Ebola, une terreur politico-économique

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Ayant principalement frappé trois pays d’Afrique de l’Ouest, le Libéria, la Guinée et la Sierra Leone, la propagation du virus Ebola depuis mars 2014 bat tous les records. En effet, l’épidémie en date dépasse de loin tous les dégâts qu’Ebola avait pu causer dans le passé. Face à la gravité des faits, une mobilisation internationale a tout naturellement vu le jour avec pour dessein de lutter pour une accalmie voire une totale éradication de cette maladie. Cependant, la fièvre hémorragique Ebola semble manifestement dicter ses propres lois en termes de relations géopolitiques et géoéconomiques.

Des bilans de plus en plus lourds …

La catastrophe sanitaire gagne du terrain. Le dernier bilan de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), publié le mercredi 12 novembre, fait état de 5 160 personnes mortes sur 14 098 cas de fièvre hémorragique Ebola enregistrés. On assiste ainsi à l’épidémie la plus grave depuis la découverte du virus en 1976 en Afrique centrale.

Aide internationale et fermeture de frontières

Face à la précarité de la situation et aux signaux de détresse envoyés par les pays touchés, des mesures d’urgence ont été prises parmi les acteurs de la scène internationale. Ainsi, le 16 septembre, le président américain Barack Obama annonçait l’envoi de 3 000 soldats américains au Libéria pour participer à la construction de 17 centres de traitement, offrir une aide logistique et assurer des formations pour le personnel sanitaire, tout en promettant de débloquer des centaines de millions de dollars. Le Libéria possède de faibles moyens pour contrer la propagation de ce virus et que sa capitale, Monrovia, où réside plus de 1,2 million d’habitants, a été frappée de plein fouet. La France a également fourni du matériel médical et versé 9 millions d’euros d’aide à la Guinée. La Sierra Leone, quant à elle, a reçu des soutiens matériel, humain et financier en provenance d’Angleterre, d’Autriche, de Belgique mais aussi de Chine. On pourra ainsi noter l’engagement de nombreux pays du Nord dans la lutte contre cette pandémie et que cela aura eu le mérite de faire quelque peu oublier le manque de réactivité de l’ONU face à cette menace.

Cependant, dans cet élan de solidarité internationale, ce sont surtout les médecins volontaires d’organisations non-gouvernementales qui se sont fait remarquer. Bravant tous les dangers, quitte à se rendre dans les zones rouges, ces médecins ont su redonner de la force et du courage aux populations affectées, en utilisant les techniques et soins de prévention appropriés. Parmi les cas d’Ebola hors d’Afrique, on compte notamment trois aides-soignantes, deux Américaines, une Française rattachée à Médecins Sans Frontières (MSF), ayant montré des symptômes de la maladie à son retour du Libéria ; et une Espagnole ayant été en contact avec deux missionnaires contaminés puis décédés peu de temps après leur retour de Sierra Leone.

A l’inverse, certains pays ont fermé leurs frontières aux pays touchés lorsque certains ont préféré mettre en place des systèmes de mise en quarantaine parfois jugés comme étant exagérés. De telles mesures ont été prises dans le but d’empêcher des personnes infectées de fuir leur pays et propager l’épidémie au-delà des frontières. Au plan régional, la Guinée Equatoriale et le Sénégal ont pris la décision de fermer leurs frontières avec la Guinée. De nombreux vols de la Côte d’Ivoire, du Tchad et de la Gambie vers les pays touchés ont été annulés. De l’autre côté de l’Atlantique, le Canada, suivant l’Australie, a fait le choix de ne plus accorder de visas aux ressortissants des pays principalement contaminés mais aussi aux personnes y ayant séjournés. Ces nouvelles dispositions politiques, mues sans nul doute par un sentiment de peur et un instinct de survie à grande échelle, ne semblent cependant pas politiquement courageuses. Hélas, il demeurera toujours une probabilité, certes fine, que les personnes en provenance du Libéria, de la Sierra Leone ou de Guinée trouvent des moyens de transiter par d’autres pays pour se rendre là où elles considèrent pouvoir retrouver une sécurité sanitaire.

