CAN 2015 : Édition 100% Africaine, avec ses charmes, ses surprises et ses aléas

Des suites de la surprenante défection du Maroc au mois de novembre 2014, la Guinée-Équatoriale a accepté d’organiser la grande fête du football africain à la dernière minute. Le président camerounais de la CAF, Issa Hayatou, ne s’y est pas trompé "A deux mois de l'événement, pour accepter d'organiser une compétition comme celle-là, il faut avouer qu'il faut être vraiment un vrai Africain". Les prémisses d’une belle édition pour cette 30ème Coupe d’Afrique des Nations. Dans un pays qui avait co-organisé avec succès l’édition de 2012.

Une demi-finale offerte à l’organisateur 

En tant que pays hôte, la sélection équato-guinéenne, sportivement éliminée, est repêchée au dernier moment pour jouer la compétition. Le Nzalang National, qui a pourtant un niveau de jeu limité, se retrouve dans l’obligation de réaliser de grands exploits pour que le peuple puisse fêter son équipe ; à tout prix. Le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo le sait, et il est obligé de se couvrir.

photo 1 Hayatou remet un présent à Obiang NguemaMême si les équipes participantes savent où elles posent leurs crampons, cette délocalisation bouleversera invariablement la hiérarchie sportive. Logiquement, les premières plaintes apparaissent très tôt dans la compétition, pour critiquer le favoritisme qui entoure l’équipe équato-guinéenne. Malgré toute son expérience, l’entraîneur des Diables rouges du Congo, Claude Leroy, dénonce l’accueil particulier que son équipe reçoit pour le match d’ouverture.  Puis c’est au tour du Burkina Faso et du Gabon de signaler un manque d’équité. Que ce soit sur le terrain ou en amont des matchs, depuis la chambre d’hôtel jusqu’au transport en bus, tous les moyens sont bons pour déstabiliser l’adversaire. La Guinée finira deuxième de son groupe avec 5 points. 2 matchs nuls et une victoire décisive contre le Gabon, pour clôturer la phase de poules. 

 

En ¼ de finale, pour le premier match à élimination directe, c’est au tour de la Tunisie de subir un « coup de machette » Équato-photo 2 tunisie_guinne_equatoriale_arbitre_can2015Guinéen. Les décisions de l’arbitre pour le moins litigieuses influent largement sur le résultat final, et provoquent la colère des tunisiens. Ces derniers seront a posteriori sanctionnés pour leurs critiques virulentes. La CAF sait ce qu’elle doit à la Guinée-Équatoriale qui les a sortis d’un sale pétrin, et elle se doit de la remercier.

Dans ce contexte favorable, les joueurs équato-guinéens obtiennent une qualification historique en ½ finales. Ils s’inclineront face à la très belle équipe des Black Stars du Ghana, bien supérieure dans tous les secteurs du jeu ; défaite 3 à 0. Malheureusement, la dernière image qui marquera cette épopée inachevée, celle qui restera dans les esprits, n’est pas sportive. Mauvais perdant, les supporters locaux agressent les fans ghanéens avec des jets de projectiles. Pour y remédier, la gendarmerie décide d’utiliser le vol stationnaire d’un hélicoptère, à quelques mètres des tribunes, afin de disperser les plus insatisfaits. Une méthode inédite, mais très virulente. Pourtant, jusqu’à cette élimination, la fête avait été belle.

photo 3 Hélico Guinée Ghana

 

 

 

 

Une élimination par tirage au sort et la fièvre autour du fleuve Congo

Toutes les équipes ne se sont pas confrontées à la Guinée-Équatoriale, et l’on assiste à une très belle compétition. Elle est disputée dans les règles du photo 4 tirage-sort-canfair-play, avec son lot de surprise. Il y a du suspense et de l’enjeu à tous les matchs. On doit même recourir à une règle surprenante, pour départager le Syli de Guinée Conakry et les Aigles du Mali. À la fin du premier tour, les deux équipes sont à égalité parfaite (Points, différence de buts, nombre de buts marqués et encaissés). Une scène surréaliste dans le sport d’aujourd’hui, quand la victoire se joue le lendemain du match, suite au choix d’une boule dans un saladier. Un choix célébré sans retenue à Conakry, où il est perçu comme une grande victoire contre la malchance latente.

 

Du côté des grandes nations favorites, les Algériens n’ont pas réussi à confirmer leurs magnifiques performances de la coupe du monde en se faisant éliminer dès les ¼ de finale. Les lions camerounais et sénégalais ont donné beaucoup d’espoirs à leur pays sans pouvoir les satisfaire pleinement. Ce sera partie remise, dans 2 ans…

Cette 30ème édition de la CAN restera historique pour les deux Congo. Au-delà du fait que les diables rouges de Brazzaville ont réussi à gagner un match pour la première fois dans cette compétition depuis leur dernière demi-finale en 1974, le tableau nous a réservé un duel fratricide en ¼ de finale. Les cris de joie des uns et des autres traversent le fleuve entre Kinshasa et Brazza, dans un match au scénario incroyable, où les léopards de RDC sont venus s’imposer 4-2 après avoir été menés 2 à 0 jusqu’à l’heure de jeu. 

La Côte d’Ivoire enfin au sommet

photo 5 coppa barry porté en triompheAu final, c’est une Côte d’Ivoire orpheline de son prophète Didier Drogba, qui  remporte la compétition face au Ghana. Au bout du suspense, au terme d’une séance de tirs au but interminable dont sortira vainqueur le gardien Coppa Barry. Considéré jusque-là comme le maillon faible de son équipe, il est le nouveau  héros, celui qui effectue le tir vainqueur. Celui qui permettra à tout le peuple ivoirien de faire la fête pendant plusieurs jours, au président Ouattara de faire un tour d’honneur dans un stade comble, et à la diaspora de ressortir les drapeaux et de se brancher sur la RTi. Le trophée effectuera une tournée dans les plus grandes villes du pays pendant plusieurs mois.

