Quelle maîtrise de la hausse mondiale des prix alimentaires en Afrique de l’Ouest ?

La réaction des autorités gouvernementales en Afrique de l'Ouest suite à la flambée des prix alimentaires mondiaux en 2007-08, a été prompte et immédiate du fait des manifestations de mécontentement des consommateurs urbains. Les décideurs de la sous-région ont apporté des réponses variées dans le court terme, en mettant en œuvre des mesures d’urgence comme la suspension des droits de douane et/ou de la TVA, la fixation et le contrôle des prix de produits de première nécessité, les subventions à la consommation, ou l’interdiction d’exporter des denrées alimentaires.

Cet article examine ces mesures, analyse leur répercussion sur les marchés intérieurs et évalue leur efficacité par rapport aux objectifs qui leur ont été assignés. Il s’inscrit dans le cadre d’une étude réalisée par les systèmes d’information sur les marchés (SIMs),sous la supervision technique de PROMISAM/Michigan State University, réalisée en janvier 2010 avec le financement de « la Fondation Syngenta pour une Agriculture Durable ». L’étude a couvert le Burkina, la Guinée-Conakry, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger et le Sénégal. Ces pays sont pour la plupart très dépendants des importations de riz.

Impact des exonérations de taxes sur les importations

Au Mali, les exonérations de taxes sur les importations ont porté sur le riz avec la suppression de la TVA et des droits de douanes en 2008 et 2009. Ces mesures ont eu un effet sur les prix à la consommation du riz importé, peu d’impact sur celui du riz local et un effet stabilisateur sur le prix à la consommation des céréales sèches (Cf. Efficacité des politiques de stabilisation des prix alimentaires en Afrique de l’ouest, Galtier, 2009). Au Niger, la détaxation sur le riz et le sucre s’est soldée par un manque à gagner d’environ 12 milliards de Fcfa en 2008, sans grand effet sur le niveau des prix. Au Burkina, de février à mars 2008, le gouvernement a pris des mesures de suspension des droits de douane à l’importation du riz, du sel, des produits à base de lait ainsi que la suspension de la TVA sur le blé dur. Mais l’inflation générale n’a pas été combattue pour autant. En Côte d'Ivoire, des allègements fiscaux significatifs ont été consentis sur le riz, la viande, le lait, l’huile de palme raffinée, la tomate, le sucre, la farine et le poisson. Au Sénégal, la suspension des droits de douane de 10 % sur le prix du riz à partir de 2007 a été insignifiante pour juguler une hausse de prix de 60% et a engendré un manque à gagner de l’ordre de 30 milliards de Fcfa sur la période allant de juillet 2007 à mars 2008. En Guinée, ce sont environ 22 milliards de FG de manque à gagner enregistrés sur les droits de douane sur les importations de riz.

En résumé, bien qu’adaptées à la situation d’inflation «importée », les exonérations sur les importations ont eu peu d'impact sur le niveau des prix domestiques. De plus, la charge a pesé lourdement sur les finances publiques. Ces résultats militent en faveur de la mise en place de filets de sécurité ciblés dont l’objectif est d’apporter une réponse pérenne à l’instabilité des prix alimentaires.

Impact des prohibitions des exportations

La prohibition systématique des exportations a été une politique assez couramment utilisée en Afrique dans les situations de crise alimentaire. Bien que plusieurs pays de la sous-région aient eu recours formellement ou informellement à cette forme de restriction, peu de pays ont en réalité réussi à réduire les prix domestiques et à garantir un accès aisé aux denrées de première nécessité à leurs populations. Au Mali, un des pays ayant officiellement reconnu avoir utilisé cette politique, l’effet de la prohibition a eu un effet mitigé sur le prix à la consommation du riz et des céréales sèches. En effet, cette mesure a été contournée par certains opérateurs et des taxes informelles ont été perçues au détriment des caisses de l’Etat. De même, les périodes de prohibition de juillet à septembre 2007 et de janvier à novembre 2008 n’ont pas empêché les prix à la consommation en général de grimper au niveau de la plupart des marchés transfrontaliers avec un effet dépressif sur les prix à la production.

