Jeunes d’Afrique : en 2015, soyez aigris !

jeunesse« Voyage en Mauritanie et aux USA à bord du Boeing 737 de la république du Mali. Contrôle technique OK. Dommage pour les aigris…. »

Le 1er août 2014, en plein scandale autour de l’affaire des surfacturations, l’ancien  ministre malien Mahamadou Camara a publié ce tweet qu’il a dû regretter depuis. Ainsi donc demander des comptes à ses mandataires sur la façon de gérer les deniers publics, c’est être aigri. Qu’à cela ne tienne ! en 2015, jeunesse africaine, sois aigrie !

Je ne suis pas adepte du « Africa is rising », ce mantra qui cache mal les réalités du continent et les défis auxquels il continue à faire face. Le discours de l’émergence ne résiste pas aux  6000 morts de l’épidémie de la fièvre Ebola qui est venue nous rappeler que nos bases demeurent fragiles. En 2014, l’Afrique de l’Ouest, friande de l’émergence à coups de ponts et de routes flambant neufs a quémandé de l’aide et même inspiré une chanson aux éternels sauveurs. Comme au bon vieux temps.

De quoi est faite l’émergence lorsque dans beaucoup de villes africaines, l’on peut encore mourir dans les couloirs d’un hôpital pour ne pas avoir pu payer de sa propre poche les frais de santé ? A quoi reconnait-on l’émergence alors que nos enfants font la guerre et que certains de nos dirigeants mêlent patrimoine privé et patrimoine de l’Etat ?

Peut-on sérieusement parler d’émergence lorsque la garantie la plus élémentaire de sécurité n’est pas assurée et qu’un groupe armé peut décimer des villages entiers et faire 2000 victimes ?

Toutefois, la jeunesse africaine, elle, émerge ! Insolente et aigrie, elle rappelle à ses dirigeants qu’aucun pays ne peut sérieusement parler d’émergence sans compter avec la moitié de sa population. Et elle rappelle au monde que nous ne sommes pas ce que nos dirigeants font croire de nous.

L’Afrique est riche de sa jeunesse et là est la véritable clé de son émergence. La jeunesse africaine a compris qu’elle ne peut et ne doit placer son salut en personne d’autre qu’elle-même.

Cette année, des pays qui se rendront aux urnes, cinq concentrent particulièrement les attentions (et les angoisses !) parce qu’ils sont situés dans cette région dont Ebola et Boko Haram ont révélé les fragilités : l’Afrique de l’Ouest. Ce sont le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Nigéria et le Togo. Les jeunes burkinabè n’ont pas attendu 2015 pour rappeler à ceux qui en doutaient que des aigris déterminés et disciplinés peuvent faire tomber les baobabs ! En 2015 rappelons à nos dirigeants qu’ils ne sont que des mandataires et que dans tout mandat, le mandant a le droit de rompre le contrat si l’autre partie ne remplit pas ses obligations. Sans heurts, sans violence.

Qu’on ne détourne pas notre attention et qu’on ne travestisse pas nos luttes.

Jeune électeur, ne laisse pas les politiques emmener le débat sur les terrains ethniques et religieux. Demande des comptes à ceux qui prêchent la bonne nouvelle politique. Quand ils auront fini de pleurer des larmes de crocodile et de se présenter en sauveur, demande-leur où sont passés les milliards qui ont disparu des finances nigérianes et à qui profite cette manne qui fait du pays la première puissance économique du continent. Quand tu auras rappelé à quelques-uns qu’un pays entier ne peut pas figurer sur la liste des biens d’une succession, surtout examine attentivement l’alternative que te proposent les candidats au sauvetage de la nation ! Quand ils te demanderont de leur renouveler ta confiance, jeune électeur, à ton tour, demande des comptes à ceux qui sont arrivés auréolés de la gloire de l’opposant historique et dont le seul programme de gouvernance se résume finalement à « c’était comme ça avant que j’arrive ». Jeune électeur, ne te laisse pas distraire par les luttes pour la succession au sein d’un parti et garde la tête froide au milieu de la cacophonie.

La jeunesse aigrie ne veut plus de guide éclairé, de grand timonier et de pouvoir immuable. Consciente de son héritage, elle ne renie pas son histoire, se souvient des grandes luttes et des grandes conquêtes et est reconnaissante à tous ceux à qui elle doit une liberté chèrement acquise. Mais la jeunesse aigrie ne veut plus de chaperon. Elle est instruite, éduquée et ordonnée, elle produit des idées et pose des actes, elle se sait personnage de son Etat, citoyen de son pays, de son continent et de son monde et ne s’en laissera pas compter. Elle observe, analyse et s’indigne.

L’indécence de nos politiques doit nous faire réagir. Les aigris que nous sommes ne peuvent pas rester indifférents à un dirigeant qui demande à son peuple de prier pour que l’électricité soit rétablie dans le pays, nous devons nous indigner de ce que 9 mois plus tard, les jeunes filles de Chibok aient disparu de nouveau, cette fois, de nos journaux et des discours de nos dirigeants, nous devons demander des comptes à ceux à qui nous avons donné mandat de nous diriger. Et leur rappeler – encore !- que ce n’est qu’un mandat, ce n’est ni un sacerdoce ni une mission sacrée. Ils ne sont ni oints ni élus de Dieu.

Spectatrice trop longtemps silencieuse des comédies qui se jouent au sommet de nos Etats, la jeunesse africaine a fini de rire. Désormais elle réécrit le scénario et monte sur scène.

En 2015, jeunesse africaine, n’oublie surtout pas que tu es « seul artisan de ton bonheur ainsi que de ton avenir ». Sois aigrie !