À Kinshasa, les manifestations de la jeunesse qui ont dégénéré en guérilla en janvier 2015, étaient en pause lors des matchs des Léopards. Une trêve comme l’avait imaginé les grecques dans l’Antiquité, en instaurant les jeux Olympiques. Même si cette atmosphère ne dure qu’un temps, et que la ligne entre l’euphorie et la colère est très mince, cela justifie amplement que cette compétition se joue tous les deux ans. Comme une bouffée d’air frais dont l’Afrique a besoin… Prochaine édition en 2017, pas loin, chez le voisin gabonais. Une garantit pour cette compétition qui veut préserver son authenticité. 

Pierre-Marie GOSSELIN

Citation : conférence de presse d’officialisation de l’organisation de la CAN par la Guinée-Équatoriale, source AFP

Photo de couverture : Le président OUATTARA  tout sourire au côté de Yaya Touré lors de la présentation du trophée au stade Houphouët-Boigny d’Abidjan. Source  Reuters

Source photo 1 : Le président de la CAF Issa Hayatou offre un cadeau au président Théodorin     Obiang Nguema lors de la cérémonie d’ouverture de la CAN 2015. Source AFP

Photo 2 : Altercation entre l’arbitre Mauricien Radjindapasard Seechurn et les joueurs tunisiens. Source AFP

Photo 3 : l ‘hélicoptère au dessus de la tribune. Source : Issouf Sanogo AFP

Photo 4 : Tirage au sort entre le Mali à Gauche, et la Guinée à droite. Source  AFP

Photo 5 : Coppa Barry porté en triomphe par Wilfried Bony. Source AFP

Impact de l’épidémie Ebola sur le quotidien des Abidjanais

 

HISTORIQUE

La maladie à virus Ebola (autrefois appelée fièvre hémorragique à virus Ebola) est une maladie grave, pouvant entrainer la mort certaine chez l’homme. Le virus Ebola, responsable de la maladie, est apparu pour la première fois en 1976 à Yambuku, dans l'actuelle République Démocratique du Congo. Cette localité étant située près de la rivière Ebola, celle-ci a donné son nom à la maladie.

Le virus se transmet à partir d’animaux sauvages et se propage ensuite dans les populations par transmissions interhumaines. Les premiers cas d’Ebola ont été notifiés dans la zone d’Afrique de l’ouest en mars 2014, d’abord en Guinée, puis s’est propagé rapidement en Sierra Leone et au Liberia.

Aucun traitement homologué n’a pour l’instant démontré sa capacité à neutraliser le virus. Vu la propagation très rapide du virus, nous pouvons affirmer que la menace Ebola a quelque peu changé les habitudes quotidiennes des Ivoiriens. La Côte d’Ivoire, pays frontalier de la Guinée et du Liberia, se devait de mettre en place un dispositif cohérent de veille afin d’empêcher l’entrée de la maladie sur son territoire.

QUELQUES MESURES PRISES PAR LES AUTORITES

Afin de lutter efficacement contre la menace Ebola, le gouvernement ivoirien a pris des mesures préventives et répressives, et ce, dans l’intérêt des populations.

La sensibilisation

Sensibilisation des populations sur la maladie à virus Ebola par le Ministère de la Santé

Des émissions de sensibilisation sur Ebola en langues locales sont diffusées  dans toutes les radios de proximité à travers le pays. Il s’agit d’émissions de santé qui vont être produites et diffusées au profit des populations sur la thématique de la lutte contre Ebola. Ces programmes sur le lavage des mains et les pratiques culturelles et religieuses ont été produits et diffusés aux populations de l’intérieur du pays, au terme de formations initiées par CFI (Canal France International) et RFI (Radio France Internationale).

D’autres modules de formation sont également dispensés sur les symptomes  de la maladie, les modes de transmissions et de contamination, etc.

 

Des ateliers sont également proposés aux populations rurales, et visent à contribuer à atténuer les résistances culturelles et favoriser une meilleure compréhension et une acceptation des mesures de prévention. Depuis l’apparition de la maladie dans notre zone ouest-africaine, les spots publicitaires, communiqués réguliers, messages radiophoniques, caravanes et campagnes de sensibilisation ne manquent pas. Les artistes musiciens ont même produit un clip vidéo intitulé « Stop Ebola ». Les revenus de la vente de cette œuvre musicale seront reversés à des fondations pour la lutte contre la maladie. Le footballeur International Didier Drogba s’est lui aussi engagé à associer son image à la lutte contre Ebola. Plusieurs autres ont suivi, notamment Yaya Toure, Gervinho, etc.

Mesures sanitaires

Surveillance renforcée dans les aéroports: des équipes médicales ont été déployées sur le site de l’aéroport afin de contrôler tous les voyageurs à destination d’Abidjan. Ces équipes sont dotées d’équipements modernes pouvant identifier et diagnostiquer toute personne à forte température et présentant les signes de la maladie.

Le Ministère de la santé recommande aux populations de se laver régulièrement les mains à l’eau et au savon, d’éviter de faire des accolades, car la maladie se propage  à partir des fluides corporels (sueur, sang, salive). Toute chasse, tout transport de viande de brousse sont strictement interdits jusqu’à nouvel ordre (Chimpanzés, singes, chauve-souris, agouti, porc-épic). Sont également proscrits les faits de ramasser et de  manipuler les animaux morts. Un numéro vert gratuit (143) a été créé par le Ministère de la Santé afin de signaler très rapidement tout cas suspect.

 

Mesures répressives

 

Dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, deux chasseurs ont été mis aux arrêts. Ces individus ont outrepassé la mesure gouvernementale d’interdiction de la chasse. Ils ont été arrêtés et la gazelle, en leur possession, a été incinérée. A la frontière ivoiro-libérienne, plusieurs embarcations ont été bloquées. Le Préfet a indiqué que malgré les mesures d’interdiction, des personnes continuent de rallier illégalement les deux pays en passant clandestinement par le fleuve Cavally au moyen d’embarcations de fortune.

 

LES  COMPORTEMENTS NATURELS DES ABIDJANAIS

 

Au début de l’apparition de la fièvre Ebola dans les pays limitrophes de la Côte d’Ivoire que sont la Guinée et le Liberia, une véritable psychose s’est emparée de tous les Abidjanais, chacun voulant éviter d’être contaminé.