D’autres pays tels que les Etats-Unis ont préféré se lancer dans une procédure de mise en quarantaine systématique des humanitaires de retour d’Afrique de l’Ouest. Devant pourtant être ceux qui méritent d’être traités avec le plus de tact et de respect, les infirmiers sont bel et bien ceux qui pâtissent le plus de cette politique. Kaci Hickox, la première d’entre eux à être passée par ce protocole, s’est exprimée en les termes suivants : « Je ne souhaite à personne une telle situation et j'ai peur pour les gens qui vont être dans mon cas à l'avenir » tout en ajoutant s’être sentie telle une « criminelle ». En effet, ce système semble déshumaniser les personnes suspectées de présenter des symptômes de la maladie. Fortement critiquée, la mise en quarantaine est considérée comme contre-productive car les données scientifiques prouvent que sans symptômes, il n’y a pas lieu de considérer l’éventualité d’une contagion. Il devient alors essentiel de réinstaurer une relation de confiance entre les contrôleurs et les volontaires, en indiquant à ces derniers des mesures précises à suivre les 21 jours suivants leur arrivée mais aussi et surtout, pour les motiver à repartir sur le terrain et contribuer à l’éradication d’Ebola.

Un environnement économique chamboulé

Il est indubitable que le virus Ebola constitue une menace économique pour les pays d’Afrique de l’Ouest. Il vient malheureusement au moment où l’Afrique connait une belle période en termes d’investissements. Or, selon la Banque mondiale, si l’épidémie continue de se répandre dans les pays les plus touchés et se propage aux pays limitrophes, l’impact financier pourrait atteindre 32,6 milliards de dollars. L’un des secteurs les plus touchés étant le tourisme d’affaires, certaines entreprises étrangères, notamment dans le secteur minier, ont interrompu leurs projets au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée. Leurs voisins tels que le Sénégal et la Côte d’Ivoire pâtissent également de cette situation, avec l’annulation de nombreux séminaires et colloques.

Publié au début du mois d’octobre, une analyse de la Banque africaine de développement (BAD) prévoie deux cas de figures dans l’éventualité d’un phénomène de contagion à d’autres pays. Concernant, le scénario « bas », les pertes du PIB de l’Afrique de l’Ouest  pourraient s’élever à 2.2 milliards de dollars en 2014 et 1,6 milliards en 2015. Pour ce qui est du scénario dit « haut », ces pertes pourraient s’élever à 7,4 milliards de dollars en 2014 et atteindre 25,2 milliards en 2015. Ceci explique pourquoi il est plus que nécessaire que l’ONU renforce son aide financière aux pays touchés car leurs activités et échanges économiques risquent peu à peu d’être paralysés, sans compter leur manque grandissant de ressources humaines. Le plus dur sera encore de faire disparaître ce sentiment de rejet et de stigmatisation que nourrissent les acteurs économiques régionaux et internationaux à l’égard des pays directement concernés.

Un fléau mais aussi une stigmatisation

Le terme Ebola suscite une peur à dimension internationale et, dans ce monde que l’on qualifie pourtant d’interconnecté, une nette rupture de sociabilité se fait sentir. Il n’y aurait manifestement que deux groupes désormais : les ressortissants du « triangle » Ebola et les autres. C’est précisément la raison pour laquelle de nombreuses voix, ne pouvant plus supporter cette stigmatisation se sont faites entendre. Parmi elles, la bloggeuse Sierra Léonaise, Hannah Foullah, qui a publié une vidéo où défilent les photos de plusieurs de ses compatriotes, chacune accompagnée d’un message disant « Je suis Sierra Léonais, pas un virus ! » ou encore « Isolez Ebola, pas notre pays ». Elle explique vouloir ouvrir les yeux aux autres en affirmant que de la même façon que son pays a pu se remettre d’une guerre civile, ceci  n’est qu’une mauvaise passe de plus et qu’elle ne définit en rien son peuple. Dans le même registre, une photographe et présentatrice de télévision libérienne a réalisé une vidéo où différentes personnes tiennent une pancarte contenant le message « Je suis Libérien et non un virus ! ». Signalons par ailleurs que le Libéria traverse récemment une phase d’apaisement et que les spécialistes considèrent qu’il y a de bonnes raisons d’être optimistes quant au recul de la pandémie.

Redoublant de créativité, Anthony England, professeur de chimie aux Etats-Unis, a réalisé une carte pour préciser que la fièvre hémorragique Ebola ne concerne principalement que trois pays. Publié sur Twitter, ce schéma a pour objectif de sensibiliser les internautes sur cet amalgame trop fréquent entre le fait d’être Africain et celui de contracter cette maladie. Tout ceci conduit essentiellement à un point vital : les ressortissants des pays où Ebola s’est installé tiennent plus que tout à être traités dignement mais aussi à ne pas être isolés du reste du monde. La réponse la plus concrète serait donc d’envoyer le maximum d’aide médicale possible pour limiter les risques de transmission, encercler le virus, l’exterminer et, par-dessus-tout, faire un pas de plus dans la réinstauration de la paix et de la sécurité internationales.

 Khadidiatou Cissé