Pétition contre l’utilisation d’images dégradantes des victimes du conflit centrafricain

Chers sympatisants

Le lancement de l'offensive de la France en République Centrafricaine a offert l’occasion aux médias internationaux de diffuser de manière massive un flot d'images  indécentes devenues habituelles à chaque fois qu'un conflit affecte l'Afrique : corps mutilés, blessures atroces, populations dans la détresse ; tout y passe. Les médias n’accordent pas la plus élémentaire des dignités humaines à ces hommes et femmes en proie à une détresse insoutenable.

Ce traitement est d’autant plus révoltant que les victimes ainsi mises en scène sont exclusivement les victimes africaines, les médias se montrant beaucoup plus prévenants dans le traitement de l’image des défunts occidentaux, comme l’illustre l’annonce du décès de deux soldats français au début de l’intervention.

Cette différence de traitement est inacceptable, car le respect dû au défunt dépasse toute notion de belligérants ou de convictions politiques. Le respect de la dignité humaine est un principe universel qui mérite d’être rappelé et défendu.

Tous les médias internationaux sont ici concernés: France 24, CNN, TF1, France2, Le Monde.

Nous appelons par cette pétition les médias internationaux à plus de retenue dans la publication des images des victimes de guerre et davantage de sensibilité à l’égard des victimes et de leurs familles. Nous leur recommandons notamment le floutage des images insoutenables des victimes, quelles qu’elles soient. Il est nécessaire de respecter la dignité des défunts et mutilés de guerre, qu’ils soient Centrafricains, Maliens, Libyens ou Afghans. Notre combat est pour toutes ces familles qui ont vu leursouffrance et leurs douleurs étalées sur la scène publique pour satisfaire le voyeurisme international. Notre combat est pour tous ceux qui ont souffert et souffrent encore d'un non-respect de leurs droits les plus fondamentaux.

Si vous partagez ce constat alors rejoignez-nous dans cette cause en signant la pétition et en la diffusant le plus largement possible: email, Facebook, Twitter LinkedIn…

Ensemble, nous ferons changer les choses !

 

#DignitéCentrafrique

 Voici le lien de la pétition : https://www.change.org/fr/pétitions/le-monde-dignité-aux-centrafricains-stop-à-la-violence-des-images-2

Association L'Afrique des idées

 

 

Histoire de la langue malagasy

Mon intention est de donner un minimum de ce qu’il faut savoir de la langue malagasy actuelle à l’intention du plus grand nombre plutôt que des spécialistes. Force est de constater que la plupart des locuteurs de cette belle langue ignorent son histoire, c’est-à-dire sa formation et son évolution.

Le terme malagasy
Au départ, l’adjectif dérivé du nom de pays Madagascar était madécasse. Ce terme, utilisé pour la première fois par les tribus du Sud de la Grande l’Ile s’est transformé en malagasy, parce que dans cette partie du pays, souvent le son ‘de’ se transforme en ‘le’ ou ‘la’. Les Français arrivés à la fin du XIXe siècle comme colonisateurs ont francisé le mot malagasy, devenu ainsi malgache ! Entre l’adjectif madécasse-malagasy et la francisation «malgache», le rapport (linguistique) n’est pas évident. D’aucuns pensent que «malgache» a été forgé à dessein, peut-être pour donner une connotation péjorative au mot ; «malagasse» conviendrait mieux et serait moins suspect.

Langue et dialectes
Il y a 18 dialectes à Madagascar, un chiffre correspondant au nombre des tribus malagasy. Evidemment, je fais une simplification. Il y a peut-être plus de dialectes que de tribus car dans certaines régions, plusieurs clans font partie d’une même tribu et parlent leurs dialectes. Et toutes les tribus forment une seule ethnie, au sens premier du terme, l’ethnie malagasy. Ces dialectes ont, par définition, un substrat commun mais aussi des traits caractéristiques les distinguant les uns des autres. En termes plus simples, les dialectes malagasy sont des variantes d’une même langue. Elles varient dans l’espace et aussi dans le temps.
Le substrat vient du Pacifique, et fait partie des langues austronésiennes parlées aussi en Asie du Sud-Est. Il a été enrichi, entre autres, par des mots bantus et swahili, mais aussi plus tard des mots anglais et français. Par ailleurs, je suis tenté de trouver des traces sémitiques dans la langue malagasy. Car la structure des mots, par exemple les substantifs par leurs suffixes qui souvent désignent le possessif, fait penser aux substantifs dans la langue hébraïque.

La langue malagasy actuelle
Il y a deux thèses populaires qu’il faut considérer avec prudence. La première développe l’idée de l’existence de plusieurs langues, plutôt que des dialectes, à Madagascar. Or nous savons qu’un Malagasy de l’extrême sud de l’Ile qui va à l’extrême nord, c’est-à-dire à 1600 km de chez lui, parlera correctement le dialecte du nord en quelques semaines. Les difficultés qu’il rencontrera se situent essentiellement au niveau du vocabulaire et de la prononciation. Un exemple peut appuyer cette idée : un texte traduit par les missionnaires lazaristes au XVIIe siècle dans le dialecte Mahafaly, une tribu du sud, aux environs de Tolagnaro actuel, est intelligible aujourd’hui aux autres tribus de l’Ile. Il avait la substance de la langue malagasy commune. La deuxième thèse affirme que le dialecte merina, de l’une des tribus du centre, est devenu la langue officielle de Madagascar. Cette thèse ressemble à une simplification de la formation d’une langue officielle. Certains l’adoptent sans doute par manque d’information.

Le processus de la formation de la langue officielle malagasy suit les mêmes règles qu’ailleurs. Deux exemples suffisent pour l’expliquer. Nous savons que la France a plusieurs langues –plutôt que des dialectes. Le breton est une langue celtique que ses locuteurs partagent en partie avec les Gallois et les Ecossais. Nous pouvons également citer le catalan qui a des affinités avec les langues d’origines latines, l’occitan et bien d’autres langues. Il fallait attendre la Renaissance et surtout la Réforme du XVIe siècle pour que le français devienne la langue officielle et ce, grâce en grande partie à la traduction de la Bible dans cette langue. La traduction de la Bible en français est donc un facteur unificateur car à côté de leurs langues maternelles, les Français parlaient la langue officielle. Nous considérons ainsi le XVIe siècle comme le siècle de l’envol de la littérature française avec comme acteurs principaux Rabelais, Du Bellay, Ronsard, Marot (le protestant), Théodore de Bèze (l’assistant du Réformateur Jean Calvin) et bien d’autres. L’Allemagne a connu le même processus bien avant la France. Grâce à la traduction d’abord du Nouveau Testament par le Réformateur Martin Luther et plus tard de toute la Bible, ce grand pays au départ hétérogène a une langue commune, l’allemand. 

Le cheminement de la langue malagasy
Nous partons donc de l’idée qu’il y a plusieurs dialectes à Madagascar. Ils ont les mêmes origines et gardent le même substrat. Ils se sont progressivement enrichis des mots étrangers, mais souvent pas de la même manière, puisque les dialectes varient, comme nous l’avons dit, dans le temps et dans l’espace. Quand les missionnaires de la London Missionary Society sont arrivés sur la côte est, dans la ville de Toamasina actuelle, la plus grande ville de la région Betsimisaraka en août 1818, ils ont décidé d’aller plus à l’intérieur de la Grande Ile pour arriver à Antananarivo, la plus grande ville de la région Merina certainement pour des raisons stratégiques. Antananarivo était en effet la capitale du Royaume de Madagascar –mais certains royaume n’étaient pas encore acquis à l’unification par le roi Radama I. Pour eux, il fallait y commencer l’œuvre missionnaire.

Ces missionnaires ont entrepris la traduction de toute la Bible en malagasy. En juin 1835, les Malagasy avaient la Bible dans leur langue. Il est évident que le malagasy de la Bible est très proche du dialecte merina par le vocabulaire, les phonèmes, la prononciation et les idiomes, les traducteurs côtoyant quotidiennement les Merina au milieu desquels ils vivaient. Ils étaient aussi proches de la famille royale soucieuse de la sauvegarde et du développement des us et coutumes, et surtout de la langue. C’est d’ailleurs à cette époque que l’Etat a adopté l’alphabet latin au détriment du Sorabe, l’écriture arabe ! Nous pouvons bien imaginer que des mots (et leur graphie) et des concepts ont été inventés, comme au temps de Luther qui traduisait le Nouveau Testament et des réformateurs français qui traduisaient toute la Bible. Comme en Allemagne et en France au XVIe siècle, la littérature malagasy dans sa forme moderne est née grâce en grande partie à la traduction de la Bible. Elle s’est développée et s’est enrichie de nouveaux concepts et de nouveaux mots empruntés ou tout simplement forgés. Actuellement elle est capable de dire l’essentiel.

Un autre cheminement
Nous pourrions imaginer un autre scenario quant au développement de la langue malagasy. Les missionnaires de la LMS auraient pu rester à Toamasina –du nom d’un missionnaire Thomas Bevan, en région Betsimisaraka ! Ils auraient alors traduit la Bible dans un malagasy très proche du dialecte Betsimisaraka, notamment en vocabulaire et en prononciation. Les autres tribus pourraient alors comprendre ce malagasy avec un petit effort de leur part. Le malagasy officiel serait légèrement différent de ce qu’il est actuellement.

Le malagasy de l’avenir
Comme toutes les langues, le malagasy se forme et se forge tout au long de l’histoire. Certes, elle est riche dans certains domaines comme dans les relations humaines, mais elle doit se laisser enrichir par l’apport des dialectes qui ont des termes précis, mais aussi des sons, des diphtongues et des idiomes que la malagasy officiel n’a pas. Les locuteurs de la langue malagasy, actuellement au nombre de 19 à 20 millions, et les éducateurs en particuliers, doivent accepter la dialectique entre le malagasy officiel et le dialecte, entre le développement de cette langue qui unit tous les Malagasy, et la sauvegarde des dialectes qui expriment la diversité dans cette unité. 

 

Solomon Andria

La littérature togolaise, du silence à la présence

Le Togo fut l’un des premiers pays à livrer à l’Afrique des romanciers. Déjà en 1929, Félix Couchoro, que se disputaient longtemps les critiques du Bénin et du Togo, publiait des feuilletons dans la presse des deux pays. Son succès fut retentissant mais aléatoire, à cause des aléas de la politique coloniale. Il fallut attendre une vingtaine d’années plus tard pour que d’autres fils du pays tentent à leur tour l’expérience de l’écriture. Et, c’est en en pleine colonisation que David Ananou publia en 1955 son premier roman, Le fils du Fétiche, une œuvre didactique et au ton moralisateur fustigeant l’animisme et célébrant les vertus du christianisme conquérant. Les années 60 à 80 connurent une pléthore d’écrivains dont les noms ornent encore les manuels de littérature : Victor Aladji, Gnoussira Analla, Julien Atsou Guenou, Koffi Mawuli Agokla, Towaly, Yves Emmanuel Dogbé et le premier et unique best seller de la littérature togolaise, Tété Michel Kpomassie avec son carnet de voyages, L’Africain du Groenland, préfacé par Jean Malaurie.

Mais nul ne saurait expliquer pourquoi, très vite, le roman est passé au second plan de la scène littéraire togolaise, le théâtre prenant la vedette de manière incontestable. La popularité du Concert-Party dans ces années-là, genre théâtral populaire en langue nationale, aurait-elle facilité la prise du pouvoir littéraire par les dramaturges ?

Un conflit de genres

Si la poésie n’a jamais vraiment décollé malgré les tentatives de quelques passionnés (Sena Kuassivi, Kossi Guenou, Yves-Emmanuel Dogbe, etc.), le théâtre togolais n’est pas resté en marge du roman. Ses débuts remontent à la fin des années cinquante avec la publication en 1956 de Fasi de Anoumou Pedro Santos. Mais c’est surtout à partir de la période après indépendance que des dramaturges se sont illustrés. Le genre connu alors un franc succès avec des dramaturges comme Modeste d’Almeida, Senouvo Agbota Zinsou ou encore Koffi Gomez et occulta pendant des années le roman. Mais le paysage politique rendit impossible l’éclosion du genre et contraint plusieurs de ses pionniers à l’exil. Aussi, les planches furent désertées par les spectateurs, laissant les comédiens et les dramaturges sans public.

Dans les années 80, Kossi Efoui et Kangni Alem crèvent l’écran, en remportant l’un à la suite de l’autre le prestigieux Prix Tchicaya U’Tamsi du Concours Théâtral Interafricain organisé par RFI. Puis, des comédiens et metteurs en scène comme Alfa Ramsès, Léonard Yakanou, Banissa Méwê, Gaetan Noussouglo, Richard Lakpassa, Koriko Amoussa et d’autres reprirent le flambeau, essayant tant bien que mal de perpétuer la tradition théâtrale au Togo, notamment à travers le très couru FESTHEF (Festival du Théâtre de la Fraternité). Le public est au rendez-vous, faisant du théâtre, un art en phase total avec les revendications politiques de l’époque. Dans les années 2000, sur la scène théâtrale on retrouvait plusieurs compagnie : Louxor d’Alfa Ramsès, Tambours Théâtre de Richard Lakpassa et Hans Masro, les 3C de Rodrigue Norman. Les metteurs en scène dominent toujours cette scène (Marc Agbedjidji, David Ganda, Basile Yawanke, Leonard Yakanou, Alfa Ramsès…), même si les auteurs de théâtre l’ont un peu déserté, suite au renouveau constaté dans le genre romanesque.

