Alors que le PDP (Parti Démocratique Populaire, People Democratic Party) au pouvoir au Nigéria fait face à de sérieux problèmes internes et externes, quatre partis de l’opposition ont fusionné pour devenir le All Progressive Congress (Congrès progressiste – ACP).
Depuis le passage de pouvoir du régime militaire au multipartisme au Nigéria en 1999, le candidat représentant le Partie Démocratique Populaire a gagné systématiquement toutes les élections présidentielles. Jamais les candidats de l’opposition n’ont vraiment semblé en mesure de pouvoir mettre fin à cette domination du PDP.
Cependant, pour les élections à venir en 2015, l’opposition nigériane pourrait bien avoir ses meilleures chances. En février dernier, quatre des partis de l’opposition se sont réunis pour former l’ACP. Pendant ce temps, bien des interrogations sont soulevées quant à l’aptitude du gouvernement à faire face à des défis économiques, sociaux et sécuritaires exceptionnels, alors que le PDP est considéré comme étant en proie aux luttes intestines et aux rivalités entre personnalités.
L’ACP annoncerait-il une nouvelle ère pour la politique nigériane ?
Un appel au changement
Lors du discours d’inauguration de la nouvelle coalition, Tom Ikimi, le président du « comité de fusion » de l’ACP, a proclamé : « Un changement radical n’a jamais été aussi urgent dans la vie de notre pays… Nous, les partis suivants – respectivement le ACN (Le congrès d’action du Nigéria), l’ANPP (Le Parti de tout le peuple nigérian), l’APGA (La Grande Alliance Progressiste) et le CPC (Le Congrès pour le Changement Progressiste) – avons décidé de fusionner sur le champ pour devenir l’ACP afin d’offrir à notre peuple assiégé une recette de paix et de prospérité. »
A chaque élection depuis 1999 des fusions de partis d’opposition ont été proposées, mais jusqu’à présent, les conflits d’intérêts personnels, le chauvinisme ethnique et même des opérations de sabotage ont compromis ces efforts. L’exemple le plus récent est l’alliance formée à l’approche de l’élection présidentielle de 2011, lorsque le CPC et l’ACN proposèrent une coalition ; les deux parties échouèrent à aplanir leurs différences et à trouver un terrain d’entente, ce qui aboutit à une victoire confortable du PDP.
Avant la fusion de l’ACP, les partis d’opposition étaient perçus comme des partis régionaux représentant seulement des groupes ethniques, ce qui contrastait avec l’appel du PDP qui en apparence était un parti d’échelle nationale. Cette nouvelle coalition rassemble, cette fois, plusieurs groupes ethniques majeurs et a notablement comblé le fossé séparant le Sud et le Nord, en unifiant : le CPC à majorité Hausa-Fulani et qui a récolté 31.8% des votes de l’élection présidentielle de 2011 ; l’ANC à majorité Yoruba, qui contrôle actuellement 6 des 36 états de la Fédération, y compris Lagos, la capitale commerciale du Nigéria; L’APGA centralisé autour des Igbo, qui contrôle un Etat fédéré ; et l’ANPP qui contrôle les Etats de Borno et Yobe.
« L’évolution vers un système à deux partis pourrait créer une opposition plus crédible, forte et mobilisée », a expliqué Adigun Agbaje, Professeur de Science Politique à l’Université d’Ibadan. Au même moment, s’adressant à la Think Africa Press, l’ancien ministre du PDP Femi Fani-Kayode est allé jusqu’à dire : « Si la situation ne change pas et que l’administration actuelle n’est pas défaite aux élections, alors le Nigéria finira comme la République du Zaïre – un état déchu sans espoir d’un futur décent. »
Les difficultés du PDP
Ces dernières années, la domination totale du PDP a semblé sur le déclin. Le Président Goodluck Jonathan a reçu 57 % des votes aux élections de 2011, ce qui est en dessous des 70% récoltés par son prédécesseur Umaru Yar’Adua en 2007. Le PDP contrôle 56% des sièges dans la Chambre des Représentants, alors qu’il en contrôlait 73% en 2007. Sur la même période, sa présence au Sénat est passée de 81% à 65%.
De surcroit, alors que l’opposition se réunit, il y a des signes que les divisions au sein du PDP s’aggravent. Il semble y avoir des désaccords continuels, par exemple, entre les gouverneurs et le Comité National du Travail dirigé par Bamanga Tukur ; ses divisions ont été révélées lorsque la majorité des gouverneurs a décidé de boycotter la récente tournée de « réconciliation » effectuée par Tukur dans plusieurs Etats contrôlés par le PDP.
