ryan Banerjee and Hitoshi Mio (2018). « The Impact of Liquidity Regulation on Banks.” Journal of Financial Intermediation 35.

[3] Pascal H. Dannon et Frédéric Lobez (2014). La régulation bancaire dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine est-elle efficace ? Revue d’économie financière 116 : 279-304

[4] Pour rappel, le taux de banalisation dans les pays africains reste faible, en moyenne autour de 10%.

13 juin : Assemblée générale

Chers adhérents,


Nous avons le plaisir de vous inviter à l’Assemblée Générale annuelle de L’Afrique des Idées qui se tiendra
le samedi 13 juin 2020.

Cette assemblée générale est élective. A cet effet, vous recevrez
prochainement la convocation à l’élection.
L’ordre du jour de l’AG se présente comme suit :
   1. Présentation et discussion du bilan du Bureau Exécutif sortant
   2. Communication et validation des résultats de l’élection du nouveau Président
   3. Présentation et discussion du programme d’activités du nouveau Bureau Exécutif
   4. Divers


Lieux et horaires de l’AG :
• Se connecter à : https://meet.jit.si/AssembléeGénéraledeLAfriquedesIdées
• Garder son microphone en « Mute »
• Horaire : 15h (Paris), soit 13h GMT


Votre contact : france@lafriquedesidees.org,
Election du nouveau Président :
  1. Joël Assoko, Auditeur Général, organisera l’élection du nouveau président.
  2. Un vote en ligne sera organisé du 08 au 11 juin 2020.

Nous sommes heureux d’avoir été à votre service et vous remercions pour votre engagement. Dans
l’attente de vous retrouver à l’Assemblée Générale, nous restons à votre disposition pour tout complément
d’information et vous souhaitons un agréable weekend.

Foly Ananou

La Chine en Afrique : un loup dans la bergerie ?

Le 03 septembre, le président chinois, Xi Jinping, annonçait au profit de l’Afrique une enveloppe de 60 Mds USD (15 en dons ou prêts sans intérêt ou concessionnels, 20 en crédits, 10 pour l’aide au développement et 5 pour supporter les importations chinoises en provenance d’Afrique ; le reste devrait être porté par le secteur privé) pour les trois prochaines années. Pour les occidentaux, c’est un cadeau empoisonné[1] alors que les autorités africaines voient en la Chine, ce partenaire qui va les aider à atteindre « l’émergence », tant souhaité.

La Chine est prédatrice ; ce n’est pas nouveau ! Depuis 2013, avec le lancement du projet de « nouvelles routes de la soie » (la Belt and Road Initiative – BRI), les intentions des autorités chinoises sont plutôt claires. Le pays veut s’imposer comme la première puissance économique mondiale. La BRI n’est qu’une déclinaison de cette volonté. Et l’Afrique n’est pas le seul continent au cœur de cette stratégie. Se positionnant comme l’usine du monde, la démarche chinoise apparait évidente : acheter les matières premières en Afrique (et aussi en Amérique Latine), les transformer chez elle et inonder le marché occidental. Pour atteindre cet objectif, la Chine use de toutes les armes dont elle dispose. Et en Afrique, c’est la puissance financière qui est de rigueur. Elle offre aux autorités africaines une alternative réelle par rapport aux partenaires traditionnels, dont les actions en Afrique n’ont pas permis « l’émergence » du continent, un demi-siècle après les indépendances.

Chine ou Occident, les intentions et les regards portés sur l’Afrique restent les mêmes : l’Afrique est un marché de matières premières et de consommation de produits finis ; alors chacun essaie de se tailler sa part. Les méthodes ne divergent pas non plus grandement. Tout passe par la puissance financière. Seulement, alors que l’Occident dont les moyens financiers sont limités usent de conditionnalités relatives aux conditions socio-politiques et économiques pour rationner ses aides ; la Chine se soucie peu ou pas de leur solvabilité[2] ou des conditions socio-politiques et ses actions en Afrique sont visibles. Elle apporte une réponse aux défis du continent en matière d’infrastructures[3]. Son influence s’accroît et dépasse même les aspects économiques. On va progressivement vers l’installation de bases militaires chinoises sur le continent ; une existe déjà à Djibouti. Aujourd’hui la plupart des pays africains, à l’exception du Swaziland, ont rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan pour s’attirer les faveurs de Pékin. Par extension, il serait difficile pour l’Occident aujourd’hui d’user de voix africaines pour faire voter des décisions contre la Chine à l’échelle internationale.  En bref, la Chine ne fait pas pire, ni mieux que les occidentaux. Elle dispose seulement d’une assise financière plus robuste, évite de s’ingérer dans les questions politiques (ce que la jeunesse africaine reproche de plus en plus aux occidentaux) et faire preuve de pragmatisme en s’assurant de rendre très « concrète » son action en Afrique, de sorte à s’imposer sur les marchés que les occidentaux leur croyaient acquis. En fait, les accusations de néocolonialisme formulées à l’encontre de la Chine par les occidentaux s’apparentent aux pleurs du renard qui voit le loup entrer dans son garde-manger.

L’acharnement médiatique vis-à-vis de la Chine quant à ses actions financières en Afrique n’a pas lieu d’être. Certes les risques liés à la dette chinoise, et à l’évolution rapide de la dette des pays africains en général, nécessite d’être discutée, pour identifier les goulots d’étranglement et proposer des solutions, au lieu de rester dans une forme de dénonciation. La Chine adopte aujourd’hui une démarche qui permet de financer et de réaliser des projets, en s’affranchissant des multiples procédures et règles souvent de rigueurs avec les partenaires traditionnels des pays africains. Cette démarche est à parfaire pour inclure davantage l’expertise locale avec une stratégie d’endettement cohérente, afin de paver la voie pour une transformation structurelle des économies africaines.

Une chose est certaine, c’est que l’Afrique appartient aux africains et à ce titre, ils feront à travers leur dirigeants les choix qui leur conviennent le mieux pour atteindre leurs objectifs. Il convient pour ce faire de tirer les leçons d’un demi-siècle de partenariat avec l’Occident pour améliorer le cadre des partenariats avec le reste du monde et d’en minimiser les risques potentiels. « Tout est bon mais tout n’est pas utile ».

Mais au-delà de tous ces discours experts sur la relation sino-africaine, une question devrait retenir toute l’attention. Que pensent réellement les africains de la présence chinoise ? Ce partenariat change-t-il pour le mieux leurs conditions de vie ?

[1] Voir ces articles de Telegraph, de BBC ou du Monde.

[2] L’évolution de la dette des pays africain reste quand même un facteur d’inquiétudes. Les analyses de viabilité de la dette (AVD) réalisées par le FMI et la Banque Mondiale, montrent que le profil de risque d’endettement des pays africains a rapidement évolué entre 2012 et 2015. Sur les 39 pays bénéficiaires de l’IPPTE, ont déjà atteint un risque élevé d’endettement (contre 5 en 2012), 18 sont classés en risque modéré (13 en 2012) et 5 sont classés en risque faible (contre 11 en 2012). Les emprunts auprès de la Chine y contribue considérablement. En 2016, les prêts chinois aux gouvernements africains atteignaient 30 Mds USD.

[3] Même si les conditions d’octroi et d’exécution des projets restent fortement discutables. Ces financements créent sur le sol africain des marchés pour les entreprises chinoises, qui empêchent le développement d’une expertise locale. Aussi en ne s’intéressant pas aux conditions socio-politiques, la Chine favorise le maintien d’un environnement socio-politique délétère. Toutefois, la démarche occidentale n’a pas résolu la question ; elle pourrait même être à l’origine de cette situation. Les récentes discussions sur les activités de Bolloré en Afrique constituent une preuve en la matière.

La malédiction des matières premières en Afrique : fantasme ou réalité ?

Dans son rapport sur les investissements dans le monde en 2018, la Commission des Nations Unies sur le Commerce et le développement (Cnuced) fait état d’un recul de 21% des investissements directs étrangers vers l’Afrique en 2017. Selon l’institution, la baisse généralisée du cours des matières premières serait la principale raison à ce recul d’intérêt pour les pays africains. Ce constat vient témoigner davantage de l’importante dépendance des pays africains à leurs ressources naturelles. Cette forte richesse des pays africains en ressources naturelles, qui détermine leur trajectoire économique, est souvent considérée comme une malédiction. Un terme trop souvent associé au continent parce qu’ailleurs dans le monde, les ressources naturelles ont servi de base pour le développement ou l’émergence de certains pays. C’est le cas de la Norvège et de plusieurs pays du Moyen-Orient. Le cas des pays africains est-il alors singulier ? La richesse en matières premières des pays africains constitue-t-elle une entrave au développement ?

Nous proposons dans cet article de porter un regard sur la question, en analysant la relation entre abondance des ressources naturelles, niveau de revenu par habitant et profondeur de la paix dans les pays africains.

Selon Richard Auty (1994)[1], précurseur de cette théorie, les économies axées sur l’exploitation de matières premières se développent plus lentement que les autres et font face à de la corruption et des violences internes. Ainsi selon cette théorie, les pays africains dont l’économie est fortement dépendante de l’exploitation de matières premières devraient afficher des niveaux de développement relativement faible et un climat social délétère.

Pour mesurer cela, considérons le revenu par habitant pour mesurer le niveau de développement[2], l’indice de globale de paix proposé par l’Institute of Economics and Peace[3] et le poids des rentes tirées de l’exploitation des matières premières dans le Pib. Le graphique[4] suivant combine ces trois dimensions et apporte quelques éléments de réponses.

La lecture de ce graphique permet d’établir deux constats majeurs. D’une part, la quasi-totalité des pays se concentre dans le coin droit du rectangle de bas à gauche, indiquant que sur le continent, le degré de pacifisme est plutôt moyen – ce que souligne à juste titre l’Institute for Economics and Peace dans son rapport 2018. En outre, le graphique met en exergue que l’exploitation des matières premières n’auraient pas d’incidence majeure sur la qualité de la paix et sur la stabilité socio-politique. Toutefois, dans certains pays, l’indice de paix est plus dégradé et il reste difficile d’attribuer cela au seul fait de l’exploitation des matières premières, sans toutefois écarter leur contribution. Au Nigéria[5] comme en RDC[6], par exemple, la persistance des conflits est liée à l’exploitation des ressources naturelles.