La littérature togolaise aujourd'hui

Après plusieurs années à se chercher, des écrivains togolais ont inscrit en lettre d’or leur nom dans l'hémicycle des littératures du monde, à travers le roman, genre international par excellence. Parmi les précurseurs, on retrouve quelques transfuges de l’art théâtral, Kossi Efoui et Kangni Alem, rejoints quelques années plus tard par Sami Tchak, Théo Ananissoh, et récemment par Edem Awumey. A l’exception de Theo Ananissoh, tous ces auteurs ont la particularité d’avoir remporté le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire !

La nouvelle vague de romanciers a réussi à sortir le roman togolais de son cadre national et à l’internationaliser, grâce à leur accession aux grandes maisons d’édition (Serpent à Plumes, Gallimard, Seuil, Jean-Claude Lattès, Mercure de France) et à l’internationalisation de leurs thématiques. Leurs pratiques de la littérature va jusqu’à la provocation, comme on peut l’observer avec des titres qui ont provoqué la polémique à leur sortie comme Eclaves de Kangni Alem et Al Capone Le Malien de Sami Tckak. Si certains critiques soulignent la forte présence des hommes, très peu de femmes se sont livrées à l’exercice du roman. Les Souvenirs de Pyabelo Kouly Chaold publiés en 1978 furent suivis des romans de Gad Ami en 1986 et de ceux de Christiane Akoua Ekue un peu plus tard. D’autres écrivaines emboitèrent le pas à ces romancières. : Jeannette Ahonsou-Abotsi, Emilie Anifrani Ehah, Laklaba Talakaena, Henriette Akofa et plus récemment Fatou Biramah, Kouméalo Anaté ou encore Lauren Ekué…

Pérennité et relève ?

La littérature togolaise connaît donc une saison assez fleurie. Mais certaines voix s’élèvent pour prévenir d’un tassement éventuel si rien n’est fait pour assurer la pérennité et la relève des auteurs. Dans un pays où la tradition littéraire n’a pas un siècle d’écriture, les initiatives pour relever ce défi sont nombreuses et prises très au sérieux par les promoteurs culturels. Parmi elles, on peut citer la création de maison d’édition (Harmattan-Togo, Moffi, Awoud, etc.), l’adoption récemment d’une politique culturelle, la création d’un festival, "Plumes francophones", qui par son concours de nouvelles a révelé de nouveaux talents. Toutes ces initiatives, on l’espère, feront pousser des ailes à ces jeunes écrivains qui essayent de redorer le blason d’une littérature, pas inexistante, mais qui aurait besoin d’un coup de pouce pour passer totalement à la lumière.

La relève semble être assurée. Plusieurs jeunes écrivains ont été publiés localement et semblent vouloir rivaliser avec leurs prédécesseurs. Des noms comme Noun Fare, Anas Atakora, David Kpelly, David Ganda, Essenam Kokoè, Alex Halley et bien d’autres sont à retenir, car ils seront peut-être la prochaine génération d’écrivains togolais à rivaliser avec Kossi Efoui, Kangni Alem, Edem Awumey ou encore Sami Tchak.

Marthe FARE

Quelle politique de l’emploi au Sénégal dans un contexte d’accroissement démographique ?

Le Sénégal compte douze millions d’habitants dont la moitié a moins de 17 ans. Près de deux Sénégalais sur trois sont âgés de moins de 25 ans et l’espérance de vie à la naissance est de 59 ans. A ce rythme, l’effectif total double à chaque quart de siècle. L’accroissement naturel rapide et la jeunesse de la population sont caractéristiques d’un phénomène majeur : le processus de la transition démographique. A cause d’une natalité élevée et d’une mortalité en baisse, le Sénégal se situe dans la première phase de cette transition. Au cours de cette étape, les besoins en termes d’éducation, de santé, d’emploi et de consommation en biens et services croissent de manière vertigineuse. Pour un gouvernement, un faisceau de difficultés variées peut s’en suivre. C’est la raison principale pour laquelle certains qualifient de « bombe démographique » cette augmentation de la population. A l’opposé de cette position, d’autres perçoivent l’accroissement comme un « bonus démographique ».

Demande sociale, démographie et politique de développement : un jeu de mirage

Quand la population augmente, assurer les services sociaux de base devient plus compliqué. En effet, lorsque la prestation est gratuite ou fortement subventionnée, les habitants du territoire sont des usagers publics. Dans un contexte privé, ces usagers se transforment en clients. Si une clientèle en pleine croissance est une opportunité d’affaires, l’augmentation des usagers publics constitue par contre une lourde charge financière pour l’Etat, surtout quand ces derniers ont des revenus faibles. Sous l’éclairage de cette dichotomie, il apparaît que la démographie représente à la fois un goulot d’étranglement et un levier puissant, en fonction de la vision des hommes et des femmes devant animer le moteur du développement socio-économique. Avec une fécondité évaluée à cinq enfants par femme, le moment du choix a sonné pour le Sénégal. Subirons-nous les conséquences désastreuses de la « bombe démographique » ? Capitaliserons-nous les avantages avérés du « bonus démographique » ?

Les perspectives de l’évolution de la demande dans les secteurs de la vie économique et sociale du Sénégal apportent une clarification sur l’envergure des enjeux. En réalité, l’augmentation de la population engendre une hausse continue de la demande dans plusieurs domaines : eau potable, électricité, soins de santé, services éducatifs, emploi, logements, etc. Tant que la progression de la satisfaction adéquate de ces besoins fondamentaux n’est pas capable de supporter, voire absorber, le taux d’accroissement moyen annuel de la population, le gap risque de se creuser. Autrement dit, si un effort W est fourni pour réaliser un résultat R en une année t, il faudra pour l’année t+1 multiplier W par un facteur (au moins supérieur à 1) pour obtenir un résultat supérieur ou égal à R. A l’image d’un jeu de mirage, cette réalité joue souvent des tours aux décideurs politiques des pays en pleine transition démographique. En effet, pendant qu’ils se vantent du bilan positif d’une année et négligent la complexité des impératifs futurs, la situation se détériore l’année suivante parce que tout simplement il aurait fallu consentir beaucoup plus d’efforts que l’année précédente pour, au moins, maintenir le score vanté! Sous ce rapport, entre 2000 et 2011, la hausse significative des investissements dans les domaines de l’éducation, la santé, l’électricité et l’assainissement fut salutaire en ce sens que ces niveaux n’ont jamais été atteints auparavant. Cependant, la comparaison temporelle basée uniquement sur les enveloppes budgétaires ne peut être gage de satisfaction car l’ampleur de la demande est significativement différente : la population sénégalaise est passée de 6,8 millions d’habitants en 1988 à 9,8 millions d’habitants en 2002, avant d’atteindre 12,5 millions en 2010. Qui plus est, les coûts unitaires spécifiques des projets ont varié, pour plusieurs raisons.

Pression démographique et marché local de l’emploi

En 2010, la population sénégalaise potentiellement active était évaluée à 7,3 millions d’individus. En moyenne, il y a eu, chaque année, 202.000 demandeurs potentiels d’emploi entre 2002 et 2010. A ces effectifs, il faut ajouter les émigrants sénégalais diplômés, travaillant à l’étranger et qui désirent regagner leur pays. Les ressources financières de l’Etat et le nombre de postes à pourvoir étant limités, la fonction publique ne peut absorber tout ce capital humain. De plus, les entreprises en activité sur le territoire national ne sont pas non plus en mesure de satisfaire les demandes d’emplois qui ne cessent de croître, sous l’effet de la croissance démographique. On pourrait citer beaucoup de chiffres – parfois contestables – sur l’emploi et le chômage. En fonction des sources, le taux combiné de chômage et de sous-emploi variait entre 30 et 49% en 2010. Mais, au-delà de l’aridité des multiples indicateurs, la finalité porte sur la survie et le bien-être d’êtres humains vivant en famille.

Actuellement, lancer de « grands chantiers d'infrastructures à haute intensité de main d’oeuvre » semble constituer, en termes d’orientations budgétaires, la tendance majeure et la solution préconisée par l’Etat pour poser les jalons de l’émergence économique et, parallèlement, résoudre l’équation du chômage. Il est fréquent d’entendre les politiques promettre la création de milliers d’emplois générés par des grands travaux publics. Toutefois, ce discours porteur de promesses alléchantes ne parvient pas à soulager les populations, compte tenu des effets d’entraînement trop faibles. En réalité, avec le recours systématique aux importations, l’économie sénégalaise fait tourner des PME et PMI étrangères qui fabriquent la quasi-totalité des intrants de construction des infrastructures importés par les attributaires des marchés publics, ramollissant ainsi les potentialités industrielles nationales. Il en découle une nette altération de l’effet multiplicateur keynésien qui est pourtant une logique de base pour le lancement des grands travaux publics en période de morosité économique. Ainsi, dans ces conditions défavorables, l’apport intrinsèque des grands chantiers est fortement discutable car les emplois supplémentaires créés sont largement insuffisants par rapport au potentiel, en plus d’être le plus souvent temporaires, peu qualifiés ou précaires. Tout au plus, cette pratique peut, dans le court terme, augmenter les recettes douanières, sous réserve que les exonérations négociées ne soient pas trop importantes. Dans le long terme, la livraison des infrastructures, reconnaissons-le, peut avoir des effets positifs sur l’économie nationale.

Jusqu’à présent, l’Etat multiplie les initiatives de lutte contre le chômage. Le nombre d’institutions publiques créées et mandatées pour la promotion de l’emploi a dépassé la dizaine. Avant de se prononcer sur la volonté de bien faire, il est impératif de décrier leur foisonnement institutionnel parce que l’offre nationale d’emploi est largement inférieure à la demande annuelle estimée à plus de 200.000. Une question fondamentale mérite d’être posée. Peut-on aider un individu à trouver un emploi qui n’existe pas dans le système dans lequel il vit, sans paraître comme un vendeur d’illusions ? Libre à chacun de se faire sa philosophie !

Par ailleurs, en 2011, le taux d’émigration des diplômés de l’enseignement supérieur sénégalais est évalué à 17,7% par la Banque Mondiale. En 2006, 51,4% des Sénégalais titulaires de Doctorat ont émigré. La diaspora sénégalaise a envoyé, rien qu’à travers les circuits formels (banques, sociétés de transfert d’argent et poste), 594,9 milliards de francs CFA en 2010. Ce montant est supérieur aux droits de douane encaissés (422,2 milliards de francs CFA en 2010), aux impôts directs (339 milliards de francs CFA en 2010) et aux dons reçus par l’Etat (161,9 milliards de francs CFA en 2010). En d’autres termes, même loin du territoire national, la diaspora paie un lourd tribut aux conditions de vie des Sénégalais. Toutefois, l’émigration de quelques membres de la famille ne suffit pas pour préserver la dignité humaine soutenue par l’occupation d’un travail décent. De plus, dans le moyen terme, la situation économique des pays d’accueil laisse présager une forte variabilité des transferts des émigrés. La viabilité de l’émigration, comme facteur de développement, paraît donc compromise.

En définitive, les acteurs du processus de développement doivent fédérer leurs énergies afin de faire bénéficier au Sénégal un bonus démographique. Il est temps d’inviter les Sénégalais à entreprendre massivement dans des domaines à forte valeur ajoutée, en dehors de la commande publique (marchés ou contrats de l’Etat). C’est le prix à payer pour créer une masse critique de PME et de PMI, capable d’embaucher et de conquérir des marchés locaux, régionaux et internationaux. Dès lors, le changement de mentalités est devenu une nécessité au même titre que l’application stricte des principes de bonne gouvernance.

Khadim Bamba

bh-sn2012@hotmail.fr

NDLR : Les statistiques citées proviennent de la publication officielle : Situation économique et sociale du Sénégal en 2010, Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie – ANSD, décembre 2011. Cette version est la plus récente.

L’échec du passage à l’écrit des langues africaines

Dans les pays d'Afrique francophone, on s'est aperçu au cours des années que l'utilisation exclusive du français dans l'enseignement causait de graves difficultés. En effet, les personnes scolarisées en français se retrouvaient déculturées par rapport à leur milieu d'origine et, lorsqu'elles avaient bien réussi leurs études, elles voulaient quitter le village pour la ville afin d’obtenir des postes de fonctionnaires. On s'est aperçu que l'utilisation exclusive du français comme langue officielle et d'enseignement est un facteur de sous-développement : elle provoque l'exode rural et détruit l'économie locale. En fait, les personnes bien scolarisées sont très souvent improductives (que ce soit des fonctionnaires ou des chômeurs) ; les véritables producteurs (paysans, pêcheurs et artisans) sont soit illettrés, soit mal scolarisés. L'éducation vise en principe à apporter à l'enfant des connaissances et une formation qui lui permettront de devenir un adulte responsable et autonome. Mais l'éducation scolaire en Afrique francophone, bien souvent, ce n'est pas ça. C'est essentiellement apprendre la langue française, et réciter ses leçons par cœur sans les comprendre. L'ensemble du système éducatif est copié sur le modèle français et il forme des personnes qui veulent ressembler à des Français, mais non des personnes qui font évoluer leur milieu de l'intérieur en se fondant sur les réalités locales. Le but pratique des études scolaires est essentiellement d'obtenir des postes de fonctionnaires, et vu que désormais il n'en reste plus, l'Afrique noire est remplie de chômeurs diplômés.