Une autre source de querelles est le déclin physique d’Olusegun Obasanjo, un ancien dirigeant militaire qui avait gagné les élections présidentielles de 1999 et 2003, qui continue d’être une figure influente du PDP ainsi d’une figure internationale respectée. Au cours de forums locaux et internationaux, Obasanjo n’a pas manqué de critiquer la manière dont le gouvernement gère la question du groupe islamiste du Nord, mené par Boko Haram, ou encore le fort taux de chômage. Le renvoi d’un proche d’Obasanjo du conseil exécutif du PDP souligne encore plus l’existence d’un désaccord au sein du parti. Désaccord qui pourrait jouer en faveur de l’ACP s’il n’est pas résolu.
Les défis à venir pour l’ACP
En réponse à l’inauguration de l’APC, le PDP a diffusé une déclaration signée par son secrétaire national en charge de la communication publique, Olisa Metuh, indiquant : « Les Nigérians sont ici confrontés à une ironie. C’est l’ironie d’un parti politique, qui, en l’absence d’un programme adéquat et d’un rythme de travail solide, désire cependant se voir confier la tâche de porter le destin de plus de 160 millions de Nigérians sur ses faibles et tremblantes épaules. (…) la nation, notre peuple et notre démocratie seraient tous mis en péril s’ils se voyaient confiés le pouvoir. »
Quoique clairement partisane, la déclaration met pourtant en lumière le fait l’APC est elle-confrontée à de nombreux défis.
« Si le nouveau parti parvient à se consolider et commence à agir comme une seule entité, les élections de 2015 seront alors sûrement plus compétitives », explique Samir Gadio, un expert en Marchés Emergeants pour la Standard Bank, « mais la durabilité de cette fusion n’est pas sans risque. »
« La nomination du candidat présidentiel avant la lutte de 2015 pourrait toujours diviser la nouvelle organisation. De plus, le PDP contrôle toujours la plupart des Etats et a accès aux ressources administratives, ce qui est un avantage comparatif clé », continue-t-il.
Similairement, Ayo Dunmoye, professeur de Science Politique et doyen des sciences sociales de l’Université Ahmadu Bello à Zaria, insiste sur le fait que l’APC devrait « débattre des problèmes et non des personnalités », adopter la démocratie interne et permettre à des candidats d’émerger lors des primaires libres du parti – « sans quoi la fusion sera mort-né », prévient-il.
En effet, les deux protagonistes majeurs de l’APC – Muhammadu Buhari, ancien officier de l'armée, et chef d'état du Nigéria entre 1983 et 1985 (à l'issue d'un coup d'état), aujourd'hui chef du CPC, et Bola Tinubu, ancien gouverneur de Lagos et leader de l’ACN – auront très vraisemblablement leur propre programme pour la course aux élections 2015, et le choix du candidat présidentiel pourrait être un vrai test pour la coalition. Après tout, nombre des membres de l’APC semblent être intéressés par cette élection, Buhari lui-même, mais aussi Nasir El Rufai, l’ancien ministre du Capital Fédéral et le gouverneur de Lagos, Batanunde Fashola.
Un nouveau territoire politique ?
Une opposition forte et viable est un élément essentiel dans tout processus électoral et l’ACP pourrait bien apporter un surcroit de compétition dans la vie politique nigériane. Mais cela ne garantit pas en soi, que les citoyens nigérians s’en trouveraient mieux. En effet, par le passé les querelles politiques n’ont pas vraiment profité au nigérian moyen, et les problèmes liés à la non-régulation de l’argent en politique, au patrimonialisme et à la corruption des partis seront sûrement aussi rencontrés par l’ACP.
En dépit de tout cela, le professeur Adigun Agbaje, de l’Université d’Ibadan, fait confiance au peuple nigérian. « La détermination du peuple, sa vitalité, son mépris total de l’autoritarisme et sa soif de liberté, de justice et d’équité promettent de toujours contribuer à la sécurité future de la démocratie, du développement et de la paix », dit-il.
Que ces idéaux servent la cause du PDP au pouvoir ou de l’APC récemment formé, cela reste à voir, mais si la nouvelle coalition parvient à se maintenir jusqu’en 2015, les élections seront les plus serrées de l’histoire de la Quatrième République nigériane.
Lagun AKINLOYE, article initialement publié sur Think Africa Press, traduit en français par Gabriel LEROUEIL.