Chômage et entreprenariat des jeunes en Côte d’Ivoire

L’instabilité politique que connait la Côte d’Ivoire depuis la fin des années 1990, qui a atteint son paroxysme avec la récente crise postélectorale, continue de laisser des séquelles, au nombre desquelles le chômage des jeunes. Celui-ci a atteint des proportions déconcertantes dans un contexte de pauvreté généralisée. Les licenciements massifs, les délocalisations et fermeture d’entreprises, les pillages et destructions des moyens de production de milliers de petits opérateurs économiques, conduisent à faire le constat de la perte de nombreux emplois, dont 120 000 directement liés à la crise postélectorale selon la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire. A ce titre, l’Agence d’Etudes et de Promotion de l’Emploi (AGEPE) révèle que les jeunes de moins de 35 ans, qui constituent plus de 64% de la population, sont frappés d’un taux de chômage estimé à environ 25 %. C’est-à-dire le ¼ des forces vives du pays.

Les causes de ce chômage sont connues :  la détérioration du climat sociopolitique principalement, mais aussi l’accroissement démographique, l’incapacité du marché de l’emploi à absorber les vagues successives de diplômés qui sortent chaque année du système éducatif, et l’inadéquation de la formation aux nouvelles exigences de ce marché de l’emploi, sont quelques raisons qui ont décuplé le taux de chômage des jeunes en Côte d’Ivoire.

Dans les années 1980, les différents Plans d’Ajustement Structurels (PAS) en Côte d’Ivoire ont eu pour conséquence une réduction significative de la part de l’Etat dans le jeu économique du pays. Cela a mis un terme à la situation qui a prévalu à partir de l'indépendance, avec l’incorporation de toutes les forces vives dans les structures et entreprises d’Etat. Aujourd’hui c’est le secteur privé qui dynamise l’économie. Alors que l’Etat n’est plus le premier pourvoyeur d’emploi, il devient difficile pour le secteur privé de jouer son rôle quand le contexte macroéconomique ne le permet pas. Les crises politiques et socioéconomiques qui se sont succédées ont contribué à accroitre le risque ambiant, ce qui désincite les opérateurs économiques à faire des investissements, et donc à se projeter dans l’avenir, faute de visibilité. Dans ces conditions, il est devenu difficile pour les entreprises de recruter.

Mais alors, que faire? Que faire lorsqu’après avoir fait des études, un jeune n’a pas pu se faire embaucher en raison du contexte qui prévaut ? La solution entrepreneuriale reste l’option qui s’offre à cette jeunesse lorsqu’elle rencontre le chômage à la sortie du système éducatif. Mais la Côte d'Ivoire fait face au problème d’un cadre politique, économique, juridique et fiscal inadéquat à l'entrepenariat.

Les témoignages de jeunes entrepreneurs ivoiriens ne sont pas du tout élogieux sur l'environnement entrepreneurial en Côte d’Ivoire. Le contexte de crise sociopolitique est désincitant pour tout investisseur et le risque pays qui en découle contribue à accroitre les taux d’intérêts pour tout emprunt. Situation encore plus dramatique, la multiplication des défaillances d’entreprises qui pour la plupart meurent à un stade embryonnaire, n’encourage pas les investissements. Il faut vraiment s’armer de courage pour risquer son capital dans un tel contexte. Pire, il revient de façon persistante que le poids de la fiscalité décourage la création d’emploi en Côte d’Ivoire. Le cadre financier quant à lui dévoile des conditions d’emprunts bancaires inefficaces pour impulser une dynamique entrepreneuriale. Enfin, l’insécurité ambiante et la corruption dans les administrations constituent un surcoût important pour quiconque choisit de se lancer dans la création d’entreprise en Côte d’Ivoire. En énumérant ces problèmes, les solutions se dégagent d’elles-mêmes.

Quel soutien à l’entreprenariat jeune ?