D’autre, part, les pays dont l’économie dépend fortement de l’exploitation de leurs ressources ont des niveaux de revenus par habitant plus faibles que ceux dont l’économie est moins dépendante. Plus impressionnant encore, on constate que ces derniers pays sont les plus paisibles et compte parmi les pays avec les niveaux de revenu par habitant les plus élevés du continent. Plus généralement, pour « un même niveau de paix » donné, les économies peu dépendantes de leurs ressources ont des revenus par habitant relativement plus élevés que les autres, à quelques exceptions près.

Si les ressources naturelles semblent avoir un impact peu significatif sur la paix, il semble qu’elles pénalisent fortement tout progrès économique. Toutefois, ce constat ne suffit pas pour établir un lien de causalité entre abondance de ressources naturelles et situation socio-économique ; parler de malédiction serait ainsi abusif. L’expérience d’autres pays non africains montrent que plusieurs autres facteurs entrent en jeu comme potentiels catalyseurs. Le cas de la Norvège est particulièrement édifiant dans ce sens : l’environnement économique et politique – gouvernance, environnement des affaires, corruption, etc. – apparait déterminant dans le rôle des ressources naturelles sur les trajectoires nationales de développement.

Le graphe[7] ci-après présente le positionnement des pays par rapport au niveau de corruption et à l’importance de l’exploitation des ressources naturelles dans le PIB. La corruption est mesurée par l’indice de perception de la corruption (IPC) de Transparency International[8] et le niveau de maturité de l’environnement des affaires par l’indice de liberté économique élaboré par The Heritage Foundation.[9]

Le constat majeur est que les économies les plus dépendantes de l’exploitation des ressources naturelles comptent parmi les plus corrompus du continent avec un environnement des affaires peu attractif. C’est le cas de la RDC, du Congo, de la Guinée Equatoriale, de la Guinée, de l’Algérie ou de la Mauritanie. Le cas du Libéria est assez singulier. Le pays sort d’une longue période de crise et l’exploitation des ressources naturelles constitue pour l’heure sa principale source de revenus d’une part et l’environnement des affaires reste à améliorer d’autre part. On note aussi que les pays les moins dépendants de leurs ressources naturelles (tels que le Rwanda, la Namibie et le Botswana) affichent un faible niveau de corruption et sont plus attractifs pour les affaires. Pour les autres pays, la situation est plutôt mitigée : certains pays relativement peu dépendants de leurs ressources naturelles affichent des niveaux de corruption élevés avec un environnement des affaires qui reste perfectible (cas du Togo, du Kenya, Djibouti, etc.) alors que d’autres dont l’économie repose sur l’exploitation de ressources naturelles apparaissent meilleurs en termes de corruption et plus attractifs (cas du Burkina et du Ghana, etc.). Et cela transparait dans le niveau des revenus par habitant.

L’abondance des ressources annuelles semble contribuer assez fortement à la corruption, sans néanmoins l’être de façon systématique. Le cas de plusieurs pays du continent permet de déjouer tout hypothétique lien de causalité entre exploitation de ressources et corruption. Toutefois, la première peut entretenir la seconde, si elle existait déjà et que l’environnement des affaires présente des défaillances. Des pays comme le Congo, la RDC, l’Ouganda ou encore la Guinée illustrent parfaitement ce triste phénomène.

Les pays africains ne sont pas maudits par leur richesse en ressources naturelles et les pays dépendants de leurs ressources ne se trouvent pas systématiquement dans des situations socio-économiques critiques. Ils souffrent surtout d’un environnement institutionnel défavorable, qui exacerbe les dérives que peut engendrer une grande richesse si elle n’est pas correctement gérée. La trajectoire du Ghana l’atteste : avant la découverte du pétrole – dont l’exploitation a démarré en 2010 –  le pays avait un environnement des affaires et institutionnel meilleur que celui que du Nigéria, de l’Afrique du Sud ou encore de la Guinée Équatoriale. Il ne s’est donc pas embourbé dans les travers de corruption qu’ont connus par les pays précités. Il est ainsi bon d’espérer que le Sénégal, l’un des pays les moins corrompus du continent, avec un environnement des affaires plutôt favorable, ne connaisse pas de semblables travers avec l’exploitation de son gaz.

La découverte de gisement de minerais ou de combustibles tend malheureusement à s’instituer en sport continental pour financer les programmes de développement des pays. Pour en profiter au mieux, les pays devraient renforcer leur institution et améliorer leur environnement des affaires, afin d’assurer la diversification de leurs économies. Les Gouvernements doivent plutôt viser à considérer l’exploitation des ressources naturelles comme une activité économique parmi d’autres ou/et, user de façon plus efficiente les revenus générés par ces ressources pour financer l’expansion de leur économie.

 

 

 

 

[1] Richard Auty (1993). Industrial policy reform in six large newly industrializing countries: The resource curse thesis. World Development 22, 11-26.

[2] Cet indicateur peut souffrir d’un effet de base liée à la population et ne suffit pas à juger de façon pertinente du niveau de développement. Cependant, il permet d’appréhender au mieux la situation socio-économique d’un pays.

[3] Cet indicateur mesure le degré de pacifisme dans un pays. en s’appuyant sur la participation du pays à des conflits armés (internes ou externes), le niveau de sécurité interne (criminalité, terrorisme, instabilité politique, pression policière et/ou politique, population carcérale, etc.) et le niveau de militarisation . Plus le score est faible, plus le pays est considéré comme paisible. Plus de détails sur le site de l’IEP.

[4] Pour tenir compte de l’échelle, les données sur les rentes ont été augmentées de 10. Ainsi, pour Maurice par exemple les rentes tirées de l’exploitation des ressources naturelles sont nulles et ne représentent pas 10% du Pib. Pour chaque pays, la donnée réelle est donc celle présentée sur le graphe à laquelle il faut soustraire 10.

[5] Exploitation du pétrole et rébellions dans le delta du Niger

[6] Congo : la guerre des minerais, le récit d’un désastre

[7] Réduire de 10 les statistiques sur les rentes tirées de l’exploitation des ressources naturelles.

[8] Nous avons pour l’exercice, considéré le complément à 100 du score fourni par Transparency International, de sorte que les pays avec une corruption moindre se retrouveraient le plus à gauche du graphique.

[9] Cet indice mesure pour un pays donnée, la capacité à y mener des activités économiques sans contraintes légales majeures. Elle va plus loin que le Doing Business, à la mesure où elle tient compte du poids de la pression fiscale, de l’ouverture économique et de l’environnement légale pour les affaires.

Perspectives Economiques en Afrique : quand la Bad se réapproprie l’exercice !

La Banque Africaine de Développement a publié le mercredi 17 janvier dernier l’édition 2018 de son rapport sur les Perspectives Economiques en Afrique. Cette édition se démarque des précédentes et marque une certaine rupture dans la production de ce document. L’institution semble s’être appropriée totalement l’exercice, tant dans la forme que dans le fond. Le document sera désormais publié à la mi-janvier de chaque année, au lieu de juin, période traditionnelle de publication du rapport. L’institution assure vouloir être celle qui propose en premier des informations économiques sur l’Afrique, prenant ainsi à contre-pied le Fmi qui jusque-là établissait des prévisions sur les performances économiques en Afrique, en avril de chaque année. Le volume est réduit de moitié et seule la BAD a produit et signé cette édition – contrairement aux autres éditions co-signées avec l’OCDE et le PNUD. Elle va proposer aussi des sous rapports pour chacune des cinq régions du continent, une première.

La rupture est encore plus marquante au niveau méthodologique. Si le document propose toujours deux chapitres, l’un faisant l’état des lieux de la performance socio-économique et le second traitant d’une thématique donnée ; l’édition 2018 propose une lecture différente des pays africains, faite exclusivement par des africains – avec la contribution de quelques universitaires externes, spécialisés sur l’Afrique. Le nouveau format propose d’abord une lecture de la performance et des perspectives sur l’activité économique, les finances publiques, le secteur financier et les relations avec le reste du monde (avec un accent sur l’effet des chocs extérieurs). Il discute ensuite les évolutions sur le marché de l’emploi et la pauvreté, en lien avec les performances économiques des pays. En ce qui concerne la thématique d’intérêt (pour l’édition 2018, le focus a été mis sur le financement des infrastructures), le document propose une discussion de l’impact des infrastructures sur la performance économique des pays puis présente les stratégies ou les outils qui pourraient être utilisés pour accroître le financement des infrastructures sur le continent. Surtout, à chaque niveau, le rapport est force de proposition pour améliorer les conditions socio-économiques, en rupture avec les anciennes éditions qui se contentaient d’observer, d’expliquer et de décrire les actions mises en œuvre – de les juger le plus souvent.

Cette nouvelle approche est plus qu’appréciable à plusieurs titres. D’abord, la BAD se positionne comme une institution qui veut œuvrer pour le développement des pays africains, en s’appropriant effectivement les problématiques des pays et en étant force de proposition pour les résoudre en s’appuyant sur de l’expertise africaine. La BAD pourra ainsi se positionner en maître sur les discours portant sur l’Afrique et être une voix de référence sur la performance économique des pays africains et orienter les autres institutions intéressées par des travaux sur l’Afrique. Ensuite, le calendrier de publication proposé permet d’avoir une base de travail de référence sur l’Afrique pour les investisseurs. Enfin, le fait de proposer des rapports régionaux permet de tenir compte des hétérogénéités des pays, de proposer une lecture plus fine et surtout de traiter de thématiques d’intérêt pour Chacune des régions et mieux orienter les politiques publiques selon les urgences par zone. L’institution démontre que les autorités africaines ont pris la pleine mesure de la nécessité de se réapproprier les discours sur l’Afrique et de définir la stratégie de développement sur la base des particularités qui sont nôtres.

