En novembre dernier, les déclarations d’un entraîneur français relancent le débat du racisme au sein des institutions du football français, et le style du football africain. Des propos qui poussent à la réflexion. Explication en remontant le temps.
Retour sur la polémique
L’ancien international français (58 sélections), et entraîneur des Girondins de Bordeaux, Willy Sagnol, répondait aux questions de lecteurs d’un journal local. La thématique de la CAN, et le départ d’une partie de ses joueurs internationaux africains (12) furent abordés. L’entraîneur dérape et déclenche la polémique. Il annonce que sous son mandat la politique de recrutement du club bordelais ne sera plus tournée vers l’Afrique. Dans des propos remplis de préjugés, il y va de sa caricature en décrivant le joueur « typique » africain comme « pas cher quand on le prend, (…) qui est prêt au combat généralement, qu'on peut qualifier de puissant sur un terrain. Mais le foot (…), c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline». L’entraîneur s’enfonce en appuyant son discours d’une comparaison avec les « Nordiques » et leurs « bonnes mentalités ». Des propos condamnables et condamnés qui seront rapportés par l’ensemble des médias nationaux, sortant de la grille de lecture sportive de cette intervention.
Symptomatiques d’une France schizophrène de sa diversité qui flirte avec le parti d’extrême droite à chaque élection, l’ensemble des joueurs noirs et maghrébins sont considérés comme des joueurs africains. Faisant abstraction de ceux qui sont nés, ont grandi, et ont été formés en France. Les propos sont jugés de racistes par certains, ou de maladroits par d’autres. Au final, ce fut un buzz médiatique, qui disparut dans des excuses publiques aussi rapidement qu’il est apparu. Seul l’auteur des propos restera avec ses propos sur la conscience. Beaucoup de bruit, pour une bonne leçon. Et une casserole de plus pour le football français, habitué des polémiques racistes dans ses plus hautes sphères.
Le paradoxe du style africain. L’histoire comme preuve.
Depuis de nombreuses années, les sélections nationales de football d’Afrique subsaharienne ont la réputation d’être construites sur les qualités physiques et athlétiques de ses joueurs.
Paradoxalement, ce ne sont pas des qualités qui correspondent à la pratique naturelle et généralisée du football. Les matchs joués sur des espaces réduits et pas toujours uniformes contribuent à développer la technique et l’agilité. Comme au Brésil, où les plus grands joueurs sortent des Favelas et de leurs terrains vagues. L’histoire elle aussi va dans ce sens-là.
Chercheur à l’Observatoire du football de Neuchâtel, Raffaele Poli date les premières filières de transfert dans les colonies africaines au début des années 50. Le Portugal recruta, en 1960, le meilleur joueur de son histoire au Mozambique. « O pantera Negra » EUSÉBIO. L’AS Saint-Étienne fera fuir illégalement Salif Keita pour qu’il puisse les rejoindre. Des efforts immenses à l’époque pour attirer des joueurs très talentueux qui avaient fait leurs preuves sur le continent.
Dans son livre sur le parcours du triple champion d’Afrique, le HAFIA FC de Conakry, Cheick Fantamady Condé nous rapporte des propos de Maitre Naby Camara. L’actuel président du CNOSF de Guinée était l’entraîneur de l’équipe de Conakry quand il répondait aux questions du journaliste Amady Camara. C’était juste après la défaite face au CANON de Yaoundé, en finale de la coupe des champions d’Afrique, perdue en 1978. (0-0 à Conakry, et 2-0 au Cameroun). Questionné sur les ingrédients utilisés par l’entraîneur Serbe Ivan RIDANOVIC, il déclare : « La recherche du résultat a tout pris a provoqué le recours à des tactiques peu spectaculaires, le béton, et à des expédients peu élégants comme l’antijeu. (…) Ce n’était pas le vrai visage du football camerounais. Les Leppé, Koum, Tokoto, Léa, Ndongo, Milla, etc., ce sont épanouis en jouant avant tout au ballon ».
