Mascottes : les professionnels des tribunes d’Afrique

L’ambiance des tribunes de foot africaines peut prendre une dimension incroyable, lorsque les événements concourent dans ce sens. Un rugissement qui donne des ailes aux joueurs sur le terrain et permet des matchs incroyables, une sorte de turbo qui augmente l’intensité de la fête. Le fameux rôle du « douzième homme » qui permet de réaliser les plus grands exploits. Ici, les spectateurs sont rares, on ne retrouve que des supporteurs. Aux joueurs de provoquer la pulsion nécessaire à leurs réveils.

Supporteur n°1, au service de l’exploit sportif

La musique et la danse sont présentes en tribune, elles se sont naturellement imposées comme un excellent moyen d’encourager les joueurs sur le terrain, et mobiliser le public. Les sélections nationales d’Afrique de l’ouest et centrale peuvent compter sur des groupes de supporteurs, composés d’hommes, de femmes, dévoués pour encourager l’équipe chérie pendant 90 minutes, Parmi eux, ils s’en distinguent toujours quelques-uns qui revêtissent des couvre-chefs ou qui ont leurs corps recouverts de peinture. Ils ravissent les photographes et les caméras des journalistes qui s’en servent souvent pour illustrer le public. Pas étonnant, ils sont uniques dans la planète football. Ce sont des mascottes indépendantes, qui remplissent ce rôle de manière quasi professionnelle, et sont de véritables supporteurs « numéro un ». Ils ont la reconnaissance de tous pour ce rôle.

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Ces fameux supporteurs, des hommes en grande majorité, possèdent un attachement particulier à leurs équipes et un don pour pouvoir continuer à encourager sans fin, quelque soit la tournure du match. Ils accompagnent les joueurs ou qu’ils aillent, et sont capables de voyager plusieurs jours dans des conditions difficiles pour leur donner le soutien qu’ils méritent. Ils peuvent percevoir une rémunération, mais celle-ci est dépendante du bon vouloir des autorités compétentes, quelle que soit du football ou du gouvernement. Mais il n’est pas rare de les voir sollicités pour des événements sportifs, et pas uniquement autour des stades de foot, même s'ils sont leurs terrains de jeu favori. Ces quelques supporteurs à plein temps vivent ainsi au rythme des compétitions sportives et des grands matchs de foot. Ils accompagnent les délégations lors des Coupe d’Afrique des Nations ou des compétitions régionales.  Une forme d’emploi modeste mais qui permet de voyager, un luxe pour beaucoup de monde en Afrique. Ils sont devenus des artistes des tribunes, jamais en manque d’inspiration pour transmettre au public l’énergie du terrain, et permettre d’atteindre ce fameux rugissement du stade, qui fait voler les dribbleurs et décomplexe les attaquants. Une transe footballistique que seule l’Afrique peut créer. 

Pas de motivations Marketing

Présentes en Europe autour de quelques équipes, les mascottes sont arrivées via les sports US que ce soit à l’université, ou dans les ligues majeures (NBA, NFL, MLB). Des personnes déguisées en animaux ou personnages représentatifs du surnom de l’équipe. Elles sont devenues rapidement un argument marketing pour cibler les plus jeunes, et une partie prenante de ces shows du sport business. Certains sont bénévoles, d’autres perçoivent une rémunération directe ou indirecte. En Afrique, la considération économique n’est pas à prendre en compte, les mascottes se sont imposées d’elles-mêmes dans la vie de ces gens, qui n’ont pas hésité à se jeter dans l’arène et adosser cette fonction de troubadour des temps modernes.

Le Bénin a perdu ses deux mascottes ces dernières années. Papa Boyayé puis Bernard Tapie ont quitté ce monde dans un émoi national. Ils ont été Illustration 4nombreux à les accompagner pour leurs derniers voyages. Car ils ont laissé les écureuils de la sélection Béninoise orphelins de leurs ambianceurs. Car, depuis leur départ, ces messieurs qui font « le spectacle dans le spectacle », selon Anselme Houenoukpo, journaliste Béninois à l’événement précis, n’ont pas encore eu des successeurs avérés. «Papa Boyayé faisait des tours de magie et quelques mouvements gymnastiques pour donner du sourire aux spectateurs. Il en profitait pour se faire un peu de sous aussi», il nous dit aussi que pour la relève, « ce sont deux jeunes, un qui supporte l'AS Police et l'autre Energie FC. Ils tentent à leurs manières de soutenir les équipes. Eux, ils n'ont pas les accoutrements de Bernard Tapie, mais ils feront de bons supporteurs ». En effet, il est difficile de succéder à ces mascottes qui étaient devenus des membres à part entière de la grande famille du mouvement sportif. Il est difficile de revêtir un costume de supporteur n°1 et de s’imposer aux yeux de tous. À l’image d’un super-héros.