Sur le fond, la BAD prévoit que la croissance devrait continuer à progresser en 2018 et 2019. Selon l’institution, elle devrait atteindre 4,1% en 2018 et 2019, après 3,6% en 2017 (et 2,2% en 2016) portée notamment par le redressement des économies à forte intensité de ressources, en raison du rétablissement des cours mondiaux. Toutefois, ce regain de croissance n’est pas générateur d’emplois, de sorte que les inégalités et la pauvreté persistent (indice de Gini est passé de 0,52 en 1993 à 0,56 en 2008). La Banque estime que le manque d’investissement dans le capital humain, dans un contexte de forte progression démographique d’une population de plus en plus jeune pourrait expliquer cette situation. A ce titre, elle invite les pays à poursuivre les efforts visant à améliorer leur capacité de mobilisation des ressources internes. En effet, bien que les pays aient consenti des efforts pour accroître leur capacité de mobilisation des ressources intérieures, se situant aujourd’hui à des niveaux comparables avec des pays d’Asie ou d’Amérique Latine ; cela reste insuffisant pour couvrir les besoins de financement nécessaire pour l’expansion des infrastructures et du capital humain, primordiales pour l’industrialisation et accroître davantage l’entrée des investissements étrangers. Ce déficit, la BAD le chiffre entre 68 à 108 Mds USD. Pour le résorber, elle invite les pays à se saisir des différents outils financiers auxquels ils peuvent désormais avoir accès pour mobiliser l’épargne mondiale, concomitamment à la poursuite des réformes fiscales. Un accent particulier est mis sur les partenariats public-privé ou le recours aux fonds souverains. Elle exhorte à la prudence en ce qui concerne l’endettement extérieur. Bien qu’indiquant que le risque de surendettement reste faible ou modéré (selon les pays), les experts de l’institution s’inquiètent quand même de l’accélération de la dette après l’atteinte des PPTE et indiquent qu’il faudrait orienter les emprunts vers les secteurs à fort potentiel.

Pour la BAD, doter le continent d’infrastructures performantes permettra d’accélérer son industrialisation, condition nécessaire pour lutter de façon efficace contre la pauvreté.  Elle exhorte ainsi les pays à adopter une stratégie visant à construire les infrastructures adaptées permettant de valoriser leur secteur à fort potentiel mais aussi d’intensifier l’investissement dans le capital humain.

Parcourir les PEA 2018 de la BAD offre une vision différente du continent et de ses performances. Une place de choix est donnée à l’analyse et aux recommandations. Les différents acteurs de la vie sociale et économique des pays africains gagneraient à s’approprier ce rapport, qui offre des orientations quant aux politiques à mettre en œuvre pour asseoir un développement durable pour le continent.  Il ne reste plus qu’à espérer que ce ne soit pas un rapport de plus et que les autorités africaines feront elles aussi le choix, comme le top management de la BAD, de penser leur politique sociale et économique davantage en collaboration avec des institutions africaines.

Une voix africaine !

L’Afrique fait aujourd’hui l’objet de tous les fantasmes : soit une terre d’opportunités plaçant le continent au centre de toutes les convoitises, soit une terre qui continue de pâtir de son si mauvais départ comme l’indiquait Réné Dumont. Cet optimisme et ce pessimisme, trouvent leur raison d’être.  Opulence côtoie précarité. L’Afrique apparaît comme le nouveau relai de la croissance mondiale alors que le Pib par habitant dans la plupart des pays ne progresse que faiblement, voir stagne dans certaines régions. Le numérique a permis l’éclosion d’une jeunesse entreprenante mais ne reste accessible qu’à une minorité. La population s’urbanise de plus en plus alors que les bidonvilles croissent, avec des accès de plus en plus limités aux services sociaux de base.

Ce grondement d’idées et de discours, parfois laudateurs ou alarmistes, portés par des entités exogènes au continent, a fait de l’Afrique une terre d’expérience en tout genre dans la quête du développement suivant le modèle occidental, comme le rappelle si bien Felwine Sarr dans son Afrotropia. Aussi ont-ils étouffé la voix intérieure du continent qui depuis les indépendances questionne et discute son modèle de développement en faisant appel à son histoire, ses croyances et ses différentes cultures.

Cette voix devient cependant de plus en plus audible à la ferveur des nombreux défis du continent, portée par une jeunesse qui peu a peu saisi les messages que lui ont laissé ses pères. Chinua Achebe interpellait déjà dans Man of the Nation et Anthills of the Savannah quant aux dérives de l’autocratie. Dans sa si longue lettre, Mariama Bâ décrivait les conditions sociales, celle de la femme en particulier, à l’aube des indépendances en Afrique ; et Ngugi wa Thiong’o dans A Grain of Wheat annonçait les écarts économiques qui émergeaient au début de la période post coloniale.

Cette nouvelle voix se matérialise sous plusieurs formes. Les réflexions d’Achille Mbembé dans Sortir de la Grande Nuit, la jeunesse africaine qui lutte pour un avenir meilleur que décrit Mbougar Sarr dans son Silence du Chœur et l’invitation à la chose politique d’Hamidou Anne et al. dans Politisez-vous ! en sont de véritables témoins. Les initiatives pour repenser l’Afrique, par les africains eux-mêmes, se multiplient. La société civile dans les pays s’organise et assure la veille citoyenne.

Toutefois, malgré ce regain de vitalité, cette voix est encore porteuse de bruits qui annihilent la clarté du message qu’elle porte et qui vise à définir une nouvelle pensée, un nouveau paradigme en ce qui concerne le développement de l’Afrique.

A ce titre, un filtre est plus que nécessaire afin d’extraire de ce signal riche en idées et réflexions nouvelles, celles qui permettront de construire l’Afrique que nous voulons. Comme le rappelle Georges Vivien Hougbonon, un tel filtre ne peut exister que dans « un cadre bien approprié » qui favorise la confrontation des idées, seule condition nécessaire et suffisante pour l’émergence de nouveaux courants politiques, économiques et sociales, pour envisager une transformation pérenne et endogène du continent.

L’Afrique des Idées ne manquera pas d’être présent à ce rendez-vous, et de participer activement à la construction par les idées d’une Afrique qui fait rêver ses enfants, car nous croyons fermement à la philosophie de Senghor que c’est « au carrefour du donner et du recevoir où chacun se sentira à l’aise parce que se sachant à la fois donneur et receveur » que l’Afrique pourra être repensée.

Collecte-t-on trop ou pas assez d’impôts en Afrique ?

L’amélioration de la performance fiscale constitue l’un des défis de développement pour les pays africains.[1] Dans sa publication récente sur les recettes publiques en Afrique[2], l’OCDE indique que la mobilisation des recettes fiscales est en progression, se situant à 19,1% du PIB en moyenne pour les pays étudiés, mais demeurent en retrait par rapport à la performance d’autres régions dans le monde (22,3% en Amérique Latine dont les pays ont une structure fiscale comparable à ceux d’Afrique). Selon l’institution, cette performance est « due à deux facteurs. D’abord, la bonne performance des économies africaines, et notamment leur forte croissance, ensuite l’augmentation des capacités à taxer, notamment de la TVA, des administrations fiscales»[3] mais elle craint que la fiscalité ne devienne régressive[4] sur le continent. Elle part du constat que les impôts sur les biens et services constituent aujourd’hui l’essentiel des recettes fiscales (57.2 % en moyenne), la TVA arrivant en tête, suivis des impôts sur le revenu et sur les bénéfices (32.4 %). Cette situation soulève plusieurs interrogations sur la capacité des pays africains à mobiliser davantage de recettes fiscales. Spécifiquement, les pays africains collecteraient-ils trop d’impôts indirects et pas assez d’impôts directs ?

Afin de répondre à cette question ; des experts de L’Afrique des Idées ont élaboré une nouvelle approche pour estimer l’écart fiscal[5]. Cette estimation permettra de déterminer le compromis à trouver entre l’assiette et la pression fiscales pour maximiser les recettes fiscales en Afrique. Il faut préciser que la performance fiscale dépend, outre l’activité économique, d’autres facteurs difficilement quantifiables : exemptions fiscales, dépenses fiscales, évasion fiscale, gestion de l’administration fiscale, etc. Ces facteurs peuvent affecter la performance fiscale d’un pays en le révisant à la hausse ou à la baisse par rapport à son potentiel fiscal réel, déterminé par la structure de son économie et la législation en place. Dans l’un ou l’autre des cas, cet écart fiscal serait nuisible à l’économie. Une moindre performance constitue un manque à gagner et pourrait limiter les investissements publics alors qu’une surperformance pourrait ralentir l’investissement privé.

Une méthode d’estimation de l’écart fiscal

L’écart fiscal se mesure comme la différence entre les recettes fiscales collectées et les recettes fiscales potentielles. Ces dernières dépendent de la structure de l’économie, qui détermine l’assiette fiscale, et des politiques publiques qui établissent le taux moyen d’imposition. La structure de l’économie se mesure à partir de la valeur ajoutée des différents secteurs de l’activité économique et du niveau de développement humain. Quant aux politiques publiques, elles sont approximées par le taux d’inflation, le niveau des inégalités et l’existence d’une rente minière.

L’estimation consiste à comparer les recettes fiscales effectivement collectées par chaque pays africain entre 1996 et 2011 à celles qu’a pu collecter un autre pays, non africain, ayant la même structure économique et le même niveau de développement. Ainsi, une performance supérieure traduirait un « trop perçu fiscal » alors qu’une moindre performance correspondrait à un « manque à gagner fiscal ».

Un trop perçu fiscal en Afrique par rapport au reste du monde

Les résultats des analyses suggèrent que même si les pays africains affichent des performances fiscales plus faibles que les autres pays du monde, leurs administrations fiscales affichent globalement des performances supérieures au regard de la structure de leur économie. Sur les 49 pays analysés, près de la moitié affichent un trop perçu fiscal.  La performance fiscale des pays concernés serait de 1.3 (Tunisie) à 3.5 (Namibie) fois supérieure à son niveau potentiel. Seuls la Côte d’Ivoire, le Djibouti et le Nigéria ont un manque à gagner fiscal ; le reste étant à des niveaux comparables avec le reste du monde. La Côte d’Ivoire, pour sa part, ne mobilise pour l’heure que 90% de son potentiel. A l’exception de la Côte d’Ivoire, cet écart fiscal ne tend pas à se réduire.

Ce trop perçu fiscal se manifeste notamment dans les taxes directes composées principalement des impôts sur les bénéfices et sur les revenus[6]. En ce qui concerne les taxes indirectes et douanières, il n’y a pas d’écart par rapport au potentiel fiscal ; la quasi-totalité des pays africains étant pratiquement au même niveau que les autres pays du monde.