Car le spectacle était de rigueur dans les tribunes africaines. En Guinée, le président Sékou Touré, avait la volonté de valoriser l’indépendance de son pays, en démontrant la supériorité de ses représentants. Pendant 8 ans, il contribuait à la réputation flatteuse du style de jeu d’une équipe qui portait le sceau de sa révolution.
Outre la philosophie de certains entraîneurs, qu’est-ce qui a conduit à ce changement radical? La réponse se trouve peut-être en France.
« L’arroseur, arrosé »
Depuis la victoire au mondial 1998, les orientations données par la Direction Technique Nationale de la Fédération Française de Football, prônent un style de jeu fondé sur la solidité défensive. Les éducateurs sont formés dans cette optique. La recette du succès du football français qui s’est généralisée dans les centres de formation s’appuie essentiellement sur le physique. Même si des exceptions existent, beaucoup de joueurs furent recalés, car trop petits ou pas assez rapides, et malgré leurs talents certains.
La France est le pays qui recrute le plus de joueurs africains depuis l’arrêt Bosman en 1996. Et pour répondre aux attentes des clubs qui les emploient, les recruteurs Français, sont à la recherche de joueurs qui correspondent à ces critères.
Une fois expatriés, le statut des joueurs suffit à en faire des joueurs internationaux. Accompagnés des bi-nationaux formés en France, au fil du temps, certaines sélections africaines se sont transformées en armada de joueurs du même profil : physique et défensif.
En caricaturant le footballeur africain, Willy Sagnol n’a fait que pointer le doigt sur le football de son pays, et les directives de ses dirigeants.
Car bien au contraire, « Le joueur typique africain » avait pour mission de faire lever les foules grâce à ses dribbles et ses actions imprévisibles. C’est ce qu’ont fait chaque week-end les meilleurs joueurs du continent. Salif Keïta, Pierre Kalala, Laurent Pokou, Roger Milla, George Weah, Rashid Yekini, Japhet N’Doram, Nwankwo Kanu, Samuel Eto’o, Mickael Essien, Yaya Touré…
Mais seulement quand leurs entraineurs leur laiss(ai)ent la possibilité de s’exprimer, ce qui n’est pas toujours le cas. Comme Hervé Renard qui avant la finale de la dernière CAN 2015, déclarait que pour gagner, il faut : « bien fermer leurs joueurs offensivement importants (… ) Ce sera très serré. Peut-être que ça se décidera sur coup de pied arrêté ». Soit bétonner et être réaliste, comme le Canon de Yaoundé de Ivan RADINOVIC en 1978, malgré Roger Milla, malgré Gervinho, Yaya, etc…
Pierre-Marie GOSSELIN
Source citation et données :
Lien vers l’intégralité de l’intervention de Willy Sagnol dans son face à face avec les lecteurs. La question que nous abordons est disponible à partir de la 18ième minute : https://www.youtube.com/watch?v=wv6JVci1XG4&feature=player_embedded
Cheikh Fantamady CONDÉ (2009) Sport et Politique en Afrique, Le Hafia Football Club de Guinée, L’Harmattan Guinée
Conférence de presse de Hervé RENARD le 08/02/2015 avant la finale de la CAN, source AFP, disponible sur www.lequipe.fr http://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Renard-ne-pas-laisser-passer-cette-chance/534891
Bibliographie :
Raffaele POLI : Migrations et commerce de footballeurs africain : aspect historique, géographique et culturel, We Are Football Association http://www.wearefootball.org/PDF/une-nouvelle-traite.pdf
Illustration :
Photo 1 : l’équipe de France en 2008, Willy Sagnol (n°19) entouré de Patrick Viera et Lilian Thuram
Photo 2: Le Hafia FC de 1977, photo de couverture du livre de Cheick Fantamady CONTÉ
Photo 3 : Caricature de Dadou, sur le style de jeu des girondins lors de la saison 2013/2014, et la réaction des supporteurs . www.foot-land.com