Afrique des idees Supporters5Le Bénin peut compter sur la détermination et le talent de sa jeunesse, sur les rêves que provoque le football dans le Royaume du Dahomey. Seulement, il faut que les résultats des sportifs nationaux progressent, car si à l’image du football, en perpétuelle reconstruction, les participations à la CAN sont de plus en plus rares, des affluences faibles seraient un vrai préjudice dans cette période de transition de ces chefs de file du supporterisme local. Car cette vie n’a pas beaucoup d’avantages, outre le fait de pouvoir vivre sa passion à outrance, et de participer aux compétitions internationales en voyageant avec les délégations officielles. Il est difficile d’obtenir une rémunération décente, l’on devient cependant un personnage public, de grande notoriété. Ce qui n’est pas anodin dans une vie, mais suffisant pour éveiller de nouvelles vocations qui demeurent précaires? L’avenir nous le dira, le développement de la fédération aussi.

 

Pierre-Marie Gosselin

Source Photos –  hommage à Bernard Tapie, le supporter / Perez Lekotan, journaliste béninois

Papa Boyayé et son vélo. Source BJfoot. Découvrir aussi l'interview de ce supporter mascotte aujourd'hui disparu

Couverture : Supporter des Etalons du Burkina Faso, équipe nationale de ce pays – Reuters

YOUNG AFRICANS – SIMBA SC : le derby qui met en pause Dar-Es-Salaam

Les grandes rivalités tissées au cours de l’histoire sont à l’origine de la passion planétaire que draine le football aujourd’hui. Comme le prouve les audiences record réalisées lors des matchs entre le FC Barcelone et le Real Madrid. Qu’elles soient géographiques, culturelles ou sociales, toutes les raisons sont bonnes pour avoir un meilleur-ennemi.

En Afrique, tous les pays peuvent revendiquer au moins un match qui est plus attendu que les autres. Animés par les Ultras, les derbys nord africains déchaînent toutes les passions dans des ambiances électriques. Mais c’est pourtant en Tanzanie qu’une rivalité toute particulière donne lieu à des moments sulfureux et d’effervescence quelque soit l’enjeu sportif. L’opposition entre les deux équipes historiques de Dar-Es-Salaam : les Young Africans SC et le Simba SC.

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Football 100% local. Imaginé par les swahilis, pour les swahilis

Au milieu des années 30, le club de YANGA (surnom du Young Africans) est né de la fusion de plusieurs équipes dans le quartier de Kariakoo, au centre de Dar-Es-Salaam. Quelques années plus tard, toujours dans le centre-ville, des étudiants se sont associées à une équipe de rue pour former le Simba SC. Rapidement, les  deux clubs ont surpassé leurs rôles d’équipe de foot et sont devenus de véritables communautés ou les supporteurs viennent tisser des liens sociaux. Yanga regroupait majoritairement des Zamaro, alors que Simba rassemblait davantage les tanzaniens aux origines Arabiques ou Indiennes. La rivalité va naitre naturellement. Elle prendra la forme de la satire, dans cet antique comptoir cosmopolite Swahili. Les « ignorants » contre les « étrangers ». Au fil du temps, les deux clubs se dotent d’administration et d’infrastructures solides. Ils réussissent à maintenir l’enthousiasme de leurs supporteurs. Et ceux, malgré l’absence de résultats probant sur la scène continentale. Dès les années 60, les dirigeants n’hésitent pas à recruter des joueurs et des entraineurs étrangers, sud américain et européen. Avec un bilan de 24 titres de champion pour les « Jeunes africains » contre 19 pour les lions (Simba en Swahili). Leurs couleurs, respectivement jaune et verte et rouge et blanche, sont visibles dans toute la ville. La popularité des équipes gagnera ensuite les villes de l’intérieur du pays.


