La monnaie crée-t-elle de la richesse?

La causalité entre la création monétaire et la création de richesses économiques a longtemps été débattue sans qu’une issue consensuelle ne soit trouvée. Cependant, l’existence d’un lien et le choix du sens de celui-ci est essentielle pour la mise en œuvre des politiques publiques. Cette analyse défend que la création de la richesse économique résulte principalement de la possibilité d’une création monétaire et que cette causalité est plus forte dans les pays en développement.

L’un des paradigmes des dernières décennies considère que la monnaie est neutre dans le processus de création de la richesse économique. Pour cela, le principal, et souvent unique, objectif assigné aux banques centrales est la stabilité des prix. Néanmoins, à l’issue des négociations sur la crise de la dette au sein de l’Union Européenne, davantage de pouvoir a été accordé à la Banque Centrale Européenne (BCE) pour agir au-delà de son objectif de stabilité des prix. De même aux Etats-Unis, la Réserve Fédérale est tenue constitutionnellement de maintenir la stabilité des prix et d’assurer le plein emploi. Ces deux exemples illustrent l’importance de la politique monétaire dans la production de la richesse dans une économie.

Dans les pays africains de la zone franc, cependant, la politique monétaire consiste exclusivement à contrôler l’inflation. Sans juger de la pertinence d’un tel choix, il importe de questionner le sens de la relation entre la politique monétaire et les performances économiques d’un pays. Autrement dit, la monnaie crée-t-elle de la richesse ? Ou est-ce plutôt la richesse qui crée la monnaie, ou les deux à la fois ? La question de la causalité entre la création monétaire et la création de la richesse économique a été longtemps discutée par les économistes sans qu’une réponse tranchée ne soit trouvée.

Par exemple, les classiques considèrent que la monnaie est neutre. Ainsi, la création de la monnaie n’a aucun impact sur la production de biens et de services dans l’économie. Contrairement aux classiques, les keynésiens considèrent que la monnaie joue un rôle prépondérant dans la création de la richesse à travers la relation qui existe entre son prix, c'est-à-dire le taux d’intérêt, et le niveau des investissements. Entre ces deux écoles de pensées se situent les monétaristes qui considèrent l’importance de la création monétaire dans la création de la richesse mais insistent sur ses conséquences inflationnistes dans l’économie. Cette dernière théorie a été appliquée dans la plupart des Etats avec des pondérations relatives à l’inflation et à la production différentes.

Cette discussion théorique qui assimile la création de la richesse à une combinaison entre la stabilité des prix et le plein emploi semble être plus appropriée aux économies développées. C'est tout le contraire dans les pays en développement où la création de la richesse est dans ses phases initiales et est plus dépendante de la création d’entreprises que de la création d’emplois. Il s’agit en effet de la mise en œuvre d’activités génératrices d’emplois. Dans ces économies, la création de nouvelles activités précèdent la création d’emplois. Et cette dimension devrait être prise en compte dans tout examen du lien de causalité entre création monétaire et richesse économique.

En abordant la question sous cet angle et en considérant la création monétaire comme une allocation de crédits, il s’agira alors de déterminer pourquoi les crédits sont alloués dans une économie. Il importe à ce stade de distinguer entre les crédits alloués à l’Etat et aux ménages pour des fins de consommation et ceux alloués aux entrepreneurs. Bien que ces deux types de crédits soient complémentaires, le dernier type de crédit est celui qui mérite le plus d’attention, compte tenu de son incidence significative sur l’activité économique.

En effet, sous l’hypothèse que les banques commerciales octroient des crédits aux projets les plus rentables, les crédits aux entrepreneurs constituent le véritable moteur de la croissance économique. Chaque centime est prêté pour générer des biens et/ou services équivalent à deux, trois voire quatre centimes. Une fois que le principal est remboursé, la différence constitue une richesse économique réelle créée à partir de la décision du banquier d’accorder un crédit à l’entrepreneur. Ainsi, le crédit est alloué parce que le banquier s'attend à ce que de la richesse soit effectivement créée. On pourrait dès lors conclure que c’est la richesse qui crée la monnaie. Toutefois, la décision du banquier n’intervient qu'en second lieu.

En réalité, la possibilité pour le banquier d’envisager une création future de richesses est soumise à trois conditions. D’abord, il faut qu’il existe des débouchés sur le marché, c’est-à-dire une demande potentielle de biens et de services. Ensuite, il faut que l’environnement des affaires soit bien assaini. Cela suppose que les institutions étatiques fonctionnent de manière à assurer le droit de propriété et le règlement des différents. Enfin, il faut que l’entrepreneur s'attende à obtenir un crédit s'il soumet un projet rentable.

Sous l’hypothèse d’un bon fonctionnement des institutions étatiques, la première et la dernière conditions sont déterminées par la création monétaire qui est seulement limitée par le coût de la création. Ainsi, d’une part en allouant du crédit aux entreprises, la création monétaire soutient l’offre de biens et de services. En même temps, elle crée les conditions favorables à une allocation de crédit à l’Etat grâce aux taxes sur l’activité économique et aux ménages en vertu des revenus de leur travail. D’autre part, l’allocation de crédit à l’Etat et aux ménages permet d’assurer l’existence d’une demande capable de s’ajuster à l’offre; et ainsi se réalise l’équilibre.

Par conséquent, la création monétaire et plus précisément la politique monétaire semble être le principal créateur de richesse dans une économie. C'est encore plus vrai dans les pays en développement qui présentent des projets plus rentables et qui ont besoin de croissance économique pour se développer. Faut-il rappeler ici la célèbre phrase de Mayer Amschel Rothschild : « Donnez-moi le droit de contrôler et d’émettre la monnaie d’une nation, et alors peu m’importe qui fait ses lois ».

Il en ressort que la politique monétaire est une composante indispensable de la politique économique que tout pays aspire à maîtriser. Il appartient aux pays en développement notamment ceux de la zone franc d’identifier les voies et moyens nécessaires pour mettre leur politique monétaire au service de leur développement.

Georges Vivien Houngbonon

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