Renforcer la sécurité fiscale pour contribuer au développement des PME africaines

fiscaliteLa mondialisation des économies rend les entrepreneurs toujours plus demandeurs de sécurité juridique. La capacité à maîtriser le risque et l’incertitude liés au traitement fiscal applicable aux affaires projetées  est un déterminant essentiel dans la décision d’investir dans un Etat et ce, surtout pour les petits et moyens entrepreneurs dont les coûts d’entrée sur un marché et les coûts irrécupérables sont plus élevés. Primordiale, la sécurité fiscale agit donc comme un gage de prévisibilité et ravive la confiance des investisseurs dans des Etats où l’instabilité politique est l’une des causes majeurs de sous-développement.

Or les Etats africains, qui auraient précisément besoin d’un cadre fiscal stable sont depuis peu caractérisés par une véritable inflation des normes fiscales qui conduit à un manque d’efficacité de l’administration fiscale et à une fuite des capitaux.  La Banque Mondiale a publié, en novembre 2013, en partenariat avec le cabinet PwC (Paying Taxes 2014 : The global picture),  un rapport révélant le phénomène de « surfiscalité » dont souffre de nombreux opérateurs économiques en Afrique. Les petites et moyennes entreprises africaines présentaient, en effet, un record en matière de normes et du taux d’imposition global qui s’élève à 52,9% contre 43,1% pour la moyenne mondiale en 2013. En février 2013, c’est le rapport Sweet Nothings de l’ONG ActionAid qui dénonçait la concurrence fiscale déloyale à laquelle se livrerait l’île Maurice depuis le milieu des années 2000. Paradis fiscal insulaire, l’île priverait ainsi l’Afrique continentale d’une partie de ses recettes fiscales en attirant les placements des grandes firmes capables de contourner les administrations fiscales trop complexes du continent en ayant recours à des montages fiscaux agressifs et optimisateurs. Pour faire face à ces multiples menaces, les Etats africains pris dans un cercle vicieux, accélèrent considérablement depuis deux ans leur train de réformes fiscales, au risque de négliger parfois le principe de sécurité fiscale et de nuire au développement des PME qui se trouvent dépassées par l’inflation législative en matière d’impôt des sociétés.

La situation de ces PME rappelle le fait que l’attractivité d’un territoire ne dépend pas uniquement de la mise en place d’une « fiscalité minimale ou zéro » mais également de la stabilité des lois qui l’encadrent.  Le présent article vise à s’interroger sur les moyens dont disposent les économies africaines pour concilier une politique fiscale efficace et attractive avec la nécessaire stabilisation de l’environnement juridique des PME.

Un train de réformes fiscales soutenu : opportunité ou danger ?

Le rapport annuel Doing Business[1] publié par la Banque Mondiale en 2015 a salué l’Afrique pour son volontarisme et ses efforts en matière de réformes en faveur du développement des affaires et notamment via le levier fiscal. « Nos données montrent que l'Afrique subsaharienne a enregistré le plus grand nombre de réformes sur 2013/14 ayant facilité le climat des affaires, avec 75 réformes sur les 230 recensées à travers le monde » souligne Melissa Johns, spécialiste des indicateurs mondiaux à la Banque mondiale, dans un communiqué de l’organisation.

Le Bénin, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, le Sénégal et le Togo font partie des pays ayant les plus progressé dans le monde l’an passé en matière de facilitation des affaires. Force est de constater que ces pays se sont engagés dans une frénésie de réformes fiscales depuis 2014 et que la tendance devrait se confirmer en 2015. La Côte d’Ivoire avait ainsi mis en place une Commission de la réforme fiscale en septembre 2014, qui vient de remettre au premier ministre un rapport intitulé « Réformer le système fiscal et douanier pour soutenir le développement de la Côte d’Ivoire ». Dans le même temps, en marge du dévoilement de l’édition 2015 du rapport Doing Business, le sénégalais Mamadou Lamine Bâ, ex-directeur de l’environnement des affaires et de l’Agence pour la promotion des investissements et des grands travaux  (APIX) se félicitait  du fait qu’une quarantaine de mesures fiscales destinées à améliorer l’environnement des affaires au Sénégal soit devenue effective sur la période 2013-2015. Si ces avancées sont louables, bien souvent ces mesures sont prises par décret et hors du cadre de la loi de finance annuelle ce qui conduit à un enchevêtrement des normes fiscales et à un problème de stabilité du cadre juridique qui varie au gré des intérêts économiques des champions nationaux.