Aujourd’hui, les deux équipes partagent le grand stade national Benjamin Mkapa. Une enceinte sportive de 60 000 places, moderne, répondant aux nouvelles normes de la FIFA, dans une architecture singulière en Afrique. Preuve d’un engouement sans faille, on retrouve sur les épaules de tous les supporteurs les maillots de leurs équipes. Un fait rare sur un continent envahit par les maillots des équipes Européennes. Le stade s’est naturellement divisé en deux, un côté jaune et l’autre rouge. En fonction de l’endroit où l’on se positionne dans le stade, on affirme son soutien à l’une ou l’autre des équipes.

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Un stade constamment partagé

Il est facile de savoir quand c’est un jour de match à Dar-Es-Salam, les dala dala remplis de fans traversent la ville en direction du stade dans une ambiance de carnaval. Banderoles, drapeaux, vuvuzela, trompette et djembés sont de la partie. Arrivés aux stades, ces groupes de supporteurs organisés par quartiers font une entrée remarquée, dans un défilé qui fait le tour de leur tribune. L’ambiance est donnée. Le virage en face n’est pas en reste. Si c’est Simba SC qui joue, les supporters de Young Africans viendront encourager en nombre son adversaire du jour, quel qu’il soit. Une spécificité Tanzanienne qui place le degré de fanatisme de ses supporters qui sont plus de 20 000 à faire la queue aux billetteries à chaque match. Les équipes étrangères, qui viennent pour les compétitions de la CAF, sont surprises de recevoir un accueil favorable, et un soutien d’une partie du public.  Les jours de derby, Dar-Es-Salaam devient une ville fantôme. Le stade se transforme en cocotte minute prête à siffler pendant plus d’une heure et demi. Dans les tribunes, une frontière imaginaire se trace spontanément au niveau de la ligne médiane. Du jaune dans le virage à droite et du rouge dans celui de gauche. Pas de cordon de sécurité ou de présence militaire exacerbée, bien sûr quelques bagarres éclatent de temps à autre lorsque la frustration ou les railleries deviennent un peu trop véhémentes. Mais les matchs se déroulent dans une très bonne ambiance, et la légende se battit autour des scénarios incroyables qu’elle génère. À la fin du match, ceux qui ne sont pas au stade descendent dans les rues. Le vainqueur amplifie sa joie, il doit profiter au maximum de la suprématie que lui a offerte son équipe… Jusqu’au prochain derby.

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Le spectre du Marketing


Avec un tel enthousiasme, les brasseries nationales se sont précipitées sur une telle opportunité pour promouvoir la bière nationale. La Kilimandjaro, dont le logo est positionné au centre du maillot des deux équipes. Des jeux et opérations marketing sont organisés autour des très nombreux supporters. C’est une première étape vers la professionnalisation de la ligue, dont profite l’ensemble des clubs du pays. Mais qu’importe, supporter Yanga ou Simba est généralement transmis par ses parents, et rien ne pourra mettre un terme à cette passion héréditaire. Si l’on considère le football comme une religion en Afrique, en Tanzanie, les prophètes ne sont pas Messi ou Ronaldo, mais bien Yanga et Simba. Un particularisme qui correspond bien à ce pays qui se développe dans l’anonymat, sans faire de vague. Et tant pis pour les milliers de touristes qui se ruent d’un safari dans le Serengeti à Zanzibar, sans même profiter de cette rivalité sportive unique, sans aucun risque de débordements. Le Superclassio Boca Junior – River Plate est recommandé par les guides de voyage, la rivalité entre Simba SC – Yanga mériterait également d’être reconnue.

 

Pierre-Marie Gosselin

 

Historique des clubs : Tadasu Tsuruta, Simba or Yanga ? Football and urbanization in Dar-Es-Salaam. Dar-Es-Salam History from an emmerging metropolis, Mkukina Nyota 2007
Source illustrations : Page facebook officielle kilimandjaro premium lager et Simba SC Fans vs Yanga SC Fans

 

Ultras, Les sentinelles des manifestations Nord-Africaines (2)

Un mouvement qui fait des adeptes

L’Afrique du Nord occupe une place stratégique dans le bassin méditerranéen, c’est un carrefour de civilisations frontalier de l’Europe et de l’Asie où la religion musulmane s’est culturellement installée. Dans l’agitation des grandes villes, l’étalement des richesses et l’occidentalisation des mœurs désorientent une partie de la jeunesse qui ne sait plus où se situer entre mondialisation et traditions. Les études scolaires voire universitaires ne conduisent que très peu souvent à des emplois ou des rémunérations espérées. Beaucoup doivent se résoudre à rejoindre un travail avec peu de perspectives ou apprendre à se débrouiller par soi-même. 