 

Les mesures préventives prises par le Gouvernement, à savoir l’interdiction de se serrer les mains, de faire des accolades, de manger dans les lieux publics a augmenté les craintes des populations face à une maladie qui jusque-là n’a pas de remède. Au départ, la situation fut effrayante, mais depuis quelques temps, elle s’est nettement améliorée, et les populations ont recommencé à se serrer les mains et se faire des accolades, car selon elles, c’est Dieu seul qui protège contre la maladie.

 

LES RAPPORTS AVEC LES LIBERIENS VIVANT A ABIDJAN

 

Bien que le Liberia soit un des pays les plus affectés par la fièvre Ebola, cela n’a pas véritablement eu d’incidences négatives sur la cohabitation entre Ivoiriens et Libériens à Abidjan. Le problème qui se pose est celui des Libériens vivant au Liberia et désireux de se rendre en Côte d’Ivoire. Sur cette question, le gouvernement a été formel. Aucune personne vivant au Liberia ne doit franchir la frontière ivoirienne. Cette mesure est purement d’ordre sanitaire et vise à circonscrire l’épidémie afin de mieux la combattre. Elle a été très bien comprise par les populations et n’est pas de nature à perturber les relations diplomatiques entre les deux Etats.

BILAN

L’épidémie de fièvre Ebola sévit actuellement dans quelques pays de notre sous-région ouest-africaine, dont deux de ces pays partagent des frontières communes avec la Cote d’Ivoire. La maladie a déjà fait environ 8459 morts, sur plus de 21329 cas enregistrés, selon le dernier bilan de l’OMS. Même si jusque-là aucun cas n’a été déclaré en Côte d’Ivoire, le pays se doit d’être en veille en maintenant les mésures preventives deja mises en place.

PERSPECTIVES

Selon l’OMS, les nouveaux cas de la maladie à virus Ebola dans les trois pays d’Afrique de l’ouest sont en réelle baisse. Cela est un signe d’optimisme et une lueur d’espoir pour l’avenir. L’Envoyé spécial des Nations Unies sur Ebola, Dr David Nabarro s’est déclaré confiant sur la lutte contre l’épidémie en Afrique de l’Ouest. Les Nations Unies sont heureuses et fières de la maníère dont la Côte d’Ivoire gère la menace Ebola. Ceci est très encourageant pour tous les acteurs qui ont décidé de faire barrage à la propagation de cette maladie.

Moussa Koné

SOURCES

www.sante.gouv.ci

www.prevention-ebola.gouv

www.aip.ci (Agence Ivoirienne de Presse)

www.who.int (site de l’OMS)

Xinhua

NB : les images sont tirées du site www.abidjan.net

Annus Malum ou Annus Bonum ?

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Par rapport à 2013, l'année 2014 a connu moins d'événements significatifs. Cependant, lorsqu'on regarde en Afrique, les populations civiles et certains hommes politiques ont passé soit un Annus Malum ou un Annus Bonum.[1] Cet article revient sur ces événements phares afin de constituer une référence par rapport à laquelle les événements de l'année 2015 pourront être mis en perspectives.

Annus Malum pour les populations Guinéennes, Sierra-Léonaise et Libérienne qui ont été frappées par l'éruption de l'épidémie de maladie à virus Ebola en 2014. Nul besoin de refaire l'arithmétique macabre pour évoquer la violence de cette épidémie. Au-delà de ces populations c'est tous les Africains qui ont vécu sous la peur de voir les perspectives d'émergence économique ralenties par une épidémie dont le vaccin ne leur était pas accessible. Alors que le problème du manque d'infrastructure est pointé du doigt pour expliquer la propagation de l'épidémie, on ne peut pas manquer de souligner le manque extrême de recherche médicale en Afrique sur les maladies tropicales, surtout lorsqu'on sait que le virus a été identifié depuis 1976.

Annus Malum pour les populations Nigérianes obligées de vivre sous la terreur du groupe islamiste Boko Haram. Cette terreur a atteint son paroxysme lorsque le 14 avril, plus de deux cent filles ont été enlevées à Chibok dans le Nord-Est du pays. Au delà de l'émotion que cette situation peut susciter, il est intriguant qu'elles n'aient pas eu le bonheur de fêter les fêtes de fin d'année avec leurs proches et amis dans le premier Etat producteur de pétrole en Afrique. Il ne se passe plus une semaine sans qu'un attentat n'arrache la vie à des personnes vacant tout simplement à leurs occupations quotidiennes. Cette situation met en évidence que le terrorisme se nourrit surtout de la pauvreté et des inégalités. La redistribution des richesses et la mise en place de politiques sociales dans les couches vulnérables de la société devraient donc être privilégiées comme solutions de long terme de prévention du terrorisme.

Annus Malum pour les pays producteurs de pétrole en Afrique avec la chute vertigineuse des cours du pétrole. Cette situation vient leur rappeler que la dure loi de l'offre dont l'abondance fait nécessairement baisser les prix, mais aussi la dépendance du cours par rapport au contexte géopolitique et au progrès technologique notamment dans les énergies renouvelables. Il convient dès lors d'envisager l'utilisation des moyens financiers générées par ces ressources naturelles pour construire les bases d'économies nationales moins dépendantes des ressources naturelles et génératrices de recettes publiques pour le financement des infrastructures du développement.

Annus Malum, voire même "Annus Horibilis" pour Blaise Compaoré qui s'est vu obliger de fuir son pays comme un vulgaire individu après avoir consacré 27 années de sa vie à se faire réélire président de son pays. Ce triste sort vient rappeler aux dirigeants qui s'éternisent au pouvoir ou qui ont l'intention de le faire la nécessité de favoriser le renouvellement du leadership. Au cœur de ce constat se trouve la question de l'organisation de la vie politique dans les pays Africains. Tout se passe comme si lorsqu'il n'existe pas d'opposition ou tout simplement une organisation politique capable de proposer une alternative, les dirigeants au pouvoir profitent pour mettre la main sur certains secteurs importants de l'économie ou ne sont plus découragés de commettre des délits ou crimes. Dans ces conditions, quitter le pouvoir est tout simplement synonyme de vulnérabilité.