Une réforme de la fiscalité des entreprises à deux vitesses : le cas récent du Cameroun

Les Etats africains, désireux de voir se développer leurs grandes entreprises redessinent parfois la fiscalité des sociétés dans la précipitation,sans tenir compte des intérêts des PME. Le cas du Cameroun est à ce titre éloquent. Dans ce pays, la loi de finances pour l’année 2015 a été marquée par une réduction de cinq points du taux de l’impôt sur les sociétés, le faisant ainsi passer de 35 à 30%. Lors des débats parlementaires, les partisans de cette réforme – principalement la grande chambre syndicale Groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM) –  estimaient que la baisse de ce taux d’imposition se traduirait par une hausse des investissements et une libération de la croissance nationale. Pourtant, force est de constater que la mesure a obtenu un accueil mitigé de la part des directeurs de petites et moyennes entreprises. Ces derniers craignaient, à raison que cette mesure coûteuse ait pour corollaire la hausse inopinée du taux d’acompte qui permet aux entreprises en difficulté voire déficitaires d’alléger leur charge fiscale en s’acquittant de l’impôt sur les sociétés par acomptes de 1% du chiffre d’affaires mensuel. Ce dispositif qui concernait jusqu’ici  70% des entreprises camerounaises est désormais considéré comme une « source d’évasion fiscale » selon le ministère des Finances.

 La loi de finances pour l’année 2015 prévoit donc d’instaurer un taux flottant variant entre 2 et  3% par décret pendant une période transitoire. Cette décision – en plus d’instaurer un cadre juridique fragile – a d’ores et déjà pesé sur les PME camerounaises concernées qui voient pour certaines leur charge fiscale doubler voire tripler tandis que d’autres, ne pouvant faire face à ces coûts sont désormais en litige avec l’administration fiscale, comme le rapporte le Président du syndicat patronal Entreprise du Cameroun, Protais Ayangma Amang[2].

Le rescrit fiscal[3] : un outil de contractualisation nécessitant confiance et contrôle.

Pour faire face à ces défis, plusieurs Etats africains se sont dotés du précieux outil que constitue le rescrit fiscal depuis le début des années 2000. Ce dispositif permet à tout investisseur de solliciter préalablement auprès de l’administration, un avis au sujet du régime fiscal applicable aux opérations qu’il prévoit de réaliser. L’investisseur peut donc opposer en cas de contrôle fiscal ou de litige, la réponse, fournie en amont par l’administration fiscale. Le Cameroun a ainsi institué le rescrit dans le cadre de la loi de finances pour l’exercice 2008. En Algérie, le rescrit fiscal est introduit en loi fiscale, plus précisément au sein d’un nouveau titre, inséré au code des procédures fiscales par la loi de finances 2012. De même les trois grands pays de l’Afrique anglophone que sont le Nigeria, le Ghana et le Kenya s’en sont également emparés.

Pourtant, la généralisation du rescrit fiscal en Afrique ne saurait se passer d’un contrôle strict des procédures. En effet s’il est un levier puissant de sécurité juridique importé du droit fiscal européen, le rescrit fiscal peut également être un outil de fraude active lorsque l’administration fiscale ne se contente pas de donner un avis sur une opération mais conclut un accord fiscal secret avec une entreprise, comme l’affaire LuxLeaks l’a révélé en Europe à la fin de l’année 2014. A ce titre, le rescrit s’il n’est pas encadré, pourrait avoir des effets dévastateurs en Afrique et tendre à accentuer encore plus l’écart existant entre les firmes multinationales capables de conclure des accords avantageux avec les administrations fiscales locales et les PME moins informées et lésées.

Le rescrit fiscal demeure – à la condition sine qua non d’être étroitement contrôlé  une chance pour les PME africaines qui contrairement aux grandes entreprises n’ont pas les moyens de consulter un cabinet de conseil ou un avocat fiscaliste : il leur permettra d’évoluer dans un environnement fiscal plus transparent et de communiquer de façon apaisée avec l’administration fiscale.

Les Etats africains ne peuvent pas faire l’économie de l’instauration d’un régime fiscal stable et relativement prévisible. L’enjeu pour le continent est de concilier l’objectif de facilitation du climat des affaires encouragé par les organisations internationales et le respect du principe de sécurité fiscale, notamment pour les PME. Ces-dernières sont actuellement parmi les plus imposées du monde et leur environnement instable a tendance à s’aggraver avec l’essor actuelle des réformes dans les pays africains. Des règles de bonne conduite des réformes fiscales pourraient permettre d’assurer la stabilité nécessaire au développement équitable de l’activité économique : monopole de la loi de finances annuelle en matière de législation fiscale, généralisation et encadrement du rescrit fiscal, mise en place d’un observatoire national de la réforme fiscale associant représentant des grandes entreprises et des PME, etc.

Daphnée Sétondji


[1]Doing Business Report, World Bank 2015

[2]  Interview accordée au magazine Jeune Afrique le 5 décembre 2014.

[3] Demande d’avis à l’administration fiscal avant la réalisation d’une opération