Ce résultat se comprend assez bien dans la mesure où le faible nombre d’entreprises et de salariés dans le secteur formel africain permet à l’administration fiscale de recouvrer plus facilement les taxes directes. Il est aussi caractéristique d’une politique fiscale trop centrée sur les taxes prélevées sur les activités du secteur privé formel. Au Sénégal par exemple, le taux d’imposition moyen sur les entreprises s’établit à 48% alors que la pression fiscale au Sénégal se situe à environ 20%.[7] Ainsi la faiblesse des recettes fiscales des pays africains par rapport à la taille de leur économie s’explique essentiellement par l’étroitesse de leurs assiettes fiscales. Par ailleurs, la pression fiscale exercée sur le secteur privé, principale source des recettes fiscales, est trop forte par rapport aux pratiques dans le reste du monde et pourrait contribuer à affaiblir la capacité des Etats à élargir l’assiette fiscale.

Quelle mesure pour améliorer la performance fiscale des pays africains ?

Au regard de ces résultats, l’amélioration de la performance fiscale dans les pays africains passera essentiellement par la mise en place d’un cadre favorable au développement du secteur privé. Pour ce faire, il faudrait surtout réduire la pression fiscale exercée sur le secteur privé afin de favoriser sa croissance et sa compétitivité. Cette forte fiscalité constitue, par ailleurs, l’une des contraintes majeures à la formalisation de certaines entreprises. L’assouplissement de la pression fiscale permettra donc de faciliter l’intégration de certaines « grosses » entités informelles dans l’assiette. Une telle stratégie renforcera aussi l’attractivité des économies pour les entrepreneurs, contribuant ainsi à élargir l’assiette fiscale. Certains pays comme le Lesotho ont entamé des réformes dans ce sens, ce qui leur a permis d’améliorer sensiblement leur performance fiscale sans constituer un obstacle pour le secteur privé. Selon l’étude « Paying Taxes 2016 » de Pricewaterhouse Coopers, le Lesotho est le pays africain avec le plus faible taux d’imposition des entreprises (13,6% en 2015) alors que son ratio de recettes fiscales sur PIB est le plus élevé du continent (40% contre 35% en moyenne dans les pays de l’OCDE) ; ces revenus fiscaux s’appuyant sur toutes les catégories de taxes.

Foly Ananou et Georges Vivien Houngbonon

[1] Cette amélioration se mesure par l’évolution du ratio des recettes fiscales sur le PIB.

[2] Ce rapport couvre 16 pays : Afrique du Sud, Cabo Verde, Cameroun, Côte d’Ivoire, Ghana, Kenya, Maroc, Maurice, Niger, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Swaziland, Togo et Tunisie

[3] Interview de Federico Bonaglia, Directeur adjoint du Centre de développement de l’OCDE pour Jeune Afrique à l’occasion de la publication de l’édition 2017 des Statistiques des recettes publiques en Afrique.

[4] Soit que les Etats ne lèvent que peu d’impôts directs (impôts sur les revenus notamment) quand la base s’accroît.

[5] Se rapprocher des auteurs pour en savoir plus.

[6] Certains pays, comme l’Ethiopie, mobilise jusqu’à 25 fois plus que ce qu’ils devraient dans cette catégorie.

[7] Pricewaterhouse Coopers (PwC) et World Bank, Paying Taxes 2016 : Ten years of in-depth analysis

« Politisez-vous ! » : une invitation à la chose politique pour la jeunesse africaine

S’appuyant sur l’exemple de leur pays, dix jeunes sénégalais dénoncent dans un ouvrage collectif, la désuétude de la vie politique en Afrique, abandonnée par les intellectuels et envahie par des politiques professionnels qui peinent à transformer de façon durable et pérenne leurs pays. Fort de ce constat, ils invitent la jeunesse africaine à s’intéresser à la vie politique de leur pays parce que le développement tant recherché et souhaité par cette dernière ne peut se faire sans une gouvernance forte.

Dans cet entretien, certains des auteurs partagent leur lecture des mutations qu’a subies la sphère politique en Afrique et discutent de son renouvellement par une jeunesse engagée.

L’abandon du débat politique par les intellectuels serait la source de l’envahissement de la sphère politique par des personnes qui auraient plutôt un agenda personnel d’enrichissement. Comment peut-on expliquer ce paradigme quand ce sont les intellectuels qui avaient œuvré pour l’indépendance ? 

Racine Assane Demba – Oui la lutte pour l’indépendance a vu les intellectuels de l’époque s’engager pour l’émancipation pleine et entière des peuples africains. Puis sont arrivées les années post-indépendances avec les partis uniques, ensuite le multipartisme contrôlé et enfin le multipartisme intégral dans la plupart des pays du continent. Il y a eu deux types d’intellectuels : ceux qui se sont opposés aux nouveaux pouvoirs et les autres qui, par la force des choses, étaient devenus les intellectuels organiques de ces nouveaux pouvoirs. Les années passant, les jeux de pouvoir sont devenus de plus en plus violents. Une violence, pendant longtemps systématiquement physique contre les intellectuels qui osaient s’opposer, puis plus pernicieuse avec le vent de démocratisation qui a soufflé au début des années 1990 même si les assassinats, les enlèvements, les intimidations ont perduré ici ou là.

Cette violence de l’espace politique qu’elle soit physique ou verbale a poussé la plupart des intellectuels à déserter ce champ pour se retrancher dans les organisations dites de la société civile ou à se consacrer à leurs carrières laissant ainsi de plus en plus l’espace public à ceux que je nomme des politiciens professionnels. Il en a résulté une perte qualitative dans le débat public, dans la compétition partisane et dans l’action publique.

Quel doit être le rôle du politique et du citoyen « politisé » dans la société ? 

Racine Assane Demba – Il faut d’abord, je pense,  revenir à la nuance entre le politique et la politique  qu’introduit si bien Mohamed Mbougar Sarr dans « Politisez-vous !».  Mbougar rappelle, en résumé, que le politique est le rapport social, le lien qui se tisse toujours entre les individus pour que la vie en société soit possible. Alors que la politique consiste en l’organisation de ce rapport social déjà établi. En cela, nous dit-il, tout le monde est dans le politique. Ainsi, pour en revenir à la première partie de la question, le rôle du politique est de permettre à l’individu qui nait animal politique comme dirait le philosophe d’évoluer en société. La deuxième partie de la question concerne, quant à elle, le citoyen « politisé ». Je pense que son rôle, lui qui dans son processus de politisation a pris conscience des rapports de force et de domination dans la société, est d’essayer de faire comprendre ces enjeux à un maximum de ses concitoyens, ce que j’appelle passer du « je » au « nous » et pourquoi pas de faire la politique pour influer sur les décisions concernant le plus grand nombre. Et c’est là qu’il passe du « nous d’éveil » c’est-à-dire faire prendre conscience des enjeux au « nous de transformation » à savoir, au bout du compte,  être dans les espaces de décision et d’orientation de l’action publique.

Les défis des sociétés africaines sont multiples : justice, équité, égalité, éducation, environnement, etc. Selon votre livre, la réponse à ses défis est d’abord politique et vous estimez qu’il faudrait, pour ce faire, un plus fort engagement politique des jeunes. Comment devrait se dérouler ce processus de repolitisation auquel vous invitez  la jeunesse, dans un contexte de désaveu de la chose politique ?   

Hamidou Anne – Effectivement, les problèmes auxquels sont confrontées les populations africaines sont divers. Mais ils peuvent se retrouver sous une même matrice qu’est la faillite de la gouvernance qu’incarne le leadership politique. Et ces problèmes vont s’accroitre tant que les mêmes personnes avec les mêmes méthodes continuent à gérer les mêmes pays. La faillite de notre classe politique implique nécessairement son remplacement par une autre dotée d’une volonté de rupture, de transformation et de construction d’un nouveau peuple africain capable de relever les défis de notre époque.

Cela nécessite ainsi pour la jeunesse de quitter le registre de l’indignation stérile, de la colère non suivie d’effet car celle-ci est vaine. Ignorer le politique est une désertion coupable.

La jeunesse ne doit jamais abandonner le champ du rêve d’une société différente ; d’une société qui repense les rapports sociaux sous le prisme de la justice et de l’égalité. La politisation commence d’abord par le rêve d’une Afrique où la vie serait meilleure.

Nous devons nous mettre au fait des rapports de force en cours dans l’espace public, de la nécessité de changer qualitativement la vie des gens et de forger une destinée nouvelle.

Dans ce sens, vous invitez à une puissance publique forte ! Ne serait on pas dans une impasse si on considère que les politiques qui détiennent ce pouvoir publique n’ont pas toujours à cœur l’intérêt général ?

Nous sommes, il est vrai, dans une crise politique de long terme car nos pays, dans leur majorité, ne sont gouvernés ni dans la vertu dans la volonté de construire un présent et un futur de progrès. Dès lors, la puissance publique est aux mains de personnes qui ont perdu une légitimité  morale – parfois aussi électorale- d’agir au nom des millions de jeunes africains car elles ne sont pas mues par l’intérêt général. Nous sommes dans une triple impasse : politique, éthique et spirituelle car les valeurs sont désertées au profit de la perpétuation d’un système kleptocrate érigé depuis l’indépendance.

S’engager en politique doit être selon vous précédé d’un amour sincère pour la personne et la société. Pourquoi cet amour est il essentiel, voir fondamentale ? 

Hamidou Anne – La dimension sentimentale est importante en politique. C’est même la base de l’action publique. On ne peut pas agir, travailler, se lever pour des gens qu’on n’aime pas. Sartre disait « Pour aimer les hommes il faut détester violemment ceux qui les oppriment ». C’est de cette spiritualité  que nous parlions plus haut, celle de l’amour pour les plus faibles, les opprimés et ceux que nos systèmes de gouvernance briment au quotidien. Comme y invite le texte de Youssou Ndiaye, nous pensons que la politique dans la rigidité des statistiques et des classements est une impasse qui plonge nos démocraties dans l’ennui et la déshumanisation. Gouverner c’est gérer des Hommes et se préoccuper de leur devenir.

Tout le monde ne peut s’engager en politique mais vous estimez que l’implication de personnes honnêtes est suffisante et nécessaire. Comment alors mesurer la sincérité de l’engagement de ces hommes politiques nouveaux que vous appelez de tous vos vœux ?

Fary Ndao – L’homme politique, tout comme l’artiste ou l’écrivain, ne peut qu’inspirer, susciter le rassemblement autour de valeurs qu’il professe par ses écrits ou ses discours et  qu’il incarne dans son comportement, sa constance. A l’heure où de plus en plus de citoyens sont éduqués et que les médias classiques ou nouveaux prennent encore plus d’ampleur, l’homme politique sait que rien ne lui sera pardonné. Il a donc, aujourd’hui plus que jamais, un devoir de cohérence. C’est à cela qu’il sera jugé.  Il pourrait également se lancer dans des initiatives non partisanes et d’utilité publique (action sur l’environnement, action éducative, bénévolat etc) afin de donner, un tant soit peu, du sens aux idées qu’il développe. Cela peut également permettre de distinguer les hommes politiques sincères et cohérents de ceux qui ne font qu’adopter des postures.

