Prière aux ancêtres

Le printemps des poètes est passé. Cependant, je m’autorise encore à faire des excursions dans ce genre littéraire qui, comme vous le savez, n’est pas franchement ma tasse de thé. Néanmoins, ma récente expérience avait été concluante avec le recueil du poète ivoirien Josué Guébo. Avec Gabriel Okoundji, Grand prix littéraire d’Afrique noire 2011 pour l’ensemble de son œuvre, c’est une lecture différente, intéressante et d'un autre calibre qui m’est proposé. Prière aux ancêtres. Un titre qui m’interpelle forcément puisque justement je ne crois pas au culte des ancêtres et à l'interaction dans le quotidien des morts avec les vivants si communément répandue en terre bantoue. Mais, si je ne devais lire que des textes qui sont en phase avec ma conception du monde, je louperai beaucoup de choses et en particulier ces rencontres si belles avec l’autre qui pense différemment.

Sous le titre de Prière aux Ancêtres, Gabriel Mwènè Okoundji propose plusieurs recueils de poésie sur des thématiques assez liées mais écrites à des périodes et parfois en des lieux différents. Le poète y délivre des textes où, avec maestria, il se joue de la langue française pour exprimer à la fois la spiritualité des terres de l’Alima mais également faire ressentir l’atmosphère de l’arrière-pays congolais, de la forêt, de ses bruits, de sa faune… Le lecteur est comme téléporté dans cet univers si lointain mais que par la force des mots, Gabriel Okoundji finit par matérialiser. C’est aussi une philosophie de vie qu’il transmet en captant cette oralité millénaire que véhicule la langue tègè et que ses vers magnifient.

 

Elles sont venues de Baya, de Yaba, de Dzouama, d'Ayandza, de Tsongo
Ces pleureuses aux mille pas qui offrent des larmes à toute la terre de Mpana 
dans l'espoir qu'un jour la voix réunie du nombre de leurs enfants ensevelis
revienne visiter tous ceux du village Okondo qui les ont parfaitement aimés
La pluie viendra, elle tombera sur nos plaies et inondera la prière de nos pleurs
la lune dans le ciel dansera en notre nom, dans la houle d'une espérance éphémère 
nos coeurs en haillons parmi les coeurs égarés danseront dans le feu de la vie
nos coeurs danseront dans la fougue de la tristesse sur les chemins de la douleur
Recueil de poèmes Prière aux ancêtres, page 43, édition fédorop
 
En marchant dans les bois de Montserrat, quelque part au Portugal, il communie avec le lieu qu’il n’a pas de mal à connecter une terre ancienne qu’il n’a pas foulé depuis longtemps… La poésie de Gabriel Okoundji porte une forme de déchirement liée à l’éloignement, à une forme d’exil qui ne dit pas son nom.
 
– Audace!
ce qui gronde au fond de mon âme
n'est pas le tumulte de mon sang
en moi la sève de l'exil a banni
dans son flot
la beauté des mots de la quiétude
– Mauvais arbre 
aux ramures couleur de mon sang
sur une terre poseuse d’énigmes
 
mauvaise plante
mauvais gri-gri
totem poreux de la forêt équatoriale
te voilà seul
sans sel dans l'inertie de ta sève
fine souche d'une forêt qui déteint aux couleurs
de la savane boisée d'errance
eau de source surgie d'un lit improbable
d'une rivière d'eau douce impropre
aux rives infortunées

Recueil de poèmes Gnia, page 59, éditions fédérop

Enfin, il y a cette interaction avec les morts, ceux qui ont disparu, les ancêtres. Certains poèmes sont incantatoires de ce point de vue. D’une certaine manière, le poète exprime haut et de manière intelligible tout un système de croyances que les écrivains ont du mal à rendre à l'écrit. La terre. Les morts. La nature. Il y a beaucoup à dire.

Je terminerai sur le point suivant, qui est un motif de fierté pour ce poète : chaque poème écrit en français est traduit en occitan. Ce qui est une première expérience de traduction d'un poète africain par Joan-Pèire Tardiu qui est intéressante pour moi qui n’avait jamais sous les yeux un texte de cette langue méridionale. A cela, il faut ajouter quelques mots en tègè et la rencontre est totale.

Bonne lecture !

Lareus Gangoueus

 

Gabriel Okoundji, Prière aux ancêtres

Editions Federop, 1ère parution en 2008, 126 pages, collection Paul Froment



Traduction en occitan par Joàn-Peire Tardiù


Josué Guébo : Mon pays, ce soir

Josué Guébo n’a rien d’un mec déprimé. Chaque jour je m’évertue à déconstruire des schèmes et clichés qui ont souvent la vie dure dans mon esprit. Non, l’homme que j’ai rencontré au salon du livre est un personnage engageant et joyeux. Sa poésie, elle, est plus nerveuse. Ce qui n’a rien de surprenant quand on songe que le recueil Mon pays, ce soir exprime le regard de cet intellectuel sur les évènements qui ont secoué son pays ces dernières années. Mais l’homme est subtil, ses vers sont denses, sa langue française très soignée porte à la fois sa dignité, son courroux, ses espoirs, ses accusations. L’expression est parfois pompeuse me faisant penser à des textes de Césaire ou Tchicaya U Tam’Si sans être pour autant hermétique. Mais, je réalise en lisant Josué Guébo que ma difficulté avec la poésie n’est pas tant dans les formules, les envolées lyriques du poète mais sur le sens du discours. Je crois profondément que l’art doit d’être au service du sens et non de la simple esthétique des mots. Je n’adhère pas au concept d’un art s’auto- satisfaisant, sublimant une beauté quelle qu’elle fût et sensée toucher nos émois et notre inconscient.