Encadrées par les codes du mouvement ultra, les tribunes sont devenues un endroit privilégié par des milliers de jeunes de cette génération pour s’exprimer. L’effet de masse désinhibe et l’esprit de famille véhiculé rassure.

En traversant la Méditerranée, le mouvement Ultra a subi une évolution qui symbolise bien son adaptation dans la région. Chaque nouvelle saison de football est marquée par la sortie des albums regroupant les nouveaux chants des différents groupes de supporters. Comme si les jeunes, ici, avaient beaucoup de choses à dire… Ils chantent à la gloire de leurs clubs et de leurs couleurs et moquent leurs rivaux, bien sûr. Mais ils font aussi l’éloge de leur style de vie et dénoncent les agissements répressifs des forces de l’ordre. Des chants qui rassemblent et dans lesquels peuvent s’identifier les jeunes. Disponible en libre écoute sur Internet, le phénomène viral accroît la propagation de « l’esprit » Ultra. Bien au-delà des stades. Bien au-delà des traditionnels magazine « fanzines » de la culture ultras européenne.

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Un mouvement qui dérange… et dérape

En encourageant son équipe avec fanatisme au sein d’un groupe associatif organisé, que ce soit pour les matches à domicile, ou lors des déplacements, les ultras se placent souvent aux frontières de la loi. Dans des affrontements avec les groupes adverses, les forces de l’ordre, ou les deux. Les agissements ont lieu au sein du stade parfois et dans la rue souvent. Les policiers sont obligés de réagir par anticipation et amplifient le phénomène d’opposition et de rébellion. 

Quand les médias locaux parlent des ultras, c’est pour aborder des faits divers de débordements. C’était le cas lors du match de championnat marocain de botola pro, entre les l’AS FAR et le DHJ, le 19 octobre dernier au stade du centre de Rabat. L’arbitre a dû interrompre le match suite à une altercation en tribune entre Ultras de l’AS FAR. En direct à la télévision, les forces de l’ordre n’ont pas su tenir leurs positions. Pire, en voulant intervenir, cela dégénère et un policier finit par se fait tabasser sur le terrain. Les interpellations et les condamnations interviendront rapidement après le match, mais la démonstration de force est faite, sous les chants de la tribune. Ces actualités  font la « une » et sont à chaque fois abordées avec beaucoup de véhémence. Elles peuvent pourtant trouver un écho favorable pour toute une génération de jeunes qui ne trouvent pas leurs places dans le système. Dans des pays aux régimes autoritaires où la classe moyenne tarde à émerger, le mouvement ultra se marque comme un courant contestataire qui rassemble. Il devient même omniprésent dans certains quartiers où les Fresques et Tags marquent les territoires. Les jeunes viennent chercher leurs doses de liberté hebdomadaire au stade, et alimentent leurs combats dans une ambiance de fête. Des joints de haschich circulent lors des différents rassemblements tout comme l’alcool et des pilules de drogue. Ajouté aux frissons des matchs et aux déplacements en camionnette à travers le pays, cette vie de rebelle fait beaucoup d’adeptes. 