Faut-il dire Annus Bonum pour la francophonie qui a échappé à la règle en renouvelant son leadership avec en prime une femme, fruit du métissage, en la personne de Michaëlle Jean ? Certains Africains y verront plutôt un Annus Malum dans la mesure où le nouveau président n'est pas de nationalité africaine. Ces malentendus montrent à quel point le défi de l'intégration culturelle reste à relever au sein de l'espace francophone pour faire en sorte que les peuples qui y vivent fassent abstraction des "différences administratives" pour embrasser l'idéal de partager une langue commune qu'est le français.

Faut-il dire Annus Bonum pour la démocratie en Afrique qui semble faire des progrès avec l'élection d'un président démocratiquement élu à Madagascar et en Tunisie ; mettant fin à des transitions politiques instables. Cependant, à y voir de près, le pouvoir n'a fait que changer de tête à Madagascar alors qu'en Tunisie il reste dans les mains d'une génération dont on se demande si elle mesure encore les enjeux des décennies à venir. Que ce soit en Tunisie ou au Burkina Faso, voire même en Egypte, partout où des soulèvements populaires ont renversés des régimes existants, force est de constater que l'absence d'une alternative crédible, ou du moins d'une structure d'idées, laisse place à la régénération de l'ancien régime.

Pris ensemble, ces événements viennent rappeler une fois de plus en quoi les questions liées à la santé, à l'éducation, à la création et à la redistribution des richesses, ainsi que celles liées au fonctionnement des institutions politiques demeurent des défis à relever en Afrique. Alors que le continent s'engage dans une phase de croissance, quelles sont les stratégies sur lesquelles ces gouvernements devraient miser pour s'assurer que cet épisode de croissance soit la promesse de futures Annus Bonum pour l'ensemble des populations africaines. Il est vain d'en fournir les détails ici, mais nous nous tâcherons de proposer dans un prochain article une présentation schématique des alternatives qui s'offrent aux gouvernements africains. En attentant, Annus Bonum à tous.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Les termes latins "Annus Malum" et "Annus Bonum" se traduisent comme "Mauvaise année" et "Bonne Année" respectivement.

Ebola, une terreur politico-économique

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Ayant principalement frappé trois pays d’Afrique de l’Ouest, le Libéria, la Guinée et la Sierra Leone, la propagation du virus Ebola depuis mars 2014 bat tous les records. En effet, l’épidémie en date dépasse de loin tous les dégâts qu’Ebola avait pu causer dans le passé. Face à la gravité des faits, une mobilisation internationale a tout naturellement vu le jour avec pour dessein de lutter pour une accalmie voire une totale éradication de cette maladie. Cependant, la fièvre hémorragique Ebola semble manifestement dicter ses propres lois en termes de relations géopolitiques et géoéconomiques.

Des bilans de plus en plus lourds …

La catastrophe sanitaire gagne du terrain. Le dernier bilan de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), publié le mercredi 12 novembre, fait état de 5 160 personnes mortes sur 14 098 cas de fièvre hémorragique Ebola enregistrés. On assiste ainsi à l’épidémie la plus grave depuis la découverte du virus en 1976 en Afrique centrale.

Aide internationale et fermeture de frontières

Face à la précarité de la situation et aux signaux de détresse envoyés par les pays touchés, des mesures d’urgence ont été prises parmi les acteurs de la scène internationale. Ainsi, le 16 septembre, le président américain Barack Obama annonçait l’envoi de 3 000 soldats américains au Libéria pour participer à la construction de 17 centres de traitement, offrir une aide logistique et assurer des formations pour le personnel sanitaire, tout en promettant de débloquer des centaines de millions de dollars. Le Libéria possède de faibles moyens pour contrer la propagation de ce virus et que sa capitale, Monrovia, où réside plus de 1,2 million d’habitants, a été frappée de plein fouet. La France a également fourni du matériel médical et versé 9 millions d’euros d’aide à la Guinée. La Sierra Leone, quant à elle, a reçu des soutiens matériel, humain et financier en provenance d’Angleterre, d’Autriche, de Belgique mais aussi de Chine. On pourra ainsi noter l’engagement de nombreux pays du Nord dans la lutte contre cette pandémie et que cela aura eu le mérite de faire quelque peu oublier le manque de réactivité de l’ONU face à cette menace.

Cependant, dans cet élan de solidarité internationale, ce sont surtout les médecins volontaires d’organisations non-gouvernementales qui se sont fait remarquer. Bravant tous les dangers, quitte à se rendre dans les zones rouges, ces médecins ont su redonner de la force et du courage aux populations affectées, en utilisant les techniques et soins de prévention appropriés. Parmi les cas d’Ebola hors d’Afrique, on compte notamment trois aides-soignantes, deux Américaines, une Française rattachée à Médecins Sans Frontières (MSF), ayant montré des symptômes de la maladie à son retour du Libéria ; et une Espagnole ayant été en contact avec deux missionnaires contaminés puis décédés peu de temps après leur retour de Sierra Leone.

A l’inverse, certains pays ont fermé leurs frontières aux pays touchés lorsque certains ont préféré mettre en place des systèmes de mise en quarantaine parfois jugés comme étant exagérés. De telles mesures ont été prises dans le but d’empêcher des personnes infectées de fuir leur pays et propager l’épidémie au-delà des frontières. Au plan régional, la Guinée Equatoriale et le Sénégal ont pris la décision de fermer leurs frontières avec la Guinée. De nombreux vols de la Côte d’Ivoire, du Tchad et de la Gambie vers les pays touchés ont été annulés. De l’autre côté de l’Atlantique, le Canada, suivant l’Australie, a fait le choix de ne plus accorder de visas aux ressortissants des pays principalement contaminés mais aussi aux personnes y ayant séjournés. Ces nouvelles dispositions politiques, mues sans nul doute par un sentiment de peur et un instinct de survie à grande échelle, ne semblent cependant pas politiquement courageuses. Hélas, il demeurera toujours une probabilité, certes fine, que les personnes en provenance du Libéria, de la Sierra Leone ou de Guinée trouvent des moyens de transiter par d’autres pays pour se rendre là où elles considèrent pouvoir retrouver une sécurité sanitaire.