Le Sénégal est toujours cité comme un exemple de démocratie, avec un espace politique vivant, une jeunesse engagée- on se rappelle encore du mouvement Y en a marre ! qui a su faire front pour amener le président Wade à revoir ses ambitions en 2012 – pourtant il constitue le cadre de vos discussions, qui s’appliquent à la majorité des pays d’Afrique subsaharienne. Qu’est ce qui explique cette dégradation et comment la jeunesse sénégalaise peut-elle encore s’approprier le combat de ses pères ?

Fary Ndao – Le Sénégal, « mondialisation » économique oblige, n’a pas échappé ces dernières décennies à l’accélération de la technicisation du monde. Or la technique nous dit Jacques Ellul, finit par faire des Hommes des îlots d’individualité sans lien réel entre eux et devient le principal moteur de l’Histoire. Un exemple : depuis 30 ans, l’ordinateur a  davantage transformé le monde que les forces classiques comme le travail ou le capital. Ainsi, les idéologies politiques dans lesquelles se reconnaissaient les militants d’hier, ne pèsent plus autant face à cette technique autonome et globalisante. Celle-ci est d’ailleurs toujours accompagnée d’une ribambelle de normes internationales qui assurent la standardisation de l’économie mondiale et « dépolitisent » les choix économiques et de société. Cet état de fait touche tous les pays du monde, et pas seulement le Sénégal. Partout, le militantisme est en net recul par rapport aux années post- seconde guerre mondiale, pour ce qui est des pays occidentaux et post-indépendances pour l’Afrique subsaharienne.

Il y’a également le fait qu’il ne semble plus y avoir, comme le rappelle Hamidou dans son texte, de dessein assez grand pour cristalliser la passion des jeunes d’un point de vue politique. « Nous sommes entrés dans l’ère des gestionnaires ». L’avènement des « pragmatiques » et des technocrates, ainsi que leur inclinaison naturelle pour la quantophrénie économique, n’a pas empêché la dégradation continue de l’environnement, l’affaissement de la justice sociale, la casse ou la privatisation des services publiques et de tant d’autres champs pouvant être importants dans la vie des hommes et d’une nation. Il faut donc arriver à trouver de nouveaux desseins collectifs assez inspirants qui pourront parler à la jeunesse sénégalaise, et africaine en général. Peut-être ainsi, sera t-il possible de la pousser à avoir un véritable projet de transformation de la société. Les taux de croissance, l’entreprise ou les kilomètres d’autoroute, bien que nécessaires, ne parlent pas au cœur des gens. Penseurs et hommes politiques doivent montrer qu’un grand défi d’humanisme, écologique et de changement de paradigme (économique notamment) nous attend pour les décennies à venir. Et, pour y répondre, nous devrons inaugurer de nouvelles utopies (sur l’humain, la nature, l’unité africaine réelle etc), les soumettre à la critique et les transformer en projet de gouvernement auquel il faudra essayer de faire adhérer les peuples africains. C’est comme cela que nous arriverons à réenchanter la politique.

Propos recueillis par Foly Ananou

Le Maroc dans la Cédéao ?

Jeune Afrique informait en février dernier sur la demande d’adhésion du Maroc à la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Surprenante démarche, qui n’a finalement surpris que les citoyens. Lors de son sommet du 04 juin dernier, les chefs d’Etat de ladite communauté ont exprimé « un soutien général pour la demande du royaume du Maroc, compte tenu des liens forts et multidimensionnels qu’il entretient avec les Etats membres ». Un accord de principe, qui va certainement aboutir à une adhésion formelle du Maroc à la Cédéao.  Sur le principe, les chefs d’Etat ont demandé à la Commission « d’examiner les implications de cette adhésion, conformément aux dispositions du traité révisé ». Ces conclusions ne devraient pas être défavorables ; la volonté affichée des différentes parties devrait permettre de lever les différents obstacles juridiques ou institutionnelles pouvant exister. Si l’adhésion du Maroc parait opportune d’un point de vue économique, elle ne parait pas forcément bienfaisante pour les autres économies de la zone.

Le Maroc est déjà fortement présent dans la région avec ses investissements – public et privé – et les différents accords bilatéraux avec les pays de la Communauté. Il est aujourd’hui le premier investisseur africain dans la région. Le pays participe à plusieurs projets majeurs en Afrique de l’ouest : réhabilitation de la lagune de Cocody, à Abidjan, ou le projet de gazoduc Maroc-Nigeria, construction de logements sociaux ou d’un port de pêche à Dakar. Ses échanges commerciaux avec la zone qui souffrent encore de quelques barrières (douanières) ont atteint 14,1 Mds USD en 2016, soit 22% de ses échanges mondiaux.  Son intégration dans la zone lui ouvre davantage l’accès au marché ouest africain fort de 300 millions d’habitants, où la libre circulation des biens et des capitaux devient de plus en plus une réalité. Il pourra davantage s’imposer dans la zone sur le plan politique et diplomatique, voir même modifier les orientations de la Communauté. Puissance économique, politique et diplomatique, le Maroc n’aura aucun mal à s’imposer dans la région devant le Nigéria qui doit encore faire face à des difficultés internes. La volonté affichée du Maroc de renforcer sa coopération avec les pays d’Afrique sub-saharienne commencera donc certainement par l’Afrique de l’ouest. La coopération « sud-sud » ainsi prônée par le Maroc et justifiant sa démarche auprès de la Cédéao, pourrait n’être qu’une démarche visant à se constituer une base de partenaires africains solide pour asseoir son intégration (domination) continentale.

Ce nouveau voisin donnera certainement une nouvelle impulsion à la zone, sur le plan économique et social. Les investissements marocains devraient se multiplier dans la région, favorisée par la mobilité des capitaux – on rappellera que les banques marocaines sont premières dans la région ouest africaines francophones notamment – et le fort potentiel inexploité des pays de la zone, créant ainsi de nouveaux emplois et de nouveaux débouchés pour ces pays. Les pays pourraient éventuellement réduire leurs factures d’importations, ayant avec l’intégration du Maroc dans la Communauté, l’occasion d’acheter auprès de leur nouveau voisin des produits alimentaires et/ou manufacturés de qualité et à coûts réduits. Aussi, les citoyens pourraient avoir accès à de meilleures infrastructures, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation.

Cependant, il faut craindre que cette situation fragilise davantage les pays de la région. Les exportations de la région vers le Maroc se situent aujourd’hui à moins de 100 MUSD et portent essentiellement sur des matières premières dont la moitié sont des produits agricoles. L’intégration du Maroc pourrait déséquilibrer davantage la balance commerciale au profit de ce dernier. Les pays de la région, économiquement fragiles et peu compétitifs, ne sont pas préparés à un tel scénario, contrairement au Maroc qui depuis des années peaufine sa stratégie. Ils ne pourraient, dans ce contexte, profiter pleinement des opportunités pouvant émerger avec l’intégration du Maroc à la Communauté.

Le Maroc pourrait en outre devenir la terre d’accueil des investissements pour la zone. Apparaissant comme un pays politiquement stable, avec une main d’œuvre de qualité ; les investisseurs pourraient préférer s’installer au Maroc l’utilisant comme base de production et exporter leurs produits vers les autres pays. Situation qui serait dommageable pour les pays de la Communauté qui ont placé le renforcement de leur attractivité comme objectif stratégique dans leur plan de développement, pour un rayonnement régional.

Certains projets majeurs de la Cédéao pourraient être remis en question. L’intégration des citoyens que souhaite la Commission de la Cédéao, par exemple, pourra se heurter à des obstacles culturels. L’histoire des peuples de la région ouest africaine s’entremêle, ce qui n’est pas forcément le cas avec le Maroc. D’ailleurs, certains marocains ont à plusieurs reprises démontré leur hostilité vis-à-vis des immigrés africains (légaux ou pas). Slate Afrique rapporte dans un article les actions racistes que subissent les étudiants d’Afrique subsaharienne au Maroc et la réponse plutôt molle des autorités vis-à-vis de cette situation[1]. Le projet de monnaie commune pourrait aussi perdre en pertinence. Le Maroc a sa propre monnaie et rien ne garantit qu’elle s’en délaisserait pour adopter celle que voudrait mettre en place la Commission de la Cédéao.

Si le rapprochement entre le Maroc et la région ouest africaine est à saluer car porteur d’opportunités, il aurait pu se faire sous d’autres formes. Déjà membre observateur de la Communauté, le pays a su tisser des relations économiques fortes avec les pays de la zone. On ne peut donc qu’être d’avis avec le fondateur de Wathi, Gilles Yabi, qui pense qu’il aurait été plus sage de donner au Maroc un « statut de partenaire stratégique. Du recul et un apprentissage auraient été préférables, pour permettre une adhésion sur quelques années et non sur quelques mois. »

Foly Ananou


[1] Cet exemple ne stipule pas que tous les marocains sont racistes ou sont hostiles envers les subsahariens. Il illustre simplement qu’il existe de fortes hétérogénéités culturelles entre les peuples qui pourraient remettre en question les ambitions de la Communauté.

Article mis en ligne le 17 juin 2017

Quelles perspectives de croissance pour l’Afrique en 2017 ?

Alors que l’économie mondiale tend à se redresser, le FMI estime que le ralentissement devrait persister en Afrique subsaharienne, mettant en exergue la fragilité des ressorts des économies de cette région. 

Le FMI a publié son édition d’avril des perspectives économiques pour 2017. Le rapport indique une stagnation générale de l’économie mondiale à 3.5% (contre une prévision de 3.1% en 2016). Pour l’Afrique subsaharienne, un léger redressement est escompté à 2.6% (contre une prévision initiale de 3% fin 2016), après la décevante performante de 2016[1]. Selon le FMI, ce rebond est porté notamment par le recouvrement en cours au Nigéria dans la production pétrolière, les dépenses publiques engagées en Angola – dans la perspective des élections à venir – et la résolution de la sécheresse dans la zone sud du continent.