Selon Diarra et Dembélé [Cf. Reconnaissance rapide sur l’impact des restrictions à l’exportation des céréales en 2008 au Mali, 2008), cette mesure a entrainé une hausse des stocks de l’ordre de 10000 tonnes de maïs à Sikasso et Koutiala et 200 tonnes de mil à Niono en partance pour la Mauritanie. Paradoxalement, la mesure n’a également pas empêché un accroissement des transactions de céréales entre le Mali et le Niger d’une part et le Mali et le Sénégal d’autre part. Les flux de maïs du Mali et de la Côte d’Ivoire sont passés de 8384 tonnes à 10810 tonnes. Selon la plupart des analystes, les restrictions aux exportations n’empêchent pas en réalité la sortie de céréales aussi longtemps que les écarts de prix entre pays voisins incitent au commerce. L’expérience vécue au Mali en est une parfaite illustration.

Impact du soutien à la production

L’idée du soutien à la production repose sur l’hypothèse qu’un meilleur accès aux intrants augmentera la production qui à son tour fera baisser les prix. Pour faire face à la crise alimentaire mondiale, la plupart des pays ont invoqué l'objectif d’autosuffisance alimentaire afin de réduire leur dépendance aux importations. Au Sénégal, la grande offensive pour la nourriture et l’abondance (GOANA) a visé la production de 2 millions de tonnes de maïs, 3 millions de manioc, 500000 tonnes de riz, 2 millions de céréales sèches… pour un coût estimé à environ 344 milliards Fcfa. Au Mali, le gouvernement a fixé un objectif de production de 1 million de tonnes de riz marchand pour un coût évalué à environ 42, 6 milliards Fcfa pour rendre disponible à des coûts abordables les intrants (vente d'engrais à crédit, semences subventionnées à 60%) et les équipements agricoles. Au Burkina, durant la campagne 2009-2010, environ 100000 ha de riz ont été emblavés pour une production estimée de 300000 tonnes, soit 20% de hausse par rapport à l’année précédente. L’objectif est de faire baisser les prix au consommateur tout en évitant une trop forte baisse des prix au producteur.

Mais, l’expérience a souvent démontré que cette politique s’avère difficile à mettre en œuvre (retard dans l’approvisionnement, qualité des intrants, faible accompagnement par la vulgarisation). Au Mali, l’initiative riz a entrainé une augmentation significative de la production et de l’offre de riz sur les marchés mais malgré cette offensive, les prix à la consommation du riz, du mil et du sorgho ont connu une relative hausse entre mai et septembre 2009. Seul le prix du maïs a connu une certaine stabilité durant la période. Au niveau de la plupart des pays étudiés, la politique des subventions aux intrants a été coûteuse et les technologies utilisées peu performantes. Dans certains cas, les problèmes de gouvernance dans la fourniture des intrants ont plutôt servi à entretenir des réseaux clientélistes (Galtier, 2009) au détriment des effets de stabilisation recherchés.

Effets des stocks publics et privés

Les stocks publics consistent à gérer les excédents et les déficits. Une bonne récolte ou succession de bonnes récoltes génère des excédents, qui font chuter les prix et si on veut empêcher ceux-ci de descendre trop bas, il est nécessaire de retirer des excédents du marché. Réciproquement, en cas de mauvaises récoltes, il sera nécessaire d’alimenter le marché pour empêcher les prix de monter trop haut. Suite à la flambée des prix, la plupart des pays ont réagi en relevant les prix minimum afin de reconstituer les stocks publics et stabiliser en temps opportun les prix intérieurs. Le niveau des stocks nationaux de sécurité alimentaire (SNS) de 50000, 35000, 45000 tonnes respectivement au Niger, Mali et Burkina, n’ont hélas pas toujours permis de réduire significativement la vulnérabilité des populations ou d’éviter les pics de prix pendant les périodes de soudure dus à la faiblesse des stockages interannuels. Dans la réalité, ce sont les stocks privés plutôt que les stocks publics qui, en année normale, amortissent la saisonnalité des prix à la consommation des céréales.

La forte saisonnalité des prix à la production est en général expliquée par la faiblesse des stocks-producteurs. Bien que les stocks publics se soient avérés utiles, leur achat et leur entreposage imposent inévitablement d’importants coûts budgétaires et leur efficacité est limité dans le temps. Cependant, leur influence est réelle par les effets d’annonce. Pour résumer, les effets des stocks publics sont importants mais la régulation de l’offre ne peut se faire sans une intensification des échanges internes, sans l’amélioration des conditions du stockage privé et sans le recours au marché international (Galtier, 2009).

 

Boubacar Diallo, Nango Dembélé, John Staatz, article initialement paru sur Njaccar