Les pays africains qui sont les plus scolarisés et où l'on connaît le mieux le français sont en fait les plus déséquilibrés. C'est le cas du Congo-Brazzaville qui a connu des guerres civiles et des massacres inouïs ces dernières années (notamment en 1999). Il faut encore remarquer que la non-utilisation des langues africaines empêche les notions modernes de pénétrer dans la vie de tous les jours, contrairement aux pays asiatiques où la modernité s'intègre dans les cultures locales. Par exemple, les programmes visant à filtrer l'eau, les campagnes de lutte contre l'excision ou le sida, ou les actions en faveur de la protection de l'environnement sont totalement inefficaces si elles sont menées en français et non dans les langues locales. Elles apparaissent aux yeux des populations comme une lubie des étrangers, et on dit « oui-oui » pour ne pas avoir d'histoires et obtenir une aide financière.

Il est vrai maintenant que les Africains souhaitent eux-mêmes connaître des langues européennes afin de s'ouvrir sur le monde. L'idéal serait donc d'associer les langues africaines et une langue internationale telle que le français. C'est une idée qui est souvent évoquée dans les pays francophones. Il y a eu des tentatives dans ce sens dans certains pays africains. En particulier au Mali, pays où il y a des programmes d'alphabétisation en langues africaines et des classes primaires expérimentales. Cependant, ces projets sont, en partie, des échecs pour des raisons rarement évoquées, qui sont exposées ci-dessous.

Des alphabets modernes en caractères latins ont été conçus depuis une trentaine ou une quarantaine d'années pour écrire les langues africaines des pays francophones (notamment au Mali). Or, ces alphabets ont été conçus par des personnes ayant une triple caractéristique :
– C'étaient des spécialistes de linguistique, qui utilisaient systématiquement l'alphabet phonétique international pour transcrire les langues africaines, comme on leur avait appris durant leur cursus universitaire. Alors que cet alphabet a été conçu pour faire des recherches de phonétique et non pour créer des alphabets. Le résultat est que la majorité des langues africaines des pays francophones sont écrites avec des caractères phonétiques spéciaux qui sont absents de la plupart des polices de caractères en usage chez les imprimeurs et sur Internet.
– Ces linguistes étaient généralement dénués de tout sens pratique. Ils ne connaissaient rien aux techniques de la presse, de l'édition et de l'imprimerie, et ils s’imaginaient que les industriels allaient construire du matériel d’impression conforme à leurs désirs et leurs directives.
– C’étaient souvent des nationalistes culturels qui voulaient totalement rompre avec l'influence française, et qui donc ne se posaient pas le problème de la coexistence du français et des langues africaines (paradoxalement, ils furent soutenus par certains milieux politiques qui voulaient entraver l’usage écrit des langues africaines et les cantonner dans le simple domaine de la recherche universitaire).

Le résultat est que le système graphique conçu pour les langues africaines est parfois si éloigné du français, qu'un bachelier est incapable de lire sa propre langue maternelle, qu'il n'arrive pas à reconnaître. Pour qu'il y ait un développement des langues africaines, il faut des systèmes graphiques plus proches des conventions habituelles de l'alphabet latin, de façon à ce que les personnes scolarisées puissent avoir accès directement à ces langues sans nouvel apprentissage, et de façon à ce que les éditeurs et imprimeurs locaux puissent travailler sans problème. Quant aux paysans qui ont suivi des programmes d'alphabétisation dans leurs langues maternelles, ils peuvent être capables d'écrire des lettres personnelles ; mais ils n'ont aucun livre à lire, vu que les éditeurs et les imprimeurs ont trop de difficultés à publier dans ces langues. L’une des raisons du succès du swahili en Afrique orientale est justement que sa graphie ne crée pas une rupture insurmontable avec celle de l'anglais. Il est facile d'être alphabétisé en swahili et de passer ensuite à l'anglais. En ce qui concerne les langues africaines, un pays anglophone tel que la Tanzanie montre la voie à suivre.

Dans les années 1990 au Mali, sous la présidence d'Alpha Oumar Konaré, il y eut une tentative de réformer le système d'éducation primaire, selon deux principes :
— Faire un enseignement adapté aux réalités locales et fournissant des connaissances pratiques utiles, qui ne soient pas purement livresques.
— Associer la langue africaine locale et la langue française, avec passage progressif de l’une à l’autre.
Cette réforme a été un échec complet. D'abord pour les raisons que l’on vient d'expliquer (l'incompatibilité entre les alphabets officiels africains et le système français). Ensuite, pour d'autres raisons :
– L'opposition des instituteurs qui avaient le sentiment que leur profession était rabaissée, si on leur demandait d'enseigner les langues africaines. Cela les remettait totalement en cause.
– L'opposition des parents d'élèves pour qui le but de l'école était effectivement d'apprendre le français, moyen de promotion sociale (même illusoire).
– Le fait que simultanément Alpha Oumar Konaré essayait d'introduire Internet un peu partout, alors qu'il est impossible d'écrire les langues africaines sur un email avec la transcription qui avait été choisie.
– La difficulté d'imprimer dans les langues africaines avec le système officiel du Mali.

Si, dans l'enseignement scolaire, l'on veut associer le français et les langues africaines, de façon harmonieuse, il est indispensable de repenser le système graphique de ces langues et il faut cesser de les considérer avec mépris. Mais actuellement, la situation est totalement bloquée. En fait, elle ne fait qu'empirer. Partout, on dit qu'il faut plus d'éducation pour sauver l'Afrique. Mais si le système scolaire n'évolue pas, plus il y aura d'école, plus y aura de chômeurs diplômés. Et plus il y aura de chômeurs diplômés, plus il y aura de guerres civiles, pour s'emparer des quelques malheureux postes de fonctionnaires (comme on l'a vu au Congo-Brazzaville, et comme on le voit maintenant en Côte d'Ivoire).

Conclusion

La conclusion à laquelle nous arrivons est évidente. Il est indispensable d'associer le français et les langues africaines dans l'éducation scolaire comme dans les autres secteurs. Mais, pour que cela soit possible, il est nécessaire que l'on réforme légèrement les alphabets des langues africaines en supprimant les caractères phonétiques et en les remplaçant par des caractères latins normaux. Par ailleurs, il est probable que si les langues africaines se développent dans l'usage écrit, il y aura de nombreuses publications avec des mélanges de langues (européennes et africaines). Il ne faut donc pas créer des systèmes graphiques trop antagonistes. Si l'on arrive à simplifier la graphie des langues africaines, il sera possible de créer une interface entre elles et les langues européennes, et de développer une collaboration mutuelle. Tout le système scolaire s'en trouvera amélioré. Il sera alors possible d'avoir une éducation scolaire qui ne coupe plus l'enfant de son milieu.

Les seuls pays africains où il existe actuellement une utilisation réelle et généralisée des langues locales dans l’éducation et l’administration sont les Etats anglophones de la zone bantou. Leurs langues nationales se contentent des caractères latins normaux et, grâce à cela, elles sont aussi largement présentes sur des sites Internet. Il s’agit de pays tels que la Tanzanie, le Kenya, le Zimbabwe ou le Botswana. Espérons qu’ils serviront de modèles aux pays francophones.

 

Gérard Galtier, "Les langues africaines, l'éducation et l'édition"

NDLR : Terangaweb a publié la première partie de cet article sous le titre : Panorama des langues africaines

Crédit photo : http://www.abcburkina.net/ancien/photos/alfa_peul/alfa_p_55.jpg 

 

Panorama des langues africaines

La question des langues en Afrique peut être abordée de multiples manières. Il existe d'abord les langues officielles (exemples, le français au Mali, l'anglais et le swahili en Tanzanie) ; ce sont généralement des langues européennes parfois associées à des langues africaines. Il existe aussi les diverses langues maternelles (exemple, le sérère au Sénégal). Il existe enfin des langues africaines de grande extension adoptées comme moyen d’intercommunication par des communautés différentes. On les appelle souvent « langues véhiculaires » (exemple, le wolof au Sénégal, qui est parlé dans tout le pays, y compris en Casamance). C'est essentiellement dans les pays anglophones que les langues africaines ont un statut officiel (exemple, le tswana au Botswana). Dans les pays francophones, le français est généralement la seule langue officielle. Quant aux « langues véhiculaires », elles se sont répandues soit parce qu'elles étaient les langues d'anciens royaumes de la période pré-coloniale (l'ancien Mali ou l'ancien Kongo), soit parce qu'elles étaient des langues commerciales utilisées par les négociants sur les marchés (le swahili), soit parce qu'elles ont été utilisées par les armées des pouvoirs coloniaux (le lingala au Congo-Kinshasa), soit parce qu'elles étaient la langue de la capitale des nouveaux Etats africains, soit plusieurs de ces raisons à la fois.

Parmi ces langues véhiculaires, on peut citer :
– A l'ouest, le wolof qui se répand dans tout le Sénégal, car il est la langue majoritaire du pays et celle de la capitale, Dakar.
– Puis le mandingue (bambara du Mali, malinké de Guinée, dioula du B.F et de C.I.), qui continue à se propager. Ce fut la langue de grands empires ou royaumes dans le passé ; c'est une langue commerciale au Burkina Faso et en Côte d'ivoire ; c'était la langue la plus utilisée dans les troupes coloniales françaises ; c'est la langue de Bamako, la capitale du Mali.
– Le haoussa, qui est son équivalent plus à l'Est. Il n'a pas encore achevé son expansion et tend à recouvrir l'ensemble du Niger et tout le Nord-Nigeria.
– Le sango, qui est la langue véhiculaire de la Centrafrique. Il s'est formé à partir du yakoma (ou ngbandi) qui était pratiqué par les riverains du fleuve Oubangui et était devenu une langue commerciale. Il fut adopté par les militaires de l'armée coloniale française et se répandit dans tout le territoire de la Centrafrique et même au sud du Tchad. Le sango est la langue courante de Bangui, la capitale de la Centrafrique.
– De même, le lingala qui était une langue pratiquée par les riverains du fleuve Congo au nord de Brazzaville et Kinshasa. Il fut encouragé par les autorités belges en tant que langue commune des forces armées. Actuellement, le lingala est la langue courante de Kinshasa et d'une grande partie de Brazzaville, ce qui favorise son expansion.
– Le swahili, qui était la langue de Zanzibar et de la côte orientale de l'Afrique. Il était utilisé comme langue commerciale avant la colonisation ; par la suite, il fut encouragé par différentes puissances coloniales, ce qui a permis son extension actuelle. D'autant que le gouvernement de la Tanzanie (grâce au président Nyerere) a adopté une position de soutien systématique au swahili. Cela fut favorisé par le fait que les autres langues de la Tanzanie n'étaient pas assez importantes numériquement pour le concurrencer.

Les langues véhiculaires s'imposent comme moyen de communication privilégié dans les grandes villes de l’Afrique noire moderne. Ces mêmes langues se diffusent, par la suite, dans les campagnes. Il faut, par ailleurs, citer le peul qui est une langue très répandue, à cause des migrations de ses locuteurs, des pasteurs nomades qui avaient créé de nombreux Etats dans l'Afrique occidentale précoloniale. Mais le développement actuel du peul est entravé par le fait qu'il se retrouve généralement en concurrence avec d'autres langues africaines, et qu'il ne constitue la langue commune d’aucune capitale africaine. Le peul a donc essentiellement un rôle de langue régionale, par exemple au Nord-Cameroun.

L'éducation

Sous la colonisation, il y eut deux politiques linguistiques différentes selon les Etats colonisateurs. On peut distinguer la politique « latine » et la politique « germanique ». La politique latine fut celle des Français et des Portugais ; la politique germanique fut celle des Anglais, des Belges, des Blancs d'Afrique du Sud et des Allemands. La politique latine, pratiquée par les Français et les Portugais, consistait à n'utiliser que la langue européenne dans l'éducation scolaire et l'administration. C'est-à-dire que la seule langue écrite était le français ou le portugais. Les langues africaines restaient exclusivement orales.

La politique germanique, pratiquée par les Anglais, les Belges, les Blancs d'Afrique du Sud et les Allemands, consistait à associer les langues africaines et les langues européennes. Dans les échelons de base, les langues africaines étaient privilégiées, que ce soit dans l'éducation primaire ou dans l'administration locale. Par ailleurs, on favorisa certaines langues qui semblaient être en expansion ou numériquement plus importantes. C'est ainsi que les Belges choisirent quatre langues africaines pour leur colonie du Congo : le kikongo, le lingala, le tshiluba et le swahili. Le français était peu utilisé par les Belges, d'autant que la majorité des missionnaires et des colons étaient flamands.