Cette performance reste toutefois bien en dessous des performances enregistrées par le continent sur les deux dernières décennies, tranchant ainsi avec les discours laudateurs présentant le continent comme le nouvel eldorado économique et mettent en exergue les ressorts fragiles des économies africaines.

Si à l’échelle mondiale, le recouvrement paraît plus lent que prévu, les pays africains semblent, pour leur part, loin de retrouver le rythme de croissance de ces dernières décennies. Cette situation amène à s’interroger sur le caractère durable des performances enregistrées par la région ces dernières années et l’efficience et la pertinence des politiques économiques mises en place sur le continent.

Il convient avant toute chose de préciser que cette donnée masque de fortes hétérogénéités dans la région. Alors que l’économie de près de la moitié des pays du continent – pays riches en ressources naturelles pour l’essentiel – a été affaiblie par la baisse du cours des matières premières, dont notamment le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Angola (premières économies d’Afrique) ; l’autre moitié – pays pauvres en ressources naturelles pour l’essentiel – enregistrent des performances plutôt robustes. Selon les estimations du Fonds, pour ce dernier groupe, le taux de croissance devrait s’établir en moyenne à 5.4% en 2017 (contre 5.1% en 2016). Globalement, ce léger redressement est dû à la faiblesse de la performance économique dans le premier groupe de pays, constitué par les principales économies du continent qui dépendent fortement de leurs ressources naturelles. Même pour le second groupe, le niveau relativement bas du prix des ressources naturelles, notamment celui du pétrole, a fortement contribué à leur performance. En effet, pour ces pays, la baisse de la facture d’importations a permis de renforcer l’activité intérieure et de dégager des marges pour l’investissement public. Au final, les économies de la région restent encore fortement dépendantes des fluctuations sur le marché des ressources naturelles.

Des politiques publiques inadéquates ? 

Le manque de résilience des économies africaines vis-à-vis de ces chocs exogènes tient essentiellement au manque de mécanismes adéquats dans les pays pour les absorber. Dans les pays exportateurs, les mesures d’ajustement ont été mises en place avec beaucoup de lenteur et sont parfois inadéquates et contreproductives.

La principale économie du continent, le Nigéria, est depuis fin 2014 plongée dans une crise économique liée à la tardive décision des autorités de laisser le taux de change s’ajuster au marché. Si une telle mesure aurait été difficile à adopter dans les économies appartenant à une union monétaire (pays de la zone franc notamment), les mesures budgétaires n’ont consisté essentiellement qu’à une réduction des dépenses publiques plutôt qu’au renforcement des mécanismes de mobilisation des ressources financières internes pour financer les projets et renforcer l’activité interne.

Aussi, la bonne performance enregistrée par les pays non exportateurs n’est pas la conséquence de quelques mesures de politiques publiques mais le fait d’une conjoncture plutôt favorable. D’ailleurs, profitant de cette embellie économique, certains pays ont accélérer l’investissement public en s’endettant davantage et en ne prenant que peu de précautions contre un éventuel retournement de la conjoncture ou en mettant en place des mécanismes permettant d’amplifier cet impact à long terme. La Zambie et la Cote d’Ivoire auraient ainsi levé près de 3 Mds USD sur les marchés financiers internationaux en 2014 et 2015.

Au final, les performances économiques robustes récentes du continent ne découlent pas forcément d’une stratégie visant à asseoir une activité interne dynamique. Elles reposent encore sur des ressorts exogènes, qui se sont renforcés avec la crise de 2007/2008. Une situation qui corrobore les récents résultats de l’ADI en ce qui concerne le caractère inclusif de la croissance en Afrique subsaharienne.

Des conditions financières de plus en plus serrées, qui vont ralentir la reprise escomptée   

La baisse de régime de la performance économique dans les pays d’Afrique subsaharienne affecte notamment leur capacité à financer leur développement. Selon les données du FMI, les pays exportateurs de ressources naturelles affichent aujourd’hui des déficits (près de 5% du PIB en moyenne entre 2015 et 2016) contre des excédents (pouvant atteindre 4% du PIB) en 2013. Alors que les financements internationaux se font de plus en plus rares, le manque de ressorts économiques internes vient accentuer ces pressions. Le recours à l’endettement pour financer l’investissement public dans ces conditions est fortement porteur de risques. Un article précédent discutait les forts risques qui pèsent sur les économies africaines du fait de l’accélération de la dette.

Dans ce contexte, les espoirs d’une reprise économique robuste permettant d’améliorer les conditions de vie des populations s’estompent. D’ailleurs, le FMI indique que la croissance dans la région pourrait se relever à 3% en 2017 si les mesures de politiques publiques s’appuient sur l’activité économique interne portée par une politique publique de diversification. Il faudrait, en outre, que les pays trouvent des alternatifs financiers pour poursuivre l’exécution des investissements publics nécessaires pour l’attractivité des pays sans accentuer les risques de surendettement.  Une question que l’ADI a discuté lors de sa conférence annuelle 2016.

Si bien de progrès ont été réalisés ces dernières années, la fragilité de certaines économies africaines démontrées par ces données interpellent à plusieurs niveaux. On peut, dès lors, se mettre d’accord avec le FMI en insistant sur la nécessité de repenser la politique économique dans les pays africains. La prépondérance des ressources naturelles dans la trajectoire socio-économique du continent constitue le premier obstacle pour son développement. En outre, la dépendance des économies africaines vis-à-vis des ressources financières externes entravent fortement la mise en valeur de son potentiel économique. Tout en misant sur une politique de diversification, il apparait important pour les Etats africains de renforcer les mécanismes de mobilisation des ressources intérieures afin de faire face à leur important besoin financier.


[1] La croissance s’était établie à 1.4% pour la région alors qu’il était attendu à 1.5%.

Gambie : une démonstration du « loup et l’agneau » de la Fontaine

La Cédéao et l’Union Africaine, soutenues dans une certaine mesure par la Communauté internationale, ont contraint Jammeh à céder le pouvoir après de longues négociations menées par les présidents guinéen et mauritanien et sous la menace d’une intervention militaire. Si cette manœuvre a permis de se débarrasser d’un pouvoir autocratique qui a plongé ce petit pays dans une crise socio-économique sévère et un isolement international quasi-complet ; il convient toutefois de s’interroger sur le signal qu’elle donne, notamment pour l’instauration d’une démocratie véritable en Afrique, mais aussi quant au fonctionnement des institutions régionales africaines.

Cette crise est la résultante de l’entêtement de Yahya Jammeh à s’accrocher au pouvoir alors qu’il l’aurait perdu dans les urnes. Une défaite, qu’il a concédé dans un premier temps, avant de faire volte-face contestant la légitimité du président élu en évoquant les irrégularités entachant le scrutin et révélées par l’IEC (Independent Electoral Commission).[1] Une volte-face que certains considèrent comme une manœuvre de Jammeh afin d’éviter des poursuites judiciaires pour les exactions commises durant ses 22 années au pouvoir.

Cependant, dans une Afrique en quête de stabilité démocratique, les arguments avancés par les détracteurs de Jammeh seraient-ils pertinents vis-à-vis de ceux du président sortant dénonçant les irrégularités ? D’autant plus que ces irrégularités ont été confirmées par le président de l’IEC lui-même, tout en précisant qu’elles ne sont pas de nature à modifier l’issue du scrutin.

Alors qu’à l’annonce des résultats, Jammeh aurait pu les rejeter en bloc pour diverses raisons, s’accrocher au pouvoir en s’appuyant sur l’armée comme certains de ses pairs, il les a acceptés à la surprise générale. Il a démontré sa volonté de respecter les principes de la démocratie et à ce titre, il aurait fallu user des voies de recours légales pour régler ce différend politique. La médiation de la CEDEAO, conduite par sa présidente Ellen Johnson Sirleaf, ne s’est pas attachée à amener les protagonistes à user de telles voies, même si on estime que le contexte ne s’y prête pas avec une cour suprême dont les membres n’ont pas été nommés. Elle avait une seule ambition : négocier le départ de Jammeh. L’échec d’une telle médiation était donc prévisible et n’a laissé à Jammeh que des options qui ont envenimé la crise de sorte à lui donner l’image d’ennemi de la démocratie pouvant justifier cette intervention militaire.

Jammeh n’est certes pas un agneau et son départ contraint – dans la mesure où le président élu de la Gambie, Adama Barrow, a prêté serment à Dakar (dans un flou juridique total que seul comprend la communauté Internationale) et vu l’imminence d’une intervention militaire que Jammeh ne peut contenir ; l’armée gambienne ne voulant d’ailleurs pas se battre, selon cet article du "Monde" – offre à la Gambie un nouveau souffle. Cependant, cette situation suscite plusieurs interrogations, notamment sur la gestion des crises par les institutions régionales africaines.

Le constat est qu’à situation similaire, les traitements ne sont pas les mêmes. La balance régionale tend à pencher d’un côté de sorte que l’intervention de ces institutions ne sert qu’à appuyer l’une des parties impliquées dans la crise et non à les renforcer, foulant au passage les principes démocratiques. Alors qu’en 2005 et 2015, le Togo était au bord d’une crise après les élections, la CEDEAO n’a fait qu’avaliser l’élection de Faure Gnassingbé au grand désarroi du peuple. Plus récemment, alors que tout indiquait qu’Ali Bongo a forcé sa réélection en tant que président du Gabon, l’Union Africaine a fait mine de laisser les Gabonais régler leur différend politique. Au Congo, les manœuvres de Sassou Nguesso pour se maintenir au pouvoir n’ont pas suscité une quelconque intervention de l’Union Africaine et celles de Kabila en RDC n’amèneront certainement pas cette dernière à décider d’une intervention militaire ou à en appuyer une visant à déloger ce dernier.  Si le conflit électoral en Gambie n’est pas une première sur le continent, il n’en est pas de même de la réaction de la communauté internationale. Cette dernière ne s’est en effet jamais autant impliquée pour le respect du choix populaire. Mais à y regarder de près, cette prise de position tient davantage à la personnalité de Jammeh plutôt qu’à une intention véritable de l’institution de renforcer la démocratie dans ce pays et dans la région de façon globale. Très peu apprécié par ses pairs, Jammeh a fait les frais de cette crise post-électorale qui constitue un ultime instrument entre les mains de ses détracteurs pour le forcer à quitter le pouvoir. La gestion des crises par les institutions africaines se ferait donc à la tête du client ? Cela s’y apparente. Aussi détestable que Jammeh puisse être, cette intervention musclée pour le déloger du pouvoir n’était pas forcément nécessaire, surtout qu’il était dans son droit de contester les résultats d’une élection dont la crédibilité a été remise en cause par les organisateurs.