AS FAR DHJ vol de bache - Version 2

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En Égypte, autour d’un championnat de football historique avec des clubs datant de l’époque coloniale, certaines équipes ont des identités fortes et des rivalités prononcées. Une aubaine pour les Ultras du Al Ahly SC, dont la popularité et l’image de « club du peuple » de leur équipe a permis l’ouverture de section de supporteur dans de nombreuses villes du pays. Partout où joue le club, les Ultras Ahlawy sont présents. Ils dérangent et sont confrontés aux forces de sécurité dans toutes les villes du pays, car où qu’ils aillent, on redoute leurs présences. Après la révolution du printemps arabe, les généraux militaires du SCAF ont rapidement mis à profit le temps qu’ils passent au pouvoir pour faire payer aux UA 07 leurs investissements dans les manifestations de la place Tahrir. Ils savaient très bien que la révolution n’était pas une finalité pour eux, et que la menace se représentera lors des prochaines grandes manifestations civiles. Les ultras n’ont jamais cessé de pousser des chants contestataires et de se frotter à la loi. En plus des 74 victimes, la tragédie de Port-Saïd a provoqué l’arrêt du championnat pour 2 années. En guise d’avertissement et d’ultimatum. Mais dès que cela a été possible, notamment lors des compétitions continentales de la CAF, les Ultras cairotes ont montré qu’ils sont toujours là, plus solidaires et soudés que jamais. Pourtant, les matchs étaient organisés loin de l’agitation du Caire, à El Gouna, station balnéaire plus connue pour son spot de kitesurf que son stade de football. La volonté de ne pas voir de supporter était affichée. Manqué ! Plus de 5000 personnes se sont déplacées à plusieurs reprises, en reprenant leurs chants et leurs nombreuses animations derrière leur bâche et leurs drapeaux. À la vie, à la mort. 

Même contre sa propre équipe

Banderole JSK EBossé 2 - Version 2

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Les Ultras ont besoin de leurs clubs pour exister. Lorsque l’intérêt sportif est faible, il est toujours plus difficile de rassembler du monde et de s’enthousiasmer. L’effet de masse est important pour affirmer la force du groupe. La frustration grandissante, les supporteurs n’hésitent pas à reprendre avec ardeur leurs équipes s’ils estiment qu’elles ne donnent pas leurs maximums. Ils ne tolèrent pas que des joueurs, qui ne sont que de passage dans leurs clubs, puissent mettre en péril la raison de leurs combats. Parfois cela dégénère. Vient alors la fâcheuse habitude, prise sur tout le continent, de jeter sur le terrain ce qu’il est possible de lancer. Dans les stades généralement vétustes, on trouve toutes sortes de débris. Ce qui a conduit au fait-divers tragique de Tizi Ouzou où le jeune joueur camerounais Albert Ébossé est victime d’un jet de pierre fratricide. Un geste qu’il faut condamner sévèrement, mais pas au détriment du mouvement Ultra. Lui, il n’est pas le coupable. Au contraire, il est le fruit de la négligence du système, dans la faillite de son éducation, la faillite de sa répression, la faillite de son entretien des lieux publics… Le stade est un reflet de la société.

Pierre-Marie Gosselin

 

Illustration 1 : Plaquette de présentation de l’album 2013 des ultras Helala Boys HB07 du KAC de Kenitra au Nord du Maroc.  Lien 

Illustration 2 : Photo illustrant les affrontements du 20/10/2014 entre les Ultras et la police. Lien vidéo

Illustration 3 et 4 : Photos  publiée sur la page facebook officiel des Ultras Samba Boys , groupe de la zone amazigh de la JSK Kabylie après la mort d’Albert Ebossé :  lien 

Ultras, sentinelles des manifestations Nord-Africaines

Petite histoire des tribunes animées

Tout au long de l’histoire, les stades ont été le théâtre de nombreux drames humains. Des milliers de supporters venus assister à des matchs de football et ne sont jamais rentrés chez eux, victimes d’accidents ou de bousculades. Si certains sont imprévisibles, beaucoup sont provoqués par des mouvements de foules déclenchés par les supporters, les forces de l’ordre, ou les deux parties. Prévisibles, surtout quand les matchs associent tous les ingrédients d’un cocktail qui peut exploser lorsque les enjeux sont importants ou qu’ils opposent des équipes aux rivalités fortes. L’antagonisme entre des supporters organisés en groupes et des forces de l’ordre prêtes à user de la violence pour les contrôler, s’ils estiment que c’est nécessaire, est une véritable poudre à canon. Par la réglementation imposée aux clubs pour accueillir des matches et la répression, l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Sud parviennent tant bien que mal à limiter ces tragédies. En Afrique, au contraire, on compte les victimes par centaines ces dernières décennies. Le plus alarmant est qu’elles sont de plus en plus récurrentes que ce soit au Ghana, en Guinée, en Côte d’Ivoire, en RD Congo ou au Maghreb. La vétusté des stades, l’absence d’issue de secours, les mauvais agissements de certains supporters et les réprimandes qui suivent des policiers, y sont pour beaucoup.