Au moment de l'indépendance, les anciennes colonies françaises gardèrent le français comme langue administrative et d'enseignement pour différentes raisons :
– Les nouvelles élites étaient scolarisées en français, et elles étaient plus désireuses de diffuser la science moderne que de préserver les cultures africaines.
– Le modèle à imiter était la France. La priorité était donc d'adopter la langue française.
– Il existait souvent plusieurs langues africaines concurrentes entre lesquelles il semblait difficile de choisir.
– Les langues africaines n'étaient pas assez étudiées ou codifiées pour permettre leur enseignement ou leur utilisation officielle.

De leur côté, les nouvelles autorités du Congo belge (devenu Zaïre par la suite) choisirent d'abandonner les langues africaines en faveur du français, car elles estimaient que les colonisateurs avaient utilisé ces langues pour maintenir les populations locales dans l'ignorance et le sous-développement. A partir du début des années 60, la politique linguistique est donc généralement identique dans les pays francophones d'Afrique (qu'ils aient été colonisés par la France ou la Belgique) : le français est la seule langue utilisée dans l’administration et l'enseignement officiel.
De même, les pays lusophones, après leur indépendance, utiliseront presque uniquement le portugais comme langue administrative et d'enseignement. Les pays anglophones, l'Afrique du Sud et la Namibie continueront pour leur part à associer les langues africaines et l'anglais.

 

Gérard GALTIER, "Les langues africaines, l'éducation et l'édition", 1ère partie de l'article, 

La seconde partie : L'échec du passage à l'écrit des langues africaines

 

Négritude, Egypte : Les erreurs de nos prédécesseurs

Négritude, Egypte Pharaonique Noire etc. Pendant plusieurs décennies, des intellectuels africains ont été très actifs pour relancer une conscience africaine plus optimiste, plus positive et tenter de donner au continent sa dignité, sa respectabilité. Mais sans la prise de conscience de la nécessité des connaissances géostratégiques, ils ont pour la plupart été plus un problème pour l'Afrique qu'une solution, relayant, souvent en bonne foi des théories et des pseudo-solutions préparées par le système dominant pour asservir tout un continent.


L'EXEMPLE DE L'EGYPTOLOGIE

Les Africains qui vivent en Afrique ou en Occident sont pris dans le tourbillon de la pensée unique occidentale et dès lors, ils sont formatés à prier, à aimer, à haïr, à réfléchir, à s'énerver, à protester, à se rebeller selon les critères bien définis par le système dominant et duquel il est difficile de s'échapper. C'est dans ce cadre que l'Egypte s'est naturellement présenté comme échappatoire virtuel, offert par le système pour donner l'illusion aux Africains de compter ou tout simplement d'avoir eux aussi compté 3000 ans auparavant. Ce qui était bien entendu ingénu et naïf de la part de ceux qui sont tombés dans le piège.

Pourquoi ce sont les intellectuels Africains dits "francophones" qui sont les plus impliqués dans l'égyptologie ? Ce n'est surement pas pour leur proximité géographique avec l'Egypte. Mais tout simplement parce qu'en Europe c'est en France qu'on parle le plus de l'Egypte antique. Notamment dès 1799 grâce à la formalisation de l'ouvrage monumentale en 37 volumes dénommé "Description de l'Egypte", du chef de l'expédition militaire de Napoléon Bonaparte, le général français Jean-Baptiste Kleber, cet ouvrage sera publié en 19 ans, c'est-à-dire entre 1809 et 1828 couvrant 4 thèmes : l'Antiquité égyptienne, l'état moderne, l'histoire naturelle et l'atlas géographique de l'Egypte.

L'histoire démarre le 19 Mai 1798, lorsque pour contester l'Egypte au Royaume Uni, Napoléon Bonaparte lance 400 navires de guerre avec 50.000 personnes à bord pour contrôler le port de Suez, point stratégique de la route des Indes orientales, mais aussi tout le patrimoine laissé par les antiques Egyptiens. Avec les militaires, sont embarqués les scientifiques, les ethnologues, les historiens qui seront à l'origine de l'ouvrage cité plus haut. Les missionnaires chrétiens vont s'en servir pour développer les théories les plus invraisemblables pour justifier l'expédition coloniale sur tout le continent africain, en ramenant le tout à une division biblique des races comme décrit dans le chapitre de la Genèse. La technique de manipulation de certains d'entre eux est celle de magnifier le géni des africains dans l'antiquité égyptienne et constater leur nullité du présent pour en expliquer la décadence et donc l'urgence de les sauver par une nouvelle civilisation. Puisque de toutes les façons les africains ne sont que des maudits soit parce qu'ils descendent du méchant Caïn qui tue son frère Abel, soit parce qu'ils viennent de Canaan l'un des 3 enfants de Noé, maudit par le père pour s'être moqué de lui parce que sourd et dénudé.

L'administration coloniale va y fonder son principal espoir pour diviser les Africains afin de mieux régner entre ceux prétendument venus d'Egypte nécessairement plus intelligents, plus entreprenants, plus beaux et les autres, plus laids, plus fainéants. Alors que les premiers sont des dépravés, des immoraux par nature, les autres sont des pacifiques et des abrutis parce que primitifs et peuvent être plus malléables pour servir les intérêts de l'Europe, voilà pourquoi ils pourront facilement être associés au pouvoir, alors que les premiers en seront exclus.

Ainsi, ce sont les prêtres français pour la plupart qui parleront de l'Egypte pharaonique noire. le prêtre F. Coulbois écrit en 1901 : "Ne serait-ce pas l'indice que ce peuple de l'Ouzighé (au Burundi), voisin d'ailleurs des sources du Nil, a la même origine que les anciens habitants du pays des Pharaons?" L'un des idéateurs de la Négritude (dite Koutchiste), l'Abbé Léonard Dessailly écrit en 1898 dans : Le Paradis terrestre et la race nègre devant la science" : "Les Kouchites sont venus de Susiane, où ils avaient construit la première civilisation avant de se disperser et ils n'en étaient pas moins des Nègres, voire des Négrilles. Ensuite chaque recul de la civilisation égyptienne est liée à la poussée de ces "kouchites" nubiens sur les descendants Miçraïm moins dégradés".

Certains intellectuels africains et d'origine africaine vont relayer les insultes de L. Dessailly en reproposant à leur manière la même Négritude. D'autres vont offrir de nouveau quant à eux l'Egypte pharaonique noire sans au préalable apporter les éléments contredisant les insultes du père Coulbois et les autres. Pire, ils n'ont nullement cherché de couper ce cordon biblique de la prétendue déchéance de la Génèse et la dégradation de la civilisation triomphante de l'Egypte antique vers les "Nègres Abrutis" modernes dont parlent ces prêtres.

L'historien français Jean-Pierre Chrétien (né en 1937) dans son livre très documenté intitulé "L'invention de l'Afrique des Grands Lacs" publié aux éditions Karthala en 2010 nous dévoile ce côté obscur des relations Europe-Afrique en nous expliquant comment les missionnaires français ont réussi à imposer la France même dans les régions d'Afrique où elle n'était pas présente en orientant la pensée des chercheurs et des observateurs en leur faisant partager leur propre regard culturel sur ces pays. Il met le doigt sur la complicité des Africains qui ont développé l'égyptologie vue sous l'angle de la hiérarchisation des valeurs civilisationnelles, sans comprendre qu'en le faisant, ils contribuaient tout simplement à alimenter et valider une partie de l'histoire africaine construite dans le but de déstabiliser les sociétés africaines et non pour les glorifier.

QUELLES LECONS POUR LA JEUNESSE AFRICAINE ?

A chaque époque de la vie d'un village, d'une nation ou d'un continent, correspond la contribution sociétale de ses sages, de ses penseurs, de ses intellectuels. Lorsqu'on se penche sur l'Afrique, et pose une question des plus anodines, à savoir : en quoi les sages africains ont-ils influencé la pensée politique ou le model économique du continent africain depuis la fin de l'occupation européenne de l'Afrique à ce jour? La réponse est connue et malheureusement pas des plus glorieuses, c'est-à-dire, peu ou quasi nulle. La plupart ont renoncé à chercher les solutions aux problèmes d'un présent peu glorieux, pour se refugier dans la contemplation d'un passé victorieux.

On dit que c'est le passé qui nous permettra de comprendre le présent et mieux préparer l'avenir. C'est dans cette logique que des intellectuels africains ont approfondie l'étude de l'Egypte antique avec brio. Mais je crois que cela a été une erreur qui a fait perdre à l'Afrique un temps précieux dans la bataille pour sa liberté mentale. Je suis convaincu au contraire que c'est en maitrisant le présent que nous serons en mesure de comprendre le passé ou tout au moins d'interpréter le passé avec moins de subjectivité servile. Le passé ne nous renseigne pas sur ce que nous voulons savoir. Le passé est une construction subjective des histoires glorieuses des plus aisés, de la minorité des plus riches. L'histoire est biaisée par sa conception.

J'ai parcouru pendant plus de 20 ans les routes des musés d'Europe pour comprendre le passé des Européens. Et au bout du compte, je me suis rendu compte que je n'avais rien compris du tout, car tous les objets présentés dans ces musés ne retraçaient que le quotidien des riches, tous les témoignages n'étaient en dernier ressort que l'expression écrite de la minorité aristocratique, bourgeoise et cléricale, jamais l'expression du peuple, le plus souvent analphabète. Ces musées racontaient tous une partie de l'histoire du passé européen. Et non l'histoire.

C'est pour cette raison que j'ai toujours eu du mal à m'approprier de l'histoire de l'Egypte antique comme africain, parce qu'aussi glorieuse soit-elle, elle n'est pas mon histoire, elle est une partie de mon histoire, elle est une infime partie de l'histoire africaine, celle des nantis, celle des plus riches, celle des puissants même dans l'Egypte antique. S'il est prouvé que je viens de cette frange de population africaine en provenance d'Egypte pharaonique, à 99%, il est de loin plus probable que mes ancêtres dans cette Egypte antique fassent plutôt partie du peuple, fasse partie de la masse des pauvres, souvent même esclaves et dont j'ignore complètement l'histoire. Et cela n'a donc pas de sens que je me mente à moi même me revigorant en m'identifiant à l'histoire sélective de la vie des dominants du passé, dans l'espoir de m'en servir pour sortir de ma peu envieuse position du dominé d'aujourd'hui. C'est un comportement qui trahit la naïveté intellectuelle de ses auteurs, car se faisant, ils ont indirectement validé le sort d'humiliation que le dominant d'aujourd'hui inflige aux Africains, oubliant systématiquement toutes nos aspirations, nos frustrations, nos revendications, nos angoisses, nos peurs, notre spiritualité, oubliant nous-mêmes, comme être humains.

Cela a-t-il un sens pour la Grèce d'aujourd'hui de passer son temps à revendiquer la paternité de la démocratie si elle croule sous les dettes et ce sont les financiers des marchés boursiers à gérer de fait le pays? De même, quel sens cela a-t-il pour les intellectuels africains de magnifier les pyramides de l'Egypte antique pour ensuite aller mendier la construction d'une minable salle de classe dans le Sahel ?

En validant la thèse des dominants dans l'Egypte antique, et en nous l'appropriant comme notre unique histoire dans cette Egypte certainement complexe, ils ont accepté et validé le statu quo actuel imposé à l'Afrique par le dominant, de la fragmentation du continent africain en micro états à la disparition progressive et inexorables des langues africaines toujours de moins en moins parlées au profit des langues du dominant. Car ils ont fait comme si rien n'était plus important de l'Egypte.

Voilà pourquoi l'histoire ne nous aide pas à comprendre le présent, mais c'est en maitrisant le présent, en domestiquant le présent que nous aurons les moyens financiers et humains pour étudier le passé, pour comprendre notre propre passé. C'est en nous concentrant à comprendre les pièges que le dominant nous a mis dans le présent pour nous empêcher de nous réveiller que nous réussirons à acquérir notre indépendance mentale, sans laquelle notre appréciation du passé ne pourra être que biaisé et déformé sous le lente grossissante du dominant du présent (Occident). Et nous ne pourrons nous réfugier que dans la consolation et la fascination de la gloire du dominant du passé (Egypte Pharaonique). Pour moi, cela n'a aucun sens de tout miser sur l'Egypte antique pour notre renaissance s'il faut attendre que ce soit les archéologues européens à nous fournir les détails de ce qu'ils ont trouvé, s'il faut aller dans les musées européens pour voir les objets africains, parce que les pays africains n'ont pas l'argent pour entretenir des musées.

Lorsque le général Kleber crée la première section africaine de la Franc-maçonnerie à Alexandrie en 1800, dénommée Loge Isis, l'idée est celle de façonner une classe dirigeante servile africaine qui pourra prendre le pouvoir dans ce qu'on a appelé l'Administration Indirecte, c'est-à-dire, des laqués, des prête-noms, des sous-préfets. C'est cette administration indirecte qui prendra ensuite dans les années 1960, le nom de "Indépendance". Aujourd'hui, les intellectuels africains (politiciens, économistes, juristes, médecins) qui y sont affiliés ont-ils compris le sens 212 ans après ?