Au final, Jammeh a quitté le pouvoir (chacun pourra l’apprécier selon sa conviction) mais il ne faudrait surtout pas y lire une victoire de la démocratie sur la dictature mais plutôt une persistance de l’application de la loi du plus fort dans la conquête du pouvoir politique en Afrique et reconnaître que les institutions africaines ne sont qu’à leur solde. Dans ce contexte, elles ne pourraient permettre d’atteindre l’intégration tant souhaitée et de construire cette Afrique que nous voulons.

Dans tous les cas, on attendra l’Union Africaine et les autres institutions régionales sur d’autres scènes … tant l’Afrique compte des accros au pouvoir, qui, comme Jammeh, dirigent leur pays d’une main de fer depuis bien longtemps et violent ouvertement les principes démocratiques, sans être inquiétés. Espérons que nous nous trompons et que ces institutions réitéreront ce genre d’actions dans d’autres cas, qui ne manqueront certainement pas de se présenter sur le continent.

L’Afrique des Idées en 2016

2016 a été une année particulièrement difficile pour le monde en général et pour l’Afrique en particulier. De ces difficultés sont nées des idées pertinentes pour la construction d’une Afrique nouvelle. Retrouvez dans les lignes ci-dessous une revue des sujets couverts par les analystes de L’Afrique des Idées .

En 2016, l’afro-responsabilité s’est affirmée davantage sur le continent et plus particulièrement auprès de la jeunesse africaine. C’est ce que Hamidou et Christine nous rappellent dans leur éditorial qui insiste sur la nécessité de l’appropriation par les africains des discours portant sur le continent. Cette jeunesse doit contribuer agilement, habilement et d’une manière innovante à la construction de l’Afrique de demain.

L’année a en outre été marquée par la tenue de plusieurs rendez-vous électoraux sur le continent. Alors que Lika dans la recherche de son président (au Sénégal) interpelle sur le profil des dirigeants africains, Moustapha analyse les défis qui restent à relever pour aboutir à des élections apaisées en Afrique.

Face à la persistance des défis sécuritaires, notamment dans le Sahel, Adrien a rencontré Serge MICHAILOF, ancien directeur des opérations de la Banque Mondiale et l’AFD pour discuter de sa vision sur le sujet. Selon M. MICHAILOF, la relance de l’agriculture, secteur oublié par les bailleurs et les politiques africains, constituerait une solution durable pour sortir le Sahel de cette impasse.

Secteur incontournable pour le développement socio-économique d’une société, l’éducation reste un défi pour les pays africains. Wilfried a revisité la question en discutant les faiblesses des systèmes éducatifs africains et leurs impacts sur la constitution du capital humain.

En outre, le numérique qui s’est imposé comme un outil incoutournable dans l’équation du développement, a constitué un sujet d’intérêt pour les analystes de L’Afriques des Idées durant l’année.[1]. Rafaela en a analysé le rôle pour le développement durable et Thiaba le présente comme un atout pour le développement de l’économie verte en Afrique.

Dans le cadre de la COP 22 qui s’est tenue à Marrakech, Cheikh a rappelé dans son article les enjeux climatiques pour l’Afrique et discuté du rôle que les Etats africains pourraient jouer dans une gouvernance climatique mondiale.

La question du financement du développement a occupé une place centrale dans les réflexions au sein de notre Think Tank en 2016 à l’image de notre conférence annuelle consacrée à cette problématique. Dans cette perspective, Marie a réalisé une revue des nouveaux modes de financement du développement sur lesquels pourraient s’appuyer les pays africains.

Au-delà de ces défis, Nacim nous apprend que l’Afrique reste un continent qui entreprend et qui innove bien que la stratégie  pour accélérer cette dynamique reste encore à préciser et à parfaire.

A l’heure où la jeunesse africaine prend davantage conscience de la nécessité pour elle de porter le développement social, politique et économique de son continent, les bouleversements devraient se poursuivre et il devient encore plus urgent de les accompagner avec des analyses pertinentes permettant de construire cette Afrique à laquelle nous aspirons. L’Afrique des Idées ne manquera pas d’être présent à ce rendez-vous qui constitue l’essence même de notre engagement.

Foly Ananou


[1] Une série d’articles a été entièrement consacré à cette question.

 

 

Vers une nouvelle crise de la dette en Afrique subsaharienne ?

dette-grece-colosse-mai-2011Les annulations de dette consécutives à l’atteinte du point d’achèvement des PPTE (entre 2001 – 2012) ont offert aux pays africains[1], ceux d’Afrique subsaharienne en particulier, une fenêtre d’opportunités pour financer leur développement, qu’ils semblent pour la majorité avoir saisi [2]. Pour financer ces dépenses, les pays se sont appuyés sur de nouveaux emprunts. La dette publique des pays d’Afrique subsaharienne qui est passée de 104% du PIB fin 2000 à 39% à fin 2012[3], a d’ores et déjà atteint 50,6%, soit une augmentation annuelle moyenne de 4 points de %[4]. Cette forte croissance de la dette dans les pays africains, qui excède celle de l’accélération de la croissance suscite aujourd’hui plusieurs interrogations. Devrait-on réellement s’en inquiéter ? Cet article revient sur la politique de financement du développement la dette des pays africains et les risques potentiels liés à cette stratégie.

A la lecture des statistiques disponibles (WEO du FMI) – même les plus pessimistes –  sur la performance économique et le niveau de la dette des pays africains, on est tenté d’exclure tout risque que pourrait induire la dette sur les économies africaines. Cependant, en considérant les facteurs qui soutiennent cette performance économique, la capacité limitée des pays africains à collecter davantage les ressources domestiques et le rythme soutenu de croissance de la dette, la question se pose avec pertinence[5]. Dans un article précédent, il a été montré que la dette n’est profitable à une économie que si elle permet de financer des activités permettant d’accélérer la croissance à un niveau excédant les taux d’intérêt escomptés et si l’Etat est suffisamment capacité pour collecter les fruits de ces investissements. Ce qui n’est pas encore forcément le cas dans les pays africains.[6] La capacité de mobilisation des ressources intérieures (et donc de la richesse créée) est faible et repose sur une petite partie de l’économie alors que la croissance générée est davantage le fruit d’investissements étrangers dans des secteurs qui ne favorisent pas la transformation structurelle de l’économie.

A juste titre, les analyses de viabilité de la dette (AVD) réalisées[7] par le FMI et la Banque Mondiale, montrent que le profil de risque d’endettement des pays africains a rapidement évolué entre 2012 et 2015. Sur les 39 pays bénéficiaires de l’IPPTE, 7 ont déjà atteint un risque élevé d’endettement (contre 5 en 2012), 18 sont classés en risque modéré (13 en 2012) et 5 sont classés en risque faible (contre 11 en 2012).  Il apparaît donc évident que l’évolution de la dette dans les pays africains n’est pas sans risques que plusieurs facteurs contribuent à accentuer. 

Premièrement, le profil de la dette dans les pays africains a beaucoup changé. En plus d’un recours accru aux marchés financiers locaux, et pour certains pays aux marchés financiers internationaux, les pays africains se tournent de plus en plus vers les pays émergents, notamment la Chine, l’Inde et la Turquie. Ces nouveaux emprunts, s’ils répondent à un besoin de diversification des partenaires et des risques, paraissent toutefois onéreux pour les économies africaines. Sur les marchés financiers internationaux et locaux, les taux d’intérêts varient entre 5 et 10% – cas des récentes émissions effectuées par la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigéria, le Sénégal ou encore la Zambie. Auprès des émergents, non soumis aux règles d’APD de l’OCDE, les emprunts se font à des conditions dit semi-concessionnels – soit à des taux variant entre 0.5 et 1%.

Deuxièmement, la dynamique économique des pays africains tend à s’estomper certes (à degré variable entre les pays). La chute des cours des matières premières[8], induits par le ralentissement économique des pays émergents, affectent les pays africains[9] et va se traduire par des entrées moins importantes de devises, nécessaires pour assurer le service de la dette extérieure notamment. Aussi la fin de la récente crise financière, et donc de la politique monétaire conciliante menée par la Fed américaine en réponse à cette crise et qui a poussé les investisseurs à s’intéresser aux marchés africains, va induire une baisse des investissements à destination du continent. Dans ce contexte, un effet de change pourra rendre plus onéreux le service de la dette libellé en devises, absorbant ainsi une bonne partie des ressources des pays et accentuant les pressions sur les finances publiques.

Si le ré-endettement s’est constitué comme une option aux pays d’Afrique sub-saharienne, notamment pour ceux ayant bénéficié de l’IPPTE, pour financer leur développement ; il ne s’est pas forcément appuyé sur une politique de financement global alliant mobilisation des ressources domestiques et externes. Il apparaît plutôt comme un outil utilisé mécaniquement par les Etats pour compenser l’insuffisance des ressources domestiques et financer leurs investissements. Cette stratégie est aujourd’hui porteuse de risques, révélant par la même occasion les limites de la politique économique menée par les pays durant la dernière décennie. Si une nouvelle crise de la dette n’est pas envisageable à court terme, la poursuite de cette stratégie peut s’avérer très contraignante pour les économies africaines à moyen-long terme d’autant plus que la perspective d’une nouvelle IPPTE est à écarter au regard du profil des créditeurs. Il apparaît dès lors nécessaires pour les pays africains d’inclure dans leur stratégie de développement une politique propre de gestion de l’endettement mais aussi de renforcer la collecte des ressources internes.

Foly Ananou


[1] Fin 2012, le nombre de pays africains ayant bénéficié de l’IPPTE s’établissait à 39.

[2] La réduction de la dette se traduit de fait par une di munition du service de la dette, créant donc des marges de manœuvre budgétaire pour déployer la politique publique.

[3] Cette donnée cache de fortes disparités. La Côte d’Ivoire et la Guinée qui ont bénéficié de l’initiative fin 2012, tire cette moyenne vers le bas ; certains pays ayant bénéficié de l’initiative assez tôt dès la première moitié de la décennie ont fait croître leur dette entre temps. Toutefois, elle révèle assez bien comment cette initiative a permis de réduire considérablement le poids de la dette des pays africains.