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Le mouvement de foule qui a eu lieu le 1er février 2012 au Nord de l’Egypte, dans le stade de Port-Saïd, où 74 supporters du club Cairote du Al Ahly SC trouvent la mort, ne répond pas aux caractéristiques habituelles. Très présent lors de la révolution sur la place Tahrir, et à quelques jours du premier anniversaire de  la chute de Moubarak, les Ultras Ahlawy semblent être les cibles évidentes de ce massacre. L’absence de réaction des policiers et la violence inhabituelle des Ultras Green Eagles 07 du club local Al Masry,  sans réelle préméditation,  rentrés avec de nombreuses armes dans le stade,  intriguent.

Ultras, définition d'un mouvement quadragénaire

Les Ultras sont des groupes de supporters fanatiques structurés autour d’une association indépendante du club qu’ils encouragent. Cette forme de supporterisme est apparue en Italie à la fin des années 60, dans les tribunes de Milan, Gênes et Turin. Ils se sont fortement inspirés d’un mouvement Sud Américain.  Depuis le début des années 30, là-bas on anime activement les tribunes. Chants, applaudissements, drapeaux, tambours et fumigènes permettent de mettre l’ambiance et de représenter son club et son quartier dans les matchs contre les autres équipes de Buenos Aires, Sao Paulo, Rio de Janeiro ou Montevideo. Comme dans toutes fêtes, l’alcool est présent, la violence qui en découle aussi. Elle est même proportionnelle à la passion. Prémisse de la mondialisation, le phénomène déferlera sur l’Europe avec la diffusion TV des matches. Le mouvement Ultra se différencie du hooliganisme venue de Grande Bretagne, qui mise avant tout sur la violence pour déstabiliser son adversaire. Margareth Thatcher s’est chargée de mater le phénomène sur son île avec sa politique de fer à la fin des années 80. Certains hooligans œuvrent encore aujourd’hui en Europe, ils sont difficiles à contrôler et imprévisibles. La violence est également présente autour du mouvement Ultra, mais elle n’est pas l’élément de base du rassemblement. Les Ultras essaient davantage de se distinguer par leurs nombres et leurs animations en respectant certaines règles, dont l’obligation de ne pas s’attaquer aux gens qui ne sont pas du mouvement. Une fois par semaine, tous mettent en pause leurs vies pour rejoindre une zone où le jugement d’autrui n’est pas toléré. Un contexte fanatique imprévisible, où les couleurs du maillot suppriment toutes les barrières physiques ou morales. Une zone de liberté totale dans une atmosphère solidaire.

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À la fin des années 90, les groupes ultras étaient déjà présents dans une grande partie des tribunes de l’Europe « Latine ». On retrouve des associations importantes en Espagne, au Portugal, en France, en Grèce, en Turquie et dans les Balkans. Ils sont les sentinelles de l’histoire de leurs clubs et veillent, à préserver un certain idéal du football, ils s’en nourrissent au même titre que les rivalités.   

 

Les Ultras sont apparus dans les pays du Nord du continent Africain en deux temps. Les précurseurs sont les African Winners du Club Africain de Tunis en 1995. Il faudra ensuite près de 10 ans pour voir de nouveaux groupes se créer. Sans doute le temps qu’ils s’adaptent à la culture arabo-musulmane et aux régimes autoritaires qui sont en place. La passion du foot est là, et depuis 2005 on assiste à une déferlante. Chaque club de foot ou presque, de Rabat au Caire, est soutenu par au moins un club d’Ultras dont les aspirations varient en fonction de la région et de l’histoire du club qu’ils supportent. Dans les grandes villes, les groupes sont très bien organisés et grandissent rapidement. En moins de 10 ans d’existence, ils sont déjà reconnus par leurs frères Européens. En 2011, un groupe d’Ultras, les Blue Lions, sont apparus à Khartoum au Soudan pour soutenir l’équipe de Al Hilal, une première en Afrique noire.

Dans les pays où les jeunes ont du mal à trouver du travail, Ultra est un style de vie. Même lorsque l’équipe ne joue pas ils continuentultras-ahlawy-showing-tantawy-the-red-card d’y consacrer leurs quotidiens. C’est une seconde famille qui permet de surmonter les difficultés quotidiennes de la vie. En Grèce et en Turquie les groupes atteignent plusieurs milliers d’adhérents.