J'ai passé 14 ans en Chine pour comprendre que les Africains avaient presque tous une seule façon de raisonner, de réfléchir et c'était le format européen. Ils ont été tous façonnés au mode de pensée européenne, à l'approche européenne, à la corruption européenne, à la violence européenne, à la politique européenne, à la division sociale européenne, à l'organisation étatique européenne, à la diplomatie européenne. C'est dans le prisme européen que vivent les africains. Et mêmes les contestations, les rebellions, les guerres civiles sont prévisibles et sont menées dans ce format européen. Les programmes scolaires sont européens, les vacances scolaires tiennent compte des saisons en Europe et non des saisons en Afrique. Les journées de travail, de repos hebdomadaire judéo-chrétiens sont européens. Cela a-t-il un sens pour des intellectuels africains noyés à l'idéologie de la supériorité européenne de revisiter objectivement le passé africain jusqu'à nous servir une référence comme celle égyptienne? Je ne crois pas. C'est pour cela que je pense que la priorité reste à comprendre le présent, à décrypter les pièges du présent et chercher comment en sortir. Le jour où nous aurons la tête hors de l'eau, nous pourrons sereinement réécrire notre histoire avec beaucoup de recul, parce qu'il n'y a pas à mon avis la souveraineté de la pensée sans la souveraineté des moyens pour construire cette pensée. Et l'intellectuel africain est même plutôt dangereux dès lors qu'il n'est pas conscient de la capacité du système à le manipuler.

Par JEAN-PAUL POUGALA, écrivain camerounais, Directeur de l’Institut d’Etudes Géostratégiques et professeur de sociologie à l’Université de la Diplomatie de Genève en Suisse.
Article publié sur le site de notre partenaire Next-Afrique

Zulfat Mukarubega, directrice d’une école de tourisme

Zulfat Mukarubega se bat depuis 30 ans pour s'imposer dans le monde des affaires au Rwanda, chasse gardée des hommes, surtout lorsqu'il s'agit de grands projets. Aujourd'hui elle est propriétaire d'une école supérieure de tourisme qui accueille 2600 élèves… Elle encourage les femmes à avoir confiance en elles pour réussir.

Syfia Grands Lacs : En 2007, vous avez créé une école supérieure du Tourisme. D'où vous est venue cette idée ?

Zulfat Mukarubega : Je faisais du commerce, ce qui me permettait d’aller à l’étranger pour importer des produits que je vendais localement. Lors de mes nombreux voyages, j’ai constaté que les services qu’on me donnait à l’hôtel ou dans les agences de voyages étaient de bien meilleure qualité que ceux donnés dans mon pays. J’ai vite constaté que le personnel des hôtels et restaurants au Rwanda n’était pas suffisamment formé. J'ai eu l’idée de lancer cette école, car j’ai été impressionnée par l’accueil, la courtoisie et la rapidité des services que je recevais ailleurs.

SGL : Ces constats sur ce qui se faisait à l’étranger ont-ils été votre seule motivation ?
Z M : Non, moi-même j’ai débuté dans le commerce par une caféteria qui m’a permis d’avancer jusqu’à avoir un restaurant. Celui-ci a donné naissance à un magasin et à une école technique automobile. De là j’ai eu l’idée de faire le commerce en important des habits, des chaussures et des meubles. Si mon business a évolué, c’est grâce à l’accueil que je réservais à mes clients. Car plus je voyageais, plus j’imitais ce que je voyais ailleurs dans la qualité de prestation des services. Ainsi mon expérience professionnelle et celle de mes nombreux voyages à l’étranger ont été mes motivations, plus l’esprit d’entreprenariat qui est en moi, car depuis le jeune âge j’ai appris à me débrouiller sans trop compter sur les gens.

SGL : Démarrer ce grand projet d'école a-t-il été facile pour vous ?
Z M : Non, quand j’ai fait part de cette idée, tout le monde me décourageait. Certains me disaient que les femmes ont des rêves difficilement réalisables. D'autres que même l’État qui a les moyens n’a pas encore ouvert une telle école. Comment quelqu'un, en plus une femme, peut-il réussir un tel projet ? D’autres assuraient que je n’aurai pas d’étudiants car personne ne sera intéressé à étudier la cuisine ou le ménage. Je passais mon temps à expliquer qu’à l’étranger la gestion d’un hôtel s’apprend et que le personnel est formé, ce qui explique leurs services de qualité, mais en vain. J’ai commencé avec seulement cinq étudiants en 2007. Les gens se sont de plus en et plus rendus compte de la nécessité d’améliorer les services. Actuellement j’ai 2600 étudiants !

SGL : Comment avez-vous trouvé les moyens de monter cette école ?
ZM : Ce n’était pas facile. J’ai demandé des conseils aux écoles similaires du Kenya, des Iles Maurice et de l’Égypte et ils m’ont aidé à faire les curriculums. Certains ont accepté d’être partenaires dans mon projet en me fournissant des professeurs. Et puis, lors de mes voyages, j’achetais les équipements petit à petit et je les stockais. Et puis j’ai aussi collaboré avec les banques même si ce n’était pas facile au départ.

SGL : Dans vos activités, avez-vous rencontré des difficultés liées à votre statut de femme ?
ZM : La grosse difficulté est de faire un grand projet quand on est une femme. Même les banques ont moins confiance dans les grands projets initiés par les femmes que dans ceux lancés par les hommes. Les banquiers réfléchissent mille fois avant de financer le projet d’une femme. Cela m’est arrivé quand je demandais un crédit pour acheter les équipements de l’école : certains banquiers me demandaient d’abandonner mon projet, car ils estimaient qu’il était trop grand pour moi alors que, s’il avait été présenté par un homme, il aurait été financé rapidement. J’ai dû me battre pour le faire accepter, cela a pris du temps. Certains me disaient que la femme doit investir dans le petit commerce, mais pas dans de grosses affaires. Et jusqu’à présent cette mentalité n’a pas changé, car d’autres collègues me disent qu’elles rencontrent le même blocage, c’est vraiment décourageant.

SGL : Quel message donneriez-vous aux femmes qui ont peur de se lancer dans les affaires ?
ZM : J’encourage les femmes à commencer petit à petit et à éviter de faire le business pour imiter les autres, mais plutôt à faire quelque chose d’original. Avant de se lancer les femmes doivent identifier leurs centres d’intérêt pour faire quelque chose qui leur tient à cœur et qu’elles aiment. J’ajouterai aussi qu'elles doivent se dire qu’elles vont réussir et éviter de se mettre dans la tête qu’elles échoueront. Elles doivent être confiantes et tenaces, car les obstacles sont là. Je dirai aussi qu'elles ne peuvent pas avancer sans collaborer avec les banques. Elles doivent avoir le courage de demander des crédits, de les utiliser comme il faut et de bien les rembourser. Pour terminer, je dirai que la réussite des affaires dépend de la qualité des services donnés aux clients et de l’honnêteté comme de toujours dire la vérité aux clients et de respecter les engagements donnés.

Interview réalisée par Solange Ayanone, pour notre partenaire Syfia Grands Lacs

 

Interview avec Lagassane Ouattara, Président de l’Association Sciences Po pour l’Afrique (ASPA)

 

 

Terangaweb: Pourriez-vous nous présenter l’ASPA, ses objectifs ainsi que les principaux axes autour desquels vous structurez l’activité de votre association ?

Lagassane Ouattara: Créée en 2006, l’ASPA est une association qui rassemble étudiants et anciens étudiants de Sciences Po Paris, Africains ou proches de l’Afrique, partageant la volonté de présenter l’Afrique dans toute sa diversité, de promouvoir et enrichir le débat sur les problématiques économiques, politiques et culturelles relatives à l’Afrique.

 

L’ASPA a pour ambition de faire rayonner l’Afrique à Sciences Po, et de favoriser des liens d’amitié et de solidarité entre ses membres. A ce titre, depuis sa création, l’ASPA a organisé plusieurs cycles de conférences et de tables rondes où se rencontrent chercheurs, intellectuels, scientifiques, hommes politiques et étudiants de tous horizons sensibles aux problématiques liées à l’émergence de l’Afrique. L’objectif à long terme est de mettre en place un véritable réseau d’intellectuels engagés au service de l’Afrique.

 

L’ASPA milite également pour l’enrichissement des programmes académiques sur l’Afrique et la multiplication de partenariats entre Sciences Po et les universités africaines.

Depuis l’année scolaire 2010-2011, les actions de l’ASPA se sont déployées d’avantage sur le terrain à travers l’organisation d’un voyage humanitaire dans la localité de Pikine au Sénégal où notre équipe a procédé à la rénovation d’une école et à des dons d’ouvrage scolaire. Cette année, nous avons choisi d’effectuer ce voyage humanitaire en Guinée. Notre équipe travaille ardemment sur ce projet qui nous tient à cœur. 

 

Terangaweb: Dans le cadre de vos activités, vous organisez « la semaine africaine » à Sciences Po. De quoi s’agit-il exactement et quel est le programme que vous proposez à cette occasion ?

Lagassane Ouattara: Dans sa logique de faire rayonner l’Afrique à Sciences Po, l’ASPA a décidé, depuis 3 ans, de célébrer l’Afrique durant toute une semaine en instaurant « la semaine africaine ».  Cet événement est un véritable rendez-vous annuel des amis de l’Afrique. Chaque année, elle s’articule autour d’une thématique principale. Le thème de cette année 2012 “l'Afrique à la Croisée des chemins » met en exergue la complexité des choix que devra faire l'Afrique dans les domaines économiques, politiques et culturels pour assurer son émergence dans un système international en plein bouleversement.

 

La semaine africaine est à la fois une occasion de découverte, de rencontre, de partage d’expériences, mais surtout de réflexion sur les enjeux les plus importants auxquels fait face notre continent. Nos activités durant cette semaine sont entre autres des tables rondes, des expositions littéraires et artistiques, des séances dédicaces, des prestations musicales, et un défilé de mode africain. 

 

Terangaweb: Cette année nous avons remarqué que cet événement n’est plus seulement une semaine de l’Afrique mais plutôt une semaine de  l’Afrique et de l’outre –mer. Qu’est ce qui explique ce changement par rapport aux précédentes éditions ?

Lagassane Ouattara: Effectivement, l’édition 2012 est marquée par la collaboration inédite entre l’ASPA et Sciences Ô (Association des Etudiants d’outremers à Sciences Po). Elle a donc été rebaptisée pour l’occasion « Semaine Afrique – Outremers ». 

Cette collaboration se justifie surtout par le partage d'une histoire commune entre l’Afrique et une partie de l’Outremers, marquée par la traite négrière. L’ASPA et Sciences Ô se sont donc donné pour objectif de revisiter ce passé commun avec en filigrane le désir de faire dialoguer l’Afrique et les Outremers dans toute leur diversité.

 

Terangaweb: Pour ce qui est de la présence africaine à Sciences Po, un nouveau programme Europe-Afrique a été créé depuis septembre 2011 au sein de l’institution. Quelle lecture faites-vous de cette présence plus marquée de l’Afrique à Sciences Po?

Lagassane Ouattara: La création du programme Europe-Afrique est une excellente initiative de la Direction de Sciences Po qui rentre pleinement dans les objectifs de notre association. En plus de contribuer à une plus forte présence de l’Afrique à Sciences Po, ce programme crée un cadre d’échange entre les étudiants africains et ceux de divers horizons. De ces échanges, pourront découler des synergies dont bénéficieraient ces étudiants pour la relève des nombreux défis du continent.   

 

Terangaweb: Un dernier mot pour les lecteurs de Terangaweb ? Un appel  pour la semaine africaine ?

Lagassane Ouattara: J’invite tous les lecteurs de Terangaweb à venir participer à la célébration de l’Afrique et des outremers  à Sciences Po du 26 au 30 mars 2012 à Sciences Po. Toutes les informations concernant cet événement important sont disponibles sur notre site internet http://aspa.afrik.com/TOISIEME-EDITION-DE-LA-SEMAINE

De nombreuses activités intellectuelles, culturelles mais aussi de divertissement sont prévues pour une belle semaine à Sciences Po.

Interview réalisée par Khady Thiam

Les Burundaises ne peuvent toujours pas hériter des terres

Au Burundi, le projet de loi sur la succession est au point mort depuis quelques mois. Les femmes ne peuvent toujours pas hériter des terres. Les associations de défense des droits de la femme font le constat amer d’un retour en arrière. "Parler d'autonomisation de la femme, c’est vraiment une illusion quand la femme n’a rien, quand elle ne peut même pas posséder une bananeraie. C’est une inégalité formelle quand on n'a pas les mêmes droits, simplement parce que l’un est un garçon et l’autre une fille", s’indigne Perpétue Kanyange, coordonnatrice de la SPPDF, un collectif d’associations féminines.

L’an dernier, le ministère du Genre ainsi que diverses organisations avaient entamé une campagne pour sensibiliser autour du projet de loi sur la succession, les régimes matrimoniaux et les libéralités. Mais, depuis, ces activités ont été suspendues sans explication, sur ordre des instances étatiques. À Maramvya, à une trentaine de kilomètres à l'est de la capitale, Bujumbura, cette mesure a provoqué la colère des femmes, rapporte Judith Nzeyimana, coordonnatrice de terrain à l’Ong CARE. Pour elles, c’est comme un retour en arrière, alors que le processus était déjà avancé. Dans cette localité, les femmes sont nombreuses à adhérer à des associations. En témoigne Mpawenimana, qui dirige deux associations. "Avant, j’étais pauvre. Je devais tout demander à mon mari. Depuis que j’ai commencé des activités d’épargne et de crédit, comme on nous l’a enseigné, j’ai des revenus consistants. Et mon mari en est également content", raconte cette mère de six enfants, dont cinq sont à l’école primaire.

