YOUNG AFRICANS – SIMBA SC : le derby qui met en pause Dar-Es-Salaam

Les grandes rivalités tissées au cours de l’histoire sont à l’origine de la passion planétaire que draine le football aujourd’hui. Comme le prouve les audiences record réalisées lors des matchs entre le FC Barcelone et le Real Madrid. Qu’elles soient géographiques, culturelles ou sociales, toutes les raisons sont bonnes pour avoir un meilleur-ennemi.

En Afrique, tous les pays peuvent revendiquer au moins un match qui est plus attendu que les autres. Animés par les Ultras, les derbys nord africains déchaînent toutes les passions dans des ambiances électriques. Mais c’est pourtant en Tanzanie qu’une rivalité toute particulière donne lieu à des moments sulfureux et d’effervescence quelque soit l’enjeu sportif. L’opposition entre les deux équipes historiques de Dar-Es-Salaam : les Young Africans SC et le Simba SC.

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Football 100% local. Imaginé par les swahilis, pour les swahilis

Au milieu des années 30, le club de YANGA (surnom du Young Africans) est né de la fusion de plusieurs équipes dans le quartier de Kariakoo, au centre de Dar-Es-Salaam. Quelques années plus tard, toujours dans le centre-ville, des étudiants se sont associées à une équipe de rue pour former le Simba SC. Rapidement, les  deux clubs ont surpassé leurs rôles d’équipe de foot et sont devenus de véritables communautés ou les supporteurs viennent tisser des liens sociaux. Yanga regroupait majoritairement des Zamaro, alors que Simba rassemblait davantage les tanzaniens aux origines Arabiques ou Indiennes. La rivalité va naitre naturellement. Elle prendra la forme de la satire, dans cet antique comptoir cosmopolite Swahili. Les « ignorants » contre les « étrangers ». Au fil du temps, les deux clubs se dotent d’administration et d’infrastructures solides. Ils réussissent à maintenir l’enthousiasme de leurs supporteurs. Et ceux, malgré l’absence de résultats probant sur la scène continentale. Dès les années 60, les dirigeants n’hésitent pas à recruter des joueurs et des entraineurs étrangers, sud américain et européen. Avec un bilan de 24 titres de champion pour les « Jeunes africains » contre 19 pour les lions (Simba en Swahili). Leurs couleurs, respectivement jaune et verte et rouge et blanche, sont visibles dans toute la ville. La popularité des équipes gagnera ensuite les villes de l’intérieur du pays.


Aujourd’hui, les deux équipes partagent le grand stade national Benjamin Mkapa. Une enceinte sportive de 60 000 places, moderne, répondant aux nouvelles normes de la FIFA, dans une architecture singulière en Afrique. Preuve d’un engouement sans faille, on retrouve sur les épaules de tous les supporteurs les maillots de leurs équipes. Un fait rare sur un continent envahit par les maillots des équipes Européennes. Le stade s’est naturellement divisé en deux, un côté jaune et l’autre rouge. En fonction de l’endroit où l’on se positionne dans le stade, on affirme son soutien à l’une ou l’autre des équipes.

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Un stade constamment partagé

Il est facile de savoir quand c’est un jour de match à Dar-Es-Salam, les dala dala remplis de fans traversent la ville en direction du stade dans une ambiance de carnaval. Banderoles, drapeaux, vuvuzela, trompette et djembés sont de la partie. Arrivés aux stades, ces groupes de supporteurs organisés par quartiers font une entrée remarquée, dans un défilé qui fait le tour de leur tribune. L’ambiance est donnée. Le virage en face n’est pas en reste. Si c’est Simba SC qui joue, les supporters de Young Africans viendront encourager en nombre son adversaire du jour, quel qu’il soit. Une spécificité Tanzanienne qui place le degré de fanatisme de ses supporters qui sont plus de 20 000 à faire la queue aux billetteries à chaque match. Les équipes étrangères, qui viennent pour les compétitions de la CAF, sont surprises de recevoir un accueil favorable, et un soutien d’une partie du public.  Les jours de derby, Dar-Es-Salaam devient une ville fantôme. Le stade se transforme en cocotte minute prête à siffler pendant plus d’une heure et demi. Dans les tribunes, une frontière imaginaire se trace spontanément au niveau de la ligne médiane. Du jaune dans le virage à droite et du rouge dans celui de gauche. Pas de cordon de sécurité ou de présence militaire exacerbée, bien sûr quelques bagarres éclatent de temps à autre lorsque la frustration ou les railleries deviennent un peu trop véhémentes. Mais les matchs se déroulent dans une très bonne ambiance, et la légende se battit autour des scénarios incroyables qu’elle génère. À la fin du match, ceux qui ne sont pas au stade descendent dans les rues. Le vainqueur amplifie sa joie, il doit profiter au maximum de la suprématie que lui a offerte son équipe… Jusqu’au prochain derby.

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Le spectre du Marketing


Avec un tel enthousiasme, les brasseries nationales se sont précipitées sur une telle opportunité pour promouvoir la bière nationale. La Kilimandjaro, dont le logo est positionné au centre du maillot des deux équipes. Des jeux et opérations marketing sont organisés autour des très nombreux supporters. C’est une première étape vers la professionnalisation de la ligue, dont profite l’ensemble des clubs du pays. Mais qu’importe, supporter Yanga ou Simba est généralement transmis par ses parents, et rien ne pourra mettre un terme à cette passion héréditaire. Si l’on considère le football comme une religion en Afrique, en Tanzanie, les prophètes ne sont pas Messi ou Ronaldo, mais bien Yanga et Simba. Un particularisme qui correspond bien à ce pays qui se développe dans l’anonymat, sans faire de vague. Et tant pis pour les milliers de touristes qui se ruent d’un safari dans le Serengeti à Zanzibar, sans même profiter de cette rivalité sportive unique, sans aucun risque de débordements. Le Superclassio Boca Junior – River Plate est recommandé par les guides de voyage, la rivalité entre Simba SC – Yanga mériterait également d’être reconnue.

 

Pierre-Marie Gosselin

 

Historique des clubs : Tadasu Tsuruta, Simba or Yanga ? Football and urbanization in Dar-Es-Salaam. Dar-Es-Salam History from an emmerging metropolis, Mkukina Nyota 2007
Source illustrations : Page facebook officielle kilimandjaro premium lager et Simba SC Fans vs Yanga SC Fans