Avec son apparition dans les pays du monde arabe, le mouvement Ultra a pris une nouvelle dimension. En 2011 les groupes des clubs rivaux du Zamalek et du Al Alhy, les White Knights 07 et les Alhawy 07, se sont unis lors des manifestations du printemps arabe sur la place Tahrir. Ils se sont associés à la population et se sont occupés de réduire la portée des répressions des policières qu’ils ont décidé de combattre ensemble sous des chants de stades. Ils obtiennent une victoire par KO sur Moubarak. Pas intéressés par la politique, ils se retirent des discussions une fois le régime parti. Cette nouvelle façon de contribuer à l’ordre démocratique,  a donné un nouvel élan que l’on a pu retrouver sur place Taksim à Istanbul (en Turquie), où les UltrAslan du Galatasaray, la Çarşı du Besiktas et les GençFenerbahçeliler du Fenerbahçe, ennemis héréditaires, ont signés une trêve pour soutenir et protéger les manifestants. Avec la aussi la victoire au bout.

Ces démonstrations de forces des Ultras dans les dernières grandes manifestations sont une nouvelle menace pour les dirigeants politiques. Au pont d’en arriver au massacre de Port-Saïd ? Nous prendrons de la hauteur sur ce mouvement en Afrique du Nord dans le second chapitre.

Pierre-Marie GOSSELIN

Légende photo 1 : Mouvement de foule à la fin du match entre l’AS Vita Club et le TP Mazembe au stade Tata-Raphael de Kinshasa le 11/05/14 source : Facebook officiel TPMazembe

Légende photo 2 : Tifo du groupe Ultras Ahly lors du match de ligue des champions Al Ahly – Tusker(Kenya). Pour le grand retour des Ultras Ahlawy après la tragédie de Port Saïd le 07/04/13 source : www.ultras-tifo.net

Légende photo 3 : Illustration de la prise de position des Ultras sur le conseil supreme des froces armées, au pouvoir en egypte depuis 2011. Latuff source : latuffcartoons.wordpress.com

 

 

Football africain, les sélections du foot-business

 

Le football est une religion en Afrique. Un coup d’œil dans n’importe quelle ville vous offrira un patchwork des clubs les plus célèbres d’Europe, et des incontournables sélections qui ont fait la fierté du continent. Mais jeunes et amateurs doivent se débrouiller pour jouer.

 

L’Afrique n’est pas aveugle, le footbusiness venu d’Europe lui renvoie l’éclat de sa puissance financière chaque week-end à la télévision. Être footballeur professionnel rapporte plus que docteur ou avocat. Les terrains de foot, qu’ils soient en latérite, en sable, en goudron ou en herbe sont pris d’assaut les soirs et les week-ends. Seules les chaleurs écrasantes du soleil à son zénith ou les trombes d’eau accordent un sursis à ces espaces de jeu. Les plus jeunes rêvent tous de suivre les traces des légendes Samuel Eto’o et Didier Drogba, qui ont mis l’Europe à leurs pieds. Seulement, le football professionnel n’est que la vitrine luisante de la grande boutique que représente ce sport. Pour la rejoindre depuis l’Afrique, le chemin est long et parsemé d’embuches. Le Football n’est pas un métier, c’est un sport qui permet aux meilleurs et aux plus chanceux d’en vivre.

Footballeurs autonomes

Dans de nombreux coins d’Afrique, rien, où presque, n’est mis en place pour la pratique du football amateur et de loisir, celui qui concerne la masse et les jeunes. Ce constat n’empêche pas les gens de jouer : il suffit de peu pour s’organiser en deux équipes et d’occuper son après-midi. Seulement, cette structure anarchique du football « à la base »  n’est pas idéale pour son développement. L’intérêt du jeu est réduit au loisir sans compétition, annihilant par là même, un intérêt élémentaire du sport. Heureusement, de petits promoteurs philanthropes ou dans le business de la formation, organisent des tournois à l’échelle d’un quartier, d’une ville ou d’une région. Souvent lors des vacances scolaires, parfois même reconduits d’année en année. A côté de cette organisation informelle généralisée, aucun championnat officiel n’est organisé par les fédérations dans les catégories de jeunes sur le continent, où à de rares exceptions près.