D’autres pays tels que les Etats-Unis ont préféré se lancer dans une procédure de mise en quarantaine systématique des humanitaires de retour d’Afrique de l’Ouest. Devant pourtant être ceux qui méritent d’être traités avec le plus de tact et de respect, les infirmiers sont bel et bien ceux qui pâtissent le plus de cette politique. Kaci Hickox, la première d’entre eux à être passée par ce protocole, s’est exprimée en les termes suivants : « Je ne souhaite à personne une telle situation et j'ai peur pour les gens qui vont être dans mon cas à l'avenir » tout en ajoutant s’être sentie telle une « criminelle ». En effet, ce système semble déshumaniser les personnes suspectées de présenter des symptômes de la maladie. Fortement critiquée, la mise en quarantaine est considérée comme contre-productive car les données scientifiques prouvent que sans symptômes, il n’y a pas lieu de considérer l’éventualité d’une contagion. Il devient alors essentiel de réinstaurer une relation de confiance entre les contrôleurs et les volontaires, en indiquant à ces derniers des mesures précises à suivre les 21 jours suivants leur arrivée mais aussi et surtout, pour les motiver à repartir sur le terrain et contribuer à l’éradication d’Ebola.

Un environnement économique chamboulé

Il est indubitable que le virus Ebola constitue une menace économique pour les pays d’Afrique de l’Ouest. Il vient malheureusement au moment où l’Afrique connait une belle période en termes d’investissements. Or, selon la Banque mondiale, si l’épidémie continue de se répandre dans les pays les plus touchés et se propage aux pays limitrophes, l’impact financier pourrait atteindre 32,6 milliards de dollars. L’un des secteurs les plus touchés étant le tourisme d’affaires, certaines entreprises étrangères, notamment dans le secteur minier, ont interrompu leurs projets au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée. Leurs voisins tels que le Sénégal et la Côte d’Ivoire pâtissent également de cette situation, avec l’annulation de nombreux séminaires et colloques.

Publié au début du mois d’octobre, une analyse de la Banque africaine de développement (BAD) prévoie deux cas de figures dans l’éventualité d’un phénomène de contagion à d’autres pays. Concernant, le scénario « bas », les pertes du PIB de l’Afrique de l’Ouest  pourraient s’élever à 2.2 milliards de dollars en 2014 et 1,6 milliards en 2015. Pour ce qui est du scénario dit « haut », ces pertes pourraient s’élever à 7,4 milliards de dollars en 2014 et atteindre 25,2 milliards en 2015. Ceci explique pourquoi il est plus que nécessaire que l’ONU renforce son aide financière aux pays touchés car leurs activités et échanges économiques risquent peu à peu d’être paralysés, sans compter leur manque grandissant de ressources humaines. Le plus dur sera encore de faire disparaître ce sentiment de rejet et de stigmatisation que nourrissent les acteurs économiques régionaux et internationaux à l’égard des pays directement concernés.

Un fléau mais aussi une stigmatisation

Le terme Ebola suscite une peur à dimension internationale et, dans ce monde que l’on qualifie pourtant d’interconnecté, une nette rupture de sociabilité se fait sentir. Il n’y aurait manifestement que deux groupes désormais : les ressortissants du « triangle » Ebola et les autres. C’est précisément la raison pour laquelle de nombreuses voix, ne pouvant plus supporter cette stigmatisation se sont faites entendre. Parmi elles, la bloggeuse Sierra Léonaise, Hannah Foullah, qui a publié une vidéo où défilent les photos de plusieurs de ses compatriotes, chacune accompagnée d’un message disant « Je suis Sierra Léonais, pas un virus ! » ou encore « Isolez Ebola, pas notre pays ». Elle explique vouloir ouvrir les yeux aux autres en affirmant que de la même façon que son pays a pu se remettre d’une guerre civile, ceci  n’est qu’une mauvaise passe de plus et qu’elle ne définit en rien son peuple. Dans le même registre, une photographe et présentatrice de télévision libérienne a réalisé une vidéo où différentes personnes tiennent une pancarte contenant le message « Je suis Libérien et non un virus ! ». Signalons par ailleurs que le Libéria traverse récemment une phase d’apaisement et que les spécialistes considèrent qu’il y a de bonnes raisons d’être optimistes quant au recul de la pandémie.

Redoublant de créativité, Anthony England, professeur de chimie aux Etats-Unis, a réalisé une carte pour préciser que la fièvre hémorragique Ebola ne concerne principalement que trois pays. Publié sur Twitter, ce schéma a pour objectif de sensibiliser les internautes sur cet amalgame trop fréquent entre le fait d’être Africain et celui de contracter cette maladie. Tout ceci conduit essentiellement à un point vital : les ressortissants des pays où Ebola s’est installé tiennent plus que tout à être traités dignement mais aussi à ne pas être isolés du reste du monde. La réponse la plus concrète serait donc d’envoyer le maximum d’aide médicale possible pour limiter les risques de transmission, encercler le virus, l’exterminer et, par-dessus-tout, faire un pas de plus dans la réinstauration de la paix et de la sécurité internationales.

 Khadidiatou Cissé

Les nouvelles arithmétiques du monde

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FLORIAN PLAUCHEUR / AFP
A partir de quel seuil faut-il s’émouvoir du nombre de morts ?

Le curseur ne cesse d’être repoussé. Effet syrien oblige, on empile les paquets, on dépasse les deux chiffres, puis trois, quatre, cinq… A chaque palier, un léger trémolo sur la conscience du monde, une furtive culpabilité de l’inaction. Quelques simulacres d’effervescence sur l’imminence d’une action mais les lendemains réinstallent l’ordinaire, lâchement démissionnaire. Au bout, plus de 120 000 morts, décompte inachevé. Les morts en finissent, dans les représentations, par devenir des êtres sans âmes, de simples et vils objets mathématiques que l’on additionne en espérant, plus le tas s’amoncelle, un cap, un plafond, un point fatidique. Rien. On tombe sur un puits sans fond ; on lève les yeux vers un ciel sans toit.