Pour Perpétue Kanyange, il faut que la population "change de conception et passe de celle d’une femme qui fait partie des propriétés à celle d'une femme propriétaire et actrice". "On voudrait, martèle-t-elle, que la communauté le comprenne et donne une place aussi importante à la femme qu’à l’homme." Face au blocage du projet de loi sur la succession, des organisations demandent qu’elle soit inscrite dans les priorités du gouvernement. Selon Chantal Mukandori, présidente de l’Association des femmes Juristes (AFJ), cette loi permettrait aussi de résoudre les nombreux conflits fonciers pendants devant les juridictions du pays : "Même les hommes n’ont pas de loi pour succéder. C’est pourquoi il y a des conflits. Mais si la loi est promulguée, les conflits diminueront parce que chacun connaîtra ses droits et ceux d’autrui", affirme-t-elle. En l’absence de législation, l’on se réfère à la coutume, qui favorise l’héritage des garçons au détriment des filles.

Toutefois, certaines familles respectent l’égalité entre les filles et les garçons dans le partage de la terre lignagère, comme c'est le cas au Rwanda voisin, qui a pratiquement les mêmes coutumes que le Burundi, mais où existe une loi qui établit la parité. L’AFJ y a effectué une mission pour constater le chemin parcouru. Pour sa présidente, cette loi a été promulguée "d’abord grâce à la volonté des pouvoirs publics et des dirigeants". "Et, poursuit-elle, "maintenant que la loi est là, les femmes succèdent au même titre que les hommes et il n’y a pas de problèmes particuliers."

 

Béatrice Ndayizigamiye, article initialement paru chez Syfia Grands Lacs

L’économie de la banane : les défis

La banane est le fruit le plus rentable au monde parce que sa récolte est hebdomadaire et se pratique toute l’année. Son rendement effectif passe de 20 tonnes à l’hectare pour la banane Bio au Sénégal selon les chiffres fournis par l’APROVAG l’organisation de producteurs APROVAG, Tambacounda au Sénégal, à 60 tonnes par hectare dans les serres marocaines, selon les chiffres fournis par l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II de Rabat au Maroc. En comparaison, le cacao produit à l’hectare 300 kg, selon les chiffres fournis par le CNRA, Centre National de Recherche Agronomique de Côte d’Ivoire, rendus publiques par Monsieur Lancine Bakayoko le 27/10/2009, c’est-à-dire qu’à cause des choix erronés des économistes et politiciens ivoiriens, depuis la pseudo-indépendance, un agriculteur ivoirien de cacao est 200 fois plus pauvre qu’un agriculteur marocain de la banane. C’est encore pire pour le café. Selon une étude très sérieuse réalisée par l’IRCC l'Institut de Recherches du Café et du Cacao de Côte d’Ivoire, entre 1969 et 1982, on obtient dans la zone de Gagnoa une moyenne pondérée de 180 kg de café à l’hectare, c’est-à-dire que les économistes et politiciens Ivoiriens ont sciemment réduit à la misère des paysans de 333 fois pire que leurs homologues, paysans marocains. On retrouvera la même situation presqu’à l’identique partout ailleurs en Afrique subsaharienne.

LA GESOTRATEGIE DE LA BANANE

La banane est le fruit le plus consommé au monde. Selon les chiffres fournis par le Monde Diplomatique du mois d’Octobre 1996, par Ghislain Laporte, on en produisait 52 millions de tonnes en 1996 (100 millions de tonnes en 2011). Et les deux principaux producteurs, l’Inde et la Chine, consommaient la totalité de leur production. Ce qui restait 11 millions de tonnes sur le marché international dont 4 millions de tonnes allaient vers l’Union Européenne. Et dont les 2/3 contrôlés par deux multinationales américaines, United Brands Company (marque Chiquita) et Castel & Cooke (marque Dole), et une mexicaine : Del Monte.

Ce qui est détestable sur ces chiffres ce sont deux éléments essentiels :

  • La totalité de 79 pays dit ACP(Afrique, Caraïbes et Pacifiques) à qui l’Union Européenne fait miroiter un avantage incontestable avec la convention de Lomé, Cotonou, fournissent à peine le double (857.000 tonnes) des toutes petites iles espagnoles des Canaries (420.000 tonnes). A peine 4 fois plus que la minuscule Martinique, avec 1.100 km2 et 382.000 habitants qui elle a fourni l’UE pour 220.000 tonnes de bananes, contre les 802 millions d’Africains Subsahariens (chiffres 2007).
  • Pire, la quantité des 79 pays ACP est le tiers de la quantité livrée à l’UE par l’Amérique du Sud qui ne bénéficie nullement des mêmes conventions, soit 2,5 millions de tonnes.

Il en ressort de ces deux points, une volonté de détourner l’Afrique des productions rentables comme la banane qui ne doivent selon cette logique purement coloniale, (même à plus de 50 ans de la reconnaissance par l’occident des indépendances africaines), réservant la production sur le sol africain, exclusivement aux occidentaux. Sur les 55.000 tonnes de bananes vendues dans le monde en 2010, 40% étaient produites en Asie, 27% en Amérique du Sud et seulement 13% en Afrique. Là il s’agit de la banane dite dessert, c’est-à-dire, la banane mangée comme fruit, la banane mure. Mais selon les chiffres fournis par la FAO, en 1995 il a été produit dans le monde 24.000 tonnes de banane à cuire dite verte, 17.000 tonnes étaient produites en Afrique, c’est-à-dire 71% et 4.000 tonnes en Amérique du Sud, c’est-à-dire 17%. On peut dès lors déduire que si les Africains ne produisent que les 13% de la banane mondiale, ce n’est pas à cause de leur incapacité mais à leur état de passivité mentale. On peut donc dire que le cerveau des Africains semble en sommeil lorsqu’il s’agit de produire pour vendre, pour vendre hors de l’Union Européenne. Ils sont alors à la merci des conseils savamment erronés que lui prodigue l’Union Européenne, c’est-à-dire la décourager à produire la banane pour la commercialisation, à moins que cette dernière ne soit entièrement sous le contrôle des entreprises occidentales installées en Afrique.

En 2007, 65% de la banane vendue sur le marché mondial provenaient de deux pays qui étaient auparavant, champions du café et qui ont tous les deux détruit les champs de ce maudit café, pour passer à la banane et c’est la Colombie et le Costa Rica. C’est ce qui a fait que la même année, sur les 10 pays plus gros exportateurs de la banane au monde, 7 étaient de l’Amérique du Sud, permettant à cette partie du monde de contrôler les 95% de la banane exportée dans le monde. Pendant ce temps, les Africains se préparaient à fêter les 50 ans d’indépendance, mais avaient toujours des difficultés à se défaire du commandement colonial de ne s’occuper que du café, du cacao et du coton, un autre produit tristement célèbre lié aux déportations des Africains vers l’Amérique pendant 4 longs siècles.

En 1978, le Maroc décide d’interdire l’activité d’importation de la banane. Le Roi avait tout simplement compris que la banane pouvait être un instrument de géostratégie entre les mains du royaume. Et malgré les conditions climatiques défavorables (contrairement au Congo ou au Cameroun), le Roi décide de créer des serres équipées et prêtes à produire avec des lotissements de 1,53 hectares donnés en location à un prix dérisoire à ses citoyens. Le Maroc qui importait chaque année 24.000 tonnes de banane en 1978, dès 1982 est capable de satisfaire sa demande interne au niveau d’avant l’interdiction. Selon un rapport publié par 3 professeurs : Skiredj, Walali et Attir de l’Institut Agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat, des 2 hectares de démarrage de la campagne 1980/81, on est passé à 2.700 hectares en 1996 et 3.500 hectares en 2011, avec une production annuelle de plus de 100.000 tonnes de bananes.

Que faut-il faire ?

La politique d’approche doit être radicale et en 3 directions :

  • 40% de la banane produite en Afrique pourrit par manque de marché à l’international. Pour y remédier, il faut procéder comme on l’a fait au Maroc : stimuler et organiser le marché intérieur en collectant systématiquement toute la banane-dessert disponible chez les petits producteurs pour les conserver dans les Murisseries desquelles les bananes sortiront muries dans les quantités correspondant à la demande du marché interne. [/*]
  • Démocratiser la production de la banane en créant de petites parcelles de plantation. C’est la seule possibilité pour rompre avec les pratiques coloniales de l’esclavage des plantations de banane qu’on observe encore de nos jours, non seulement en Afrique, mais aussi en Martinique et en Guadeloupe où la culture de la banane est solidement et exclusivement entre les mains des descendants d’anciens esclavagistes.
  • Pour produire, il faut savoir vendre. Le marché international de l’aviation comme des jouets répondent à des logiques spécifiques à chaque pays, à chaque produit et à chaque culture. Il faut avoir la flexibilité d’esprit de comprendre que le monde ne se limite pas à 4 pays Européens, fussent-ils les plus riches. Il existe une très forte marge pour le développement de la consommation de la banane dans de nombreux pays comme la Russie, l’Iran, la Turquie etc…

La solution coopérative

Il existe un marché interne africain à saisir, mais pour y arriver, il faut le stimuler et produire pour le satisfaire. Pour éviter le piège des multinationales du secteur de la banane il faut tout simplement démocratiser le business de la banane avec des petites parcelles ne pouvant excéder 5 hectares et surtout, être sûr et certain que les propriétaires sont ceux là-mêmes qui travaillent au quotidien dans ces plantations. Cela évitera le fâcheux problème de spéculation foncières qu’on retrouve dans certains pays où les autochtones se frottent les mains et font travailler des esclages venus d’ailleurs, comme en Côte d’Ivoire notamment. La coopérative doit donc véritablement regrouper uniquement les paysans faisant partie du projet, et c’est elle qui devra se charger de fournir les premières plantes de bananes aux agriculteurs. C’est elle qui ensuite doit se charger du contrôle de la qualité et du respect des normes internationales pour le gazage et le transport maritime, pour couvrir d’abord le marché national et après international.

Aujourd’hui, le vrai profit de la banane réside dans la distribution. Aucune politique ne sera complète et efficace pour sortir nos agriculteurs de la misère du café, du cacao et du coton si elle ne prend pas en compte la nécessité de créer des murisseries directement dans les grandes villes de nos pays afin d’instaurer une sorte de concentration dite « verticale ». C’est à ce prix qu’il sera possible de contourner certaines faiblesse du manque de compétitivité de la banane africaine, trop longtemps restées dans la logique d’infantilisation globale du continent africain par les européens. Pour stopper la logique coloniale des champs actuels de la banane, il faudra arriver à une transition vers ces petits propriétaires et éviter toute exploitation directe par des entreprises transnationales. C’est à ce prix que nous réussirons une véritable redistribution des retombées du fruit le plus consommé au monde, la banane. C’est ce qui se fait déjà dans de nombreux pays sud-américains où contrairement à l’Afrique, les gouvernants ont négocié pour obliger les entreprises multinationales du secteur à cesser de produire elles-mêmes, et acheter leurs cartons de bananes directement aux paysans.

L’exemple de la coopérative APROVAG (l’organisation de producteurs, Tambacounda) dans l’arrondissement de Missirah au Sénégal, me semble intéressante à signaler et à adapter ailleurs en Afrique. Ils se sont organisés de manière à dédier à la banane 16% de leurs terres, c’est-à-dire 0,25 des 1,63 hectares de chaque planteur, pour un total de 250 hectares consacrés à la culture de la banane, pour avoir de l’argent. En 2008, la production a été de 5.000 tonnes (avec une perte de 20% dû au manque de murisserie et 5% consommé par les agriculteurs eux-mêmes), la coopérative a ainsi vendu 4.000 tonnes de bananes, réalisant un petit pactole de 640.000.000 francs CFA (975 760 €) pour cette population villageoise estimée à près de 52 845 habitants, et une marge bénéficiaire nette de : 1 561 000 francs CFA par hectare dans les 3 communautés rurales : Missirah, Dialacoto et Néttéboulou. Cette coopérative a fait le choix pénalisant qui limite sa productivité à 20 tonnes à l’hectare, pour protéger la santé de ses membres, ayant renoncé aux engrais chimiques qui sont la principale source de malheur dans les plantations de bananes dites industrielles.

Jean-Paul Pougala, article à lire en entier sur son blog ou chez notre partenaire Next-Afrique

Notice biographique : Jean-Paul Pougala est écrivain camerounais, directeur de l’Institut d’Etudes Géostratégiques et professeur de sociologie à l’Université de la Diplomatie de Genève en Suisse.

