Décentralisation et gouvernance au Sénégal : comment stimuler le développement territorial

Décentralisation SénégalLe rôle des exécutifs locaux est de réaliser des actions de développement innovantes dans les domaines de compétence qui leur sont attribués. Au Sénégal, la décentralisation territoriale a obéi au souci de l’Etat central de contrôler de près l’action des collectivités locales depuis la première réforme de 1972 (Acte 1) et la création de la « communauté rurale ». L’État confie la gestion foncière au Président de conseil rural, mais conserve un fort contrôle de légalité de ses actes. Par la suite, la régionalisation opérée en 1996 (Acte 2) a doté la région, nouvelle entité locale, d’une autonomie de gestion administrative et financière pour désengorger la capitale du pays, Dakar. L’Etat central garde cependant toujours un contrôle de légalité étroit, majoritairement a posteriori. Avec l’Acte 3 de la décentralisation, qui a pour ambition d’ « organiser le Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable » (selon l’exposé des motifs de la loi 2013-10), les communautés rurales deviennent des communes de plein exercice et les régions disparaissent. Parallèlement, des pôles-territoires sont dessinés entre des zones porteuses de logique économique : le Pôle Casamance, territoire test, pour le potentiel en industrie, élevage, tourisme et agriculture ; le Pôle Diourbel-Louga pour l’agriculture et l’élevage ; le Pôle Fleuve Sénégal pour l’hydroélectricité, la riziculture,  le maraichage, l’industrie agro-alimentaire et la pêche ; le Pôle Sine Saloum, bassin arachidier, pour ses ressources halieutiques, touristiques et agricoles ; le Pôle Sénégal Oriental pour le tourisme et les exploitations minières ; Le Pôle Dakar-Thiès, pour ses potentiels industriels, le maraîchage, la pêche, l’artisanat, le tourisme et les services publics.

Ce nouveau découpage jette une passerelle entre deux objectifs : autonomie administrative des communes et urbanisation harmonieuse qui doit combler les faiblesses apparues dans le passé. Il rompt avec le transfert strict de domaines de compétences aux collectivités locales sans l’octroi de moyens qui devaient l’accompagner. Dès lors, les maires élus sous l’ère de l’Acte 3 doivent réaliser une réelle transition urbaine. Aux fonds de dotation de la décentralisation et fonds de concours des collectivités locales, des moyens financiers provenant de bailleurs de fonds et de places financières sont mobilisables.

Avec l’Acte 3, les autorités cherchent premièrement une meilleure cohérence territoriale en mettant fin aux disparités entre communes et communautés rurales, ce qui permettrait d’effacer les différences statutaires, de démocratiser davantage l’intervention des exécutifs locaux sur le plan international et d’équilibrer l’allocation des ressources provenant de l’Etat. Cela permettrait également de se conformer aux directives de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), sur l’harmonisation des appellations des collectivités territoriales. Deuxièmement, dans une démarche de coopération intercommunale, le département permettrait, d’une part, d’adapter la planification au niveau régional afin de  faciliter son appropriation par les échelons communaux ; et d’autre part, de servir de cadre de mise en œuvre des projets territoriaux et des politiques publiques, dont la réalisation dépasse le cadre d’une commune, par la mutualisation des ressources, des énergies et des moyens de toutes les communes du département. Enfin, le regroupement des régions en pôles de développement permet de valoriser les potentialités de chaque territoire et les mobiliser au service du développement local.  Ainsi, cette nouvelle réforme pourrait donc entraîner, à terme, des changements profonds dans la régulation territoriale à travers une « reterritorialisation » de l’action publique, l’amélioration des relations entre l’Etat et les collectivités locales, et poser ainsi les bases d’un développement par le bas, moins contrôlé.

D’un autre côté, il est question de revoir, dans cette réforme, le profil de l’exécutif local et le mode de financement des collectivités locales à travers la mise sur pied d’un Fonds de dotation de la décentralisation. Il s’agira également de renforcer le nombre de compétences transférées aux collectivités locales et de supprimer le cumul des mandats. Tout ceci montre donc que l’Etat central a réformé le cadre institutionnel, organisationnel et financier des territoires pour faire de la décentralisation un véritable outil de développement. La balle est donc dans le camp des maires et présidents de conseil départemental pour mettre à profit les nouvelles possibilités (communalisation, pôles-territoires) offertes par l’Acte 3 pour rendre leurs territoires plus performants dans la mobilisation de ressources humaines et financières.

La réussite du Plan Sénégal Emergent (PSE) passe nécessairement par le développement territorial. L’Acte 3 constitue le répondant territorial au changement de paradigme contenu dans le PSE. Il importe dès lors pour les exécutifs locaux (maires et présidents de conseil départemental) de s’approprier des opportunités offertes par le nouveau cadre institutionnel pour leurs territoires. Il faudra élaborer des programmes de développement local selon les ressources et spécificités des collectivités : exploitation minière à Kédougou/Tambacounda, aménagements touristiques à Dakar/Thiès/Ziguinchor/Kolda/Saint-Louis, productions agricoles et pêche à Fatick/Kaolack/, élevage et riz et à Diourbel/Louga/Podor, phosphates et zinc à Matam,  etc. C’est ainsi que les moyens de l’Acte 3 s’articuleront harmonieusement aux ressources du PSE. 

Magatte Gaye & Mouhamadou Moustapha Mbengue