On assiste à la même allégresse et ivresse du chiffre avec l’épidémie d’Ebola. A chaque seuil, on parle, presque comme pour se convaincre de l’ampleur du drame, de la symbolique des étages qu’atteint le fléau. Le monde en vacances, avec son arithmétique pas très pressée, regarde, compte, comme si l’attente procurait une forme de jouissance douloureuse. Du premier au 4 000ème mort, le film continue. Il a ses intrigues et ses bouleversants revirements. Une espagnole, puis un chien, et le monde offre son vrai masque et ses sélections.

On tient là un des symptômes des grandes logiques qui gouvernent le monde. C’est un monde de chiffres. On disqualifie tout ce qui n’est pas volume. Dans l’économie, dans le sport, dans la politique, tout est libellé en arithmétique. La vie en est réduite à ces accumulations, additions, et les notations qui donnent quitus ou bannissent, se font par le prisme de la quantité. Ne sont rien, ceux qui échouent sur cet autel, même les morts. Cette sociologie de la quantité s’étend à tous les domaines. Elle a infiltré le dernier bastion qui restait, qui s’honorait du reste de ne pas y succomber : l’émotion. On la marchande, comme à la criée ou dans une chambre d’enchères. Pour qu’elle opère, il lui faut justifier de consistance numéraire. Les drames des faucheuses qui ne tuent que des centaines de personnes, passent ainsi, plus ou moins,  sous silence. On s’empresse d’ailleurs dans les reportages, en premier lieu, de parler de bilan. De ce bilan,  coloration et suite sont données. C’est le dernier test pour les morts. Leur mémoire, l’empathie que le monde leur accorde, dépendent presque, en quelque sorte, de leur nombre.

Bloc homogène, convergence des paradigmes du monde, ordre régnant, l’étoffe de cette présidence idéologique se densifie. L’extrême diligence, voire soumission du monde, à la loi du nombre, présente un double risque : laisser sur le quai des vertus minoritaires qui peuvent participer d’une réorientation nécessaire et souhaitable, ensuite, circonscrire le monde et réduire sa pluralité à une poignée de personnes dont l’humeur commande à la destinée de milliards d’autres. Cette concentration des pouvoirs, en un noyau restreint, agglomère les capacités d’action, en des mains uniques souvent consanguines. Pour peu que s’en mêlent les tensions géopolitiques, les luttes de positionnement, ou les divergences économiques, de fait immanquables à ce stade, c’est le destin de beaucoup de sans grades qui se trouve pris en otage, et dans le pire des cas, ce sont ces morts par milliers. Ces nouvelles arithmétiques du monde, d’une boucle infernale, sont à la source d’une problématique d’ensemble dont l‘enchainement des catastrophes, sur lesquelles l’emprise et la thérapie de l’homme sont possibles par ailleurs, est l’odieuse illustration.

On peut probablement en situer l’origine dans la dérive d’un individualisme dogmatique, qui nourrit d’ailleurs les sectarismes identitaires et renferme les communautés dans des frontières théoriques et nationalistes.  Dans une sphère moins abstraite, dans une autre déclinaison de l’égoïsme, au rayon des responsables, on peut empoigner un capitalisme assez féroce qui rend ringard tout devoir de solidarité et vante un pragmatisme qui encense la rupture des chaines d’entraide. Progressivement inféodés au cœur des principes sociétaux, ces postulats continuent à mettre à mal les logiques de solidarités, in fine, ils condamnent l’émotion ou la confinent au rang de manifestation bénigne. L’on consent, si ce n’est pas une injonction d’ailleurs, à ce que cette sécheresse, cette conception du monde, soient une norme à laquelle il faut progressivement faire allégeance.

Cette démission collective, qui s’accroit massivement, au mépris des acquis qui constituaient des digues, s’allient avec leur enfant : le culte du chiffre. Plus donc de seuil, dans un monde de volume, la vérité n’a de paternité que la quantité ; il n’y a plus de symbole. Pas même 6 millions de morts.

Les guerres civiles, seins nourriciers d’Ebola

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Credit photo: REUTERS/James Giahyue (Liberia)

C’est une scène glaçante : au fond d’une cour de maison quelque part dans Monrovia, un cadavre abandonné. Le corps gît au sol, couché sur le ventre. On perçoit de loin l’entame du processus de putréfaction. Personne n’ose roder aux abords immédiats du cadavre. La Caméra d’Envoyé Spécial qui s’y aventure, guidée par des riverains et voisins du défunt, caractérisés par un mélange saisissant de candeur et de peur, reste à distance raisonnable. Les services mortuaires libériens débordés, n’ont pas eu le temps d’enlever le corps. Quelques jours sont passés déjà. Dans les charniers dont se couvre la ville progressivement, leurs moyens dérisoires ne peuvent offrir une couverture entière. Le défunt est soupçonné d’être mort de la fièvre Ebola. Le document télévisé montre les scènes de chaos, de panique, la déstructuration de la chaine des urgences, et in fine, le désamour que la maladie finit par instiller dans les rapports de bienveillance si historiquement ancrés en Afrique. Les seuils symboliques de morts qui peuplent les bulletins d’information, 3000 morts, 4000 malades, portent donc un visage et une terreur: celui de la mort et celle de l’impuissance.

D’une épidémie dont on parle si souvent, sans jamais en voir les réels ravages, ballotés par les chiffres, mais lointains, Envoyé Spécial a  offert un premier portrait. Glauque, désarmant, particulièrement inquiétant. L’épidémie est hors de contrôle au Libéria. Ce que l’on soupçonnait s’avère triplement plus grave : Le Libéria se meurt. Principalement, de pauvreté et de désorganisation sociale. Héritées d’une guerre civile dont la nomination du reste très encourageante à la tête de l’Etat de Ellen Johnson Sirleaf ne gomme pas les stigmates, les plaies béantes du Libéria auront nourri Ebola. Le Parc sanitaire défectueux, l’absence d’automatisme des services de l’état, l’éternel mais si impardonnable manque de moyens, le type même de l’habitat ravagé et les promiscuités qu’il commande, ont fait le lit d’une maladie qui n’est pas prête de stopper sa faucheuse. L’on ressent à la vue des images, une mixture inconfortable de gêne, de colère sourde, de peine. Après la gifle des images, il faut refuser de se clore dans les perspectives immédiates et voyager aux sources de telles tragédies.