Message de l'auteur  : Pour les jeunes résidant en Afrique qui voudraient se lancer dans la culture de la banane, adressez-vous à : afrique2022@gmail.com une documentation gratuite sera à votre disposition dès le mois d’Avril-Mai 2012. Et s’il y en a dans votre région, vous serez mis en contact direct avec un ou une agronome qui aura accepté d’adhérer à notre initiatives, vous servant d’appui comme Grand-frère ou Grande-soeur.(attention : afrique2022@gmail.com est réservé aux jeunes Africains qui veulent obtenir des conseils, pour démarrer ou pour prospérer dans un secteur donné alors que afrique2021@gmail.com est réservé à ceux qui veulent donner de leur temps, et servir de Grand-frère et Grande-sœur à nos jeunes).

L’Afrique doit-elle avoir peur du Libéralisme?

Pour Jean-Paul Sartre, l’enfer c’est les autres. De manière récurrente, voire obsessionnelle, cette idée est reprise en Afrique par les intellectuels, et souvent appliquée contre les politiques importées sur leur continent. La pauvreté et le retard dans le processus de développement seraient, selon eux, justifiés par l’échec de tentatives successives de « greffes » politiques forcées. Le cœur serré, ils appellent alors les Africains à écrire un modèle qui leur soit propre. Or, nous le savons, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Pourtant, il semble intéressant, et utile, de se demander si l’enjeu n’est pas démotivant car hors de portée ?

Nous retrouvons là encore Jean-Paul Sartre non pour son œuvre littéraire mais pour sa pensée politique ; pour lui, en effet, si le système ne s’adapte pas, il suffit de changer l’Homme. Cette conception, totalement utopique, est une aberration anthropologique. Elle permet, toutefois, d’insister sur une dimension trop souvent oubliée par les politiques actuelles : le système doit découler des comportements naturels de l’être humain, et non de volontés particulières ; à terme, jouer à Dieu ne tient pas. L’orgueil de cette conception thaumaturgique est immense ; ses applications peuvent être terribles ; mais, rapidement, le système s’effondre et engendre des troubles dont les peuples doivent endurer les conséquences. Ainsi si l’on doit réinventer la roue à chaque fois que l’on prend la route, il est probable que l’on n’ira pas bien loin. Ouvrons n’importe quel travail de recherche dans le monde, nous y trouverons inévitablement une liste importante de références bibliographiques. La moindre « Histoire de la philosophie » suffit, par exemple, à rappeler que l’idée d’une société humaine autorégulée, et s’adaptant sous l’effet des contraintes extérieures (ce qui deviendra le marché, et la fameuse « main invisible ») existait déjà … 5 siècles avant Jésus-Christ. Cela signifie que l’on part toujours d’une base conçue par d’autres, et ce souvent sans le savoir ; or, si l’on peut pardonner à une personne d’ignorer toute l’histoire de la sagesse du monde, il convient de ne pas lui pardonner de choisir, volontairement, de perdurer dans cette ignorance. C’est d’ailleurs la base de tout progrès que de se remettre en question et sans cesse vouloir faire mieux.

Plutôt que de refouler en bloc les modèles importés, ne serait-il pas temps pour les intellectuels africains d’accepter de se remettre en cause et de rechercher les problèmes structurels du retard de leur économie ? De faire l’effort de se libérer des idées reçues qui les aveuglent et les éloignent d’une voie de progrès accessible ?

Depuis leur indépendance, les pays africains n’ont connu que des politiques dirigées par des gouvernements ayant des pouvoirs sans limite. Certains ont affirmé être socialistes, d’autres libéraux, mais la finalité a été la même : l’Etat décide de tout et la population reste captive de ses caprices évoluant au gré de ses « soutiens » internationaux. Toute politique planifiée par essence est vouée à l’échec, qu’elle soit importée ou pas. En effet, le marché s’adapte en permanence, étant, tout simplement, la combinaison de toutes les volontés individuelles ; il est en l’Homme, il est l’essence même de l’humanité : l’échange. Or, la planification va à l’encontre de cette dynamique permanente et peut s’apparenter à la pose d’un garrot sur une jambe : le sang cesse de circuler, les tissus meurent, il faut couper. L’économie fonctionne de même et les garrots de la planification la dégradent à chaque intervention. Dans un tel contexte, on peut comprendre le mal-être de ces intellectuels qui crient à l’invasion de modèles infructueux.

Ces mêmes intellectuels s’empressent cependant d’accuser les politiques libérales du chaos à travers un système immoral qui exploiterait les pauvres par les riches, à travers des monopoles qui écrasent les économies locales, des politiques de privatisation dangereuses, une mondialisation immorale, etc. Alors que l’intellectuel est censé éclairer les populations, on se rend compte que, malheureusement, par de telles communications ils les aveuglent et les oppriment dans une promiscuité intellectuelle atterrante. Que la démarche soit intentionnelle ou pas, la finalité est grave. Pourtant, le premier des intellectuels célèbres, Socrate, rappelait que la seule chose dont le Sage doit être sûr est qu’il ne sait rien et qu’il doit demeurer modeste quant à ses prises de position dans les décisions relatives à la vie d’un Peuple. Il est aussi préjudiciable à l’intérêt commun que des individus éclairés soutiennent des gouvernements corrompus et corrupteurs ; c’est en cautionnant les pires images, les pires situations, que s’instille dans les sociétés africaines tout ce, qu’ensuite, ces mêmes intellectuels vont critiquer.

S’ils faisaient preuve d’honnêteté, ces intellectuels se poseraient des questions de fonds : Le libéral peut-il s’accommoder de monopoles ? Aberration ! Les monopoles ne peuvent exister que s’ils sont protégés par des gouvernements forts et corrompus et cela est aux antipodes du libéralisme qui, lui et lui seul, prône haut et fort l’adaptation des productions aux besoins de la population (adaptation spontanée de l’offre à la demande) et la transparence. Les privatisations maladroitement présentées comme des dangers se sont résumées en Afrique à un passage d’un monopole d’Etat à un monopole privé et protégé. Ce n’est plus, en pareille situation, la loi du marché et de l’échange prônés par le militant libéral. Cette domination du riche sur le pauvre serait-elle le fait des politiques libérales ? N’a-t-on pas constaté dans les pays d’union soviétique une domination absolue d’un groupe de privilégiés sur un peuple écrasé ? N’est-ce pas justement un manque absolu de liberté individuelle qui permet à quelques dirigeants de dominer leur peuple, de le maintenir, par la concentration malsaine des instruments de production et de distribution, dans la misère ?

Une brève analyse peu poussée oblige à voir que dans le monde les pays les plus libres sont aussi les plus riches. L’inégalité demeure toujours mais, dans ces pays, la pauvreté est moindre. Au-delà, ce sont les pays les plus riches qui sont en tête de liste des donateurs dans le monde, il est donc difficile de parler d’immoralité totale. Pourquoi emporter l’opinion dans de fausses analyses ? Pour préserver le pouvoir absolu des pouvoirs en place ? Question certes malsaine mais qui mérite d’être posée. Ainsi, si les intellectuels trouvaient dans le libéralisme « non le meilleur des systèmes, mais le moins préjudiciable », ils accepteraient, enfin, de mobiliser leur sphère d’influence au profit des Peuples qu’ils prétendent éclairer et que, pour l’instant, ils contribuent par leur silence, ou leurs prises de positions favorables au tout-à-l’égo-étatique, à une concentration des pouvoirs et des richesses entre des mains toujours plus avides.

Il est clair que le libéralisme ne peut être responsable des maux du continent puisqu’il ne l’a pas connu depuis les indépendances. Alors que les politiques importées effraient, le libéralisme semble bien la voie indiquée. En effet, le fondement du libéralisme réside avant tout en l’Homme, en sa créativité, sa responsabilité, sa faculté à créer sa propre richesse, la propriété privée, son initiative individuelle. Le rôle de l’Etat pour le libéral se résume à la protection de l’activité humaine à travers la justice et la défense ; ces deux grands axes sont d’ailleurs rappelés par les religions du livre, le Judaïsme, le Christianisme, l’Islam. L’Etat doit seulement veiller à ce que les hommes puissent mener à bien leurs activités sans entraves inutiles. Or, la séparation de la sphère personnelle (je possède) de la sphère publique (si tu veux voler mon bien l’Etat doit me défendre afin d’éviter un cycle sans fin de vengeance et de justice privée), ne signifie en rien que les politiques aient un droit « sacré » à dire ce qui est bien ou pas, voire même qu’ils mobilisent les instruments de maintien de l’ordre, et de Justice, pour aliéner la population et la maintenir dans la servilité.

On peut donc définir le libéralisme comme un cadre épousant spontanément l’activité humaine car étant le système spontanément engendré par la rencontre d’au moins deux personnes, l’essence même et de notre nature, et de nos desseins. Dans un tel cadre, les populations s’expriment avec leurs propres cultures dans une flexibilité telle que l’on ne peut honnêtement parler de modèle importé ; le libéralisme ne peut d’ailleurs être « importé », puisqu’il n’a pas de forme figée mais, uniquement, des principes fondamentaux. Peut-on reprocher à l’Homme de vouloir être humain avant d’être un animal sociable ? Peut-on reprocher aux Peuples de vouloir vivre conformément à leurs habitudes ancestrales ? Peut-on reprocher, enfin, à nos enfants de chercher à se dépasser, sans cesse, sans qu’aucun pouvoir ne les en empêche ? Or, sur ces trois grandes questions, porteuses de tant d’autres, la pensée libérale rejoint les vœux déjà émis par les intellectuels ivoiriens qui, souvent, ont fait un rêve ; et ce rêve, nous le partageons depuis toujours puisqu’il est l’essence même de notre engagement.

 

Nicolas Madelénat di Florio et Gisèle Dutheuil de l'Audace Institut Afrique

Publié sur Pensées Noirées et Audace Institut Afrique

Histoire de l’Afrique ancienne (VIIIè s. – XVIè S.)

  Incroyable ! Mon Dieu, quelle nouvelle ! « L'Afrique a une histoire » ! Oui, vous avez bien lu : « l'Afrique a une histoire ». Ce sont les mots qui commencent ce dossier de la revue française La documentation photographique. On ne peut s'empêcher, en les lisant, de penser au fameux discours de Dakar.

Ainsi donc les pages de la vie de l'Afrique noire ne sont pas vides ou plutôt remplies du ron-ron de l'éternel recommencement qui a fait que, selon certains, l'homme noir n'est jamais entré dans l'histoire de l'humanité. Mais balayons notre colère, puisque tous les Africains sont convaincus en leur for intérieur que « moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête. » (André Gide, in Voyage au Congo).

C'est pourquoi, la première des choses que reconnaissent les auteurs de ce document, ce sont les préjugés fortement ancrés dans l'inconscient collectif européen et au premier desquels ils retiennent le déni d'une histoire africaine. A quoi tient ce préjugé ? Au seul fait que l'Europe a parlé de l'Africain sans jamais l'écouter, sans jamais prendre en compte sa parole. « Pourtant (…), les sources, tant orales qu'écrites ne manquent pas pour écrire une histoire longue de l'Afrique », assurent Pierre Boilley et Jean-Pierre Chrétien. Aussi tentent-ils de nous faire découvrir cette Afrique ancienne qu'ils évitent d'appeler « le Moyen-âge africain » ; le terme renvoyant trop à une conception européenne de l'histoire d'une époque.

Reconnaissant que l'Afrique ne peut-être considérée comme « un vaste ensemble homogène » où les hommes ne connaissent qu'un destin commun, ils nous proposent de découvrir plutôt « des mondes africains » ou des histoires africaines. Pour ce faire, ils ont déterminé trois zones géographiques : une Afrique occidentale liée au nord de L'Afrique puis à l'Europe (Empire du Ghana, empire du Mali, Empire Songhaï), une Afrique Orientale ouverte sur l'océan Indien et le monde asiatique (outre les héritages antiques de Nubie et d'Ethiopie), et une Afrique centrale et méridionale de peuplement essentiellement bantou malgré sa diversité culturelle. Cependant, au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture de cette Histoire de l'Afrique ancienne, on a le sentiment de plonger dans celle de l'humanité tout entière parce que les connexions avec les autres parties du monde se révèlent de manière tout à fait éclatante. Et on se dit que le goût des voyages ne date pas de notre époque !

On finit par se convaincre que cet excellent travail sur l'histoire de l'Afrique ancienne de notre ère – un travail de vrais historiens au service de l'humanité – s'adresse avant tout aux Européens qui enseignent dans leurs écoles et leurs universités une l'histoire de l'Afrique qui n'est rien d'autre qu'une « histoire de leur conquête et de leur oeuvre coloniale ». Chacun devra en effet retenir qu'ils n'enseignent « en réalité (que) l'histoire de l'Europe en Afrique et non l'histoire des Africains eux-mêmes ». La soixantaine de pages de ce dossier, illustré de magnifiques photos et cartes à caractère pédagogique, suffit pour abreuver l'esprit du lecteur d'une multitude de connaissances qui bouleversent des croyances communément admises. Ainsi les chapitres consacrés à l'image des Africains dans l'Europe médiévale, la renommée mondiale de l'Empereur du Mali, la relation diplomatique entre les rois du Kongo et du Portugal ne pourront que l'étonner.