Il faut remarquer que le gouvernement ivoirien essaie de mettre en place depuis 1953 des structures chargées de promouvoir l’emploi dans toutes ses dimensions. L’Office de la Main d’œuvre de Côte d’Ivoire (OMOCI) crée en 1953 fera place à l’AGEPE en 1993. De 1978 à 1991, un projet pilote de formation par apprentissage conduit par l’ex Office Nationale de la Formation Professionnelle (ONFP) va déboucher, en 1996, sur le programme interministériel dénommé Programme d’Absorption des Jeunes Déscolarisés (PAJD). C’est dans la même veine que naîtra le Projet de Redéploiement de la Formation par Apprentissage (PRFA) en 1996, dont la tutelle fut confiée à l’AGEFOP. Plus récemment, en 2003, l’Etat de Côte d’Ivoire a mis en place le Fonds National de Solidarité (FNS)  qui a pour but le soutien à l’entreprenariat des jeunes en finançant des projets viables. Il y a donc eu des initiatives gouvernementales en faveur de l’emploi jeune. Mais que peut-on faire lorsque le contexte politique et socioéconomique est marqué par des tumultes profonds ?

Si la stabilité politique qui est une condition sinequanone au déploiement de politiques de développement se fait encore attendre, les décisions des gouvernants du moment peuvent impacter positivement le cadre des affaires et conduire à plus de sérénité pour impulser une dynamique entrepreneuriale. Au niveau juridique, le droit fiscal doit pouvoir permettre un accompagnement dynamique de la sphère économique et non pas asphyxier les PME comme il revient des observations faites sur le terrain. Toute initiative doit pouvoir être encouragée par un allègement fiscal et un accompagnement technique et financier.

Au niveau éducatif, s’il s’avère que les politiques de promotion de l’emploi jeune peine à relever les défis qui s’imposent, il serait déjà porteur de travailler à inculquer des valeurs propres à préparer les esprits à s’engager dans la voie de l’entreprenariat, et à acquérir les éléments de base qui pourraient aider au pilotage d’entreprise. Il peut s’agir de renforcer les politiques d’alphabétisation; de renforcer les valeurs morales des individus; de financer des cessions de formation au management de projet. La formation doit pouvoir être adaptée au monde entrepreneurial.
Au niveau administratif, faire en sorte de juguler la corruption dans les administrations, définir une politique fiscale favorable au décollage d’entreprise, et inciter à opérer dans la légalité et dans la sphère formelle.
Au niveau socio-économique, il y a lieu de développer un cadre favorable aux investissements. Un effort d’apurement de la dette intérieure serait de nature à apporter un bol d’air aux entreprises prestataires de services de l’Etat. En effet, de nombreuses PME ont du mettre la clé sous le paillasson pour insuffisance de fond de roulement, en raison de créances impayées par l’Etat de Côte d’Ivoire. Il serait dommage que l’Etat investisse des milliards dans la formation pour aider à la création d’une nouvelle classe d’entrepreneurs, et dans le même temps, pénalise les entreprises prestataires en ne payant pas les factures, au point de les contraindre à fermer.

Au niveau financier, l’entreprenariat des jeunes peut être soutenu et encourager par des structures de capital risque qui ont pour métier d’investir dans des activités sans grande visibilité, et parfois dans des contextes risqués du point de vue de l’investisseur classique. Aussi, l’Etat ivoirien pourrait, par exemple, engager sa signature (à condition qu’elle vaille encore quelque chose, vu le niveau et le traitement qui est fait de la dette intérieure) pour soutenir des jeunes entrepreneurs auprès de leurs partenaires. Les activités avec un potentiel d’emploi plus important pourront alors être privilégiées. Une logique de double dividende intégrant des principes d’un “développement durable africain” est à envisager. A cet effet, il faut noter que des activités telles que la gestion des déchets, la gestion des espaces verts et les métiers d’assainissement, ont le mérite de créer à la fois des bénéfices économiques et environnementaux. Elles ont également un potentiel social non négligeable par la réinsertion de jeunes sans qualification qui, demeurant sans emploi, constituent un risque social par leur potentiel de déviance.

Les activités avec un potentiel d’emploi plus important pourront alors être privilégiées. Une logique de double dividende intégrant des principes d’un “développement durable africain” est à envisager. A cet effet, il faut noter que des activités telles que la gestion des déchets, la gestion des espaces verts et les métiers d’assainissement, ont le mérite de créer à la fois des bénéfices économiques et environnementaux. Elles ont également un potentiel social non négligeable par la réinsertion de jeunes sans qualification qui, demeurant sans emploi, constituent un risque social par leur potentiel de déviance.

 

Maurice Koffi, Jeanne Faulet-Ekpitini, Mireille Hanty,  article initialement paru sur Pensées Noires

 

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