Il n’y pas de hasard dans le fait que ce soit les deux pays particulièrement fragilisés par des décennies de guerre civile, qui payent le lourd tribut des morts. Dans tous les défis urgents africains, dont l’enjeu principal sanitaire, le point décisif reste l’organisation sociale. Le Libéria et la Sierra Léone subissent le contrecoup d’un passé récent qui les a installés dans une fragilité sur le long terme, à la merci des étincelles politiques, des crises identitaires, et des aléas viraux. Le foyer de départ Guinéen paye un long chaos politique, quand le Sénégal et le Nigéria, du fait même de la nature de cas importés, offrent des gages et des dispositions qui sont indubitablement liés à la stabilité politique.

La pauvreté, éternelle absolution en toute circonstance, ne doit pas être considérée comme la cause d’un produit social dont il faut s’accommoder, en confiant au destin ses désirs de changement. La pauvreté a beaucoup de chance d’être, dans l’état des pays précités et bien d’autres du reste, le produit d’une histoire, d’une culture qui implique directement la responsabilité sociétale. L’abus de l’excuse de la pauvreté finit par « ordinariser » le problème et par impersonnaliser les responsabilités.

On ne se tire pas indemne des postulats culturels qui ont gouverné ce continent et dont on n’a pas fait l’inventaire. Ebola n’est qu’une maladie de pauvres. Elle ne frappe qu’eux, ne se nourrit que de leur faiblesse. La pitié et la propension à s’apitoyer sous de supposés décrets divins, sont des compassions qu’il faut s’éviter, car la pauvreté n’est pas une cause, c’est une conséquence : un état d’anarchie heureuse, un état d’absolution, un reposoir pour les politiques, et la gaieté ambiante des sans grades, comme d’ailleurs l’exotisation du continent, en tisse les légendes. Il faut d’une certaine manière vaincre cette forme de Providence singulière que campe la pauvreté, donc sonder l’abîme culturel.

Quelle serait l’incidence économique du virus Ebola ?

UntitledL’Afrique de l’ouest est en proie depuis fin 2013 à une épidémie mortelle d’Ebola qui, d’ores et déjà aurait provoqué la mort d’un millier de personnes. Quatre pays de la zone sont sévèrement touchés : la Guinée Conakry – foyer de cette épidémie, la Sierra Léone, le Libéria et le Nigéria. L’Afrique retient son souffle maintenant que la République D. du Congo est également touchée. Les experts estiment que sa propagation devrait  se poursuivre. Les craintes qu’elle suscite et la difficulté qu’éprouvent les pays concernés et leurs voisins (soit la CEDEAO tout entière) à contenir la situation, a obligé nombreux d’entre eux et d’autres pays dans le monde à prendre des dispositions, parfois extrêmes (fermeture de frontières, contrôle systématique des voyageurs, etc.) pour éviter toute contamination. Ces mesures, bien que justifiées pour les raisons préalablement évoquées, soulèvent la question relative à l’impact de ce fléau sur les économies des pays affectés. Loin de stigmatiser les efforts des autorités de la zone pour contenir cette épidémie d’Ebola, cet article se propose d’analyser le coût économique de cette épidémie pour les pays touchés – et plus généralement pour l’Afrique.

Il serait assez utopique de penser à chiffrer les retombées de cette épidémie sur l’économie d’un pays ou d’une zone. De fait, une épidémie est capable d’affecter tous les secteurs de l’économie d’un pays. Ce genre de choc peut provoquer une suite d’évènements qui peuvent à leur tour provoquer d’autres chocs qui vont exacerber la situation économique. Il est toutefois possible d’identifier les différents secteurs qui seront affectés par cette épidémie.

Pour assurer la prise en charge des personnes infectées et lutter contre la propagation de la maladie, les pays affectés ont été amenés à faire des dépenses supplémentaires non prévues au budget. En Sierra Léone, une dizaine de millions de dollars USD ont déjà été dépensés au deuxième trimestre et d’autres sont à prévoir pour le reste de l’année. Ce qui est certainement le cas dans les autres pays touchés mais aussi chez leurs voisins, qui ont mis en place des mesures diverses pour éviter ou prendre en charge assez rapidement tout cas de maladie déclarée. Ces dépenses supplémentaires affecteront, sans nul doute, les équilibres budgétaires quel que soit le moyen de financement adopté. De nombreux programmes d’investissement public ou de développement ont été mis à l’arrêt et certaines entreprises,  notamment celles des secteurs extractif ou minier ou de l’agro-alimentaire ont dû suspendre leurs activités. En Guinée, Arcelor Mittal a suspendu les travaux d’expansion d’un minerai de fer parce qu’une partie de la main d’œuvre travaillant sur ce chantier a été évacuée. En Sierra Léone, aussi, London Mining a fait évacuer une partie de son personnel « non essentiel ».  Par ailleurs, le secteur touristique est aussi affecté de pleins fouets. La destination étant compromise avec l’épidémie, les touristes préfèrent ne pas se rendre dans ces pays.

Pour les voisins, l’impact sur le secteur touristique est aussi éminent. La crainte de la maladie amènera les touristes à ne pas s’intéresser à la destination. Aussi, les mesures comme la fermeture de frontières ou les contrôles médicales systématiques limitent les échanges économiques avec les voisins mais aussi contraignent certains touristes à préférer des destinations moins contraignantes et présentant moins de risques de contamination. Le Sénégal a interdit toutes importations de produits agricoles en provenance de la Guinée ; une mesure qui pourrait concerner tous les pays touchés et adoptée sans doute par de nombreux partenaires commerciaux de ces pays, notamment ceux importants de la viande et des produits agricoles. La croissance se trouve ainsi limitée, tout au moins cette année. Selon des travaux de l’agence Moody’s, du FMI et de la Banque Mondiale, la Guinée-Conakry pourrait perdre un point de croissance en 2014 : 3,5% au lieu de 4,5% initialement estimé. Les autres pays touchés pourraient aussi voir leur croissance atteindre des niveaux plus bas que celle prévue. Les objectifs de recettes, fiscales notamment, de l’Etat ne seront pas atteints, contribuant ainsi à accentuer les déséquilibres budgétaires et à tenir en échec les programmes de développement des autorités. En effet, les dépenses supplémentaires de santé causées par cette épidémie, seront financées en réduisant certaines dépenses d’investissement ou courantes, avec l’aide financière ou à travers des emprunts. Ce faisant, l’Etat augmente ses arriérés auprès de certains de ses fournisseurs et crée ainsi une entorse à ses propres programmes de développement en retardant l’avancement des travaux d’infrastructures qui sont essentiels pour pérenniser les performances économiques.