Beaucoup de monde oublie ou ignore que les civilisations naissent et meurent, fleurissent puis s'étiolent, dominent puis sont soumises. L'Afrique noire a connu tout cela. Qui aurait cru que c'est en Afrique noire, dans l'actuel Mali (à Ounjougon) que les plus anciennes céramiques connues au monde (10 000 ans avt. J.C.) ont été retrouvées. Un détail matériel qui se révèle un grand pas dans l'histoire de l'humanité puisqu'il est une marque du génie humain. Mais l'Afrique, berceau de l'humanité n'a pas besoin de donner la preuve de son génie puisque c'est là qu'est né le génie humain. Ce qui fait dire à un historien anglais cette parole que chacun doit méditer pour éviter de dire des bêtises sur le génie africain : « Les Africains ont été, et sont toujours, ces pionniers qui ont colonisé une région particulièrement hostile du monde au nom de toute la race humaine. En cela réside leur principale contribution à l'histoire ». 

Raphaël ADJOBI, article initialement paru sur son blog

 

Titre : Histoire de l'Afrique ancienne (VIIIè – XVIè), 63 pages                                                                                  

Editeur : La documentation française ; mai – juin 2010 ; dossier n° 8075 

Fatou Bensouda, élection de consensus ou élection partisane ?

 

La Cour Pénale internationale (CPI) a suscité beaucoup d’espoir parmi les défenseurs des Droits humains[1]. Nécessaire pour certaines voix car nous n’avons pas trouvé mieux pour juger les auteurs de certains crimes à caractère international face à l’impunité de certains Etats. Détestée, illégitime pour d’autres, car elle est impartiale et viole la Souveraineté des Etats. 

Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, la CPI est une réalité politique, juridique au niveau national et international.  Mise en place par le Traité de Rome du 17 juillet 1998 et entrée en vigueur le 1er juillet 2002, à ce jour 120 Etats ont ratifié le Traité de Rome. Nous pouvons regretter que parmi les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, la Chine, la Russie, les Etats-Unis d’Amérique ne soient pas signataires du Traité.[2]    

Sa compétence conformément à l’article 5 du Traité est limitée aux crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale. En vertu du présent Statut, la Cour a compétence à l'égard des crimes suivants :

– Le crime de génocide ;

– Les crimes contre l'humanité ;

– Les crimes de guerre ;

– Le crime d'agression.   

Sa seconde mission était de remplacer les juridictions internationales spéciales créées suite aux crimes commis dans les années 90 au Rwanda et dans l’ex Yougoslavie.

C’est dans le cadre de cette internationalisation de la justice pénale que Mme Fatou Bensouda a commencé sa première expérience de procureur spécialisé dans les crimes prohibés par la Convention de Genève du 12 août 1949.  Occupant les postes de conseiller juridique et de substitut du Procureur au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à Arusha (Tanzanie), elle a été promue au rang de conseillère juridique principale et de chef du Groupe des avis juridiques.

Gambienne, elle est titulaire d’une maîtrise en droit maritime international et en droit de la Mer. Devenant la première experte dans son pays en droit maritime international, elle s’est orientée vers le droit pénal international.

Après sa mission au TPIR, le 8 septembre 2004 l’Assemblée des États parties l’a élue au poste de procureur adjoint de la CPI. A ce titre, elle supervise la Division des poursuites du Bureau du Procureur Luis Moreno-Ocampo qui a pris ses fonctions le 16 juin 2003. Non rééligible conformément à l’article 42 alinéa 4 du Traité de Rome du 17 juillet 1998, son successeur sera son adjointe, Mme Bensouda, élue par consensus[3] le 12 décembre 2011 à la dixième session de l'Assemblée des États Parties à New York. Elle devrait entrer en fonction en juin 2012.

Malgré les nombreuses critiques à son égard, le Procureur argentin de la CPI a contribué tout de même à faire sortir de l’ombre cette juridiction internationale qui était peu connue du grand public. Comme toute médiatisation, cela suscite des débats animés autour de la légitimité de cette juridiction et des personnes qui la composent.

Espérons que Fatou Bensouda, la probable future Procureure de la CPI, parvienne à faire oublier qu’elle n’est pas la représentante d’un pays, d’un continent, ou d’une sphère d’influence mais d’une justice pénale internationale garante de la protection des droits fondamentaux de tous les humains. Aussi que sa compétence sera réellement universelle et impartiale[4] qui sont les clés de voute d’une justice inspirant confiance des citoyens en retrouvant sa mission première qui est de trancher un différend dans la raison et non dans la passion humaine, porte ouverte à tous les excès.        

Joanes Louis


[1] Expression plus conforme à l’idée d’égalité entre les femmes et les hommes.

[2] Il est surprenant d’entendre de la part de certaines autorités américaines une demande de saisine de la CPI pour certains actes qualifiés de crimes contre l’humanité à l’égard de certains chefs d’Etat, alors que cet Etat ne reconnaît pas cette juridiction dans son ordre interne…

[3] Le Procureur est désigné selon une procédure complexe. Les Statuts privilégient le Consensus, c’est en cas d’échec que celui-ci est élu par les Etats parties. En ce qui concerne Mme Bensouda, ce consensus a été construit autour de 60 Etats. Donc nous ne pouvons pas dire que c’est la candidate d’un continent. Par contre un consensus s’est dégagé par les Etats parties au Traité pour que le futur Procureur soit issu du continent africain. 

[4] Le Bureau du Procureur mène en ce moment des enquêtes à propos de quatre situations : Nord de l’Ouganda (l’affaire Le Procureur c/Joseph Kony, Vincent Otti, Okot Odhiambo et Dominic Ongwen) ; République démocratique du Congo (les trois affaires  Le Procureur c/Thomas Lubanga Dyilo ; Le Procureur c/Bosco Ntaganda  ; et  Le Procureur c/Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui);  Darfour, Soudan (les trois affaires Le Procureur c/Ahmad Muhammad Harun "Ahmad Harun" et Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman "Ali Kushayb"; Le Procureur c/ Omar Hassan Ahmad Al Bashir; et  Le Procureur c/ Bahr Idriss Abu Garda); République centrafricaine (l'affaire Le Procurer c/Jean-Pierre Bemba Gombo), le Kenya et Libye.

Le Bureau du Procureur effectue actuellement examen préliminaire dans un certain nombre de pays dont l’Afghanistanla Géorgiela Guinée , la Côte d’IvoirePalestinela Colombiele Hondurasla Corée et le Nigeria.

Nous pouvons constater qu’une partie des actions en justice sont menées contre des Etats à Souveraineté limitée.



Frantz Fanon (2) : Peau noire, masques blancs

En 1952, Fanon publie un livre qui est une sorte de décryptage de l'aliénation. Le titre de son ouvrage Peau noire masques blancs exprime l'orientation de ses préoccupations : suivre le cheminement qui fait d'un Noir un "Nègre blanc". A partir de ses propres expériences, Fanon veut mettre en évidence, à l'intention du colonisé, les mécanismes psychosociaux qui lui masquent les causes de son oppression et l'aider ainsi à se libérer des complexes dont il est victime par le fait colonial : « Ce travail voudrait être un miroir à infrastructure progressive où  pourrait se retrouver le Noir en voie de désaliénation ».

Le cliché racial

Loin d'être une entreprise civilisatrice, nous dit Fanon, la colonisation est avant tout « une gigantesque affaire commerciale », un acte de pillage, donc d'asservissement. Mais « il n'est pas possible d'asservir des hommes sans logiquement les inférioriser de part en part ». D'où la fabrication du racisme « qui n'est que l'explication émotionnelle, affective, quelquefois intellectuelle de cette infériorisation ». Et ce racisme à une double fonction :

1/ Légitimer l'asservissement des peuples colonisés en présentant la colonisation comme une nécessité historique, morale même, découlant de la présupposé supériorité du Blanc et de la barbarie du Noir. Car dans cet Occident chrétien, il était difficile de justifier par la seule poursuite de l'intérêt et le seul droit du plus armé, l'oppression d'autres populations humaines, d'autres "créatures de Dieu". Aussi fallut-il faire de l'Afrique « un repaire de sauvages, un pays infesté de superstitions et de fanatisme, voué au mépris, lourd de la malédiction de Dieu, pays d'anthropophages, pays de nègres » qu'il fallait civiliser. Le cliché racial, raciste était né.

2/ Diminuer la volonté de résistance des colonisés en leur faisant voir la cause de leur oppression dans leur propre infériorité, c'est-à-dire en les aliénant culturellement. En effet, « quand on réfléchit aux efforts qui ont été déployés pour réaliser l'aliénation culturelle si caractéristique de l’époque coloniale, on comprend que rien n'a été fait au hasard et que le résultat global recherché par la domination coloniale était bien de convaincre les indigènes que le colonialisme devait les arracher à la nuit. Le résultat consciemment recherché par le colonialisme était d'enfoncer dans la tête des indigènes que le départ du colon signifierait pour eux retour à la barbarie, encanaillement, et  animalisation ». Pour atteindre cet objectif, les colons ne vont pas lésiner sur les moyens : « l'expropriation, le dépouillement, la razzia, le meurtre objectif vont se doubler d'une mise à sac des schémas culturels » du colonisé.
C'est ainsi qu'on va assister à la destruction des valeurs  et des modalités d'existence du colonisé, à la dévalorisation de son langage, de son habillement, de ses techniques. Tout cela « pour l'amener à confesser l'infériorité de sa culture, à reconnaître l'irrationalité de sa nation et, à l'extrême, le caractère inorganisé et non fini de sa propre structure biologique », afin d'évacuer en lui toute velléité de rébellion. Mais devant cette agression culturelle, comment va réagir le colonisé ?

L'aliénation culturelle

Dans un premier temps, « ayant assisté à la liquidation de ses systèmes de références, à l'écroulement de ses schémas culturels, il ne lui reste plus qu’à reconnaître avec l'occupant que Dieu n'est pas de son côté ». En effet, l'oppresseur, par le caractère global et effrayant de son autorité, arrive à imposer au colonisé de nouvelles façons de voir singulièrement péjoratives à l'égard de ses formes originelles. Ainsi le Noir, intériorisant le regard dépréciatif porté par le colon sur lui, en vient à souffrir de ne pas être Blanc et à vouloir se lactifier. C'est le phénomène de l'aliénation culturelle.

Les indices du comportement aliéné du colonisé se manifestent tout d'abord dans son rapport avec sa propre culture et avec la société coloniale. Sur le plan culturel, l'aliénation se traduit par l'inhibition, l'intériorisation des valeurs censées fonder la suprématie du colonisateur, notamment la langue : « Parler une langue, c’est assumer une culture, un monde… Le Noir sera d'autant plus Blanc, c'est-à-dire se rapprochera plus du véritable homme qu'il aura fait sienne la langue française ».

La libération culturelle

Dans un second temps, sentant qu'il est en train de se perdre, de s'enliser dans la culture du colon, le colonisé fait volte-face et revient vers ses racines. En effet, « pour assurer son salut, pour échapper à la suprématie de la culture blanche, le colonisé sent la nécessité de revenir vers des racines ignorées. Parce qu'il se sent devenir aliéné, le colonisé s'arrache du marais où il risquait de s'enliser et, à corps perdu, il accepte, il décide d'assumer, il confirme sa culture, il revendique avec fierté son passé anté-colonial ». Cette plongée dans le gouffre du passé – condition de liberté – peut être aussi source de liberté si le colonisé, après s'être écarté « de la grande erreur blanche », n'est pas victime du « grand mirage noir », la négritude.

Tout en reconnaissant la Négritude comme un élément historiquement et psychologiquement nécessaire, Fanon s'en méfie. Pour lui, s'appuyer sur le passé n'a de sens qu'au contact de la réalité actuelle, faute de quoi la culture devient folklore : « Je ne veux pas chanter le passé aux dépens de mon présent et de mon avenir ». Pour Fanon, l'entreprise de libération culturelle ne saurait s'arrêter à la seule revalorisation d'un patrimoine ancestral car la « situation coloniale arrête dans sa quasi totalité la culture nationale. Il n'y a pas, il ne saurait y avoir de culture nationale, de vie culturelle nationale, d'inventions culturelles ou de transformation culturelle dans le cadre d'une domination coloniale ».

Aussi longtemps qu'un pays n'est pas réellement indépendant, il faut que toute activité culturelle ait un caractère militant car il s'agit avant tout de créer les bases d'une culture nationale : « La culture négro-africaine, c'est autour de la lutte des peuples qu'elle se densifie et non autour des chants, des poèmes ou du folklore. Senghor, qui est également membre de la Société Africaine de Culture… n'a pas craint, lui non plus, de donner l'ordre à sa délégation d'appuyer les thèses françaises sur l'Algérie. L'adhésion à la culture négro-africaine, à l'unité culturelle de l'Afrique, passe d'abord par un soutien inconditionnel à la lutte de libération des peuples. On ne peut pas vouloir le rayonnement de la culture africaine si on ne contribue pas concrètement à l'existence des conditions de cette culture, c'est à dire à la libération du continent… Se battre pour la culture nationale, c'est d'abord se battre pour la libération de la nation, matrice matérielle à partir de laquelle la culture devient possible ».
La lutte contre l'aliénation culturelle est donc intrinsèquement liée à la lutte de libération nationale. Et pour Fanon, le contenu violent de cette lutte n'est pas destructeur mais a un caractère émancipateur.

 

David Gakunzi, article initialement publié sur Africa Time for Peace et Pensées Noires