Le cri de Josué Guébo, au-delà de son esthétique est celui de la révolte, celui de l’homme qui veut secouer les consciences, celui qui veut bousculer le quotidien qui efface des combats passés, des vies perdues, une ville déchirée, un pays en cendres. Il zoome avec insistance sur certains mots qui méritent notre attention quand on pense à son pays : pétrole – pluie – bottes – ascaris – haine. Les stridulations du cri que ma mère lance un soir de veillée funèbre ont du sens, il exprime une joie ou une peine selon le chant exprimé. Il interpelle voir interloque le badaud qui se voit contraint de s'arrêter et d’analyser la substance des choses. Celui de Josué Guébo porte cette rage et cette folie, il ne se veut pas une palabre de plus à la Sorbonne, les Ivoiriens me comprendront, mais un appel à l’introspection et une réaction pour que le quotidien ne soit pas un compromis éternel. Il dépasse le cadre de la Côte d'Ivoire pour évoquer les pères de l'indépendance et les figures africaines qui ont voulu se défaire de la Françafrique.

 

Je nous donne
La plume d'un tel orage
Je nous sonne l'index
D'une telle audace
Nous sommes
Poing
Formés de toutes les douleurs
Des siècles piétinés
Debout dans le champ pubère
De la vérité
Tenant de l'iroko
Ce devoir de fermeté
L'impératif
Incoercible
De notre geste ignifugé

Page 54, Edition Panafrika

J'ai eu le plaisir de rencontrer ce poète au salon du livre de Paris (2012), au stand ivoirien. Une occasion de pour moi de tomber sur les produits d'éditions africaines, si rarement accessible en France.

Bonne découverte !

Lareus Gangoueus

David DIOP, poète trop tôt disparu

David Mandessi DIOP est né le 9 Juillet 1927 à Bordeaux. De mère camerounaise et de père sénégalais, il vit entre la France, le Sénégal et le Cameroun. Il est très tôt (à 8ans) orphelin de père et est élevé ainsi que ses cinq frères et sœurs par sa mère Maria DIOP.

D’une santé fragile, il passe une partie de son enfance dans les hôpitaux en France où il vit pendant la période d’occupation et de guerre. Pendant ses périodes de convalescence, il se passionne très tôt pour la littérature, et ne tarde pas à écrire pour exprimer ce qu’il ressent.

Au cours de ses études, il a pour professeur Léopold Sédar SENGHOR. Sa licence obtenue, David DIOP repart pour le Sénégal où il enseigne (Lycée Maurice DELAFOSSE).

Ses premiers poèmes sont publiés aux éditions « Présence africaine » en 1956 dans un recueil intitulé « Coups de pilon ». Militant anticolonialiste radical, il répond comme beaucoup d’autres intellectuels africains de l’époque à l’appel lancé par Sékou TOURE suite à la rupture avec DE GAULLE et se rend en Guinée pour enseigner au collège de Kindia.Objet Inconnu

Malheureusement, alors qu’il revient de Guinée, l’avion dans lequel il se trouve en compagnie de sa femme se crashe au large de Dakar. C’est ainsi que disparait celui qui est considéré à l’époque comme le plus prometteur des poètes africains. Dans l’accident disparaissent aussi des manuscrits qu’il avait emportés avec lui. David DIOP ne laisse donc à la postérité qu’un recueil de 17 poèmes publiés dans « Coups de pilon », auxquels seront ajoutés huit autres poèmes retrouvés après sa mort.

Quelques extraits de poèmes de David DIOP

« Défi à la force »

« Toi qui plies, toi qui pleures

Toi qui meurs un jour sans savoir pourquoi

Toi qui luttes, qui veilles sur le repos de l’autre

Toi qui ne regardes plus avec le rire dans les yeux

Toi mon frère au visage de peur et d’angoisse

Relève toi et crie : Non »

« Afrique mon Afrique »

Afrique

Afrique mon Afrique

Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales

Afrique que chante ma grand-mère

Au bord de son fleuve lointain

Je ne t’ai jamais connue

Mais mon regard est plein de ton sang

Ton beau sang noir à travers les champs répandu

Le sang de ta sueur

La sueur de ton travail

Le travail de l’esclavage

L’esclavage de tes enfants

Afrique dis moi Afrique

Est-ce donc toi ce dos qui se courbe

Et se couche sous le poids de l’humilité

Ce dos tremblant à zébrures rouges

Qui dit oui au fouet sur les routes de midi

Alors gravement une voix me répondit

Fils impétueux cet arbre robuste et jeune

Cet arbre là-bas

Splendidement seul au milieu des fleurs

Blanches et fanées

C’est l’Afrique ton Afrique qui repousse

Qui repousse patiemment obstinément

Et dont les fruits ont peu à peu

L’amère saveur de la liberté.

 

David DIOP était donc un poète engagé, qui mettait son talent pour la poésie au service de la lutte anticolonialiste et de la libération des peuples africains. Sa poésie met en scène ses convictions politiques et intellectuelles.

En citant l’américaine Ruth SIMONS, « qu’il s’agisse d’un poème qui exprime son amour respectueux pour la femme africaine, ou d’une attaque cinglante contre l’impérialisme et l’inhumanité yankee, qu’il s’agisse d’une attaque mordante contre le Noir assimilationniste ou d’un appel émouvant à l’action, la voix de David DIOP est infailliblement celle d’un poète africain qui plaide pour la cause de son peuple. »

A ces grands hommes comme Senghor, Damas ou Césaire, nous pouvons dès lors associer David DIOP, qui, comme eux, a su se révolter contre le colonialisme et contre ses méfaits multiples.

 

Fatou Faye