[4] Cette donnée s’applique à un pays moyen. Une analyse plus fine par pays révèle de forte disparité et des trajectoires différentes. Les pays exportateurs de matières premières ont une situation plus critique que les autres (cas du Ghana)

[5] En effet, ce qui inquiète, ce n’est pas tant le niveau de la dette mais son accélération qui se fait dans des conditions non maitrisées.

[8] Qui ne devrait pas se résorber à court terme selon les estimations de la Banque Mondiale (Commodity Market Outlook)

[9] Durement les exportateurs et les gains sont modérés pour les importateurs

Financer l’urbanisation en Afrique : de la nécessité d’une fiscalité locale forte !

urbnL’urbanisation massive sera la transformation la plus importante de l’Afrique au 21ème siècle, selon le directeur du développement durable de la Banque Mondiale. La démographie galopante du continent combinée à l’exode rural engendre une forte croissance de la population urbaine des pays africains. La population urbaine devrait représenter 84% de la population du continent d’ici 2040 (contre 40% en 2010), selon la BAD. Cette dynamique urbaine, qui selon certains analystes, traduit l’émergence d’une classe moyenne dans les villes africaines, est porteuse de plusieurs défis ; notamment dans les domaines sociaux (assainissement, éducation, adduction d’eau et accès à l’électricité, alimentation, …). 

Faire face à ces défis nécessitera des ressources financières que les administrations centrales ne pourront à elles seules supporter à travers leur budget. De plus, les ressources dont disposent les administrations locales, provenant pour l’essentiel des transferts reçus de l’Etat, de quelques bailleurs et de leurs partenaires dans des grandes villes occidentales, ne pourraient suffire pour apporter une réponse adéquate à ces besoins. Les administrations locales doivent donc être capables, dans ce contexte, de mobiliser les ressources nécessaires pour assurer le développement de leurs collectivités. 

Alors que la mobilisation de ressources sur les marchés financiers (solution utilisée par plusieurs grandes villes au monde pour financer des projets rémunérateurs) semblent contraintes en Afrique – du fait de la forte dépendance des administrations locales aux administrations centrales –[1], les villes africaines pourraient renforcer davantage la collecte des ressources fiscales locales. En effet, bien que des dispositions légales en la matière existent dans la plupart des pays africains, les ressources fiscales locales ne constituent qu’une part congrue des budgets des collectivités. Plusieurs facteurs expliquent cette situation :

  • Un engagement politique faible des administrations locales : si la décentralisation s’est imposée dans les pays africains comme une approche participative pour développer les collectivités, les élus locaux ne prennent pas toujours la pleine mesure de la nécessité de mobiliser les ressources fiscales au niveau local pour asseoir leur autonomie financière. Selon des études du Fonds Mondial pour le Développement des Villes, les prélèvements obligataires des collectivités sur leurs économies locales atteignent à peine 1%, dans les pays africains.
  • Le manque d’un système d’information au niveau local : la difficulté persistante des pays africains à mettre en place un système statistique viable et significative à l’échelle nationale n’offre que peu d’opportunités pour la production de statistiques locales nécessaires pour la planification à l’échelle locale. Cette difficulté est exacerbée par la prédominance de l’informelle, mettant ainsi en exergue la nécessité pour les administrations locales de disposer de systèmes d’information permettant de suivre ces entités.
  • Une faible maitrise de la chaine fiscale : dans la plupart des pays africains la définition des taux et la composition de l’assiette fiscale est faite a priori par les administrations centrales. La collecte est dans la majorité assurer par les services du ministère des Finances, qui n’ont pas de relations formelles avec les collectivités locales, empêchant ces dernières d’avoir un contrôle sur les ressources prélevées pour elles.
  • Une dépense publique dont l’efficacité reste à prouver : dans les pays africains, le manque de transparence dans la gestion des finances publiques et la réponse mitigée apportée par les autorités (centrales et locales) à la demande sociale ont fini d’éroder la confiance des contribuables dans la capacité des élus à améliorer leur condition de vie, ce qui ne favorise par leur consentement au paiement des impôts.

Améliorer la capacité des administrations locales à mobiliser les ressources locales passera donc essentiellement par la résolution de ces défis. Les voies et moyens pour y arriver sont divers et varient en fonction des législations régissant la décentralisation de chaque pays mais quelques points mériteraient une attention particulière.

A l’échelle nationale, le processus de décentralisation à l’origine de la mise en place d’administrations locales, doit être approfondi, notamment en ce qui concerne l’autonomie financière de collectivités. La gestion et la mise en œuvre de la politique fiscale locale (fixation des taux, de l’assiette et du recouvrement) devrait ainsi être confiée aux administrations locales, avec un encadrement pour prévenir le dumping entre collectivités et la concurrence avec la politique fiscale nationale. Ceci nécessitera un engagement politique fort au travers d’un dialogue concerté entre les différentes administrations afin de convenir d’un cadre commun, au lieu que les décisions soient prises au niveau central et imposées aux administrations locales. En outre, les autorités nationales doivent consentir un effort pour mettre en place des systèmes d’informations viables et qui permettraient aux collectivités d’avoir une meilleure connaissance de leur potentiel économique et de mieux planifier leur développement.

Dans les collectivités, il sera nécessaire de mettre en place une administration fiscale locale qui sera en charge de piloter la politique fiscale, et plus généralement des services en charge de la finance de ces collectivités qui exerceront de façon concertée avec les services déconcentrés et centraux de l’administration centrale.

Plusieurs villes africaines engagées dans de telles stratégies ont vu leur capacité financière s’améliorer significativement au cours des dernières années. A Dakar par exemple, la mise en place d’une division dédiée aux taxes municipales (gérées directement par la ville) et sa collaboration avec les services centraux de la Direction Générale des Impôts et des Domaines (DGID) ont permis de porter la part de la fiscalité locale à 90% du budget de la ville en 2014 (contre moins de 80% en 2010). A Johannesburg, l’introduction d’une fiscalité locale a conforté les finances de la ville et à approfondir son urbanisation.

Si les autorités africaines ont pris la mesure de la nécessité de la décentralisation pour accélérer le développement de leurs pays, l’absence de moyen financier et la dépendance des administrations locales vis-à-vis des administrations centrales en matière de mobilisation des ressources locales, constituent une contrainte forte au rôle que ces administrations locales peuvent jouer dans le processus de développement. Il apparaît dès lors nécessaire de renforcer leurs capacités, notamment en ce qui concerne la gestion de leurs finances, et plus particulièrement en matière de fiscalité locale, pour leur permettre de participer pleinement aux efforts d’émergence du continent.

Foly Ananou


[1] La ville de Dakar a tenté en février 2015 d’émettre sur le marché financier local (20 Mds XOF au taux de 6,6% sur 7 ans) pour financer un centre commercial. Bien que l’opération est reçue l’accord des instances régionales chargées de la surveillance du marché financier, que la ville est notée A/A1 par l’agence de notation Bloomfield, basé à Abidjan et que les ressources financières que généreraient le projet permettraient de couvrir cet emprunt ; l’intervention des autorités sénégalaises (MEF), qui évoquaient la crainte d’une augmentation de la dette de l’Etat avec cette opération en cas de défaillance de la ville, a suffit pour annuler l’opération.

Poverty in Africa

The World Bank recently stated that the number of poor people in the world has declined by 3.2 points from 2012 to 2015 and now reaches 702 million people (a little less than 10% of world population).  At this pace, the World Banks predicts that extreme poverty could be eradicated by 2030. Theses numbers are even more impressive as the international poverty line has increased from 1.25 USD a day to 1.90.

It should be noted that in reality, this line remains unchanged. The principle used by the World Bank’s analysts is to keep the purchasing power parity rate and to inflate it at the 2011 prices. In other terms, purchasing and consumption haven’t changed but the prices have. This new line reflects inflation and not an upward variation of real capacities and that is for the best. World Bank’s estimates results are not linked to the methodology.

Concerning Sub-Saharan Africa, poverty rate went down from 56% in 1990 to 35% in 2015. The figures show that in African countries the fight against poverty is actually effective. Yet, on the 702 millions of people, about 346 millions of people are from Sub-Saharan Africa. Comparitively, they represented 285 millions in 1990. 

So, the 35% poverty rate announced for Sub-Saharan African may be due to a base effect. Over this period, African population has considerably grown and went from 523 millions people in 1990 to almost 1 billion in 2015. In comparison to other countries with a similar poverty level in 1990, the result is that the growing of African population came with a less pronounced increase of poor people. Indeed, in South Asia or East Asia and The Pacific, the number of people living in extreme poverty respectively went from 582 millions and 1 billion in 1990 to 225 millions and 84 million in 2015.

Obviously, the situation differs from country to country. Some have been through many years of socio-political crisis which have interfered with any solutions that would have improved the poorest’ living conditions. Besides, the numbers are only estimates that might be revised up or downwards when more precise data will be available. Beyond these methodologies, the numbers reflect the failures of the different programs (including Millennium Development Goals (MDG), private initiatives of NGO aimed at reducing poverty. Is the African context the problem, especially when these exact programs seem to work effectively in other countries? 

We already gave an answer in a previous article, insisting on the fact that these programs are focused on economic growth and do not take in account transmission channels and are not really adapted to local realities. Corruption (misappropriation of money) and socio-political tensions are many factors that counter the efficiency of these development programs. The lack of independent, autonomous development planification is another obstacle. Many countries undergo the evolution of their population without being able to give an appropriate solution. For example, the lack of urbanization policies results in the concentration of rural into non-inhabitable areas. These people are facing recurrent problems of flooding, which create sanitation problems, and then create delays in back-to-school seasons, which prevent the rising of living conditions of these people, who are going to be reported as poor. 

African economies are extroverted and outward looking but the recent economic performances had only a small impact on the situation of the poorest, because they do not participate at the improvement of the economy.  The solution to poverty strongly relies on the capacity of the countries to establish autonomous economic policies that will improve the conditions of the poor, just as other countries did. 

Is nothing had been done for more than 20 years? The answer could be: a lot but not enough. Obviously, if nothing had been done, the number of poor people in Africa would be way more important. The fight against poverty should be deepen, and it would take more responsible politics (economic, social and management) that aim a global well being of the society. If the financial approach of poverty is questionable, it may not constitute an argument. The approach used is based on an Western way of living, but an “African way of life” (even if it is difficult to give a definition in this era of globalization) is not a life without access to decent living conditions (education, nutrition, access to health care…).

Translated by Anne Sophie Cadet