Le système mis en place par la FIFA en Afrique via la Confédération Africaine de Football (CAF) ne s’adapte pas à l’environnement. La gestion financière opaque qui est effectuée ne permet pas une bonne utilisation des fonds. Qu’ils soient débloqués par la FIFA dans le cadre de ses subventions où de ses missions de développement, soutenu par l’état, ou issu du sponsoring de l’équipe nationale. Les montants arrivés à destination sont loin des sommes évoquées au départ, et varient d’une année sur l’autre au gré des besoins des intermédiaires. De ses bureaux  à Zurich, la FIFA valide la méthode et vient parader en Afrique avec des valises de dons. Pour financer la construction d’un nouveau siège pour les fédérations souvent, et des terrains pour les joueurs rarement…Aucun organisme de contrôle externe ne veille à ce que ces pratiques douteuses s’arrêtent. Petits arrangements entre amis donc.

Le rôle éducatif et social qui est pourtant à la base du sport, se trouve relégué au second rang des priorités exigées par la CAF, qui elle se soucie principalement de la bonne tenue des compétitions continentales. Que ce soit sur le plan des nations (CAN dans toutes les catégories d’âge et de genre, CHAN) ou des clubs (ligue des champions et coupe de la confédération). L’exigence demandée aux fédérations de chaque pays est la tenue des sélections, l’organisation d’un championnat national et d’une coupe qui suffisent à justifier des subventions obtenues. Beaucoup de présidents de fédération se prennent alors pour des « Bernard Tapie » version Olympique de Marseille 88-93 et bénéficient du soutien des états, qui veulent bien figurer à l’international. Les moyens mis en place pour gagner se font en dépit du bon sens. Les sélections présentent de plus en plus de joueurs binationaux, n’ayant la plupart du temps jamais mis les pied au pays dans un autre contexte que celui du football. Pire, des joueurs étrangers à qui on donne la nationalité. Les primes de matches sont négociées sur la base d’une réalité salariale occidentale. Les entraineurs étrangers touchent des salaires indécents rarement justifiés et bien sûr, l’inévitable corruption des matchs officiels.

Tout cela nuit au développement du football, de la formation des jeunes à la pratique amateur. Mais comme il suffit de faire croire à une boutique bien remplie, la fin des privilèges n’est pas à l’ordre du jour.

Les secteurs publics et privés au service du football

Le football est un sport de masse en Afrique qui compte des millions de pratiquants. Rien n’est mis en place pour organiser des championnats dans toutes les catégories d’âges et de tous les niveaux alors qu’ils permettraient à l'une majorité des joueurs d’évoluer dans un cadre où la motivation et le plaisir monteraient crescendo avec la compétition. Un rôle d’intérêt général qui doit encourager les institutions publiques à investir à la base, et non pas aider et encourager des fédérations frauduleuses. L’argent du peuple, utilisé aux services du peuple.

Dans un tel contexte, les clubs doivent souvent se débrouiller seul.  Les mécènes venues du secteur privé sont rares, mais un modèle se détache : celui de Moïse Katumbi au Tout Puissant Mazembe de Lubumbashi en RDC. Il a su doter son club des infrastructures qui lui permettront de survivre et de continuer de performer même au delà de son mandat.

Pour les clubs qui n’ont pas de président milliardaires, ils doivent parvenir à de nouvelles ressources. En Afrique l’argent est dans les poches étrangères. Le sponsoring des entreprises étrangères doit se généraliser. Certains clubs peuvent déjà compter sur le soutien de passionnés et d’anciens joueurs, qui une fois dans le secteur privée n’hésitent pas à effectuer les démarches pour pousser leurs directions à investir. Car sans la présence d’intermédiaire fiable, impossible pour les multinationales de se mêler dans cette « mafia » du football africain bien connue des cercles d’influences.

Pourtant elles seraient nombreuses ces sociétés internationales à pouvoir se servir du sport pour marquer leur contribution au développement des pays où ils s’enrichissent, et de se rapprocher des populations les plus vulnérables : Par effet domino accroitre leur notoriété et susciter la sympathie des supporters et du pays tout entier si les résultats sont probants. Gagnant-gagnant.  

 

Pierre-Marie Gosselin