Les déséquilibres budgétaires provoqués par cette épidémie en cours, affecteront à moyen terme la qualité de la signature du pays touché. De fait, le respect des critères notamment en matière de gestion budgétaire, sous la surveillance du Fmi sont des préalables à l’action des partenaires financiers et garantissent aussi la réussite des interventions sur le marché financier international. Si les incursions des pays africains ces dernières années (surtout en 2014) sur le marché financier international, ont été des réussites, c’est en partie parce que les indicateurs produits par le Fonds en matière de gestion de ressources publiques rassurent les investisseurs. Si ces indicateurs se dégradent, bien qu’indépendant d’une mauvaise gestion des ressources mais en lien avec un choc, les investisseurs seront moins aptes à investir et ce d’autant que les moteurs de la croissance ont été mis à mal. Pour preuve, un simple coup d’état militaire (bien que non assimilable à une épidémie), suffit pour entacher l’image d’un pays auprès de ces partenaires, quel que soient les efforts fournis pour revenir à l’ordre constitutionnel. Au moins dans ce cas, l’activité économique se poursuit, garantissant au moins des recettes budgétaires pour l’Etat. Avec une épidémie, le retour des entreprises n’est pas imminent. Il peut s’avérer lent quand des garanties solides ne sont pas données quant à la capacité du pays à contenir l’épidémie, ce qui se traduirait par une croissance plus molle et donc par une incapacité de l’Etat à honorer ses engagements financiers, retardant ainsi la mise en œuvre des programmes de développement et contribuant à accentuer le poids de la dette sur l’économie à moyen termes.

Dans tous les cas de figure, l’incidence économique d’une épidémie, telle qu’Ebola, sur les pays africains est et sera majeure. S’il est difficile de chiffrer ses conséquences sur l’agriculture, la production industrielle, la sécurité alimentaire et plus encore sur les inévitables conséquences sociales de l’épidémie (destruction des familles et des structures sociales, millions d’orphelins livrés à eux-mêmes, réduction à néant des réseaux communautaires) ; une évidence est qu’elle limitera les performances économiques des pays et des zones qui sont affectées. En effet, si l’on considère que la croissance économique d’un pays est habituellement corrélée à l’espérance de vie (selon les estimations de l’OMS, 0,5 % de croissance économique est gagnée pour chaque 5 ans d’espérance de vie supplémentaire), une épidémie mortelle comme celle d’Ebola constitue une entrave considérable à la croissance économique à court et à moyen terme, surtout si elle n’est pas rapidement maitrisée. Les dépenses en infrastructures, en personnel qualifié et en formation que nécessite ce genre de maladie obèrent sérieusement le développement économique des pays africains qui ont déjà bien de mal à rendre leur croissance inclusive. Une situation qui met à nu une Afrique encore assez fragile dont les performances peuvent être remises en cause par des chocs tels une épidémie, un coup d’état, une catastrophe naturelle, etc. Si l’on ne peut prévoir la survenue de tels évènements, il est tout au moins possible de pouvoir prendre les précautions nécessaires pour limiter leurs impacts, notamment en ce qui concerne la santé et la vie politique.

Comme le rappelle Georges, dans une démocratie (ou du moins quand on veut en construire une), des moyens moins onéreux pour l’économie existent ; de même, quand il s’agit de la santé, il est tout à fait possible d’éviter des situations qui freineront le développement du continent. En effet, si l’Ebola ou toutes maladies mortelles (comme le Sida) se propage aussi rapidement en Afrique, c’est parce que le système de santé est assez obsolète et ne permet pas de prendre en charge ces types de fléau. De plus, le comportement des populations en lien avec certaines pratiques culturelles – toutefois non maîtrisables en lien avec le niveau d’éducation – accentuent les risques de contamination. Les 260  millions de dollar US promis par la Banque Mondiale et la BAD, pour lutter contre l’épidémie actuelle d’Ebola ne suffiront pas à contenir la situation actuellement et à préparer les 54 pays du continent à d’autres situations similaires. Il serait convenable dès lors que les pays africains puissent déterminer des moyens permettant le renforcement du système de santé, avec la mise en place de systèmes d’informations adéquats et un investissement plus conséquent dans ce secteur[1] mais aussi dans l’éducation. Une équation qui peut paraître complexe, dans la mesure où l’Afrique veut accélérer son rattrapage et qui se reflète à travers les divers plans de développement adoptés par les pays ; alors que les financements pour leur exécution ne sont pas généralement mobilisés à l’interne. Ces différentes contraintes appellent les pays africains à penser à un modèle de développement, qui s’adapte à ses capacités et prend en compte les différents défis. Après tout, la Chine ou la Corée du sud ne sont pas devenues émergentes en quelques plans d’émergence exécutés en une dizaine d’années.

Foly Ananou

Références : 

http://www.rfi.fr/afrique/20140828-ebola-epidemie-experts-inquiets-consequences-economiques-accra/ 

http://economie.jeuneafrique.com/index.php?option=com_content&view=article&id=22893 

http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/22853-ebola-les-consequences-economiques-de-lepidemie-sannoncent-severes.html 

OMS, Rapport sur la Santé dans le Monde, 2004 – Chapitre 1 : Conséquences humaines, sociales et économiques 


[1] Un article de Nelly Agbokou propose des pistes de réflexion sur la question.